Le roitelet de Jean-François Beauchemin

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« A ce moment je me suis dit pour la première fois qu’il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d’une tache jaune. Oui, c’est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête. » Le narrateur, la soixantaine, décrit ainsi son frère atteint de schizophrénie. Installé paisiblement à la campagne avec sa compagne Livia et ses animaux, il continue inlassablement à essayer de comprendre son frère, à aller le chercher dans le puits sans fond de la maladie qui les éloigne. Leur relation est émaillée de crises de paranoïa, d’inquiétude mais aussi de tendresse infinie et d’instants lumineux. La poésie les rassemble : le narrateur est écrivain, son frère y trouve repos et réconfort.

« Le roitelet » est un roman extraordinairement délicat et poétique. La qualité d’écriture de Jean-François Beauchemin donne envie de souligner chaque phrase du texte. En de courts chapitres, il nous donne à voir, avec justesse et lucidité, la relation unique, profonde et en même temps fragile des deux frères. Malgré la gravité du thème abordé, le roman n’est jamais sombre, la grâce et la lumière l’habitent. Le narrateur vit une vie simple, il s’émerveille de la beauté de la nature, des animaux qui la peuplent. Il semble être arrivé à un moment de sa vie où l’harmonie règne, il ressent du bonheur à être en vie, à être au milieu de la nature avec ses proches et les fantômes du passé. La vie s’est écoulée mais le temps qui reste doit être apprécié, dégusté. « A l’ouest, le soleil glissait lentement sur le versant de la montagne. Je songeais encore une fois que le temps bien sûr m’était compté, mais qu’à tout prendre il m’en restait encore beaucoup. J’avais le sentiment d’entrer dans la dernière partie de ma vie comme on se glisse dans un soir d’été. »

« Le roitelet » est un texte magnifique, bouleversant, sensible, un bijou à l’écriture éblouissante.

Le retour du soldat de Rebacca West

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A Baldry Court, Kitty attend le retour du front de son mari, Chris. Elle vit dans cette large demeure avec la cousine de ce dernier, Jenny. Elles reçoivent un jour, une femme nommée Margaret, mal apprêtée, qui leur annonce que Chris est à l’hôpital de Boulogne. Sa blessure n’est pas physique : Chris semble avoir oublié totalement les quinze dernières années. Il a donc adressé des nouvelles à Margaret, qui a été son premier amour, et non à son épouse Kitty. Son retour à Baldry Court ne réveille pas ses souvenirs au désespoir de sa femme et de sa cousine. Il ne veut qu’une seule et unique chose : revoir Margaret.

« Le retour du soldat » est un petit bijou de la littérature anglaise et il s’agit du premier roman écrit par Rebecca West. L’autrice y aborde la difficulté du retour à la maison pour les soldats de la première guerre mondiale. Chris revient en ayant oublié les dernières années de sa vie. Il vit dans un passé heureux et insouciant. Son amnésie le protège de ses souvenirs des tranchées. Faut-il lui faire recouvrir la mémoire ou le laisser oublier l’enfer vécu au front ? La question n’est pas si simple à résoudre pour Jenny, la narratrice du texte, et pour Margaret qui revit également les instants merveilleux passés aux côtés de Chris.

Le sentiment amoureux est l’autre thème du roman. Jenny, Margaret, Kitty et Chris forment un quatuor amoureux. Chacune des trois femmes ne pensent qu’au bonheur, au bien-être du jeune homme. Chris est choyé, aimé et entouré. Kitty et Jenny ont créé à Baldry Court un écrin à son intention : le jardin splendidement aménagé, la décoration raffinée de la maison. « Ici, nous lui avions rendu le bonheur inéluctable. » Rebecca West excelle dans l’analyse psychologique de ses personnages et du sentiment amoureux. La douceur infinie des souvenirs de la relation entre Margaret et Chris est particulièrement touchante. Les quatre personnages principaux sont décrits avec subtilité, délicatesse et une grande justesse. Margaret, qui est jugée immédiatement par la belle Kitty sur son apparence, est un personnage bouleversant de droiture. Jenny, réservée et discrète, nous montre toute la complexité de la situation avec beaucoup d’empathie pour les trois autres.

« Le retour du soldat » est parsemé de descriptions des paysages, du parc de Baldry Court. Elles soulignent la grande sensibilité de Rebecca West, sa finesse d’observation et son sens de la poésie.

La lecture de ce roman de Rebecca West fut un régal et je regrette qu’elle soit méconnue en France. « La famille Audrey » attend dans ma pal et j’espère qu’il sera à la hauteur de celui-ci.

Traduction Simone Arous

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Voyage en territoire inconnu de David Park

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A quelques jours de Noël, l’Irlande et la Grande-Bretagne sont recouvertes d’une épaisse couche de neige. Les aéroports sont fermés ce qui empêche Luke, étudiant à Sunderland, de rejoindre sa famille dans la banlieue de Belfast. Son père, Tom, décide d’aller le chercher en voiture. Sa femme Lorna et sa fille Lily lui préparent des sandwichs, un thermos de thé et une pile de CD pour l’accompagner durant son voyage. Le trajet vers Luke sera pour Tom l’occasion de revenir sur sa vie, sur ses erreurs et son rôle de père.

David Park est l’auteur de onze romans mais « Voyage en territoire inconnu » est le premier a être traduit en français. Étant donné la beauté de ce texte, j’espère qu’il ne sera pas le dernier. A l’image du voyage de Tom, le roman se met en place lentement. Il prend la forme d’un long monologue introspectif où Tom revient sur certains moments-clés de sa vie : sa rencontre avec Lorna, son père atteint de la maladie de Parkinson, la naissance de son premier enfant, sa dépression. Le texte se teinte rapidement de culpabilité, de remords et Tom semble cherche un pardon, une rédemption sans que l’on sache vraiment pourquoi. Un malaise, un vide s’insinuent dans ses réminiscences qui ne s’éclaireront qu’au fil des pages. Une montée en puissance des émotions qui rend la fin du roman extrêmement poignante.

Écrit avec une infinie pudeur, « Voyage en territoire inconnu » est l’introspection d’un homme tourmenté, hanté par des souvenirs douloureux. Ce récit intime et saisissant m’a bouleversée.

Traduction Cécile Arnaud

Céleste de Chloé Cruchaudet

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Arrivant à Paris du fin fond de la Lozère à l’âge de 22 ans, Céleste Albaret y rejoint son mari Odilon, chauffeur de son état. Ne sachant rien faire, ni ménage ni cuisine, l’employeur de son mari lui propose de porter ses colis. Il se trouve que celui-ci n’est pas ordinaire puisqu’il s’agit de Marcel Proust. Il offre rapidement à Céleste de venir le seconder à plein temps. Dans l’appartement de l’écrivain, elle apprend l’art du téléphonage, à renvoyer les fâcheux, devient experte en essence de café et en paperolles.

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J’avais lu les mémoires de Céleste Albaret intitulées « Monsieur Proust » et j’avais trouvé l’admiration qu’elle portait à l’écrivain particulièrement touchante. J’étais donc ravie de retrouver Céleste grâce à la talentueuse Chloé Cruchaudet. Et cette bande-dessinée a été un énorme coup de cœur. Elle nous plonge dans l’intimité de Marcel Proust, dans son quotidien où Céleste joue tous les rôles et se démène pour son confort. Mais le plus beau dans ces pages est la façon dont Chloé Cruchaudet matérialise le processus de création de l’artiste. La dessinatrice y fait preuve d’une merveilleuse inventivité.

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La dessinatrice arrive également à rendre compte de la singularité de la relation qui se noue entre Céleste et M. Proust. Totalement improbable, cette amitié n’aurait jamais du exister. Céleste, modeste et naïve, va pourtant se rendre indispensable au génial dandy souffreteux et névrosé. Un duo étonnant qui est magnifié par les dessins virevoltants et élégants de Chloé Cruchaudet. A chaque lieu, sa couleur, l’aquarelle sublime l’ensemble et le texte de la Recherche s’inscrit tout naturellement dans le dessin.

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« Céleste » est le premier volet d’un diptyque dont je suis impatiente de découvrir la suite. Un bijou, une merveille, il ne faut manquer cette bande-dessinée sous aucun prétexte.

Moon river de Fabcaro

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C’est lors du tournage d’un western que Betty Pennyway, la célèbre actrice de « Orgasmes bourguignons », est victime d’une odieuse agression : quelqu’un lui a dessiné une bite sur la joue. Le lieutenant Hernie Baxter est chargé de l’enquête. Un indice, laissé sur les lieux du crime, pourrait le mettre sur une piste : le criminel a laissé son cheval dans la chambre de Betty. Baxter va-t-il faire éclater la vérité ? Le tournage du film pourra-t-il reprendre ? Et surtout Betty Pennyway pourra-t-elle réaliser son rêve de visiter la Mayenne en Twingo ?

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Retrouver Fabcaro est toujours un grand bonheur et « Moon river » est un excellent cru qui devrait vous donner des crampes aux zygomatiques. Cette parodie de film noir des années 50 est absolument hilarant et l’humour de son auteur est toujours aussi absurde. En parallèle de cette enquête trépidante (seulement pour Baxter puisque le coupable nous est révélé page 13), Fabcaro nous explique la genèse et la réalisation de sa BD. Ses problèmes physiques, le manque d’enthousiasme de ses proches pour le pitch de « Moon river », une fermière acariâtre qui lui hurle dessus quand il va acheter son foin, il n’est pas très en forme notre dessinateur. Mais c’est toujours avec humour et autodérision que Fabcaro nous parle de sa lassitude et de son envie d’arrêter la BD. Espérons que son hernie discale le laisse tranquille afin que nous puissions encore profiter de son talent.

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Encore une fois, je me suis régalée à la lecture de la dernière BD de Fabcaro, son humour décalée est imparable et toujours aussi réjouissant.

La trajectoire des confettis de Marie-Eve Thuot

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Xavier est barman et se voit commander des cerveaux par une excentrique cliente qui va rapidement l’obséder. Son frère aîné Zach s’épanouit dans un mariage très libre avec Charlie. Tandis que que leur frère cadet, Louis, change de copine tous les six mois et inscrit ses relations dans un schéma immuable. Leur père, Matthew, a quitté leur mère, Alice, en 1984 après l’avoir mise enceinte en même temps que sa maîtresse. Alice pourra se consoler dans les bras de Jacques, amoureux d’elle depuis toujours.

« La trajectoire des confettis » est une fresque ambitieuse qui entrelace les destinées de nombreux personnages. Marie-Eve Thuot nous fait voyager dans le temps, allant de 1899 à 2026. Les époques, les personnages se mélangent dans les différents chapitres sans que le lecteur ne soit jamais perdu. Chacun est tout de suite bien dessiné, bien décrit et les liens familiaux sont très clairement établis au fil des pages. Ils sont attachants ; leurs doutes, leurs failles, leurs réussites nous donnent envie de les suivre sur 600 pages. Le tourbillon d’évènements qui émaillent leurs vies est un régal à lire.

Marie-Eve Thuot aborde dans son roman les relations amoureuses, la sexualité avec des cas extrêmes : Zach qui a une vie sexuelle débordante et Xavier qui est abstinent depuis plusieurs années. L’autrice aborde beaucoup de situations, plus ou moins tabou et montre ainsi l’évolution des mœurs, les limites imposées par la société au fil des années. La situation des femmes est très présente avec la question de la maternité, de l’avortement, de la liberté sexuelle. Mais le roman ne laisse pas de côté d’autres thématiques actuelles et notamment celle de l’environnement et de l’extinction possible de l’espère humaine.

« La trajectoire des confettis » est un maelstrom de vie, une riche et ambitieuse galerie de personnages complexes et attachants, tout cela raconté avec intelligence et fluidité. Un premier roman enthousiasmant dont la construction très travaillée et aboutie m’a émerveillée.

Dans la tête de Sherlock Holmes : l’affaire du ticket scandaleux – tome 2 de Cyril Liéron et Benoit Dahan

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Dans ce deuxième tome, nous reprenons le fil rouge de l’enquête menée par Sherlock Holmes  et son fidèle acolyte le Dr Watson. Cette affaire avait débuté par la découverte d’un homme totalement désorienté dans les rues de Londres. Le Dr Fowler se trouvait en chemise de nuit, avec une clavicule cassée, sans aucun souvenir de ce qui l’avait amené là. Son unique souvenir était d’avoir participé à un spectacle chinois. La suite de l’affaire du ticket scandaleux nous entraine au Foreign Office pour rencontrer Mycroft, sur les docks londoniens, au Royal Albert Hall et tout ça aux pas de course !

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Quel immense plaisir de retrouver l’univers créé par Benoit Dahan et Cyril Liéron ! Les deux tomes de cette bande-dessinée sont une totale réussite et un ravissement pour les yeux de ses lecteurs. On retrouve ce qui faisait la force du premier tome : l’inventivité dans la constitution des planches, la forme des cases les constituant, le fil rouge qui court de page en page symbolisant la pensée de Holmes, les jeux de transparence d’une page à l’autre, la matérialisation du fonctionnement du cerveau du détective sous forme d’une demeure à plusieurs étages. C’est brillant, étourdissant dans le fourmillement de détails dans chaque planche.

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Et l’enquête, qui je le rappelle est inédite, est passionnante, vivante et elle revient sur des épisodes peu glorieux de l’histoire européenne. En plus d’être addictive, elle fait réfléchir, que demander de plus ?

Le tome 2 de « L’affaire du ticket scandaleux » confirme l’exceptionnelle qualité de cette bande-dessinée. L’inventivité de Benoit Dahan et Cyril Liéron est absolument réjouissante.

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Alma, l’enchanteuse de Timothée de Fombelle

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Au début du deuxième tome de la trilogie de Timothée de Fombelle, nos trois jeunes héros se croisent dans une auberge de St Domingue. Après la mort de son père, Amélie Bassac est venue pour voir ses plantations de canne à sucre des Terres Rouges. Alma et Joseph Mars ont réussi à s’échapper de La Douce Amélie et accompagne le pirate Luc de Lerne, toujours en quête du fabuleux trésor des Bassac. Mais Alma n’a toujours qu’une seule idée en tête : retrouver son petit frère Lam qui a quitté leur vallée d’Afrique. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que sa mère et son frère aîné ont également du quitter leur paisible environnement. Alma a réussi à savoir sur quel bateau Lam s’est retrouvé et il se dirigerait vers la Louisiane.

Quel immense plaisir de retrouver les personnages de Timothée de Fombelle et de se plonger pendant des heures dans son univers. Le deuxième tome nous réserve à nouveau de très nombreux rebondissements, nous suivons les personnages en Amérique, en Angleterre, en France et en Australie. Tout s’enchaîne de manière fluide et haletante. Encore une fois, il faut saluer le formidable talent de conteur de l’auteur. Chez d’autres, certaines coïncidences pourraient paraitre excessives mais ce n’est jamais le cas avec Timothée de Fombelle où l’intrigue est formidablement bien construite. En revanche, je vous préviens, il joue sans cesse avec nos nerfs ! On espère des retrouvailles, on les frôle à plusieurs reprises mais il faudra attendre le tome 3 pour espérer qu’Alma retrouve les membres de sa famille.

Si le roman est aussi solide, c’est aussi parce que l’on sent que l’auteur s’est parfaitement documenté sur la période historique, la traite des esclaves et les prémisses de l’abolition. On croise dans les pages de « Alma, l’enchanteuse », Thomas Clarkson et Granville Sharp qui consacrèrent leur vie à combattre l’esclavage, Jean-François de La Pérouse avant que ses vaisseaux L’Astrolabe et La Boussole ne disparaissent et nous pénétrons dans les entrailles de la cour de Louis XVI à Versailles où tout va bientôt basculer.

« Alma, l’enchanteuse » est un tourbillon d’évènements, d’émotions où l’on croise et recroise de nombreux personnages et qui vous emportera au cœur des aventures d’Alma et des siens. L’attente va être très très longue jusqu’en 2023 où sera publié le dernier tome.

La fille qu’on appelle de Tanguy Viel

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Laura fait une déposition au commissariat, elle explique ce qui lui est arrivée depuis qu’elle a choisi de revenir vivre dans la ville de son enfance. Adolescente, une carrière de mannequin s’était offerte à elle mais cette opportunité s’est peu à peu éteintela  au gré des photos de plus en plus dénudées. C’est auprès de son père, Max, que Laura a souhaité revenir. Lui, l’ancien boxeur aujourd’hui devenu chauffeur du maire, va essayer d’aider sa fille et ce faisant il va la mettre en difficulté. Max demande au maire, Quentin Le Bars, s’il pourrait intervenir pour que sa fille ait un logement.

Depuis vingt ans et la parution de « L’absolue perfection du crime », je me délecte de chaque roman de Tanguy Viel. Cette fois encore, je n’ai pas été déçue et j’ai retrouvé ce qui me plaît énormément chez lui. « La fille qu’on appelle » est un roman noir social qui aborde le thème de l’emprise, de domination, du rapport de force entre classes sociales. Comme le dit Laura, dans un monde normal (« Un monde où chacun reste à sa place. »), elle n’aurait jamais dû croiser la route de Quentin Le Bars. Mais la fatalité finit toujours par prendre au piège les personnages de Tanguy Viel  et elle les accule dans les cordes. L’ordre social est inébranlable et ceux qui ont le pouvoir finissent toujours par écraser ceux qui ne l’ont pas. L’atmosphère de ville de province, l’engrenage implacable dans lequel se trouve les personnages, évoquent les films de Chabrol comme les romans de Simenon.

La nouveauté est le point de vue par lequel Tanguy Viel nous raconte l’histoire de Laura et de Max. Jusqu’à présent, ses romans se déclinaient à la première personne du singulier alors qu’ici l’auteur utilise un narrateur extérieur. Ce dernier connait chaque recoin de l’âme des personnages, chaque soubresaut de leur conscience. Les liens, les interactions entre eux sont décrits avec une incroyable acuité qui donne de la densité, de la profondeur à chaque personnage.

Ce qui fait également la force de Tanguy Viel, c’est son écriture, toujours d’une concision remarquable et ici d’une grande virtuosité. Il manie les métaphores avec talent pour souligner, appuyer une situation mais également pour générer des images dans l’esprit de son lecteur. Les métaphores autour de la mer sont notamment très présentes. Grise, opaque, elle ouvre les horizons tout en submergeant totalement les personnages.

Dans « La fille qu’on appelle », Tanguy Viel se montre une nouvelle fois virtuose dans la construction et l’écriture de son roman. Avec empathie, il décrit le destin broyé de Max et Laura, victimes des jeux de pouvoir et de classes sociales.

Mathilde ne dit rien de Tristan Saule

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Mathilde est travailleuse sociale au conseil général. Depuis qu’elle s’est installée dans le quartier défavorisé de la place Carrée, elle ne cesse d’aider, de conseiller ses voisins. Et pourtant, Mathilde n’a pas vraiment d’amis. Elle ne se dévoile pas facilement, reste secrète et stoïque en toute circonstance. La personne la plus proche de Mathilde est sa collègue Sophie. Mais, même elle, ne sait que peu de choses de son passé. L’unique confidence de Mathilde portera sur sa peur de voir le soleil s’éteindre sans que l’humanité ne le sache puisque sa lumière met 8 mn à nous parvenir. La discrétion, la réserve de Mathilde cachent-elles quelque chose ?

« Mathilde ne dit rien » de Tristan Saule (alias Grégoire Courtois) est un thriller social, un roman noir, tendu comme je les aime. C’est également le premier volet d’un projet singulier, celui de publier un roman par an autour de l’un des habitants de cette fameuse Place Carrée. Dans cette première chronique, qui se déroule en sept jours, nous découvrons donc Mathilde. Le roman s’ouvre sur une scène qui donne le ton : l’inquiétude et la tension saisissent d’emblée le lecteur. Impossible ensuite de lâcher ce livre que j’ai lu d’une traite ! Mathilde nous apparaît mystérieuse, inquiétante avant que nous découvrions sa vie gâchée, sacrifiée et le poids de la douleur qui la met à distance de la vie.

Je préfère prévenir, il y a peu de lumière, de lueur d’espoir dans le roman de Tristan Saule. La chance, la réussite ne sont pas pour les habitants de la Place Carrée. Le seul qui réussisse à balayer le pessimisme ambiant, c’est le jeune Idriss, fils des voisins de Mathilde et j’espère que nous le retrouverons au tome suivant. Tristan Saule nous plonge littéralement dans la vie de ce quartier et de ses habitants. Sa reconstitution extrêmement minutieuse donne de l’épaisseur, de la réalité à chaque scène. Les micro-évènements de la vie (prendre un dessert ou non, aller au marché pour la meilleure pâte de curry, les bisbilles entre collègues de bureau) apportent de la justesse et aident à dessiner l’image du quartier de la Place Carrée.

Ce premier volet des Chroniques de la Place Carrée de Tristan Saule est une réussite totale, un roman noir captivant qui ne laisse que peu de place à la lumière. J’ai vraiment hâte de retrouver certains personnages et de connaître leur évolution.