C’est à Londres en 1952 que nous faisons la connaissance de Molly Allgood, une actrice de 65 ans dont le nom de scène était Maire O’Neill. Sa gloire s’est ternie, Molly vit dans un garni miteux de Brickfields Terrace. Elle n’a plus d’argent, plus de famille à proximité, la solitude et l’alcool la rongent. Surtout la solitude : « Partager sa chambre avec quelqu’un. Deux ou trois mots, le soir. Quelqu’un qui puisse te faire un thé quand tu es malade. Ces temps-ci tu te surprends à te plaindre aux murs, aux piles de livres de poche défraîchis aux aguets sur le plancher, à la lampe à l’abat-jour déchiré en équilibre précaire, aux patères nues du portemanteau. Les pensées nocturnes sont les pires. Tu ne peux parler à la nuit. Elle pourrait se mettre à répondre. » Mais en ce 27 octobre 1952, Molly reprend vie, elle va participer à l’enregistrement d’une pièce de théâtre pour la radio. Son talent n’a pas été oublié par tout le monde. En se préparant pour cet évènement, les souvenirs remontent, envahissent le présent. Molly fut une comédienne prometteuse à l’âge de 19 ans, elle était la tête d’affiche du célèbre Théâtre de l’Abbaye à Dublin tenu par W.B. Yeats et Lady Augusta. Cette notoriété, elle la doit à un homme : le grand dramaturge John Millington Synge. Elle fut sa muse sur scène et à la ville.
Joseph O’Connor ressuscite dans « Muse » ce couple maudit du théâtre irlandais du début du siècle. Leur histoire d’amour était vouée à l’échec dès le départ. Tout opppose Molly et Synge : l’âge, la religion, le niveau social. Epouser Molly serait une terrible mésalliance, un déshonneur pour la famille de Synge. D’ailleurs le mariage n’aura jamais lieu. On sent le poids des traditions, de l’argent de la famille Synge qui pèse sur les épaules de l’auteur qui se croyait si libre. Malgré le succès, le théâtre est très mal vu par la haute société dublinoise. Le métier d’actrice n’est pas plus considéré que celui de prostituée. La maladie les éloigne également et le cancer de l’auteur conclue la romance de manière brutale.
Molly profitera encore quelques années de son succès au Théâtre de l’Abbaye. Puis comme une étoile filante, sa gloire déclinera. L’alcool, l’amertune de cette histoire d’amour avortée termineront de plonger Molly dans la déchéance. Joseph O’Coonor alterne, tout au long du roman, le récit de son héroïne en 1952 et les souvenirs de son pygmalion tant aimé. La décrépitude et la solitude de l’ancienne actrice n’en sont que plus poignantes comparées à sa splendeur passée.
Le personnage tragique de Molly Allgood est le coeur du récit de Joseph O’Connor et il la rend terriblement touchante. Le roman est tour à tour mélancolique lorsque l’action se déroule en 1952 et lumineux lorsque Molly évoque son amour pour Synge. Sous la plume de Joseph O’Connor, le destin de Molly Allgood devient bouleversant.
Un grand merci à Denis et aux éditions Phébus pour ce beau livre.
Molly Allgood en 1907.
Il a l’air très intéressant ce livre… Denis m’a aussi gâtée récemment, je vais me régaler mais en tout cas je lirai ensuite ce livre de O’Connor également. Je n’avais pas fait très attention au sujet et maintenant que j’ai lu ton billet je suis sûre qu’il me plaira.
@Lou : C’est un très beau livre. Les personnages, leur histoire, l’écriture, tout concourt à un livre réussi, émouvant qui te plaira à coup sûr.
Un très joli billet !! Comme toi j’ai adoré ce roman qui tant par la forme que par le ton n’est pas conventionnel. Du coup j’ai eu envie de découvrir l’oeuvre de Synge. Je crois que le roman est en lice pou le prix Femina.
@Maeve : Merci pour le compliment ! Oui c’est vraiment un très, très beau livre. Le personnage de Molly Allgood est extrêmement touchant et tragique. C’est marrant, la lecture de « Muse » m’a donné envie de lire Joseph O’Connor !!! J’espère qu’il obtiendra le Femina étranger, on croise les doigts pour lui !
pas mal d’avis mitigés sur ce livre. Tu me fais hésiter !
@Theoma : C’est marrant je n’ai lu que des avis positifs sur les blogs ou dans la presse. J’ai vraiment été emportée par ce livre. L’histoire d’amour de Molly et Synge est très belle et la décadence de la jeune femme est poignante. Et Joseph O’Connor a un style, une écriture ce qui ne gâte rien.
Un grand livre de Joseph O’Connor.Mais tous ses livres sont au minimum intéressants.
@Eeguab : Effectivement Joseph O’Connor est un grand auteur qui offre toujours de bons moments de lecture.