Vie et mort de Harriett Frean de May Sinclair

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Harriett Frean est fille unique, elle est choyée et protégée durant toute son enfance par son père et sa mère. Une famille idyllique dont les membres sont heureux ensemble, loin du bruit du monde et de la sociabilité. Le temps passe, les années se répètent dans le confort d’un cocon que Harriett ne souhaite en aucun cas quitter. L’élégance morale de ses parents est un modèle qu’elle s’évertue à suivre, préférant sacrifier sa vie personnelle à son idée de la grandeur. Mais que va-t-il advenir de Harriett Frean lorsque ses parents ne seront plus là ?

« Vie et mort de Harriett Frean » est un petit bijou où May Sinclair étudie avec minutie la psychologie de son héroïne. Par petite touches, elle dresse son portrait, nous raconte toute sa vie. Harriett Frean est prisonnière de son milieu social et de sa famille. Mais contrairement aux classiques héroïnes victoriennes, c’est le modèle de la mère qui l’étouffe. Elle habitera avec elle jusqu’au décès de cette dernière (May Sinclair a d’ailleurs vécu la même chose et elle se mit à écrire après la mort de sa mère). Harriett se révèle en réalité orgueilleuse, égoïste, hautaine et incapable de changer. La vie lui offre des possibilités qu’elle laisse passer et plonge peu à peu dans l’immobilisme, la léthargie. May Sinclair fait le portrait de son personnage avec une grande acuité, une précision redoutable dans ses travers. Son héroïne est plus à plaindre que véritablement détestable.

Après avoir aimé « Les trois sœurs », je me suis régalée à la lecture de « Vie et mort de Harriett Frean », qui j’espère ouvrira la voix à de nouvelles traductions de May Sinclair.

Traduction Diane de Margerie

La fin d’une ère d’Elizabeth Jane Howard

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La Duche s’éteint paisiblement marquant ainsi la fin d’une ère pour ses enfants. Nous sommes en 1956 et l’entreprise familiale d’export de bois éprouve de graves difficultés financières. Hugh, Edward et Rupert doivent faire des choix pour tenter de la sauver et préserver Home Place où la famille aime tant se réunir  depuis des décennies.

Elizabeth Jane Howard a écrit le dernier tome de sa saga dix huit ans après les quatre autres volumes. Et il aurait sans doute mieux valu qu’elle s’abstienne. Bien-sûr, il est plaisant de retrouver les membres de la famille Cazalet, les lieux que nous avons tant appréciés et auxquels nous nous sommes attachés. Mais « La fin d’une ère » n’est malheureusement pas à la hauteur des romans précédents. L’autrice veut évoquer l’ensemble des membres de la famille (les arrières petits enfants compris) dans des chapitres courts. Cela donne l’impression de rester en surface, de ne plus approfondir la psychologie des personnages. Les trois cousines, Louise, Polly et Clary, avaient une place centrale dans les quatre premiers tomes. Elles symbolisaient le changement de société, l’indépendance nouvelle des femmes. Elles ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Elles se perdent dans les mariages et les désillusions amoureuses. Leurs talents, leurs déterminations sont étouffés par leur rôle de femme, d’épouse et de mère. Il est bien décevant de les retrouver ainsi et je ne vais pas évoquer le cas de Neville qui m’a exaspéré.

Heureusement, certains moments sauvent l’ensemble comme ceux que partagent Rachel et Sid ou ce final à Home Place qui nous réconcilie avec Elizabeth Jane Howard.

Comme il est difficile d’achever une série de la qualité des Cazalet par une déception. Néanmoins, il nous permet de dire adieu à cette famille sans regret.

Traduction Cécile Arnaud

Elizabeth Finch de Julian Barnes

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« J’ai repensé à la façon dont la classe avait d’abord réagi face à elle : avec un certain respect intimidé, beaucoup de silence préliminaire et de gaucherie, quelque amusement muet, tout cela bientôt remplacé par une authentique chaleur humaine. Et aussi une sorte de sentiment protecteur, parce que nous devinions qu’elle n’était guère adaptée à la vie dans ce monde, et que son élévation d’esprit pouvait la rendre vulnérable. Et cela ne se voulait pas condescendant non plus. » Neil a déjà une trentaine d’années, deux mariages ratés, lorsqu’il rencontre Elizabeth Finch. Celle-ci donne un cours de « Culture et civilisation » pour adultes. Elle cherche essentiellement à ouvrir l’esprit de ses élèves, à leur apprendre à réfléchir par eux-mêmes. Neil est fasciné par l’intelligence, la liberté de ton d’Elizabeth Finch. Même après la fin de ce cursus, Neil continuera à voir régulièrement son enseignante dont il n’arrive pas à percer le mystère. A la mort de E.F., il découvre qu’elle lui a légué sa bibliothèque et ses recherches sur l’empereur romain Julian l’Apostolat.

Quel drôle d’objet littéraire que ce roman de Julian Barnes. Il se décline en trois parties et celle du milieu est entièrement consacrée à Julien l’Apostolat, sa courte vie et sa fortune critique. Cette partie historique et philosophique, un peu longue à mon goût, sert le propos général du roman. Elizabeth Finch ne cesse de questionner l’Histoire, à quoi ressemblerait notre monde si Julien l’Apostolat avait réussi à faire reculer le christianisme au profit des religions polythéistes ?

Même si le personnage de Julien l’Apostolat m’a intéressée, ce sont surtout les deux autres parties qui m’ont séduite. Elles décortiquent la relation de Neil et d’Elizabeth Finch. Après la mort de cette dernière, Neil essaie de mieux la comprendre, d’explorer ses zones d’ombre et son intimité. Il comprend alors qu’il est impossible de connaître l’autre. Une vie humaine est faite de tant de facettes, d’évènements petits et grands qu’elle semble insaisissable.

« Elizabeth Finch » est un texte hybride qui interroge aussi bien l’Histoire que la connaissance que nous avons des autres. Les thématiques m’ont intéressée, le personnage d’Elizabeth Finch est intrigant et iconoclaste mais je dois reconnaître m’être un peu ennuyée à la lecture de ce roman.

Les trois sœurs de May Sinclair

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Le pasteur Carteret vient de s’installer à Garth, dans le Yorkshire, avec ses trois filles : Mary, Gwendolen et Alice. Ce déménagement est dû aux élans amoureux d’Alice qui causèrent un scandale dans la paroisse où la famille résidait précédemment. L’impétueuse et amoureuse Alice est donc surveillée de très près par son père autoritaire et austère. Gwenda apprécie cette nouvelle ville où elle passe des heures à marcher dans la lande. Son père a peur d’elle car il la pense capable de tout. Il a en revanche toute confiance en son aînée, disciplinée et obéissante. Les trois sœurs étouffent sous le joug de leur tyran de père. Leur respiration viendra de la présence du jeune docteur du village Steven Rowcliffe. Chacune des sœurs sera attirée par le physique et la personnalité du jeune homme.

« Les trois sœurs » a été publié en 1914 en Angleterre. May Sinclair, qui était écrivaine, critique littéraire et engagée auprès des suffragettes, est malheureusement aujourd’hui méconnue. Son roman est pourtant très plaisant et laisse la part belle aux destinées des trois jeunes femmes. May Sinclair a écrit une biographie des sœurs Brontë en 1912 et le cadre de son roman est imprégné de leur univers. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Emily en découvrant le personnage de Gwendolen et sa passion pour la lande. L’autrice nous livre une analyse psychologique poussée des caractères de ses héroïnes. Chacune a sa manière va conquérir son indépendance vis-à-vis de l’imposante figure de leur père. L’autrice traite dans son roman du désir féminin, ce qui est moderne, et la manière dont il est réprimé, honni par la société. Un bon exemple de la modernité du roman est le personnage de la servante Essy qui devient fille-mère et se fiche du qu’en-dira-t-on et de la proposition de mariage de son amant. La place de la femme est sans cesse questionner dans « Les trois sœurs », ce qui le rend particulièrement intéressant.

De facture classique, « Les trois sœurs » nous offre de sensibles et détaillés portraits de femmes qui permettent à May Sinclair des questionnements modernes. J’ai maintenant hâte de découvrir « Vie et mort de Harriett Frean », publié prochainement par les éditions Cambourakis et que le préfacier de ce roman rapproche de « Mrs Dalloway ».

Traduction Mary-Cécile Logé

The silent stars go by de Sally Nicholls

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En 1919 dans le Yorshire, Noël se prépare dans la famille du pasteur Allen. Les aînés reviennent passer les fêtes à la maison : Stephen, qui a été mobilisé pendant la guerre, et Margot, qui apprend la sténo-dactylo dans une école de Durham. Trois ans auparavant, la vie de la jeune fille a été totalement bouleversée. Elle s’est retrouvée enceinte à 16 ans et son fiancé, Harry, était porté disparu au front. Margot fut contrainte d’abandonner son enfant au profit de ses parents. Pire, Harry est de retour au village.

Dans ce roman young adult, Sally Nicholls aborde des sujets graves. Le premier est celui des filles mères et de la honte que leur situation entraîne. Margot, qui était une jeune fille coquette et soucieuse du regard des autres, n’a pu supporter la disgrâce qui se serait abattue sur elle et sur sa famille. Le métier de son père n’est pas étranger à cela. C’est un honnête et généreux pasteur. Margot aura beaucoup de difficultés à abandonner son bébé alors qu’elle n’en voulait pas au départ. Elle apprendra par la suite que l’adoption est illégale en Grande-Bretagne (elle le sera jusqu’en 1926). Pourtant de nombreux enfants sont adoptés, même contre l’avis de leurs jeunes mères. Les remords, liés à son choix douloureux, sont présents durant tout le roman.

Autre thème grave abordé par Sally Nicholls : le retour des soldats après la première guerre mondiale. L’autrice parle des blessés, de ceux qui ne reviennent pas. Mais ce qui m’a le plus intéressé, c’est le personnage de Stephen, le frère aîné de Margot. Il est dans l’incapacité de se réadapter après les tranchées. Il est renvoyé de tous les emplois que lui trouve son père et il boit plus que de raison. Stephen explique également à quel point il est impossible de parler de ce qu’il a vécu à quelqu’un qui n’était pas sur le front.

Mais je vous rassure, le thème de Noël est bien présent dans le roman avec tous les rituels qui accompagnent cette fête en Angleterre. Sally Nicholls nous offre également, dans la pure tradition des romans anglais, une jolie scène de bal pour la veille du nouvel an.

« The silent stars go by » de Sally Nicholls est certes un roman rendant hommage à la période de Noël mais il est surtout l’occasion d’aborder des thématiques plus graves liées à la période historique durant laquelle il se déroule. Un roman de Noël au ton plutôt sombre et amer.

Mr Darcy’s night before Christmas de Julie Petersen

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Mr Darcy se morfond seul chez lui à Pemberley durant la nuit de Noël. Il doit se marier mais il ne sait, du cœur ou de la raison, qui doit l’emporter. Heureusement, une merveilleuse rencontre va l’aider à faire son choix. Le Père Noël descend de la cheminée et lui propose de l’accompagner dans sa tournée de distribution de cadeaux. Le traineau va survoler Rosings, Londres, Longbourn et cet incroyable voyage va ouvrir les yeux de Mr Darcy.

Ce charmant et délicieux album mélange l’univers de « Orgueil et préjugés » de Jane Austen à celui du « Conte de Noël » de Charles Dickens (même si Mr Darcy est nettement plus sympathique que Mr Scrooge !) »Mr Darcy’s night before Christmas » est un très amusant clin d’œil aux livres de ces deux écrivains. Le texte est court et écrit en vers, il est également très joliment illustré par Sheryl Dickert.

Une petite « austenerie » irrésistible et très réussie qui vous permettra de patienter le 24 décembre avant l’arrivée du Père Noël ! Happy Christmas to all, and to all a good night !

 

Le royaume désuni de Jonathan Coe

« C’était l’époque du jubilé d’argent de la reine, je me souviens, et pendant un temps on aurait dit que tout le monde chantait soit l’hymne national, soit le « God save the Queen » des Sex Pistols. D’une certaine façon, c’était incroyablement révélateur de votre psyché nationale, le fait que ces deux chansons puissent être simultanément sur toutes les lèvres. (…) J’ai passé trois mois à Londres et à la fin, j’étais tombé amoureux de tout ce que j’y avais découvert, la musique british, la littérature british, la télévision british, le sens de l’humour… Je me suis même mis à apprécier la cuisine. Je trouvais qu’il y avait là une énergie et une inventivité qu’on ne voyait nulle part ailleurs en Europe, et tout ça sans se prendre au sérieux, avec cette extraordinaire ironie tellement propre aux Britanniques. Et maintenant, qu’est-ce que fait cette même génération ?! Elle vote pour le Brexit, et pour Boris Johnson ? Qu’est-ce qui leur est arrivé ? »

Jonathan Coe tente de répondre à cette épineuse question dans son dernier roman « Le royaume désuni ». Il choisit de le faire au travers de la famille de Mary Clarke et de sept moments clefs de l’Histoire contemporaine du Royaume-Uni, du 8 mai 1945 à mai 2020. La plupart de ces évènements ont trait à la famille royale, ce qui montre l’importance des Windsor pour les anglais du point de vue symbolique et ces cérémonies rythment leur vie. Même ceux  qui sont contre la monarchie suivent les retransmissions télévisuelles de ces moments. « Le royaume désuni » s’inscrit dans la lignée du « Cœur de l’Angleterre », Jonathan Coe y entremêle l’intime et le collectif avec tendresse et une ironie toujours aussi mordante. Il est également lucide sur l’histoire, la politique. L’antagonisme entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni est ici parfaitement analysé. L’auteur nous offre un chapitre aussi drôle qu’affligeant sur la guerre du chocolat à Bruxelles (la famille de Mary Clarke réside à Bournville, banlieue de Birmingham, siège historique de Cadbury). Dans ce même chapitre, il fait un portrait très pertinent de Boris Johnson en clown inconséquent et opportuniste.

Ce qui est très beau et touchant dans « Le royaume désuni », c’est que Jonathan Coe met dans son roman des personnages croisés dans ses œuvres précédentes comme Thomas Foley, le héros de « Expo 58 », ou la famille Trotter de sa trilogie « Les enfants de Longbridge ». Il nous donne ainsi l’impression d’assister à la construction d’une œuvre où les textes se répondent et se complètent. Jonathan Coe a également écrit un chapitre plus personnel où il s’adresse à nous à travers le personnage de Peter, le fils de Mary qui est inspiré de sa propre mère, pour nous parler d’un moment douloureux.

« Le royaume désuni » est de facture classique, le récit est fluide et savoureux. Comme toujours, Jonathan Coe est un brillant chroniqueur de l’histoire contemporaine de son pays. Entre ironie et tendresse pour ses personnages, il m’a une nouvelle fois totalement conquise.

Traduction Marguerite Capelle

La pelouse de camomille de Mary Wesley

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Comme chaque été, Helena et Richard Cuthbertson attendent leurs neveux et nièces. La pelouse de camomille, qui s’étend derrière la maison jusqu’aux falaises de Cornouailles, est le lieu de jeux entre cousins, de paresse au soleil, de discussions enflammées. Mais en ce mois d’août 1939, les conversations s’orientent vers la possibilité d’une nouvelle guerre. Richard, qui a perdu une jambe durant la précédente, refuse de croire en cette possibilité. Son neveu Oliver revient du front espagnol et sait que la guerre est inévitable. Les instants passés durant cet été en Cornouailles ont tous le goût de la fin de l’insouciance.

Je souhaitais depuis longtemps découvrir ce roman de Mary Wesley et il s’est avéré très déconcertant. Je m’attendais à une intrigue dans la lignée du premier tome de la saga des Cazalets ou des œuvres de Nancy Mitford. Et par de nombreux aspects, il correspond bien à l’idée que je m’en faisais. Nous suivons le couple Cuthberton et leurs neveux et nièces durant toute la guerre. En parallèle, nous les retrouvons dans les années 80 se rendant à un enterrement et revenant sur les évènements marquants de leurs vies. Cette narration distille rétrospectivement de la nostalgie, de la mélancolie.

Ce qui est frappant dans « La pelouse de camomille », c’est la liberté de ton de son autrice et des mœurs de ses personnages. Ils semblent tous habités par une rage de vivre et de profiter de chaque instant pendant la guerre. Cela se traduit par des désirs décomplexés et presque toujours assouvis. En clair, tout le monde couche avec tout le monde ! Et la langue de Mary Wesley est extrêmement crue pour parler de sexualité. Les personnages sont incroyablement licencieux et ne sont pas tous sympathiques (Helena est d’une méchanceté ahurissante, Oliver son neveu est très égoïste, Sophy est une jeune fille aguicheuse, Richard aime beaucoup trop toucher les cuisses des jeunes filles). Leur frivolité, leur impertinence sont surprenantes.

Sulfureux, « La pelouse de camomille » est le lieu de toutes les transgressions, de tous les écarts pendant que les bombes tombent sur Londres et la côte de Cornouailles. J’ai apprécié cette lecture (la construction du roman, la complexité et l’analyse approfondie des personnages, la période historique) mais ce roman de Mary Wesley n’est sans doute pas à mettre entre toutes les mains.

Traduction Samuel Sfez

L’étrange traversée du Saardam de Stuart Turton

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1634, le Saardam quitte l’île de Batavia pour rejoindre Amsterdam. A son bord se trouvent le gouverneur général des Indes Orientales, Jan Haan, accompagné de sa femme Sara Wessel et de leur fille, mais également le célèbre détective Samuel Pipps et son ami le lieutenant Arent Hayes. Pour une raison obscure, Jan Haan a fait arrêter le détective qui voyagera au fond de la cale. Avant le départ, un lépreux maudit l’équipage. La traversée est en elle-même périlleuse mais celle-ci se révélera particulièrement dangereuse. De nombreux signes inquiétants se manifestent réveillant de vieilles superstitions. Le gouverneur général semble être visé par les menaces. Demandera-t-il l’aide de son prisonnier Samuel Pipps ?

J’avais été éblouie par la remarquable construction des « Sept morts d’Evelyn Hardcastle » et j’attendais avec impatience le nouveau roman de Stuart Turton. Même si l’intrigue est moins complexe que dans son premier roman, l’auteur nous propose à nouveau un récit addictif. Stuart Turton aime mélanger les genres et « L’étrange traversée du Saardam » est un roman d’aventures, un thriller mâtiné de fantastique. Il arrive à nous tenir en haleine pour plusieurs raisons. Le personnage de Samuel Pipps est clairement inspiré de Sherlock Holmes, son ami Arent est son docteur Watson. On s’attend donc à une enquête à fond de cale mais Pipps est rapidement éclipsé. Stuart Turton déjoue nos attentes et nous propose un duo d’enquêteurs singulier que je vous laisse découvrir. Et sur plus de six cents pages, les rebondissements, les retournements de situation se multiplient et tous les ressorts des différents genres sont utilisés (mutinerie, vol dans une pièce fermée de l’intérieur, chasse aux sorcières, tempête). Impossible de s’ennuyer !

« L’étrange traversée du Saardam » est un huis clos intrigant, rythmé et réjouissant qui montre à nouveau toute la maitrise et la roublardise de Stuart Turton.

Traduction Fabrice Pointeau

Un mois à la campagne de J.L. Carr

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Eté 1920, Tom Birkin vient s’installer dans le village d’Oxgodby dans le Yorkshire pour restaurer une fresque murale de l’église. Une riche habitante a légué à sa mort une somme d’argent pour cette restauration mais également pour la mise au jour d’une tombe datant du Moyen-Âge. Un archéologue, Charles Moon, est déjà sur les lieux et a commencé les recherches. Les deux jeunes hommes sympathisent immédiatement. Un passé traumatique les unie : tous deux sont des rescapés de la 1ère guerre mondiale, Tom en porte les séquelles sur son visage. L’accueil chaleureux des villageois, la plénitude de l’été, la tranquillité des paysages les éloigneront de leurs souvenirs douloureux.

Le texte de J.L. Carr est plein de charme, de délicatesse mais également de mélancolie. Tom écrit sur cet été 1920 cinquante ans après l’avoir vécu. Cette période de sa vie lui apparait comme une parenthèse enchantée où il a pu reprendre goût à la vie. La beauté simple des paysages l’enchante : « Jamais je n’avais eu autant de temps que cet été-là – ce merveilleux été. Jour après jour, la brume se levait au-dessus des près, le ciel pâlissait, les haies, les granges et les bois prenaient forme peu à peu jusqu’au moment où le long dos voûté des collines montait au-dessus de la plaine. C’était magique. » Tout concourt à faire de cet été un moment unique et suspendu. Tom y oublie la guerre mais aussi les fréquentes disputes avec sa femme et leur récente séparation. Un nouveau départ semble possible à Oxgodby où personne ne connaît sa vie mais l’été ne dure jamais.

« Un mois à la campagne » est une lecture délicieuse, propice à la contemplation et qui célèbre ses moments de bonheur passés que l’on aimerait tant retrouver.