La corde de Alfred Hitchcock

 

Brandon (John Dall) et Phillip (Farley Granger) sont deux étudiants new yorkais. Le film s’ouvre sur leur appartement, les deux hommes sont en train d’étrangler un de leurs amis avec une corde. Le corps est placé dans un grand coffre situé dans le living-room. Brandon et Phillip se préparent ensuite pour un dîner des plus macabres. Les parents et la fiancée du mort y sont conviés ainsi que Rupert Cadell (James Stewart), un ancien professeur. Ce dernier défendait l’idée du meurtre en tant qu’art, pour le plaisir du geste. Des êtres supérieurs pouvant choisir d’éliminer les plus faibles. Tout ça n’était qu’une théorie dans la bouche de Rupert, mais Brandon a toujours voulu impressionner son maître et est passé à l’action dans ce but. Son humour macabre va largement trouver à s’exprimer durant la soirée. Brandon installe les couverts du dîner directement sur le coffre où est le corps ; il ira même jusqu’à offrir des livres au père du mort attachés avec la fameuse corde. Mais, Phillip n’a pas les nerfs aussi solides que son camarade.

« La corde » date de 1948 et est adaptée d’une pièce de théâtre de Patrick Hamilton. Alfred Hitchcock a décidé d’inscrire son film dans un dispositif rappelant le théâtre. L’intrigue se déroule totalement en huis clos. Hitchcock a également choisi de donner l’impression d’un mouvement de caméra unique, d’un seul plan séquence. En fait, chaque prise dure 10 minutes, le temps contenu sur une bobine. Les passages entre chaque prise se font souvent grâce aux dos des acteurs. Le procédé est un peu maladroit, mais le dispositif choisi par le réalisateur compliquait beaucoup les choses. L’idée de la continuité dans le déroulement de la soirée est rapidement devenu pesante et Hitchcock le regretta beaucoup à la fin de sa carrière. Néanmoins, il arrive à placer quelques cadrages plus ambitieux pour augmenter le suspense. C’est le cas lorsque la domestique des deux étudiants débarrasse le coffre. On la voit enlever les assiettes, enlever la nappe, remettre les livres anciens dans le coffre. Les autres protagonistes sont hors champs ; on entend leurs conversations. Le coffre va-t-il être ouvert aux yeux de tous ?

« La corde » est à voir pour son humour macabre, cher au réalisateur, mais également pour son formidable trio d’acteurs. John Dall est tout en assurance, en maîtrise de soi et son arrogance devient vite écœurante. Farley Granger joue la fragilité, la faiblesse, c’est l’âme tourmentée du duo d’assassins. Il est humain, trop humain. Et bien sûr, il y a l’immense James Stewart, toujours impeccable quoi qu’il joue. A l’époque, Hollywood ne voulait plus de lui, le trouvait trop vieux. Merci à Hitch d’avoir relancé sa carrière !

Ce premier film en couleurs d’Alfred Hitchcock était une véritable gageure technique. Mais, finalement, l’intérêt de cette œuvre est ailleurs, dès son intrigue et dans ses acteurs.                                                                              

Un visionnage commun avec ma copine Maggie.    

                                                                                                                                                                                                                                                                                               Logo Hitch

                                                                  

                                                           

The ghost writer de Roman Polanski

Un « nègre » réputé dans le milieu littéraire (Ewan McGregor) est engagé par une maison d’édition pour rédiger les mémoires de l’ancien premier ministre britannique, Adam Lang (Pierce Brosnan). Celui-ci vit désormais sur une île au large de la Nouvelle-Angleterre, dans une maison moderne plantée sur les dunes au milieu de nulle part, sorte de cube aux larges baies vitrées, froid et impersonnel. Le « nègre » doit s’y rendre pour reprendre le manuscrit écrit par son prédécesseur, retrouvé noyé alors qu’il revenait d’une visite sur le continent.

D’emblée l’atmosphère est tendue dans l’équipe qui entoure Adam Lang, car celui-ci est soupçonné d’être impliqué dans des crimes de guerre en Irak perpétrés du temps de son mandat. Le « nègre » accomplit sa tâche sans passion, juste animé de sa conscience professionnelle. Tout prend une autre dimension lorsqu’il découvre scotchée sous un tiroir une enveloppe laissée là par son prédécesseur. Elle contient des photos et des documents sur le passé d’Adam Lang, révélant des faits que ce dernier a occultés ou falsifiés lors de leurs entretiens pour le livre. Déboussolé et poussé par la curiosité, il découvre également que la mort du « nègre » précédent tient plus du crime que de l’accident. Dès lors le suspense ne fera que s’accentuer jusqu’à la fin.

Les premières scènes du film mettent tout de suite dans l’ambiance : un ferry arrive à quai sur l’île (décidément… voir Shutter Island), les voitures sortent une à une mais l’une d’elles reste sur le ponton, sans conducteur ; le plan suivant montre de loin, sur une grande plage déserte, un corps échoué ballotté par les vagues. Tout est à l’avenant dans ce film, tout contribue à installer une aura de mystère et d’angoisse diffuse. Comme l’île au ciel plombé, ce paysage hivernal de landes battues par le vent et la pluie, le quai désert du ferry à la tombée de la nuit, l’hôtel dont le « nègre » est le seul client… Comme les personnages également, d’Adam Lang, homme de pouvoir sans pouvoir pris au piège de son passé, à l’inquiétant Paul Emmett (Tom Wilkinson), son ancien professeur à l’université et homme de main de la CIA, en passant par la cassante épouse d’Adam Lang, Ruth (Olivia Williams), femme d’influence et de caractère, opiniâtre et manipulatrice.

Ewan McGregor incarne à merveille un jeune type banal, habitué à un statut d’homme de l’ombre qui semble parfaitement lui convenir, mais qui décide pour une fois de ne plus s’en laisser conter et pour cela va mettre sa vie en jeu. Il est de toutes les scènes et le spectateur mène l’enquête avec lui, va de surprise en révélations, essaie d’échapper à ses poursuivants, risque sa peau avec lui. Jusqu’à cette géniale scène finale très – désolé pour ce qualificatif mille fois rebattu, mais je trouve pour le coup que la référence est évidente – hitchcockienne. Bref, Polanski a magistralement réalisé ce thriller politique à l’ambiance trouble, grâce à une mise en scène millimétrée et un grand sens du détail. Accrocheur.

Shutter Island de Martin Scorsese

Le dernier film de Martin Scorsese partait déjà sous de bons auspices puisqu’il est adapté du diabolique « Shutter Island » de Denis Lehane dont Hollywood raffole. Le thriller américain à l’écriture très cinématographique donnait une solide base scénaristique au réalisateur.

Les marshalls Teddy Daniels (Leonardo DiCaprio) et Chuck Aule (Marc Ruffalo) arrivent en bateau sur Shutter Island. Sur cette île se trouve un hôpital psychiatrique pour les malades les plus dangereux. Daniels et Aule viennent enquêter sur la disparition d’une des malades, Rachel Solando, qui s’est mystérieusement volatilisée. Les deux marshalls ne sont pas au bout de leurs surprises et l’atmosphère régnant sur l’île devient de plus en plus anxiogène.

Martin Scorcese a su parfaitement exploiter ce qui faisait la force du roman de Denis Lehane : la montée en puissance de l’angoisse. Pour ce faire, il utilise les codes des films gothiques. Le lieu est déjà par lui-même inquiétant : un hôpital psychiatrique, de surcroît sur un site isolé. A l’intérieur de l’hôpital, le bâtiment C attise l’intérêt du marshall Daniels, il est réservé aux grands malades et se trouve être un ancien fort. Ses hautes tours s’élèvent comme une menace et évoquent un château hanté. De plus une terrible tempête éclate. Les éclairs et le vent accentuent l’atmosphère sinistre. Cela permet également à Scorsese d’éclairer son film de manière expressionniste comme dans la scène où Daniels s’infiltre dans le fameux bâtiment C. Les lieux sont plongés dans l’ombre d’où jaillit le visage blafard du marshall. Dans cette scène l’escalier joue un rôle prépondérant et m’a évoqué celui de « La maison du diable » de Robert Wise. Les clins d’oeil au cinéma chez Scorsese sont toujours très multiples et je suis très loin de les avoir tous repérés ! Un dernier élément m’a paru important, la musique. Dans la scène d’ouverture, elle se fait de plus en plus forte et inquiétante à mesure que les marshalls approchent de l’île, nous signalant clairement que le lieu sera terrifiant. Mais la musique sait également se taire pour souligner la solitude et la peur de Teddy Daniels.

Ce personnage est le coeur du film et il se révèle rapidement ambigu. Avant de connaître son appartenance à la police, on le découvre totalement décomposé par le mal de mer et incapable de se dominer. Il est par la suite constamment terrassé par des maux de tête qui l’empêchent de mener son enquête. Face au calme olympien du Dr Cawley (Ben Kingsley), le marshall Teddy Daniels semble assailli par le doute et la peur. Ses rêves sont par ailleurs assez inquiétants. Dans le premier, Teddy est avec sa femme et à la manière des rêves  de « Twin Peaks », elle révèle des indices à son mari. Ce qui est effrayant, c’est que Dolores Daniels (Michelle Williams) est morte dans un incendie et on la voit se consumer dans les bras de Teddy. Une pluie de cendres, très esthétique, s’abat sur eux. Ce personnage, rongé par le doute, est joué par l’extraordinaire Leonardo DiCaprio. C’est sa quatrième collaboration avec Scorsese et c’est sans doute ici que son talent s’exprime le mieux. Ses traits poupins sont peu à peu déformés par la paranoïa et se creusent de terreur. Le marshall Daniels est un personnage complexe et torturé. Et pour cause, il a fait partie des soldats qui ont libéré Dachau et il reste hanté par les images des camps de concentration. La question qui se pose pendant tout le film c’est : qui est réellement Teddy Daniels ?

« Shutter Island » est un bon Scorsese. J’y ai retrouvé l’atmosphère sinistre et pesante qui m’avait séduite chez Denis Lehane. Les nombreux rebondissements m’ont tenu en haleine jusqu’à la fin et je n’ai pas vu passer les 2h17 !

Espion(s) de Nicolas Saada

« Espion(s) » est le premier long-métrage d’un ancien critique des Cahiers du Cinéma, ancien coscénariste d’Arnaud Desplechin, Nicolas Saada. Le film est le reflet de l’admiration de Saada pour Alfred Hitchcock et ce à différents niveaux.

Le premier est l’histoire que le réalisateur raconte aux spectateurs. Vincent (Guillaume Canet, excellent) est bagagiste dans un aéroport parisien et avec un collègue il a pris l’habitude d’arrondir ses fins de mois grâce aux contenus des valises. Ces vols se terminent mal lorsque son collègue ouvre une valise diplomatique, y prélève une bouteille de parfum qui lui explose au visage. Vincent est alors contacté par la DST qui lui propose un marché : les aider à coincer les responsables de l’explosion afin d’éviter la prison. Vincent accepte, se retrouve à Londres et doit faire la connaissance d’un homme d’affaires soupçonné de complicité avec des terroristes syriens. Pour avoir des informations, Vincent doit séduire la femme de cet homme d’affaires, Claire (Géraldine Pailhas). Nicolas Saada reprend la trame des « Enchaînés » où Ingrid Bergman se mariait  avec Claude Rains pour découvrir les activités d’un groupe d’anciens nazis. Cary Grant, agent du FBI, était là pour recueillir toutes les infos sur le groupe.

Mais comme dans le film d’Hitchcock, l’histoire d’espionnage de Nicolas Saada est un McGuffin (petit rappel : le McGuffin est un terme inventé par le grand Hitch et qui signifie en gros « prétexte »). Ce qui intéresse réellement Nicolas Saada c’est l’histoire d’amour qui naît entre Vincent et Claire. Il y a un va-et-vient des sentiments entre les deux personnages. Vincent séduit Claire pour le travail, pour se rapprocher du groupe de terroristes syriens. Pour ce faire, il faut qu’elle tombe amoureuse de lui et lorsqu’elle est prise dans ses filets il lui annonce qu’il l’a conquise sur demande de la DST. C’est l’occasion pour Géraldine Pailhas de montrer son grand talent d’actrice dans une scène où elle passe de l’euphorie amoureuse à la désillusion, la rancoeur. Evidemment une fois que Claire s’est éloignée, Vincent prend conscience de ses propres sentiments. Tout le suspense de « Espion(s) » réside en fait dans l’histoire d’amour. La véritable question que se pose le spectateur est : Claire et Vincent vont-ils réussir à s’aimer?

Enfin Nicolas Saada s’amuse avec sa cinéphilie sous forme de clin d’oeil à Hitchcock. Un exemple frappant est la scène où Géraldine Pailhas est assise dans un musée devant un portrait de femme en pied. Elle est de dos, Guillaume Canet entre dans la salle et l’observe. La scène est l’écho d’un passage de « Sueurs froides » où James Stewart observe Kim Novak dans un musée.

« Espion(s) » est un beau film de cinéphile, un bel hommage à l’immense talent d’Alfred Hitchcock et au pouvoir des images qui s’impriment sur la rétine.

Braquage à l'anglaise de Roger Donaldson

Une équipe d’escrocs à la petite semaine réalise un coup énorme : ils dévalisent la salle des coffres-forts d’une banque londonienne en creusant un tunnel depuis un magasin proche. Le butin est de 4 millions de livres sterling. Mais il y a un problème. Les voleurs ont aussi emporté des documents très compromettants : des photos d’une princesse de la couronne britannique en plein ébat, d’autres photos d’éminents hommes politiques se livrant à des jeux érotiques dans un bordel, et enfin un carnet où sont notés les pots-de-vin versés à la police par le roi du porno, truand notoire. C’est à croire que tous les gangsters du coin ont décidé de cacher leurs petits secrets dans la même banque !

C’est que les lascars ont été manipulés. Les services secrets britanniques, par l’intermédiaire d’une amie de la bande, ont mis les petits voyous sur le coup. Ils ne savent pas que le but de la manœuvre est avant tout de récupérer les photos de la princesse. Elles appartiennent à un leader noir des Caraïbes, Michael X, qui cache son business illégal (proxénétisme, drogue…) derrière une façade de militant anticolonialiste. Ces photos lui servant de garde-fou contre les autorités, celles-ci sont bien déterminées à les récupérer pour faire enfin tomber Michael X. Les cambrioleurs vont donc devoir jouer serré avec le MI-5 (ou le MI-6 ?), mais aussi avec les flics ripoux décidés à retrouver le carnet compromettant.

La première partie du film est dans la droite ligne des classiques du genre, avec ses scènes obligées de préparation et de réalisation du cambriolage. C’est ensuite, lorsque les braqueurs prennent conscience de la machination et de la situation délicate dans laquelle ils se trouvent, que tout s’emballe. Nos apprentis cambrioleurs sont plongés jusqu’au cou dans une histoire qui les dépasse, avec à leurs trousses de vrais méchants. Ce qui n’était qu’un « innocent » braquage se transforme en cauchemar, avec affaire d’Etat et corruption de policiers à la clé. Les manipulés se font alors manipulateurs, et doivent habilement manœuvrer pour ne pas laisser trop de plumes dans cette affaire. Car l’enjeu est de sauver sa liberté, et sa peau.

Le film est basé sur une histoire vraie, le braquage de la Lloyd’s Bank sur Baker street en 1971. Le scénario tiré de ce fait divers mêle admirablement humour, action, suspens et espionnage. La réalisation haletante tient le spectateur en haleine. Un excellent divertissement.

Le nouveau protocole de Thomas Vincent

Raoul Kraft (Clovis Cornillac), alors qu’il travaille sur son exploitation forestière, apprend la mort de son fils de 18 ans dans un accident de voiture. Sur le lieu de l’accident, sur une route de montagne, une jeune altermondialiste, Diane (Marie-Josée Croze), lui dit que son fils suivait un protocole d’essais cliniques pour un médicament dont les effets secondaires pourraient avoir provoqué l’accident mortel. Elle lui demande de lui remettre le médicament à des fins d’analyses. Elle le prévient aussi que le laboratoire pharmaceutique pourrait tenter de le récupérer pour masquer sa responsabilité. Bouleversé, Raoul ne veut pas en entendre parler et l’envoie promener. Mais il se rend compte que son fils n’a pu être victime d’un simple accident : il ne pouvait pas quitter la route à cet endroit, et la voiture n’avait aucun problème. D’autre part, en rentrant chez lui un soir, il constate que son armoire à pharmacie a été fouillée. Il décide alors de monter à Paris et de retrouver Diane.

Tout en enquêtant sur la mort de son fils, Raoul va peu à peu pénétrer les arcanes de l’industrie pharmaceutique, que Diane combat de toutes ses forces. Parfois à la limite de la rupture, elle n’hésite pas à harceler publiquement et en privé les patrons de laboratoires, pour révéler leurs agissements, et à manipuler Raoul, pour l’amener à servir sa cause. Marie-Josée Croze incarne avec brio un personnage douloureux et ambigu. Clovis Cornillac est lui aussi excellent dans le rôle de ce père amené par sa quête désespérée de justice à apprendre la cruelle vérité sur son fils et à ouvrir les yeux sur la réalité du monde qui l’entoure.

Les films français qui allient divertissement et réflexion politique ne sont pas si fréquents. Pour le divertissement, tous les ingrédients d’un bon thriller : un scénario bien ficelé avec scènes d’action et courses-poursuites, révélations et rebondissements, suspense et émotion. Côté réflexion : la puissance du lobby pharmaceutique qui transforme les plus pauvres en cobayes pour tester les nouveaux médicaments qui soigneront les maux des plus riches, et surtout accroîtront ses profits. Les scènes d’ouverture et de clôture, en guise d’illustration, font d’ailleurs froid dans le dos.

Le drame personnel qui se joue pour Raoul Kraft est aussi l’occasion d’une prise de conscience qui transcende sa propre expérience, comme en témoigne son geste à la fin. Geste de colère et de révolte, il sonne aussi comme une tentative désespérée d’attirer l’attention sur une entreprise inhumaine. Au début du film, lors de la conférence de presse d’une patronne de labo pharmaceutique, Diane, folle de rage, hurle que lors de la peste au Moyen-Age, si un vaccin avait existé, on l’aurait donné, pas vendu, simplement pour enrayer l’épidémie. On pense bien sûr aux ravages du sida en Afrique. Non, décidément, la santé n’est pas une marchandise.

Sweeney Todd de Tim Burton

 

Une comédie musicale gothique, cela semble antinomique mais c’est ce qu’a réalisé Tim Burton avec « Sweeney Todd ». Le chant et le sang se mélangent dans ce film adapté d’un musical à succès de la fin des années 70 aux Etats-Unis et en Angleterre.

Le film s’ouvre sur l’arrivée d’un bateau sortant du brouillard dans le port de Londres. Deux hommes en descendent : un jeune homme et Sweeney Todd (Johnny Deep). Ce dernier revient dans sa ville pour accomplir sa vengeance. Jeune homme, il était barbier, avait une femme et une fille, était heureux en somme. Malheureusement, un homme, le juge Turpin (Alan Rickman), convoitait sa femme et il envoya Sweeney Todd au bagne pour la lui voler. Le passé du héros est évoqué par de courts flashbacks lumineux, respirant le bonheur et où le visage du héros est bien différent de celui découvert au début du film. On le retrouve dans des ruelles sombres, pauvres, sales, dignes de Jack l’Eventreur. Sweeney a un visage blafard, un costume sombre, une chevelure noire avec une mèche que la douleur a sans doute rendue blanche. Sweeney Todd a un physique typiquement burtonien, un croisement entre Edward aux mains d’argent et Mr Jack.

Il regagne son ancienne demeure et y trouve Mrs Lovette (Helena Bonham Carter) tenant une pâtisserie et qui vend les pires tourtes de Londres. Elle lui apprend que sa femme est morte et que le juge Turpin a adopté sa fille. Sweeney Todd ne pense plus alors qu’à sa vengeance, il imagine un plan macabre pour se débarrasser du juge Turpin aidé de la pâtissière. Ils vont s’entraîner sur des passants : lui tranche la gorge, elle les transforme en tourtes.

Dans le même temps, le jeune homme arrivé à Londres avec Sweeney tombe amoureux de sa fille qu’il va tout faire pour sauver. Les scènes entre les deux jeunes gens éclairent le film, nous éloignent de la noirceur de l’histoire. Sweeney Todd pourrait lui aussi goûter à un bonheur retrouvé avec Mrs Lovette qui se consume d’amour pour lui mais ce dernier n’a que son noir dessein en tête. Sweeney Todd ne sera comblé que lorsque le sang du juge Turpin aura coulé mais sa vengeance va l’emmener trop loin.

On retrouve l’ambiance désespérée chère à Tim Burton, Londres est une ville glauque, noyée dans le brouillard et les fumées de cheminées. Très peu d’espoir existe dans les bas-fond et l’esthétique utilisée est proche de l’expressionnisme.

Johnny Deep prête son visage lunaire au barbier de Fleet Street. Son visage passe de la démence à la mélancolie, on prend pitié de ce personnage à qui on a arraché sa vie. Johnny Deep est parfait dans ce rôle et il adhère totalement à l’esprit burtonien. Les collaborations entre Deep et Burton (« Edward aux mains d’argent », « Ed Wood », « Sleepy Hollow ») sont toujours un régal.

Helena Bonham Carter joue également une partition sur mesure, un personnage ambigu, peut-être encore plus fou et noir que celui de Sweeney Todd. A noter les seconds rôles : Alan Rickman ambigu et pervers à souhait, Sacha Baron Cohen campe un barbier italien haut en couleurs et plus vrai que nature.

Les chansons sont de Stephen Sondheim qui est à l’origine du spectacle datant de 1979 et ont été retravaillées par Tim Burton. Les chansons se collent assez bien dans la narration et on a droit à de beaux duos entre Johnny Deep et Helena Bonham Carter.

Après des expériences moins réussies comme « Big Fish », on retrouve l’univers de Tim Burton composé de freaks désespérés, marginaux et que la noirceur de la vie n’épargne pas.

 

Gone baby gone de Ben Affleck

 

 Les atmosphères poisseuses et les intrigues complexes des romans de Denis Lehane vous plaisent ? Vous retrouverez tout cela dans le premier film en tant que réalisateur de Ben Affleck. Et pour cause puisque ce film est adapté de Lehane où l’on croise ces héros récurrents Patrick Kenzie (Casey Affleck) et Angie Gennaro (Michelle Monaghan).

Le début de l’histoire semble clair : Kenzie et Gennarop, détectives privés, sont embauchés par une famille pour retrouver une petite fille disparue. L’intrigue se déroule à Boston, la ville de naissance des frères Affleck, on sent le regard amoureux de Ben pour sa ville à travers sa camera. La famille de la petite fille est confrontée à un déferlement médiatique et à une police qui semble dépassée. La famille compte sur Kenzie et Gennaro pour réactiver l’enquête grâcee à leur connaissance des réseaux souterrains de Boston. Kenzie et Gennaro découvrent que la mère de l’enfant a caché beaucoup de choses à la police. Elle est droguée et a subtilisé de l’argent à son dealer. Aidés par un policier Remy Bressant (Ed Harris), Kenzie et Gennaro se lancent à la recherche de ce dealer qui semble avoir une bonne raison d’avoir kidnappé l’enfant. Cette poursuite se conclura par une scène incroyable dans un parc de nuit où l’échange argent/enfant doit se faire. Camera à l’épaule, Ben Affleck suit la course des personnages dans le parc, on ne voit rien, on entend des coups de feu, le bruit d’un objet tombant dans l’eau et à l’image des détectives il nous est impossible de savoir ce qui s’est arrivé. La poupée de l’enfant de l’enfant est retrouvée dans l’eau et tous supposent que la petite fille s’y est noyée. L’enquête a échoué, le capitaine de la police (Morgan Freeman) démissionne. Patrick Kenzie, éprouvé par la mort de l’enfant, poursuit son travail et découvre que la réalité de cette enquête n’est pas celle à laquelle on a voulu lui faire croire.

L’intrigue est bien entendu très bien ficelée et réserve des rebondissements. Ben Affleck traduit parfaitement l’atmosphère des polars de Denis Lehane. Les personnages naviguent dans des endroits glauques, angoissants au milieu des dealers, des petites frappes, des pédophiles. Casey Affleck est formidable dans le rôle de Patrick Kenzie. Un personnage qui semble tout en retenue mais qui laisse transparaître une fêlure, une douleur, un malaise profond face au monde qu’il côtoie. Ed Harris campe un policier ambigu, adaptant ses principes aux situations rencontrées.

Le premier film de Ben Affleck est prometteur, il confirme le talent de son frère Casey et nous attendons la suite !

 

American gangster de Ridley Scott

C’est tout d’abord l’histoire d’une formidable réussite commerciale. A la mort de son mentor en 1968, un caïd de Harlem, Frank Lucas (Denzel Washington) reprend le flambeau, mais va dépasser son maître. Son coup de génie : grâce au mari d’une cousine, soldat au Vietnam, il s’approvisionne en héroïne pure et se charge de l’acheminer aux Etats-Unis avec la complicité de l’armée. Directement du producteur au consommateur. Se passant d’intermédiaires, il peut inonder les rues de New York d’une came excellente et bon marché, la Blue Magic. Il oblige par la force et la négociation ses concurrents à se plier à ses conditions. Les affaires deviennent vite florissantes. Frank fait alors venir sa famille, nombreuse et pauvre, du sud, et la regroupe dans une superbe villa qu’il achetée pour sa mère. L’entreprise devient familiale quand il fait de ses frères ses associés et ses hommes de main. Bon fils, bon mari, gangster craint, respecté et prospère, tout va pour le mieux.

C’est sans compter sans Ritchie Roberts (Russel Crowe) dont on suit parallèlement l’itinéraire. Flic des stups, on le charge de diriger une équipe spécialement créée pour éradiquer le trafic d’héroïne qui ravage New York au début des années 70. Roberts est un type foncièrement honnête, à tel point qu’il a ramené un jour au commissariat plusieurs millions de dollars sur lesquels il aurait pu faire main basse en toute impunité. Depuis il est l’objet des sarcasmes et du mépris de ses collègues. Pour mener à bien sa mission, Roberts devra donc lutter contre les trafiquants, bien sûr, mais aussi contre des flics locaux très corrompus.

« Pour vivre heureux, vivons cachés ». Telle pourrait être la morale de ce film. Alors qu’il se rend à un combat de boxe de Mohammed Ali, Frank est habillé d’un manteau et d’un chapeau de fourrure que lui a offerts sa femme. Attifé de la sorte, de plus placé dans les premiers rangs et en conversation avec un caïd italien surveillé par la police, Frank attire l’attention de Roberts. Ce sera le début de la chute de Frank Lucas, lâché peu à peu par sa femme et sa mère. « On n’est jamais trahi que par les siens » : autre morale de cette histoire.

Voilà un très bon Ridley Scott, réalisateur qui alterne le bon (Blade Runner, Thelma et Louise), le moins bon (Gladiator), voire le médiocre (1492 : Christophe Colomb, Kingdom of heaven). Un peu lent au démarrage, ce film, inspiré par l’histoire vraie de l’ascension et la chute d’un trafiquant de New York entre 1968 et 1973, m’a progressivement captivé. D’une durée de près de 2h40, le rythme soutenu de la mise en scène, le jeu impeccable des acteurs, la montée en puissance dramatique et la reconstitution seventies de New York, ont fait que jamais mon attention ne s’est relâchée

La nuit nous appartient de James Gray

La nuit nous appartient est seulement le troisième film de James Gray. Il avait réalisé en 1994 « Little Odessa », puis en 2000 « The Yards ». Ce nouveau film reprend les thèmes de prédilection du réalisateur : la famille, la mafia, le destin et le choix qui nous est offert de le changer.

L’intrigue se déroule en 1988 à New York (à souligner la très bonne reconstitution de l’ambiance des années 80 et la très bonne bande originale). Bobby Green (Joaquin Phoenix) est gérant d’une immense boîte de nuit, il est dans la fête permanente, le clinquant. Sa petite amie portoricaine (Eva Mendès) travaille comme entraîneuse dans la même boîte nommée El Caribe. Ce lieu appartient à un russe qui traite Bobby comme son propre fils.

La véritable famille de Bobby Green est tout autre. Son père, Burt Grusinsky (Robert Duvall), est un commandant reconnu et apprécié de la police new yorkaise. Son deuxième fils, Joseph (Mark Wahlberg) est lui aussi policier et il vient d’obtenir une promotion. Il suit les traces de son père. On découvre les Grusinsky lors de la fête organisée en l’honneur de Joseph par la police. L’opposition entre la famille d’adoption de Bobby et sa vraie famille est déjà marquante. D’un côté, on découvre une fête gigantesque avec alcool, drogue et filles à volonté et de l’autre, une fête pépère avec valses ! Le choix du nom de famille de Bobby (il s’agit du nom de jeune fille de sa mère décédée) nous indique clairement sa préférence entre ses deux familles.

Bobby va devoir faire un choix entre elles et cela va changer sa vie. Le neveu du propriétaire russe d’El Caribe est un gros trafiquant de drogue et Joseph Grusinsky cherche à le coincer rapidement. Pas le temps donc d’envoyer un agent en infiltration. Son frère Bobby est déjà dans la place et personne ne connaît ses liens avec la police. Il est tout d’abord réticent car il respecte son patron qui lui offre de nouvelles responsabilités. Ce sont des incidents tragiques qui vont le faire réagir et changer sa destinée.

Ce film est une superbe tragédie shakespearienne où les destins s’entrechoquent, où il est question de loyauté, de trahison et de renoncement. Bobby avait choisi d’être un homme indépendant, loin des désirs de son père. Joseph a pris cette place, celle que son père a choisie pour lui. Le cours de l’histoire va bousculer, intervertir les rôles des deux frères. Chaque personnage devra faire un sacrifice : celui de la femme que l’on aime, celui de la position de héros, celui de la vie.

On retrouve dans le film de James Gray des thématiques communes au dernier film de David Cronenberg. Le film implique de nouveau la mafia russe et son sens élargi de la famille. Les apparences sont également trompeuses, les bons pères de famille peuvent se révéler de redoutables manipulateurs.

L’histoire se déroule dans une atmosphère oppressante. A l’image de « The yards », de nombreuses scènes se passent la nuit. Mais même en plein jour, les personnages manquent de visibilité comme dans la scène de la course-poursuite en voiture ou la scène de traque du trafiquant de drogue dans un champ de blé.

Ce film est de facture classique, le déroulement de l’histoire est linéaire. Le scénario extrêmement bien structuré et rythmé est servi par de grands acteurs. Joaquin Phoenix et Marc Wahlberg avaient déjà travaillé avec James Gray dans « The Yards ». Ils sont tous les deux parfaits : le premier dans la passion, la fougue puis le renoncement, le second dans l’effacement, le respect et l’abnégation. On a plaisir à revoir Robert Duvall, il incarne un père représentant la loi, l’ordre et qui s’assouplit envers Bobby pour enfin le respecter. Robert Duvall fait pour moi le lien antre le cinéma de James Gray et celui de Francis Ford Coppola. James Gray me semble le digne héritier de Coppola. Ses films ont le même classicisme dans la forme, le même souffle dramaturgique et on aimerait que la filmographie de James Gray soit aussi longue que celle de son aîné.