La position de la cuillère de Deborah Levy

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« La position de la cuillère » est un recueil d’une trentaine de textes qui, pour la plupart, ont été publiés dans des journaux. Ce sont de courts textes d’analyse ou de critique littéraires (comme le chapitre sur « La bâtarde » de Violette Leduc ou celui consacré à l’œuvre de J.G. Ballard) mais également des écrits plus personnels (le livre s’ouvre sur une lettre à sa mère). Ces derniers sont sans doute ceux que j’ai le plus appréciés tant ils m’ont rappelé la formidable autobiographie en mouvement qui a permis à la France de découvrir véritablement le talent de Deborah Levy. Des textes comme « Des citrons à ma table » nous entraine dans son quotidien  qu’elle sait si bien sublimer, dans son histoire familiale. « C’est réjouissant de voir un saladier de citrons ensoleiller un matin d’hiver anglais avec son étonnante palette de jaunes. » On perçoit le monde différemment en lisant Deborah Levy, ne pas porter de chaussettes dans ses chaussures devient chez elle un profond signe de liberté et de légèreté.

Lire Deborah Levy, c’est comme retrouver une amie avec qui on aime converser de mille sujets. Son intelligence, son érudition et son humour sont un régal. Dans ce recueil, figurent des thématiques qui lui sont chères : les femmes artistes qu’elles soient écrivaine (Virginia Woolf et Sylvia Plath sont souvent citées), photographe ou peintre ; la relation mère-fille ; la psychanalyse ; le passé qui revient et nous habite. Deborah Levy nous pousse à la curiosité, à découvrir la poétesse Hope Mirrless, la peintre Paula Rego, l’essayiste Elizabeth Hardwick, l’autrice Ann Quinn ou la photographe Francesca Woodman. « C’est l’aventure de l’écriture que d’aller toujours plus profond, puis de remonter à la surface, ce qui fait de nous des experts en surfaces et en profondeurs. » C’est sans aucun doute l’effet produit sur son lecteur par « La position de la cuillère ».

Mon texte préféré est sans conteste « Une bouchée de Bloomsbury », Russel Square ou la mélancolie d’un jardin public en novembre. Tant de délicatesse et de poésie en si peu de mots m’ont totalement enchantée.

La pensée de Deborah Levy est toujours vivifiante et réjouissante. Certains textes m’ont moins parlé que d’autres mais l’ensemble est passionnant à découvrir.

Traduction Nathalie Azoulai

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Des racines blondes de Bernardine Evaristo

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Doris est née en Angleterre dans une famille de cultivateurs de choux. Enfant, elle a été enlevée par des trafiquants pour être vendue en Aphrika comme esclave. Après avoir vécu dans une famille qui l’avait achetée pour être la compagne de leur fille, elle tombe dans les mains du chef Kaga Konata Katamba Ier qui marque au fer rouge ses initiales sur la peau pâle de Doris. Au fil des années, elle a réussi à devenir la secrétaire privée du chef ce qui lui évite les terribles traitements subis par ceux qui travaillent dans les plantations. Malgré sa situation enviable, Doris, rebaptisée Omorenomwara, rêve de retrouver sa liberté, son pays et sa famille.

« Des racines blondes » est le troisième roman de Bernardine Evaristo que je lis et décidément j’adore son univers et l’originalité de ses textes. Ce dernier roman publié en France est une uchronie qui inverse la situation des blancs et des noirs. Ce sont les européens qui sont les esclaves des africains. Les préjugés raciaux sont repris : les blancs ont un crâne trop petit pour que leur cerveau se développe, ils sont donc barbares et n’éprouvent que des émotions émoussées. Chaque esclave rêve d’avoir la peau bronzée et le nez épaté. Les blancs sont tellement semblables avec « (…) leur pâleur de fantômes » que leurs maîtres peinent à les différencier. La satire est particulièrement réussie et montre la totale absurdité de la domination d’un peuple sur un autre. Au milieu du roman, Bernardine Evaristo glisse un traité de cinquante pages sur « la véritable nature du commerce des esclaves & remarques sur le caractère et les coutumes des européens » écrit par chef Kaga Konata Katamba Ier. Ce texte ferait sourire s’il n’était pas si réaliste dans sa façon de justifier l’esclavage.

Pari réussi pour Bernardine Evaristo qui inverse les couleurs et souligne la violence, la stupidité de l’esclavage et du racisme.

Traduction Françoise Adelstain

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Sous les étoiles de Bloomstone Manor de Mary Orchard

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1898, Agathe Langley a 19 ans. Ses parents rêvent de la marier prochainement à un très bon parti. Mais Agathe ne sait pas tenir sa langue face à ses possibles prétendants. Les bonnes manières et le respect de l’étiquette ne sont pas des domaines où la jeune fille excelle. En revanche, elle se passionne pour l’astrophysique qu’elle a pu étudier en cachette grâce à sa gouvernante. Ses parents ne veulent bien entendu pas en entendre parler. Une fille voulant devenir scientifique, on aura tout vu ! Alors que la famille Langley quitte Londres pour le Suffolk, ils sont invités à Chester House par Lord Stone. Ce dernier était enseignant en physique à l’université et sa bibliothèque fait pâlir d’envie Agathe. Il se prend rapidement d’affection pour la jeune fille et lui propose de la parrainer pour le concours de sciences de la Royal Society. De quoi mettre des étoiles dans les yeux d’Agathe !

« Sous les étoiles de Bloomstone Manor » est un roman d’émancipation à l’époque victorienne. Son originalité réside dans la passion d’Agathe pour l’astrophysique et sa volonté d’acquérir son indépendance par ce biais. Les personnages sont tous extrêmement attachants. Lord Stone est très excentrique pour son époque, très familier avec son personnel, il a fait de Bloomstone Manor un espace de libre parole où règne le respect de l’autre. L’endroit idéal pour notre jeune héroïne qui est elle aussi anticonformiste. Le roman de Mary Orchard est plein de charme et il aborde également des sujets plus sérieux comme l’inégalité entre les filles et les garçons au niveau de l’éducation ou le sort réservé aux homosexuels à cette époque.

« Sous les étoiles de Bloomstone Manor » est un roman délicieux, lumineux qui respire l’humanisme et nous offre une très belle galerie de personnages.

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Le retour du soldat de Rebacca West

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A Baldry Court, Kitty attend le retour du front de son mari, Chris. Elle vit dans cette large demeure avec la cousine de ce dernier, Jenny. Elles reçoivent un jour, une femme nommée Margaret, mal apprêtée, qui leur annonce que Chris est à l’hôpital de Boulogne. Sa blessure n’est pas physique : Chris semble avoir oublié totalement les quinze dernières années. Il a donc adressé des nouvelles à Margaret, qui a été son premier amour, et non à son épouse Kitty. Son retour à Baldry Court ne réveille pas ses souvenirs au désespoir de sa femme et de sa cousine. Il ne veut qu’une seule et unique chose : revoir Margaret.

« Le retour du soldat » est un petit bijou de la littérature anglaise et il s’agit du premier roman écrit par Rebecca West. L’autrice y aborde la difficulté du retour à la maison pour les soldats de la première guerre mondiale. Chris revient en ayant oublié les dernières années de sa vie. Il vit dans un passé heureux et insouciant. Son amnésie le protège de ses souvenirs des tranchées. Faut-il lui faire recouvrir la mémoire ou le laisser oublier l’enfer vécu au front ? La question n’est pas si simple à résoudre pour Jenny, la narratrice du texte, et pour Margaret qui revit également les instants merveilleux passés aux côtés de Chris.

Le sentiment amoureux est l’autre thème du roman. Jenny, Margaret, Kitty et Chris forment un quatuor amoureux. Chacune des trois femmes ne pensent qu’au bonheur, au bien-être du jeune homme. Chris est choyé, aimé et entouré. Kitty et Jenny ont créé à Baldry Court un écrin à son intention : le jardin splendidement aménagé, la décoration raffinée de la maison. « Ici, nous lui avions rendu le bonheur inéluctable. » Rebecca West excelle dans l’analyse psychologique de ses personnages et du sentiment amoureux. La douceur infinie des souvenirs de la relation entre Margaret et Chris est particulièrement touchante. Les quatre personnages principaux sont décrits avec subtilité, délicatesse et une grande justesse. Margaret, qui est jugée immédiatement par la belle Kitty sur son apparence, est un personnage bouleversant de droiture. Jenny, réservée et discrète, nous montre toute la complexité de la situation avec beaucoup d’empathie pour les trois autres.

« Le retour du soldat » est parsemé de descriptions des paysages, du parc de Baldry Court. Elles soulignent la grande sensibilité de Rebecca West, sa finesse d’observation et son sens de la poésie.

La lecture de ce roman de Rebecca West fut un régal et je regrette qu’elle soit méconnue en France. « La famille Audrey » attend dans ma pal et j’espère qu’il sera à la hauteur de celui-ci.

Traduction Simone Arous

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A vos pals !

Lou et moi-même déclarons officiellement ouverte la 12ème édition du mois anglais ! Aujourd’hui, je vous présente la pal que je me suis concoctée pour l’occasion. Arriverai-je à tout lire d’ici le mois de juin ? Le suspens est à son comble ! 

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J’ai donc prévu de lire les titres suivants :

-« Le retour du soldat » de Rebecca West

-« Sous les étoiles de Bloomstone manor » de Mary Orchard

-« Les racines blondes » de Bernardine Evaristo

-« La position de la cuillère » de Deborah Levy

-« La fracture » de Nina Allan

-« Les enquêtes de Jane Austen, tome 2 » de Julia Golding

-« Une saison pour les ombres » de J.R. Ellory

-« La princesse Priscilla » d’Elizabeth Von Arnim

-« Derrière la nuit à Soho » de Fiona Mozley

-« La ferme de la cousine Judith » de Stella Gibbons

-« Le cœur et la raison » de Jane Austen.

Pour le moment, je me régale et j’espère que cela va continuer. J’ai hâte de découvrir vos choix de lectures pour ce mois anglais. Et comme toujours, le maître mot de ce challenge est : have fun !

Bilan livresque et cinéma de mai

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Ce fut un mois de mai bien rempli avec huit livres lus dont cinq pour le mois anglais dont je vais vous reparler très vite. A part ces lectures anglaises, j’ai eu l’occasion de découvrir trois auteurs : la danoise Tove Ditlevsen avec le premier volet de son autobiographie « Printemps précoce », l’italienne Matilde Serao avec « La vertu de Checchina » et l’allemand Lion Feuchtwenger avec le formidable « Les enfants Oppermann » que je vous conseille à nouveau chaudement.

Côté cinéma, j’ai eu l’occasion de voir six films dont mes deux préférés sont :

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Blanche, professeur de français en Normandie, rencontre Grégoire Lamoureux dans une soirée où l’a trainée sa sœur jumelle. Le jeune homme a tout du prince charmant, de déclarations enflammées en tendres attentions il séduit la jeune femme et l’épouse. Bientôt Grégoire demande à Blanche de le suivre à Metz où il vient d’être muté. Un douloureux changement pour elle qui aime tant la mer et sa famille. Elle se retrouve dans l’Est, enceinte et sans travail, coupée de tout. Lorsqu’elle réussit à trouver un poste à Nancy, son prince charmant commence à changer de visage.

Avec « La guerre est déclarée », « L’amour et les forêts » est le meilleur film de Valérie Donzelli. Elle s’est inspirée du roman éponyme d’Eric Reinhardt que je n’ai pas lu. La réalisatrice joue avec le spectateur au début du film, nous entrainant sur des fausses pistes cinématographiques (Jacques Demy notamment est très présent). Mais c’est bien un thriller que nous avons sous les yeux et qui nous raconte l’histoire d’une emprise. Grégoire veut Blanche pour lui tout seul et l’enferme progressivement. Le film devient de plus en plus oppressant, sombre et brutal. Virginie Efira et Melvil Poupaud nous offrent deux remarquables prestations : elle tour à tour fragile et déterminée, lui totalement Dr Jekyll et Mr Hyde. « L’amour et les forêts » aurait sans doute mérité d’être en compétition à Cannes tant il est saisissant.

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Un jeune procureur arrive dans une bourgade rurale d’Anatolie. Il est scrupuleux, extrêmement respectueux des lois. Mais rapidement, il va se heurter aux édiles locaux et aux traditions archaïques. Le divertissement préféré des habitants est la chasse au sanglier. Les hommes, lourdement armés, poursuivent la traque dans la ville et finissent par trainer dans les rues la carcasse ensanglantée. Le procureur rappelle le maire à l’ordre, lui indiquant l’interdiction de tirer près des habitations. Voulant mieux lui faire comprendre les mœurs du coin, le maire invite le procureur à diner chez lui. Le jeune homme finit par accepter mais il se rend compte qu’il est tombé dans un piège.

« Burning days » est un formidable thriller politique, maîtrisé et tendu. L’ambiance du village est lourde : corruption, exploitation du problème de l’eau à des fins électorales, terrains qui s’effondrent, homophobie. Le procureur voudrait remettre de l’ordre dans tout ça, mais, à part un journaliste, il ne trouve aucun soutien. Le film devient de plus en plus étouffant, oppressant. Le piège se referme peu à peu autour du procureur. Il est acculé mais ne cède rien sur ses principes. La tension entre lui et les habitants s’achève dans une incroyable chasse à l’homme dans les rues de la ville. Intense, remarquablement prenant, « Burning days » est une réussite qui ne donne pas envie de passer ses prochaines vacances dans l’Anatolie rurale.

Et sinon :

  • « Showing up » de Kelly Reichardt : A Portland, Lizzie est une sculptrice qui travaille à temps partiel dans l’école d’arts plastiques dirigée par sa mère. La quarantenaire prépare une exposition et le quotidien semble sans cesse perturber sa concentration : absence d’eau chaude dans son logement, les problèmes psychologiques de son frère ou son père qui se laisse envahir par des squatteurs. Tout concourt à rendre Lizzie de plus en plus maussade. Le nouveau film de Kelly Reichardt se laisse regarder sans réel déplaisir mais le fil de l’intrigue est bien mince. Comment le réel, les choses du quotidien perturbent et enrichissent l’univers d’un artiste ? Rien à reprocher à Michelle Williams qui incarne Lizzie, femme perpétuellement renfrognée et irritée. Le film est très contemplatif, tellement qu’il en frôle l’ennui en permanence. Sa singularité aurait pu me séduire mais je suis restée extérieure à l’histoire.
  • « Le cours de la vie » de Frédéric Soucher : Noémie, scénariste, a été invitée à Toulouse pour parler de son métier à l’Ecole nationale supérieure de l’audiovisuel. Elle a été contactée par son directeur, Vincent, qu’elle a connu dans sa jeunesse. Le film de Frédéric Soucher est la master-class elle-même, quasiment en temps réel. Au-delà de la leçon d’écriture, filmée presque en amateur, nous croisons les élèves de l’école, leurs histoires s’esquissent par de courtes scènes. Le cinéma et la vie s’entremêlent, la conférence réveille des émotions, des souvenirs chez Noémie et Vincent. Ce qui les lie finira par toucher le spectateur, par l’émouvoir. Une histoire manquée emprunte de mélancolie.
  • « Le principal » de Chad Chenouga : Sabri Lahlahi est adjoint à la principale d’un collège de province. Venant d’un milieu défavorisé, il a travaillé dur pour en arriver là. Il est très exigeant envers lui-même mais également avec ceux qui l’entourent. Sa rigueur frôle parfois l’intransigeance. Il attend beaucoup de son fils qu’il espère voir intégrer un lycée prestigieux. Il s’inquiète démesurément lorsque les épreuves du brevet débutent. C’est là qu’il commet une faute grave. J’avais envie d’écrire que la faute commise par Sabri était la plus stupide et improbable de tous les temps mais le réalisateur s’est inspiré d’une histoire vraie. Et c’est peut-être d’autant plus signifiant pour le personnage qu’il se mette en danger inutilement. Ce qui est intéressant dans le film, c’est le portrait d’un transfuge de classe qui inconsciemment s’empêche d’aller au bout de son ambition professionnelle. Le film reste très classique, sans beaucoup de surprise mais il faut saluer la prestation de Roschdy Zem, toujours convaincant, dans le rôle de cet homme moins sûr de lui qu’il n’y parait.
  • « Omar la fraise » d’Elias Belkeddar : Omar, dit la fraise, a été contraint de quitter la France, où il est poursuivi par la justice, pour Alger. Roger, son ami fidèle, l’a suivi et il veut l’aider à renouer avec ses racines. Les deux hommes occupent une immense villa avec vue sur la mer, à moitié vide. Ils y tuent l’ennui avec l’alcool et la drogue. Omar veut reprendre les trafics qui l’ont pourtant obligé à changer de vie. Roger veut gagner beaucoup d’argent mais de manière légale. Il n’a aucune envie de voir son ami extradé en France et enfermé pour vingt ans. Le premier film d’Elias Belkeddar vaut pour ce formidable couple de truands flamboyants et tape-à-l’oeil. La profonde amitié qui les lie apporte de la tendresse à ce film. Benoit Magimel et Reda Kateb y sont pour beaucoup, leur complicité crève l’écran. Le réalisateur nous offre également de formidables scènes comme celle de la course poursuite à travers les ruelles d’Alger au début du film, ou celle de la boite de nuit où nos compères s’énervent sans aucune raison. On pense alors à Tarantino ou à certains personnages de Scorsese. Tout n’est pas parfait dans ce premier film mais on y sent un vrai plaisir à le réaliser et à le jouer pour ses deux acteurs principaux.

Anna Thalberg d’Eduardo Sangarcia

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Alors qu’Anna Thalberg attise le feu dans la cheminée, des hommes pénètrent brutalement dans sa chaumière et l’emmènent de force. Un mandat d’arrêt, signé de l’évêque, leur permet de la jeter dans une charrette pour l’enfermer ensuite à la prison de Wurtzbourg. Anna Thalberg est accusée de sorcellerie, sa voisine l’a dénoncée. Lorsqu’il revient chez lui, son mari, Klaus, découvre avec horreur ce qui est arrivé à Anna. Avec l’aide du curé du village, il tente désespérément de faire libérer sa femme. Mais l’examinateur Melchior Vogel n’est pas de ceux qui changent d’avis. Ceux qui rentrent dans la prison de Wurtzbourg n’en ressortent que pour le bûcher.

« Anna Thalberg » est le fantastique et singulier premier roman d’Eduardo Sangarcia. L’auteur a choisi une forme originale : sans majuscule et sans point. Et pour les échanges entre Anna et le confesseur  de sorcières, les dialogues et les pensées des deux protagonistes se font face sur une même page. Ces choix stylistiques et narratifs donnent beaucoup de force au texte qui en devient totalement immersif. Eduardo Sangarcia s’est inspirée de la terrible chasse aux sorcières de Wurtzbourg qui eu lieu entre le XVIème et le XVIIème siècle. Toutes les personnes arrêtées alors furent torturées et brûlées. C’est également ce qui arrive à Anna qui subit les pures sévices sans jamais céder, sans jamais se reconnaître coupable. Elle est belle, rousse, venant d’un autre village et son mariage est heureux. Il n’en faut pas plus pour déclencher la jalousie et la rancœur. L’absurdité de l’accusation, l’obstination cruelle de Vogel, les scènes de tortures nous glacent le sang. Encore une fois, le pouvoir et la religion veulent soumettre et dominer les femmes. Eduardo Sangarcia rend ce drame saisissant.

« Anna Thalberg » est une grande réussite : un texte oppressant, envoûtant qu’il est difficile de lâcher. Anna Thalberg est un personnage puissant malgré son emprisonnement, et je ne risque pas de l’oublier.

Traduction Marianne Millon

Le mois anglais – 12ème édition

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C’est avec un grand plaisir que nous vous annonçons le retour du mois anglais pour une 12ème année, le temps passe décidément très vite ! Ce challenge a été lancé à l’origine sur les blogs par Lou, Cryssilda et moi, avec en tête l’envie de partager notre amour pour l’Angleterre et de passer de bons moments ensemble. Cette année, seules Lou et moi organiserons le challenge mais notre amie Cryssilda ne manquera pas de participer, nous comptons sur elle !
Le Mois anglais, c’est l’occasion de se retrouver pour partager sur nos lectures, des films, des séries, des récits de voyage, des découvertes d’artistes, ou encore des plats anglais… bref, tout ce qui a un rapport direct avec l’Angleterre.
Le Mois anglais, c’est aussi et surtout des participant.e.s parfois là depuis longtemps, voire pour certain.e.s, depuis la première année, débordant de gentillesse, de bienveillance et d’enthousiasme. C’est vous qui nous donnez envie de poursuivre l’aventure cette année encore et nous sommes vraiment très heureuses de vous retrouver !
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Vous pourrez participer :
– Sur les blogs où est né le challenge
– Sur le groupe Facebook du Mois anglais (pour papoter, partager des idées et vos chroniques)
– Sur Instagram, avec le compte @lemoisanglaisofficiel géré ensemble, et #lemoisanglais (pensez à nous taguer et à utiliser les # pour nous aider à vous suivre). Vous pourrez aussi retrouver nos publications sur nos comptes respectifs @plaisirsacultiver et @lou_myloubook.
Pour les blogs : Comme l’année dernière, nous ne ferons pas de billet récapitulatif. Trop de liens ne fonctionnent plus au bout de quelques années, et nous préférons passer du temps à lire et à vous lire plutôt qu’à copier des liens. Comment partager vos billets alors ? Vous pourrez laisser à la suite de ce billet (chez Lou et chez moi) un lien unique vers lequel nous pourrons renvoyer vers votre blog.
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Voici le programme que nous vous avons concocté pour cette année :
-1er juin : A vos pals !
-2 juin : Maison (une maison ayant un rôle important dans le roman, un titre comportant le mot maison ou une maison en couverture)
-4  juin : food n’drinks
-5 juin : kids/YA
-7 juin : couple
-9 juin : essai/document/biographie/autobiographie
-11 juin : food n’drinks
-12 juin : adolescence
-14 juin : gothique
-16 juin : girl power
-18 juin : food n’drinks
-19 juin : roman noir/thriller/policier
-21 juin : Elizabeth (prénom de l’héroïne, de l’autrice ou reines d’Angleterre)
-23 juin : Londres
-25 juin : food n’drinks
-26 juin : nature
-28 juin : romantisme
-30 juin : un classique de la littérature anglaise
Comme tout programme, il est fait pour s’adapter à vous et pas le contraire, vous êtes donc totalement libres de le suivre ou non. Les dimanches seront consacrés à la cuisine en se mettant aux fourneaux ou en parlant de livres, films ou séries en rapport avec la cuisine, pour faire écho aux beaux challenges des Gourmandises (cuisine) et de Bidib et Fondant (des livres et des écrans en cuisine).
Vous pouvez utiliser nos tous nouveaux logos mais aussi les anciens (qui ne mentionnaient pas tous l’année) et ceux de notre chère Belette qui est toujours extrêmement créative !
Nous espérons que vous serez nombreux à partager ce mois de juin en notre compagnie et nous vous souhaitons un excellent mois anglais. See you in june !
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Les enfants Oppermann de Lion Feutchwanger

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La famille Oppermann est très prospère. Leur ancêtre, Immanuel, s’est installé à Berlin et a fondé une entreprise de meubles ainsi qu’une fabrique. Ses petits enfants ont tous des parcours brillants : Gustav est un intellectuel dilettante qui sait profiter de la vie, Edgar est un laryngologue réputé, Martin gère l’entreprise familiale et leur sœur Klara a épousé un fin homme d’affaires, Jacques Lavendel. Nous les suivons, ainsi que leurs enfants, de l’automne 1932 à l’été 1933, dans une Allemagne au bord du gouffre et du chaos.

Lion Feuchtwanger a écrit son roman en 1933, en temps réel. Lui-même a du fuir l’Allemagne cette même année pour la France et ensuite rejoindre les États-Unis en 1940. L’auteur cherchait à alerter ses compatriotes sur les dangers du mouvement völkish et sur la prise de pouvoir d’Hitler en janvier 33. La première partie du roman, intitulée « Hier », se termine sur cet évènement. Les deux autres parties, « Aujourd’hui » et « Demain », extrapolent sur ce qui risque d’advenir. Lion Feuchtwanger est extrêmement lucide, il montre à quel point tout était en germe, les prémices de la catastrophe et de l’horreur étaient bien visibles.

Mais, comme il le montre au travers de ses personnages, beaucoup ne voulaient pas voir. « Arrêtez avec vos histoires à dormir debout. Il n’y a plus de pogroms en Allemagne. C’est fini. Depuis plus de cent ans. Depuis cent quatorze ans, si vous voulez le savoir. Vous croyez que ce peuple de soixante-cinq millions de personnes a cessé d’être civilisé sous prétexte qu’il a laissé la parole à une poignée de fous et de canailles ? Pas moi. Je refuse qu’on fasse cas de cette poignée de fous et de canailles. » Gustav a tellement foi en la culture allemande qu’il fait fi du contexte économique. Pourtant, comme les autres membres de la famille Oppermann, il va voir la violence, la brutalité et l’antisémitisme s’insinuer peu à peu dans leur quotidien.

Gustav est l’un des plus beaux personnages de ce roman, avec son neveu Berthold. Lion Feuchtwanger crée des personnages bouleversants, plongés dans le tourbillon des évènements historiques. Il nous montre comment chacun réagit face à la haine et à la fin du roman il expose un débat très intéressant entre Gustav et son autre neveu Henrich. Que faut-il faire face à la violence et à l’humiliation ? Survivre à tout prix en perdant sa dignité ou relever la tête même s’il faut le payer de sa vie ?

Passionnant, édifiant, nécessaire, il y aurait encore beaucoup d’autres qualificatifs positifs pour décrire ce roman. Une chose est sûre, il faut impérativement le lire.

Traduction Dominique Petit

La vertu de Checchina de Matilde Serao

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Checchina est l’épouse d’un médecin romain. Ce dernier est peu prolixe lorsqu’il s’agit de pourvoir aux besoins domestiques. Checchina vit chichement et passe ses journées à entretenir son logis. Elle regarde avec envie son amie Isolina qui papillonne avec insouciance d’un amant à l’autre et dépense sans compter pour ses tenues. Son quotidien  va être chamboulé par l’invitation à dîner faite par son mari au marquis d’Aragon. Il espère ainsi augmenter sa clientèle grâce au réseau du marquis. Mais comment recevoir un noble dans un intérieur aussi étriqué ? Checchina s’étant donné beaucoup de mal, le repas se passe bien, trop bien même puisque le marquis propose à la maitresse de maison un rendez-vous galant.

« La vertu de Checchina » est un court roman de Matilde Serao qui, comme ceux de Maria Messina, parle de la position des femmes dans l’Italie de la fin du 19ème siècle. Checchina est totalement dépendante de son mari, de son argent. Son quotidien est morne, elle fait partie de la petite bourgeoisie romaine mais elle participe activement aux tâches domestiques (elle entretient les meubles en les frottant au pétrole, prépare entièrement le repas pour le marquis). Mais le ton de « La vertu de Checchina » est moins sombre que chez Maria Messina. Notre Checchina a un petit côté ridicule dans ses atermoiements. Ce n’est pas tellement la morale, la fidélité à son mari qui la retiennent d’aller chez le marquis mais plutôt la pauvreté de sa garde-robe et le qu’en-dira-t-on. Cela la rend également attachante, on aimerait qu’elle ait une vie plus légère, plus insouciante, plus joyeuse.

Encore une fois, il faut remercier les éditions Cambourakis qui nous dénichent de petites perles de la littérature italienne.

Traduction Angélique Levi