Bilan livresque et cinéma d’avril

Avril

Le mois d’avril s’achève et il fut bien rempli avec sept livres et trois bandes dessinées. Je vous ai déjà parlé de ma déception concernant « La boule de neige » et de mon ravissement à la lecture de « Rose à l’île ». Même si je n’en ferai pas la chronique, je vous conseille la série des Paul de Michel Rabagliati et le charmant dernier album de Camille Jourdy « Pépin et Olivia ». J’ai eu un grand plaisir à lire « Qui a écrit Trixie ? » de William Caine, un roman satirique très réussi sur la société anglaise, « Janvier noir » le premier volet de la série très sombre d’Alan Parks, « Le sang des innocents » le dernier roman de S.A. Cosby que je souhaitais découvrir depuis longtemps, « Mon fils, mon désastre » sur la relation de Suzanne Valadon et de son fils Maurice Utrillo et « Katie » de Michael McDowell qui nous offre un nouveau roman réjouissant, populaire et sanguinolent ! 

Côté cinéma, voici mes films préférés du mois :

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Deuxième volet de la trilogie de Nicolas Philibert, « Averroès & Rosa Parks » s’intéresse à deux unités de l’hôpital Esquirol dans le Val-de-Marne. Nous assistons aux entretiens entre les patients et leurs psychiatres mais aussi à des séances de groupes où l’on peut discuter ensemble de sujets divers et de ce qui pourrait être amélioré à l’hôpital.  Certains patients nous sont connus puisque nous les avions croisés sur la péniche l’Adamant. Ici, les situations sont plus lourdes, plus violentes. L’Adamant est un lieu où la créativité peut s’exprimer, où l’on participe à des activités ludiques. A l’hôpital, on sent les situations plus désespérées comme cette femme âgée atteinte d’une psychose paranoïaque effrayante. Certains ont été enfermés toute leur vie, ont des moments de lucidité sur leur situation et celle de l’hôpital. Et c’est également cela que montre le film, une psychiatrie qui manque de moyens financiers et humains pour accompagner mieux les malades. Beaucoup aimerait plus de tendresse de la part des soignants qui sont bien entendu débordés. Les psychiatres, comme Nicolas Philibert, montrent de l’empathie, une infinie patience et une écoute infaillible. Le film dure 2h23 et on en redemande ! Admirable d’humanisme et de sens du partage, « Averroès & Rosa Parks » est un documentaire à ne pas rater ! 

Borgao

Surveillante de prison, Mélissa quitte la région parisienne pour la prison de Borgo, près de Bastia. Elle prend la prime insulaire pour repartir à zéro avec son mari Djibril et leurs deux enfants. En prison, Mélissa, surnommée rapidement Ibiza, sait se faire respecter tout en restant humaine et attentive aux besoins des prisonniers. En dehors, la vie quotidienne est difficile. Djibril galère à trouver du travail et il subit le racisme des voisins. Les retrouvailles de Mélissa avec un jeune détenu, Saveriu, vont bizarrement arranger tout. La jeune femme ne se rend pas compte qu’elle vient de mettre les doigts dans un terrible engrenage. 

Le nouveau film de Stéphane Demoustier est un formidable thriller, extrêmement tendu. Petit à petit, Mélissa est prise au piège des tentacules de la pieuvre mafieuse. Insidieusement, elle pénètre dans sa vie alors que la matonne pensait seulement rendre service. Le film est également très bien construit. En parallèle de la vie de Mélissa se déroule une enquête sur un double assassinat à l’aéroport dont on ne prendra la mesure  qu’à la fin. « Borgo » est porté par la talentueuse Hafsia Herzi qui rend son personnage troublant, ambigu, insaisissable au fur et à mesure que l’intrigue avance. 

Et sinon :

  • « La machine à écrire et autres sources de tracas » de Nicolas Philibert : Ce film clôt le triptyque documentaire de Nicolas Philibert sur le pôle psychiatrique de Paris-Centre. Après l’Adamant et l’hôpital Esquirol, nous pénétrons dans les chambres, les appartements des patients. Nicolas Philibert suit des soignants qui ne se contentent pas de soigner les âmes mais qui réparent les appareils électro-ménagers. Patrice a besoin de sa machine à écrire pour taper les poèmes qu’il compose chaque jour. Muriel fait réparer son lecteur CD, sans la musique les voix dans sa tête deviennent envahissantes. Ivan a besoin de faire réparer son imprimante et de comprendre comment fonctionne son lecteur Dvd. Tout en démontant les appareils, les soignants prennent le temps de discuter, de prendre un café  et de combler un peu la solitude des malades. Cas à part : Frédéric, artiste peintre qui ne jette rien et a besoin d’aide pour faire le tri pour pouvoir à nouveau circuler dans son logement ! Nous avions déjà croisé sur l’Adamant certains des malades et c’est un plaisir de les retrouver, de voir où et comment ils vivent. Comme dans les deux autres documentaires, l’humanisme et l’empathie de Nicolas Philibert rendent le film sensible et les malades touchants. Contrairement à « Averroès & Rosa Parks », il se permet d’intervenir, de participer à la convivialité de certaines scènes. 

 

  • « L’homme aux mille visages » de Sonia Kronlund : Sonia Kronlund, productrice de France Culture, avait réalisé en une émission en 2017 sur un mythomane latin-lover. Elle a ensuite enquêté pendant cinq ans sur cet homme qui a vécu plusieurs vies en même temps. Il était ingénieur chez Peugeot, chirurgien thoracique, pilote de ligne et se prénommait Ricardo, Alexander, Daniel. De France en Pologne, il a fait croire au grand amour à plusieurs femmes qui témoignent dans le documentaire. Charmeur, affable, sociable, notre latin lover plait à tout le monde avec une facilité déconcertante. L’argent, parfois les cadeaux, passent d’une femme à l’autre alimentant ainsi ses mensonges. Sonia Kronlund tente de comprendre  ce qui unit, ou non, ces victimes de la passion amoureuse. Y-a-t-il un profil type pour se laisser aveugler ? La réalisatrice retrouve à la fin le mythomane et se procure une petite vengeance que l’on sent jubilatoire chez elle même si elle est teintée d’amertume. 

 

  • « Le jeu de la reine » de Karim Aïnouz : Catherine Parr fut la sixième et dernière femme d’Henri VIII, la seule à lui survivre. Cultivée, ayant des sympathies pour le protestantisme, elle méritait bien que l’on s’intéresse à elle notamment parce qu’elle fut l’une des premières femmes à publier un livre. Elle s’occupa également des enfants qu’Henri VIII eut avec ses femmes précédentes, comme s’ils étaient les siens. Le film de Karim Aïnouz est une reconstitution minutieuse de l’Angleterre du XVIème siècle et des intrigues de la cour qui craignait son roi. Violent, paranoïaque, brutal, dévoré par la gangrène, Henri VIII a de quoi faire peur et Jude Law est ici méconnaissable et extraordinaire. Alicia Vikander interprète avec grâce et dignité Catherine Parr. Le film a choisi de créer un suspens autour de la possible exécution de la reine, c’est un peu artificiel et la fin est assez absurde et décevante. 

 

  • « Le mal n’existe pas » de Ryusuke Hamaguchi : Takumi est veuf, il vit seul avec sa fille au cœur de la nature. Il est homme à tout faire, il aide la communauté en puisant de l’eau pure qui sera utilisée pour la cuisine d’un restaurant, il coupe des bûches. Sa vie semble en parfaite harmonie avec l’environnement qui l’entoure. Un projet de camping de luxe dans la région va bouleverser la vie des villageois et surtout celle de Takumi. J’avais adoré « Drive my car » et j’ai retrouvé dans « Le mal n’existe pas » la contemplation, la parole rare et précieuse, la splendeur plastique des images. La nature, les paysages sont sublimés. Le projet de camping va rompre l’équilibre, les communicants vont abreuver de mots les habitants. Deux mondes, qui s’opposent, vont rentrer en collision et provoquer un drame. Jusqu’aux dix dernières minutes, le film de Ryusuke Hamaguchi est passionnant, intrigant par son jeu avec la musique et sa puissante mélancolie. La fin du film gâche un peu l’ensemble en étant opaque et incompréhensible. 

Bilan livresque et cinéma de mars

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Le mois de mars était placé sous le signe de la découverte avec uniquement des auteurs que je n’avais jamais lus jusqu’à présent :

-Léna Ghar et son très original « Tumeur ou tutu » qui évoque une enfance maltraitée ;

-Marcia Burnier dont le premier roman, « Les orageuses » dormait dans ma pal depuis sa sortie… j’ai profité de la venue de l’autrice en Vleel pour enchaîner avec son deuxième roman ;

-Florent Marchet et son dernier roman « Tout ce qui manque » qui a reçu le prix Vleel cette année ;

-Harry Grey dont le livre largement autobiographique, « Il était une fois en Amérique »,  a inspiré Sergio Leone pour son dernier film ;

-Gillian McAllister et son étonnant thriller « Après minuit » qui plonge son héroïne dans un voyage dans le temps pour résoudre un meurtre ;

-Jérôme Moreau et sa colorée et écologiste bande-dessinée « Les Pizzlys ».

Côté cinéma, voici mes films préférés :

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Des vols ont eu lieu dans une école. Un jeune élève d’origine turque a rapidement été soupçonné. Son enseignante principale, Carla Nowak, n’a pas apprécié la façon dont le garçon a été accusé et elle décide de mener sa propre enquête. Le vol ayant eu lieu dans la salle des profs, elle y laisse son ordinateur pour qu’il filme ce qui s’y passe. La découverte de l’identité du pickpocket va déclencher une véritable tempête dans le collège.

« La salle des profs » est un formidable thriller, haletant et tendu. Le film se déroule en huis-clos et Carla Nowak est de plus en plus acculée. Ses bonnes intentions se transforment en véritable cauchemar. D’ailleurs, la vérité reste, durant tout le film, soumise à diverses interprétations et n’est pas aussi claire qu’il n’y parait au départ. Beaucoup de sujets sont évoqués dans le film autour du monde scolaire, des relations avec les parents d’élèves, les apparences trompeuses. Le cœur du film reste néanmoins le thriller qui est parfaitement mené.

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Après la mort de son frère au front, l’écrivain Siegfried Sassoon (1886-1967) refuse d’y retourner et l’exprime fermement devant une commission d’officiers. Il échappe de justesse à la peine de mort et il est envoyé dans un hôpital militaire en Écosse où il est soigné pour neurasthénie. Par la suite, il réussira à survivre à son retour au front contrairement à beaucoup de ses connaissances. Durant l’entre-deux-guerres, sa liberté et son charisme feront de lui la coqueluche des milieux littéraires et de la haute société.

Le dernier films de Terence Davies, décédé en octobre 2023, n’est pas un biopic classique, il se développe sous forme de réminiscences du passé. Le parcours de Siegfried Sassoon, son cheminement sont retracés par petites touches, par des aller-retours dans le temps (Jack Lowden puis Peter Capaldi interprètent le personnage). Homosexuel assumé dans le milieu mondain qu’il côtoie, il va pourtant épouser une femme, avoir un fils et se convertir au catholicisme. Les textes de l’auteur sont lus à de nombreux reprises en voix off, des images d’archives enrichissent également le film. Le travail de Terence Davies rend hommage à Sassoon, à la complexité de sa personnalité, ses choix, sa solitude et son pacifisme. Élégant, raffiné, « Les carnets de Siegfried » est un très beau film testamentaire.

Et sinon :

  • « La vie de ma mère » de Julien Carpentier : Pierre, trentenaire, est fleuriste. Son élégante boutique est prospère. A part sa difficulté à s’engager avec sa petite amie, tout semble aller pour le mieux dans la vie du jeune homme. Un matin où il est à Rungis avec son employé Ibou, un coup de téléphone va bouleverser son paisible quotidien. Sa mère Judith, bipolaire, vient de s’échapper de sa clinique. Après deux ans à avoir construit sa vie loin d’elle, Pierre doit à nouveau s’en occuper et doit la ramener à la clinique. « La vie de ma mère » est un film d’une délicatesse et d’une tendresse infinies. Pierre et sa mère partent pour un court voyage qui sera riche en émotions fortes. Petit à petit, on comprend le ressentiment, la lassitude de Pierre qui a du prendre en charge sa mère dès son plus jeune âge et gérer ses changements d’humeur. Derrière les excès de Judith, on entraperçoit la douleur d’être internée dans une clinique où son fils ne vient jamais la voir. On sent aussi, entre les deux personnages, un amour très profond et contrarié. Pour que le film soit touchant et loin de toute mièvrerie, il fallait deux acteurs au sommet de leur art et c’est le cas avec Agnès Jaoui et William Lebghil en parfaite symbiose.
  • « Scandaleusement vôtre » de Thea Sharrock : Littlehampton, une petite ville côtière du sud de l’Angleterre dans les années 20, est le théâtre d’un retentissant scandale. La très pieuse et coincée Edith Swan reçoit des lettres anonymes particulièrement ordurières et pleine d’insanités. Les soupçons se portent rapidement sur la voisine d’Edith, Rose Gooding, une irlandaise très libre et effrontée. Une policière, Gladys Moss, est persuadée de l’innocence de Rose et va mener son enquête avec un groupe de villageoises. Cette comédie réjouissante s’inspire de faits réels. Elle nous montre une Angleterre de l’entre-deux-guerres où le puritanisme et le patriarcat dominent la société. Le personnage d’Edith, superbement interprété par Olivia Colman, en est la victime. Elle est assez pitoyable, rongée par les frustrations et par la colère. La reconstitution historique est de qualité, tout comme le sont les dialogues. La satire aurait pu être encore plus cruelle pour être encore plus délectable. La force du film est son casting impeccable jusqu’aux seconds rôles. Le duo Olivia Colman/Jessie Buckley, qui incarne Rose, est parfait et elles nous offrent deux beaux numéros d’actrices.
  • « The sweet east » de Sean Price Williams : Lilian, une lycéenne de la côte est, est en voyage scolaire à Washington. Elle semble vaguement s’ennuyer. Durant une alerte terroriste dans un bar, où la classe est réunie, Lilian en profite pour s’échapper en suivant un jeune punk qui connait un passage secret vers l’extérieur. Le jeune fille va vivre quelques jours dans le squat où il vit avec d’autres activistes. Mais son voyage ne fait que commencer. « The sweet east » est une sorte d’Alice au pays des merveilles. Lilian va croiser la route de personnages très différents, souvent inquiétants mais comme Alice, rien de grave ne va lui arriver. Le réalisateur nous montre une Amérique extrêmement contrastée (un universitaire réactionnaire aux activités louches, des afro-américains intellos et engagés, une secte masculiniste installée dans le Vermont). Des courants de pensées totalement irréconciliables qui soulignent bien l’antagonisme fort qui scinde le pays. « The sweet east » est aussi un éloge de la fuite puisque son héroïne semble apprécier son étrange voyage. Le film est intéressant, plutôt plaisant malgré une certaine langueur.

Bilan livresque et cinéma de février

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Février a tiré sa révérence, il est donc temps de faire mon bilan ! Sept livres et une bande-dessinée ont été lus durant ce mois. Je vous ai déjà parlé des « Voleurs d’innocence » de Sarai Walker à l’atmosphère gothique. J’ai eu le plaisir de retrouver des auteurs que j’apprécie tout particulièrement : Jean-François Beauchemin, May Sinclair, Agatha Christie et Malika Ferdjoukh. Grâce aux éditions Bartillat, j’ai découvert l’auteur autrichien Ferdinand von Saar dont je vous reparle très vite. Et je me suis enfin décidée à lire la série des Paul de Michel Rabagliati. Mieux vaut tard que jamais !

Côté cinéma, j’ai pu voir cinq films dont voici mes deux préférés :

Daaaaaali !

Le dernier film de Quentin Dupieux n’est bien entendu pas un biopic ordinaire. Le choix de Dali n’est pas un hasard, il est même plutôt évident tant l’univers fantasmagorique de l’artiste colle parfaitement à la folle imagination du réalisateur. Le film tourne autour de la possible interview (avec ou sans caméra!) du grand maitre dont l’égo est démesuré. Quentin Dupieux s’amuse avec des boucles temporelles, des rêves, des couloirs d’hôtel qui n’en finissent pas. L’évocation de Salvador Dali est parfaite, on se croirait dans l’un de ses tableaux. La fantaisie débridée de la mise en scène s’étend aux comédiens. Il n’y pas un mais six interprètes pour incarner Dali. Certains apparaissent peu dans le film et deux crèvent l’écran. Édouard Baer et Jonathan Cohen sont absolument incroyables et d’une drôlerie irrésistible. « Daaaaaali ! » c’est du Quentin Dupieux au carré : décalé, barré, onirique, drôle, ludique, absurde. Un régal en somme.

sans jamais

Pour son travail de scénariste, Adam se replonge dans les souvenirs de son enfance et retrouve des photos de la maison de ses parents. Ils sont morts tragiquement dans un accident de voiture lorsque Adam était enfant. Il y a tant de choses qu’ils n’auront jamais su sur lui. Adam retourne voir la maison de son enfance où ses parents l’accueillent à bras ouverts… A son retour, il fait la connaissance de Harry qui habite dans le même immeuble que lui. Une relation amoureuse se noue entre les deux hommes.

« Sans jamais nous connaître » est un film bouleversant sur l’impossibilité du deuil. La solitude profonde d’Adam frappe d’emblée. Sa difficulté à créer des liens vient de la perte de ses parents, de la peur de perdre à nouveau des êtres chers. Son besoin de consolation est immense et à ce titre les scènes avec ses parents sont fortes et touchantes. Pouvoir leur dire qu’il est homosexuel, qu’ils l’acceptent ainsi fait partie de la réparation du personnage. Chez Harry aussi, la différence a créé un fossé avec sa famille. Deux solitudes, deux écorchés vif se trouvent et s’aiment. C’est déchirant, plein de tendresse et de délicatesse. Les quatre acteurs principaux sont fabuleux : Andrew Scott, Paul Mescal, Claire Foy et Jamie Bell. La tristesse, la mélancolie imprègnent le film mais son message est celui d’un partage encore possible, d’une ouverture à l’autre indispensable pour continuer à vivre.

Et sinon :

  • « A man » de Kei Ishikawa : Rie tient une papeterie avec sa mère. Son premier mari est parti après la mort de leur deuxième enfant. Elle rencontre Daisuke, un bûcheron qui vient d’arriver dans la région. Ils marient et ont ensemble une petite fille. Cinq plus tard, Daisuke meurt dans un accident. C’est lors de ses funérailles que Rie apprend que son deuxième époux vivait sous une identité d’emprunt. La veuve charge son avocat, Akira Kido, de faire la lumière sur cette affaire. « A man » est un thriller maîtrisé qui interroge profondément l’identité. Plusieurs personnages cherchent à échapper à la dureté de la société japonaise, à ses préjugés (Akira est sans cesse ramené à ses origines coréennes) et à son besoin de performance. Une autre vie, une autre identité pour se réinventer et pour enfin être soi-même. Les sentiments ont bien du mal à percer la carapace de la bienséance sociale. Ce qu’exprime Kei Ishikawa sur la société japonaise est passionnant et sa critique est fine. L’intrigue n’est pas laissée de côté au profit de cette critique et de nombreux rebondissements rendent ce film très réussi.
  • « La zone d’intérêt » de Jonathan Glazer : Jouxtant le mur du camp d’Auschwitz, se trouve la maison du commandant en charge de ce lieu, Rudolf Höss. Il y vit avec sa famille : sa femme Hedwig et leurs enfants parfaitement blonds. La maison est grande, elle possède un jardin verdoyant et une piscine. Un endroit de rêve que Hedwig ne voudrait quitter pour rien au monde ! La fumée se dégageant des cheminées du camp ou les miradors ne semblent pas la gêner le moins du monde. Dans son film, Jonathan Glazer a choisi de ne pas montrer ce qui se déroule de l’autre côté du mur. Les atrocités restent hors-champ et pourtant elle ne cesse de s’imposer à nous. Le réalisateur a fait un gros travail sur le son : ordres hurlés, claquements, chiens qui aboient, tirs. Le quotidien de la famille Höss, qui est filmé de loin comme pour une étude d’entomologiste, est émaillé de rappels de la Shoah ; les vêtements récupérés, une bague trouvée dans un tube de dentifrice, un enfant qui joue avec des dents. C’est la banalité du mal que choisit de nous montrer Jonathan Glazer. « La zone d’intérêt » comporte quelques défauts (les scènes en caméra thermique n’apportent pas grand chose) mais le résultat est saisissant et surtout parfaitement glaçant.
  • « La bête » de Bertand Bonello : 2044, Gabrielle passe un entretien d’embauche pour obtenir un poste avec plus de responsabilités. Mais elle vit dans un monde où l’intelligence artificielle a pris le pouvoir et où les affects doivent être éliminés. Pour ce faire, la jeune femme doit subir un traitement de purification. Durant cette opération, elle va revivre les moments forts de ses vies antérieures. Bertrand Bonello nous fait voyager entre trois époques : 1910, 2014 et 2044 avec comme fil rouge l’histoire d’amour de Gabrielle et Louis. les époques s’entrelacent de façon très fluide et les genres cinématographiques également : film historique, thriller, SF, l’ombre de David Lynch plane sur plusieurs scènes. Inspiré de la nouvelle d’Henry James « La bête dans la jungle », le film de Bertrand Bonello porte sur les émotions et la peur que l’on peut ressentir à l’idée d’en éprouver de trop fortes. Léa Seydoux est exceptionnelle dans ce rôle et elle est bien accompagnée par George MacKay qui est captivant. Un peu long, un peu froid, « La bête » n’en reste pas moins un film ambitieux aussi bien au niveau narratif qu’esthétique.

Bilan livresque et cinéma de janvier

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J’inaugure l’année 2024 avec six romans et une bande-dessinée. J’ai retrouvé avec un immense plaisir Michaël McDowell avec « Les aiguilles d’or » un roman qui aurait plu à Charles Dickens et Vincent Almendros qui a l’art de la concision et de la chute ce qu’il prouve à nouveau dans « Sous la menace ». La langue de Cécile Coulon m’a encore une fois séduite dans son dernier roman « La langue des choses cachées » et j’ai apprécié de retrouver le talentueux David Park dans un livre qui se rapproche du travail de Graham Greene. J’ai également lu deux premiers romans : celui de Tom Crewe qui nous parle de l’homosexualité à l’époque victorienne et de l’impact du procès d’Oscar Wilde ; celui de Dario Levantino, « De rien ni de personne » qui est le premier tome d’une trilogie. Son second roman est d’ailleurs sorti en grand format. Enfin, je me suis lancée dans la série Paul de Michel Rabagliati que je souhaitais lire depuis longtemps.

Du côté du cinéma, j’ai pu voir neuf films dont voici mes préférés :

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Dog vit seul dans un Manhattan peuplé d’animaux. Un soir ordinaire où il mange devant sa t.v., il voit une publicité pour un robot. Ce dernier lui est livré en pièces détachées et dès qu’il l’allume, Dog et lui deviennent inséparables. Tous les deux déambulent joyeusement dans les rues, mangent des hot dogs et font du patin dans Central Park au son de « September » d’Earth Wind and Fire. Les amis passent une journée sur la plage de Coney Island mais lorsque le soir advient, Robot tombe en panne. Impossible pour son ami de le porter jusqu’à chez lui. Il lui promet de revenir le lendemain avec l’équipement adéquat. Lorsqu’il revient, Dog découvre que la plage est fermé pour un an.

Quelle merveille de délicatesse que ce film d’animation ! Le thème de l’amitié puis celui de la séparation sont universels mais il y a tant de tendresse, d’affection entre nos deux héros que leur histoire est irrésistible. Au fil des saisons, la vie reprend son cours pour Dog qui pense de moins en moins à aller sauver son ami mais aussi pour Robot qui sert de nid à une famille d’oiseaux ou est victime d’un ferrailleur. On a le cœur serré à voir les deux amis s’éloigner, on aimerait tant les voir à nouveau réunis. Dog et Robot sont infiniment attachants, ils évoluent dans un New York des années 70-80 merveilleusement reconstitué. « Mon ami Robot » est aussi joyeux que mélancolique, un régal pour les grands et les petits.

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Dans leur banlieue parisienne, Giselle et son fils Bellisha sont les derniers juifs à vivre là. Même l’épicerie casher a fermé ses portes. La mère ne cesse de ruminer qu’ils doivent déménager dans une autre ville pour retrouver leur communauté. Mais Giselle a une santé très fragile et c’est Bellisha qui s’occupe de tout : le marché, la cuisine, etc… Lunaire, le fils de 30 ans ne semble s’inquiéter de rien, un brin mytho pour enjoliver la vie pour sa mère, un brin vieux avant l’âge tant il est ancré dans ses habitudes.

« Le dernier des juifs » est le premier long-métrage de Noé Debré qui avait jusqu’à présent exercer ses talents comme scénariste. Il est sur un fil durant tout le film, le sujet abordé étant délicat. Giselle s’exprime régulièrement sur le fait qu’il y a beaucoup de noirs dans le quartier, beaucoup de médecins arabes à l’hôpital. Un tag pro-palestinien apparaitra dans l’immeuble mais pas sur la porte de Giselle, sur celle de ses voisins chinois ! Ce joyeux mélange de communautés pourrait être source de tension mais les habitants du quartier savent se soutenir quand le malheur frappe à leurs portes. La judéité est également questionnée puisque Bellisha doit la cacher puis prouver qu’il est bien juif. Le film oscille entre la comédie (les scènes où Bellisha tente de vendre des pompes à chaleur avec son cousin sont hilarantes) et le drame. C’est subtil, intelligent et servi par deux acteurs exceptionnels : Agnès Jaoui et Michael Zindel.

Et sinon :

  • « Bonnard, Pierre et Marthe » de Martin Provost : En 1893, Pierre Bonnard invite une inconnue croisée dans la rue à poser pour lui. De cette rencontre va naître l’un des couples iconiques de la peinture du 19ème siècle. Le film de Martin Provost rend hommage à Marthe et Pierre Bonnard en racontant leur vie entre lumière (leur quotidien joyeux dans leur maison en bord de Seine) et ombre (l’infidèle Pierre et le suicide de Renée). La peinture n’est pas le cœur du film, le réalisateur nous montre plutôt ce qui a nourri l’œuvre du plus célèbre des Nabis. L’image est belle, lumineuse. Ce qui est le plus plaisant dans le film est la mise en avant de Marthe qui fut muse, amante, épouse (tardivement, Pierre refusant de se marier), âme sœur et surtout artiste quand Pierre la délaisse. Je regrette cependant une trop grand ellipse après le décès de Renée. On ne sait, par exemple, pas si Marthe a continué à peindre et comment la culpabilité a joué sur les relations du couple. Le duo Cécile de France/ Vincent Macaigne fonctionne d’ailleurs à merveille.
  • « Making of » de Cédric Kahn : Au début de son tournage, Simon, un réalisateur reconnu, apprend qu’il a perdu la plus grande partie de son financement. Son film porte sur le combat d’ouvriers qui ont pris possession de leur usine pour éviter une délocalisation. Leur histoire ne se termine pas bien contrairement à ce que le producteur de Simon a raconté aux financeurs. Pendant que le producteur essaie de trouver de l’argent (et répond de moins en moins au téléphone), Simon doit continuer son tournage au milieu d’une star à l’ego démesuré, des techniciens qui se questionnent sur leur salaire et une directrice de production qui veut faire des coupes dans le scénario. Cédric Kahn est décidément un réalisateur surprenant qui n’est jamais où on l’attend. Après son formidable « Procès Goldman » sorti en octobre 2023, il nous propose une comédie sur le milieu du cinéma. Le tournage, comme la révolte des ouvriers, tourne au naufrage et Simon sombre dans la dépression (il faut dire aussi que sa femme le quitte). Ce que capte le jeune homme en charge du tournage du making of du film, mise en abyme savoureuse qui montre les déboires de Simon. Cédric Kahn s’est offert un casting cinq étoiles avec Denis Podalydès, Emmanuelle Bercot, Valérie Donzelli, Xavier Beauvois, Jonathan Cohen, les jeunes Stéphane Crepon (repéré dans « Le bureau des légendes ») et Souheila Yacoub. C’est drôle, ironique mais également touchant.
  • « La fille de son père » d’Erwan Le Duc : Etienne a 20 ans, il rencontre Valérie et c’est le coup de foudre. Rapidement la jeune femme tombe enceinte. Une petite fille naît mais l’histoire tourne mal, Valérie s’enfuit sans explication. Étienne décide de vivre pour sa fille Rosa, d’être toujours présent pour elle. A 16 ans, elle est admise aux Beaux-Arts de Metz, à 300 km de son père. Comme va-t-il prendre cette future séparation ? Après « Perdrix », je retrouve la douce fantaisie d’Erwan Le Duc avec plaisir. Cette relation père-fille sort de l’ordinaire, ils ont quasiment grandi ensemble et on les prendrait presque pour des frère et sœur. Dans leur quotidien, tout est poétique et singulier. Rosa, plus mature que son père, est parfois dure avec lui pour essayer de le pousser à vivre sa vie, à dépasser le drame de l’abandon dont il ne s’est jamais remis. Céleste Brunnquell et Nahuel Pérez Biscayart sont plus que parfaits dans cet univers qui leur va si bien. Il faut aussi parler de Mohammed Louridi, qui interprète le petit ami de Rosa et qui pratique l’amour courtois, la poésie épique et préfère rentrer par la fenêtre que par la porte pour impressionner Rosa ! Son personnage est tout simplement fabuleux.

 

  • « La tête froide » de Stéphane Marchetti : Marie, 45 ans, vit dans un mobil-home à défaut de pouvoir se payer autre chose. Elle est serveuse la nuit et pour arrondir les fins de mois, elle trafique des cartouches de cigarettes entre l’Italie et la France. Son amant, un policier aux frontières, lui indique la route à prendre avec sa marchandise sans être contrôlée. Lors de l’un de ses voyages de l’autre côté des Alpes, elle rencontre Souleymane, jeune réfugié qui veut rejoindre Calais, où se trouve sa sœur, avant de traverser la Manche. Marie le convoie dans sa voiture et l’héberge. Le jeune homme lui propose de faire passer d’autres clandestins. Marie a besoin d’argent urgemment pour payer son emplacement au camping, elle accepte mais ne le fera qu’une seule fois. Le premier film de Stéphane Marchetti fait preuve d’humilité dans sa réalisation. Pas de sensationnalisme ou de tire-larmes dans cette histoire. Le réalisateur cherche avant tout le réalisme et la justesse et il y parvient. Florence Loiret-Caille incarne Marie et c’est toujours un immense plaisir de voir cette comédienne au jeu sensible. J’aurais sans doute beaucoup plus apprécié ce film s’il ne m’avait pas tant rappelé « Les survivants » de Guillaume Renusson où Denis Menochet aidait une jeune afghane à traverser les Alpes pour rejoindre la France.
  • « May december » de Todd Haynes : Gracie vit avec Joe avec qui elle a eu trois enfants. Elle avait une trentaine d’années et lui 13 ans lorsqu’ils furent surpris en plein ébat à l’arrière de l’animalerie où travaillait Gracie. A sa sortie de prison, elle épouse Joe et ils s’installent avec leurs enfants. Même si leur vie semble paisible et agréable, le couple reste sulfureux et dérangeant pour certains voisins. Les relations de Gracie avec sa première famille sont également délicates et douloureuses. C’est alors qu’arrive dans la vie du couple, Elizabeth, une actrice qui va interpréter le rôle de Gracie sur grand écran et vient étudier cette famille singulière. Todd Haynes s’est inspiré d’un véritable fait divers pour son dernier film mais c’est plutôt la relation entre Gracie et Elizabeth qui est au cœur du film. L’actrice devient de plus en plus le miroir de son modèle, vampirisant ses attitudes, ses manières de bouger. L’une semble très spontanée, naïve alors que l’autre est cérébrale, elle note et analyse tout. Le duo est étonnant, ambigu et un malaise profond surgit (ou resurgit) dans la vie du couple. Le personnage de Joe est également très intéressant, très révélateur de ce qui se passe sous la surface. Peut-être un peu trop froid, le film offre deux interprétations maîtrisées par deux grandes actrices : Julianne Moore et Natalie Portman.

 

  • « Priscilla » de Sofia Coppola : 1959, sur une base militaire allemande, la jeune Priscilla, 14 ans, rencontre Elvis Prestley qui y faisait son service. Trois ans plus tard, la jeune fille s’envole pour Graceland et devient l’unique femme du king. Le film de Sofia Coppola s’est inspiré du livre de Priscilla Prestley et adopte son point de vue. Le traitement de son histoire rappelle d’autres films de la réalisatrice : l’ennui, la mélancolie de l’adolescence comme dans « Virgin suicides », la prison dorée comme celle de Marie-Antoinette. Comme ces héroïnes, Priscilla est perdue, elle semble isolée et loin du milieu du show business. On découvre un Elvis manipulateur, façonnant sa femme comme une poupée décorative, la bourrant de médicaments. Mais il est également un petit garçon vulnérable et influençable. Rien à reprocher aux acteurs mais j’ai trouvé que la mise en scène, les ellipses nous tenaient à distance de Priscilla et je n’ai pas ressenti beaucoup d’empathie pour elle.

 

  • « La vie rêvée de Miss Fran » de Rachel Lambert : La vie de Fran est monotone et solitaire. Elle se rend à son travail mais ne communique pas avec ses collègues. Elle vit seule et ne semble pas avoir de loisir. Son quotidien va changer avec l’arrivée d’un nouveau collègue vers qui elle va avoir envie d’aller. Le film de Rachel Lambert a un certain charme : l’humour caustique Fran lorsqu’elle commence à s’ouvrir au monde, son imagination concernant les façons dont elle peut mourir. Fran est inadaptée à la vie sociale, une anti-héroïne comme les États-Unis aiment en créer. Néanmoins, je reconnais m’être un peu ennuyée face à l’histoire de Fran.

Bilan livresque et cinéma de novembre

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Le mois de novembre s’achève et j’ai lu sept livres (6 3/4 en réalité, je n’ai pas encore terminé « Comme si nous étions des fantômes » !). Je vous ai déjà parlé de l’excellent livre de Marika Doux sur Elizabeth Siddal et Dante Gabriel Rossetti. J’ai également adoré le dernier roman de François Bégaudeau et le premier de Chloe Ashby. J’ai retrouvé avec bonheur l’humour so english de Lord Berners. J’ai eu l’occasion de lire le Prix Goncourt 2023 qui est fort plaisant mais un peu long. Et je crains d’avoir le même avis sur le premier roman de Philip Gray qui est néanmoins fort documenté. Je vous reparle de mes lectures de novembre très prochainement.

Côté cinéma, je suis allée six fois dans les salles obscures et j’ai eu deux coups de cœur :

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On découvre Mona Achache au milieu d’un appartement vide de meubles mais rempli de photos, de manuscrits, de lettres, d’enregistrements audio, de carnets. Toutes ces archives ont appartenu à sa mère Caroline, qui s’est suicidée à l’âge de 63 ans. La réalisatrice va se plonger dans toute cette matière pour essayer de mieux comprendre sa mère et sa violente disparition. Son enquête va s’incarner de manière surprenante en Marion Cotillard qui arrive dans l’appartement.

Le dispositif choisi par Mona Achache est surprenant et se révèle saisissant. Marion Cotillard endosse littéralement l’identité de Carole, qui fut romancière et photographe de plateau. Elle commence par s’habiller avec les vêtements, les bijoux de la défunte, elle travaille sa voix en écoutant en boucle celle de Carole, elle rejoue des scènes en playback. La transformation se fait devant nos yeux, elle témoigne aussi du travail d’incarnation de l’actrice. C’est vertigineux. Les vies de Carole Achache, de sa mère (Monique Lange, figure incontournable de Gallimard) mais également de Mona se racontent sous forme de fragments, de reconstitution et leur histoire est bouleversante. La répétition des violences sexuelles est marquante comme si elles étaient une malédiction familiale inévitable. Carole subira la perversion de Jean Genet lorsqu’elle est enfant. De manière très ingénieuse, Mona Achache retrace la vie chaotique de sa mère : la drogue, la prostitution, l’écriture, la dépression. « Little girl blue » est un film étonnant qui retrace un destin singulier, une âme tourmentée et une lignée de femmes blessées qui chacune rendit hommage à sa propre mère au travers d’une œuvre. Le film émeut profondément notamment grâce à l’incroyable performance de Marion Cotillard.

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1858, les brigades du pape-roi Pie IX viennent arraché à sa famille le jeune Edgardo Mortara. Né dans une famille de confession juive, l’enfant a été baptisé en secret par une servante inquiète pour son salut. L’enfant doit donc être élevé dans les préceptes catholiques. L’enlèvement fit scandale en Italie et ailleurs dans le monde. Les parents Mortara firent tout ce qui étaient en leur pouvoir pour récupérer leur fils, en vain. Même l’unification de l’Italie en 1870 et la déchéance du pape ne libéreront pas Edgardo.

Le film de Marco Bellocchio est passionnant et bien évidemment déchirant. Le réalisateur italien s’intéresse depuis longtemps à l’histoire de son pays, aux évènements marquants de celle-ci. Comme dans sa série sur l’enlèvement d’Aldo Mauro (« Esterno notte » aussi formidable que le film sur le même thème « Buongiorno notte »), il mêle l’intime et le politique. Pie IX est un personnage odieux, despotique et antisémite (la scène où il humilie et menace les représentants du ghetto de Rome fait froid dans le dos). L’enfant est soumis à un véritable lavage de cerveau par l’Église que Bellocchio fustige en tant qu’institution et dont il souligne la morbidité. La mise en scène est grandiose, maitrisée, elle possède un souffle extraordinaire. Marco Bellocchio n’a rien perdu de son mordant et il nous raconte ici un évènement sidérant de brutalité et d’inhumanité de la part d’une papauté en sursis.

Et sinon :

  • « Le garçon et le héron » d’Hayao Miyazaki : A Tokyo, durant la seconde guerre mondiale, un hôpital est en feu. Un garçon de 11 ans s’y précipite car sa mère s’y trouve. Celle-ci périra dans l’incendie. Le jeune garçon, Mahito, est évacué à la campagne chez sa tante, qui est devenue la deuxième femme de son père. Il peine à s’adapter à sa nouvelle vie jusqu’à ce qu’un étrange héron cendré vienne perturber sa vie et lui ouvrir les portes d’un monde parallèle surprenant. « Le garçon et le héron » est très probablement le dernier film d’Hayao Miyazaki, âgé de 82 ans. On y retrouve les thèmes, les motifs chers au réalisateur : une partie réaliste avec un jeune garçon isolé, déraciné (comme Chihiro) et souffrant douloureusement du décès de sa mère, une partie fantastique qui nous entraine de l’autre coté du miroir. Cet univers mi-rêve, mi-cauchemar met Mahito à l’épreuve et lui permet de dire adieu à sa mère. Les créatures rencontrées par Mahito, les décors splendides sont encore une fois la preuve de l’imaginaire extraordinaire de Miyazaki (coup de cœur pour les warawara, qui ressemblent aux adiposes du Doctor Who, et pour les perruches colorées). Même si cette deuxième partie est toujours aussi flamboyante, elle m’a semblé s’étirer en longueur. Malgré tout, le film est visuellement épatant, dense et le destin de Mahito reste très touchant.
  • « L’incroyable Noël de Shaun le mouton » de Steve Cox : Si comme moi, vous êtes fan des créations du studio Aardman, vous ne résisterez pas au retour du plus facétieux des moutons anglais. Deux courts métrages composent ce programme : Une surprise de Noël pour Timmy et L’échappée de Noël. Même s’ils s’adressent plutôt aux enfants, c’est un plaisir de retrouver la bande de moutons gaffeurs menés par un Shaun malicieux et futé. Les péripéties, les gags sont au rendez-vous dans un esprit de Noël réjouissant.
  • « Vincent doit mourir » de Stéphan Castang : Vincent est graphiste dans une agence de pub lyonnaise. Sa vie est banale, il est célibataire, inscrit sur les réseaux sociaux, il sympathise avec ses voisins d’immeuble. Un jour, au bureau, un stagiaire le frappe violemment et sans raison apparente avec son ordinateur. Quelques jours après cette agression, un collègue lui plante un stylo dans le bras. Vincent se rend compte qu’un simple contact visuel provoque un déferlement de violence contre lui. Il décide de quitter Lyon pour s’isoler à la campagne à l’abri des regards de ses congénères. « Vincent doit mourir » est un film très original et totalement anxiogène. La raison de cette poussée de violence (Vincent n’est pas la seule victime) ne sera jamais explicitée et cela rend le film d’autant plus inquiétant. Notre société de plus en plus dure, de plus en clivante ne génère-t-elle pas déjà de la violence ? Stephan Castang ne se contente pas de réaliser un thriller paranoïaque et apocalyptique. L’humour est régulièrement présent par petites touches pour alléger la tonalité sombre de l’ensemble. L’arrivée de Margot dans la vie de Vincent apporte également de la légèreté et de la fantaisie. Sortir d’une telle intrigue n’est pas évident mais le réalisateur s’en sort à merveille. Vimala Pons et Karim Leklou forment un duo parfait dans ce film très réussi.
  • « Simple comme Sylvain » de Monia Chokri : Sophia est professeur de philosophie à Montréal. En attendant un poste à l’université, elle donne des cours à des retraités. Elle est en couple avec Xavier depuis dix ans mais leur amour s’est transformé en tendre amitié. Aussi, lorsqu’elle fait la connaissance de Sylvain, le charpentier qui répare leur résidence secondaire, elle tombe totalement sous son charme. Leur relation sera placée sous le signe du désir ardent mais également sous celui de la différence de classe sociale. Le film de Mona Chokri est vraiment réjouissant. La réalisatrice s’amuse avec les clichés de la comédie romantique. Sofia et Sylvain évoluent longtemps dans une bulle, loin du monde et de leurs proches. Le choc des cultures se fera au travers de deux repas où chacun présente sa famille et ses amis à l’autre. Monia Chokri ne privilégie d’ailleurs aucun des deux milieux et se moque des préjugés et des manières de chacun. L’amour et le désir peuvent-ils résister aux différences de classe ? S’il y a beaucoup d’humour dans les dialogues et la manière de filmer, « Simple comme Sylvain » n’est pas exempt de mélancolie. Piquant, sensuel, enlevé, lyrique, voilà le cocktail que nous propose la réalisatrice québecoise avec un grain seventies qui ajoute au charme de son film.

Bilan livresque et cinéma d’octobre

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Octobre s’achève déjà et je laisse derrière moi huit livres, ce qui est déjà un peu mieux que mon bilan de mois de septembre. J’ai déjà eu le plaisir de vous parler du dernier roman de Stéphanie Hochet qui mêle autobiographie et biographie imaginée de William Shakespeare, du court texte de Fanny Chiarello dans la collection « Récits d’objets » aux éditions Cambourakis et de mes retrouvailles avec cette chère Miss Marple. Très prochainement, je vous parlerai du formidable premier roman de Paul Saint Bris « L’allègement des vernis », du très déstabilisant « Une fin heureuse » de Maren Uthaug, de la charmante bande-dessinée de Cécile Becq « Trois chardons », du très beau dernier roman d’Elisa Shua Dusapin « Le vieil incendie » et du frappant premier roman d’Antti Rönkä « Sans toucher terre ».

Côté cinéma,  j’ai vu sept films dont voici mes préférés :

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François et son fils Émile sont coincés dans un embouteillage sur la route qui les emmènent voir Lana, l’épouse du premier et la mère du second, à l’hôpital. Pendant qu’ils patientent dans leur voiture, une étonnante créature s’échappe d’une ambulance. Un homme avec une seule aile qui pousse des cris bestiaux. Une étrange épidémie sévit, des êtres humains se transforment peu à peu en animaux sans que l’on connaisse la cause de ces mutations et sans que l’on puisse les soigner. Les personnes malades vont être installées dans un centre fermé dans les Landes. François et Émile vont déménager pour suivre Lana.

« Le règne animal » n’est que le deuxième film de Thomas Caillet. « Les combattants » m’avait déjà séduite et il avait révélé Adèle Haenel. Ce film est hybride, entre dystopie, conte et réalisme. Fable sur les mutations du monde mais également sur le changement à une échelle plus personnelle et intime, il est aussi une métaphore de l’adolescence qui s’incarne dans le corps maladroit, gauche de Paul Kircher. Révélation de « L’adolescent » de Christophe Honoré, il confirme ici son talent et son phrasé particulier. L’alchimie avec Romain Duris est parfaite et il y a longtemps que l’on n’avait pas vu une si belle relation père-fils à l’écran. L’émancipation du plus jeune est au cœur de l’histoire. Thomas Caillet nous offre des scènes incroyables comme celle de nuit où François et Émile cherche Lana en écoutant une chanson de Pierre Bachelet ou celle où un homme-oiseau réussit à prendre son envol. Poétique, émouvant et maitrisé, « Le règne animal » est l’un des films marquants de 2023.

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Dans une petite ville sinistrée du nord de l’Angleterre, arrive un groupe de réfugiés syriens. Leur installation ravive une haine xénophobe issue de la peur des habitants à ne pas réussir à nourrir leurs enfants. Les syriens recevraient plus que ce qu’on leur donne. La ville a vu la mine, principal pourvoyeur d’emplois, se fermer et la fierté ouvrière s’est fait la malle avec elle. Au milieu du désarroi commun aux habitants et aux réfugiés, une amitié lumineuse va naître entre Yara, une jeune photographe syrienne, et TJ Ballantyne, le propriétaire du pub local, bien décati, et seul lieu de sociabilité encore ouvert.

Ce film est le dernier de Ken Loach et de son vieux compère Paul Laverty. Il est un condensé de l’œuvre du réalisateur anglais. Il nous montre la réalité de la misère sociale dans ces petites villes désindustrialisées où l’avenir semble totalement bouché et où l’on ressasse le passé. Ce dernier est visible sur les murs de l’arrière salle du pub qui sont recouverts de photos des mineurs défilant avec la bannière de la ville ou des grèves de 84-85 face à Thatcher. L’amitié de Yara et TJ va insuffler un peu d’optimisme et d’espoir dans la ville. Pour que la communauté se reforme, se ressoude, pourquoi ne pas organiser une cantine solidaire où les syriens et les familles anglaises pauvres seraient assis côte à côte ? La résistance, l’humanisme, la solidarité, voilà les valeurs défendues durant toute sa carrière par Ken Loach. L’optimisme n’était pas au rendez-vous dans ses deux derniers films « Moi, Daniel Blake » et « Sorry we missed you », la noirceur et le désespoir l’emportaient. A 87 ans, le réalisateur nous offre un dernier film où l’utopie reste possible, où les personnages centraux sont infiniment touchants, il me semble que Ken Loach ne pouvait pas mieux achever sa carrière.

Et sinon :

  • « Killers of the flower moon » de Martin Scorsese : Ernest Buckhart revient du front après l’armistice de 1918. Son oncle William Hale l’accueille chez lui dans l’Oklahoma. Riche fermier, il a fait fortune dans l’élevage de bétail mais cela ne lui suffit pas. Même s’il se fait passer pour leur ami et protecteur, William lorgne sur l’argent des indiens Osage. Chassés du Kansas à la fin du 19ème siècle, ce peuple s’est vu reléguer sur les terres arides de l’Oklahoma. Mais l’or noir coule à flot sous le sol et va rendre les Osages extrêmement riches. Grandes demeures, superbes voitures, employés de maison blancs, leur train de vie en rend jaloux plus d’un. William va donc pousser son neveu à épouser Molly Kyle, une riche Osage qui pourra lui léguer son argent à sa mort. Ernest n’est pas le seul à se marier pour l’argent et rapidement la mort frappe à de nombreuses reprises la tribu. Martin Scorsese s’est inspiré de « La note américaine » de David Grann qui ramena à la vie la tribu Osage. Le réalisateur en fait une fresque, une saga historique et familiale. La violence, la mafia, la culpabilité sont des thèmes typiques du cinéma de Scorsese et on les retrouve ici. Robert de Niro incarne, avec le talent qu’on lui connait, un personnage particulièrement détestable, calculateur et manipulateur. Son neveu est bien faible, minable et piégé dans sa fidélité à sa famille. Leonardo di Caprio rend bien la veulerie d’Ernest. Face à lui, Lily Gladstone incarne Molly avec force et douceur. Elle illumine le film de sa grâce. Ne vous laissez pas décourager par la durée du film, Scorsese nous ménage assez de rebondissements pour qu’il ne soit pas ennuyeux.
  • « Le ravissement » d’Iris Kaltenbäck : Lydia est sage-femme en région parisienne. Elle est investie, empathique et consciencieuse. Elle est extrêmement proche de son amie Salomé. Celle-ci est enceinte et Lydia sera là pour l’accoucher mais aussi pour garder la petite quand sa mère fera une dépression post-partum. L’enfant sera prénommée Esmée suite à une suggestion de Lydia. Cette dernière passe de plus en plus de temps avec le bébé et s’invente une fiction autour d’elle. Les mensonges s’accumulent et enferment Lydia. « Le ravissement » est le premier long métrage d’Iris Kaltenbäck. L’histoire de Lydia est racontée à posteriori par une voix off, celle de Milos, un chauffeur de bus rencontré et aimé par Lydia. On comprend rapidement que tout cela va mal finir pour la sage-femme mais ce qui advient est filmé avec retenue et sobriété. La réalisatrice n’accable pas son personnage qui est l’atout du film. Lydia est mystérieuse même pour son amie Salomé, ses motivations restent opaques mais on sent une solitude profonde et un besoin d’affection énorme. La réalisatrice ne pouvait rêver mieux que la formidable Hafsia Herzi pour incarner son héroïne. On la voit peu à peu glisser dans le mensonge, se prendre au piège et on aimerait l’arrêter tant on ressent de l’empathie pour elle.
  • « La fiancée du poète » de Yolande Moreau : Après de nombreuses années d’absence, Mireille revient vivre dans la maison de ses parents décédés en bord de Meuse. Elle trouve un emploi de cantinière qui ne suffit pas à la remise en état de la vaste demeure. Mireille décide alors de prendre des locataires. Arrivent tour à tour un étudiant aux Beaux-Arts, habile copiste rapidement surnommé Picasso, un jardinier communal qui aime se travestir et un chanteur américain prénommé Elvis qui se révèlera turc et sans papier. Un quatrième larron, tout droit sorti du passé de Mireille, viendra bientôt s’ajouter à l’étonnante bande. « La fiancée du poète » est le troisième film en tant que réalisatrice de Yolande Moreau. Nous retrouvons dans ce film l’univers poétique et foutraque de l’ex-Deschiens. Mireille se compose une nouvelle famille avec des hommes aussi à côté de la plaque qu’elle. Tous sont les rois des petites arnaques, des petits arrangements pour que la vie soit plus facile. Leur façon, libre, de vivre ensemble devient une forme d’utopie où chacun peut laisser s’exprimer sa personnalité. Il y a beaucoup de tendresse et de douceur dans ce film et l’on ne peut que s’attacher à cette communauté atypique.
  • « Second tour » d’Albert Dupontel : Mlle Pove était journaliste politique mais à force de l’ouvrir à tort et à travers, elle a fini au foot avec son cameraman Gus. Suite à divers incidents, sa chaine est contrainte de faire appel à elle pour suivre la campagne du favori de l’élection présidentielle : Pierre-Henry Mercier. Issu d’un milieu très aisé, le candidat défend des idées ultra-libérales. Pas de quoi intéresser la journaliste jusqu’à ce que le candidat frôle la mort dans l’explosion de sa voiture. Mlle Pove va alors mener une enquête qui lui apportera de nombreuses surprises. J’apprécie depuis longtemps l’humour noir d’Albert Dupontel, j’étais donc ravie de le retrouver dans son nouveau film. Malheureusement, j’en suis sortie fort déçue. Si le début m’a plu avec son côté thriller politique, j’ai trouvé la seconde partie plus faible. La journaliste découvre un secret de famille qui se greffe mal à la satire politique. Par moment, le film est même mièvre et le message écolo-bucolique est beaucoup trop appuyé, trop lourdement amené pour convaincre. Nicolas Marié sauve l’ensemble en étant d’une drôlerie irrésistible.
  • « Coup de chance » de Woody Allen : Fanny, qui travaille chez un commissaire-priseur, croise par hasard Alain, un ancien camarade de classe au lycée. Il lui avoue qu’il était alors très amoureux d’elle. Il est maintenant écrivain et vit dans un appartement sous les toits (près des Champs Élysées quand même, la bohème a ses limites). Fanny est séduite par le jeune homme mais elle est mariée à Jean. Ce dernier a fait fortune de manière mystérieuse et couvre sa femme de cadeaux onéreux. Comme il est triste de voir un cinéaste tant aimé se planter à ce point. Outre des dialogues indigents (Alain, interprété par le pauvre Niels Schneider, répète en boucle qu’il était amoureux de Fanny au lycée), la lumière calamiteuse sur les personnages, Woody Allen s’est totalement trompé de ton pour raconter son histoire. Il en fait une comédie de cocufiage alors qu’il aurait du s’orienter sur une atmosphère à la « Match point ». Le méchant, Melvil Poupaud, n’est ici ni crédible ni inquiétant. On s’ennuie…

Bilan livresque et cinéma de septembre

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Et voilà revenue la rentrée et son temps contraint, cela se sent sur mes lectures avec seulement cinq ouvrages à mon actif. J’ai déjà pu vous parler de la splendide bande-dessinée sur Anne Brontë de Paulina Spucches, de la plongée dans le monde des sorcières de « Laura Willowes et du délicieux roman « Père » de Elizabeth Von Arnim. J’ai également adoré « Pour mourir, le monde » de Yan Lespoux dont le recueil de nouvelles m’avait énormément plu. Je vous parle très rapidement de mon immersion dans le monde des caraques portugaises. En revanche, je n’ai pas été captivée par « Pantelleria » de Giosué Calaciura qui doit beaucoup plus s’apprécier lorsque l’on connaît la typologie des lieux.

Du côté du cinéma, j’ai pu voir six films dont mes préférés sont les suivants :

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Ansa et Holappa se croisent dans un bar karaoké, un échange de regards appuyé qui ne va pas plus loin. Le hasard faisant bien les choses, ils finissent par se revoir. Mais Holoppa perd le numéro de téléphone d’Ansa. Cette dernière repart dans son morne quotidien d’employée de supermarché tandis que Holoppa plonge de plus en plus dans l’alcool. La noirceur et la solitude les cernent et rien ne semble pouvoir éclairer leur vie.

Après plusieurs années d’absence, Aki Kaurismaki est de retour avec son univers vintage et mélancolique. Son humour pince-sans-rire n’a pas non plus disparu. D’habitude, ses intérieurs colorés et épurés ne s’inscrivent dans aucune époque précise. Cette fois, l’actualité s’invite chez le réalisateur finlandais. La radio donne à plusieurs reprises des nouvelles de la guerre en Ukraine à qui Kaurismaki donne son soutien par ce biais. Mais l’histoire d’Ansa et Holappa est moins désespérée qu’il n’y parait au départ. Les amoureux se perdent plusieurs fois de vue pour mieux se retrouver ensuite. L’espoir ne semble jamais perdu malgré les difficultés. Leur histoire m’a beaucoup fait penser à « Elle et lui » de Leo McCarey. D’ailleurs, Aki Kaurismaki fait de nombreux clins d’œil à de grands noms du cinéma : David Lean, Jean-Luc Godard, Chaplin, etc… Un bel et discret hommage au septième art pour une histoire d’amour touchante.

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Inès, qui vit avec son fils adolescent, est menacée d’expulsion. Cherchant un emploi stable, elle se présente chez Anti-squat, une société qui protège des immeubles des squatteurs en y logeant temporairement des résidents. Ceux-ci devront respectés des règles strictes : pas d’enfants, pas d’animaux, pas plus de deux visiteurs et interdiction de manger dans les chambres. Les locataires devront également entretenir l’immeuble. A la moindre erreur, ils seront renvoyés du bâtiment. Inès devra recruter les futurs résidents et surveiller ce qui se déroule dans l’immeuble. Elle sera soumise aux mêmes règles que les autres.

Une loi autorise ce type d’occupation de bâtiments vides et montre, s’il en était besoin, tout le cynisme du néolibéralisme. Inès va rapidement se retrouver prise au piège de ce nouveau boulot et devra se montrer inhumaine pour le garder. Nicolas Silhol avait déjà montré les ravages du monde du travail dans « Corporate ». Il nous offre ici un thriller social tendu, anxiogène qui se déroule quasiment en huis-clos. Louise Bourgoin est formidable, comme toujours, son comportement oscille entre la culpabilité et la peur de perdre son emploi. La fin du film est glaçante.

  • « Reality » de Tina Satter : En 2017, Reality Winner trouve, en rentrant chez elle, deux agents du FBI. Vétérane de l’US Air Force et traductrice pour la NSA, la jeune femme ne semble pas surprise par leur présence. Mais peu à peu, les questions se font plus pressantes et d’autres agents arrivent au domicile de Reality pour le perquisitionner. La jeune femme est en fait soupçonnée d’avoir fait fuiter un document classifié, révélant une tentative de piratage russe du système de vote électronique lors de l’élection de Donald Trump. Ce qui est très original dans le film, c’est que la réalisatrice a choisi d’utiliser mot pour mot la retranscription de l’interrogatoire de Reality par le FBI. La manière dont cela se passe est surprenant. Le ton est au départ badin, anecdotique pour être de plus en plus menaçant. Reality n’est prévenue que très tardivement de la raison de leur présence et elle se retrouve seule à affronter les questions des agents du FBI. Et tout se déroule dans sa maison. La situation parait irréelle et c’est ce qui est fascinant dans le film où l’on voit la lanceuse d’alerte petit à petit prise au piège.  Reality a du purger cinq ans de prison.
  • « Le livre des solutions » de Michel Gondry : Marc, cinéaste connu, voit son dernier film être refusé par ses investisseurs et son producteur habituel ne le défend même pas. Marc n’a pas d’autres choix : il s’enfuit de la réunion en emportant les images déjà tournées de son film. Il met en place le plan B : le terminer dans les Cévennes chez sa tante Denise avec sa monteuse et sa directrice de production. Arrivé là-bas, il déborde d’idées fantasques mais aucune pour achever son film. Son incapacité à se concentrer, à vouloir visionner les images montées tapent sur le système de ses collaboratrices. « Le livre des solutions » est largement autobiographique. Michel Gondry aborde avec humour et autodérision ses caprices d’enfant gâté, ses colères, ses moments dépressifs. J’ai retrouvé ce qui me plaît chez le réalisateur : sa fantaisie débridée, ses trouvailles visuelles. Marc est aussi attachant qu’insupportable. Il est interprété par un Pierre Niney survolté et qui se coule à merveille dans les sautes d’humeur de Marc. Malgré tout, le film n’est pas complètement à la hauteur de mes espérances, peut-être en raison d’un manque de rythme ou de la répétition des pétages de câble du personnage.
  • « Acide » de Just Philippot : Michal porte un bracelet électronique en raison des violences qu’il a commises lors de la prise d’otage du patron de son usine. Il est divorcé et voit régulièrement sa fille de 15 ans, Selma. Lorsque des pluies acides menacent la France, Michal est prêt à tout pour éloigner sa fille et son ex-femme. Bientôt le chaos règne sur le pays. « La nuée », le premier film de Just Philippot, était impressionnant de tension et d’anxiété. La question écologique est encore au cœur de son nouveau film. Je l’ai trouvé un peu moins réussi que le précédent, le suspens n’est pas aussi fort malgré la fuite des personnages à travers la France. Peut-être que ceux-ci sont trop monolithiques, trop désagréables pour que l’on soit totalement en empathie avec eux. Il n’en reste pas moins que Just Philippot nous offre des images d’apocalypse très fortes et saisissantes. Le cinéma de genre n’est décidément pas l’exclusivité du cinéma américain.
  • « Le mystère à Venise » de Kenneth Branagh : Hercule Poirot a pris sa retraite à Venise où il vit en ermite. C’est là que le retrouve Ariadne Oliver, son amie autrice de romans policiers. Elle lui propose de participer à une séance de spiritisme pour démasquer ou non la voyante. Poirot se prend au jeu malgré son envie de tranquillité. Le crime va, comme toujours, le rattraper. « Mystère à Venise » est la troisième adaptation d’Agatha Christie pour Kenneth Branagh. Cette fois, il prend beaucoup de liberté avec le texte d’origine. Et cela se sent, il faut toujours faire confiance au talent d’Agatha pour trousser une bonne intrigue. Le film reste néanmoins divertissant avec un casting international de qualité (Kelly Reilly, Camille Cotin, Jamie Dornan, Michelle Yeoh, Ricardo Scamarcio). Venise est magnifiquement filmée : son mystère , la brume qui envahit ses nombreuses ruelles sont le cadre idéal pour une enquête policière.

Bilan livresque et cinéma d’août

Le temps des vacances, le temps de lire à sa guise…15 lectures à mon actif et je vous ai déjà parlé des livres suivants :

-Le fitzgeraldien et réjouissant « A sky painted gold » de Laura Wood,

-« La plage » de Cesare Pavese qui ne m’a pas totalement convaincu,

-« La librairie sur la colline » d’Alba Donati qui rend hommage aux librairies indépendantes et aux amoureux des livres,

-le tome 3 des Chroniques de la place carrée de Tristan Saule toujours aussi noir et réussi que les précédents,

-« La ballade du feu » d’Olivier Mak-Bouchard qui nous plonge à nouveau dans la nature sauvage du Luberon et les légendes.

Je vous parlerai de mes autres lectures au fil du mois de septembre.

Côté cinéma, je n’ai pu voir que quatre films :

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Sandra, une écrivaine, reçoit chez elle une étudiante qui souhaite l’interviewer. Rapidement, le dialogue devient impossible. Samuel, le mari de Sandra, a mis la musique à fond probablement par jalousie. Lui aussi voudrait être écrivain mais l’inspiration lui manque. Sandra raccompagne l’étudiante et monte ensuite dans sa chambre. Plus tard dans la journée, Daniel, l’enfant malvoyant du couple, trouve, en rentrant de balade, le corps inerte de son père en contrebas de leur maison. Sandra est rapidement soupçonnée d’avoir assassiner son mari et elle fait appel à un ancien ami avocat pour la défendre.

« Anatomie d’une chute » a tout d’une intrigue policière à la tension grandissante. Sandra a-t-elle tué son mari ? Daniel invente-t-il des souvenirs pour sauver sa mère ? Le doute est présent durant tout le film et le spectateur ne cesse de s’interroger sur Sandra. Ce personnage est passionnant, complexe, ambigu et il est formidablement incarné par Sandra Hüller. Les scènes au tribunal sont particulièrement réussies, Antoine Reinartz incarne un avocat général d’une arrogance insupportable. Dans ce lieu, se joue le cœur du film : la dissection d’un couple. Leur vie est exposée dans les moindres détails. Sandra et Samuel étaient deux créateurs qui s’entredéchiraient : bataille d’ego, jalousie, trahison, tromperie sexuelle, déséquilibre dans le partage des tâches quotidiennes. Samuel semblait ne plus trouver sa place dans son couple mais était-il la victime qu’il prétendait être ? N’était-il pas simplement jaloux du succès de sa femme ? Où est la vérité ? Autre personnage essentiel à l’intrigue : Daniel, le fils, qui montre une maturité et un aplomb fascinants (Milo Machado Graner est parfait). Son rôle, ses témoignages seront décisifs. L’écriture du film (écrit par un couple : Justine Triet et Arthur Harari) est remarquable, les acteurs fabuleux (je n’ai même pas parlé de la prestation du toujours impeccable Swann Arlaud), l’ambiance tendue de bout en bout. Oui, « Anatomie d’une chute » méritait bien une palme d’or.

Et sinon :

  • « Yannick » de Quentin Dupieux : Alors qu’il assiste à une pièce de boulevard intitulée « Le cocu », Yannick se lève et interrompt la représentation. Il n’apprécie pas le spectacle, le trouve nul et voudrait réécrire le texte. Yannick ne peut pas venir souvent au théâtre, il vient de loin et travaille de nuit. Alors quand il peut se permettre de sortir le soir, il faut que ça en vaille la peine. Les trois comédiens ne sont évidemment pas d’accord et tentent de le faire sortir. Yannick sort alors un revolver. En général, j’apprécie beaucoup l’univers décalé et absurde de Quentin Dupieux. « Yannick » fait partie de ses meilleurs films. Il s’agit d’un huis-clos, la mise en scène est sobre et rien d’incongru, en dehors de Yannick, n’intervient. Le personnage principal fait partie de ceux qui n’ont pas accès à la culture, il n’a pas les codes. Ses revendications en plein spectacle, qui peuvent s’entendre, créent un malaise, il est difficile d’imaginer comment tout cela va se terminer. Les acteurs, sur qui tout le film repose, sont exceptionnels avec un Raphaël Quenard et un Pio Marmaï très, très en forme. Leurs prestations justifient à elles seules ce film.

 

  • « La bête dans la jungle » de Patric Chiha : C’est dans une boîte de nuit que May recroise la route de John. Ils s’étaient connus au moment de l’adolescence, ils sont désormais adultes. John est pourtant toujours obsédé par la même idée : quelque chose va lui arriver et cela va tout changer. Alors, il a décidé d’attendre. May, convaincue par son idée, reste à ses côtés. Le film de Patric Chiha est adapté d’une nouvelle d’Henry James. Le réalisateur a choisi d’enfermer ses deux personnages en boite de nuit de 1979 à 2004. Sur le dancefloor défilent tous les styles de musique, toutes les époques (l’arrivée de la gauche au pouvoir, le sida, …). L’idée de transposer l’intrigue dans une boite de nuit est judicieux. Les deux protagonistes restent en retrait, ne dansent quasiment pas et sont spectateur de la vie. Ils attendent, longuement, mais rien n’arrive et le film retranscrit bien l’ennui. Un peu trop même, j’ai trouvé le temps un peu long en compagnie de May et John.

 

  • « Strange way of life » de Pedro Almodovar : Après « Barbie » commandé par Mattel, voici le court-métrage de cowboys par Yves St Laurent ! Le shérif Jake reçoit la visite de Silva dont le frère est recherché. Vingt cinq ans plus tôt, ces deux-là ont passé une nuit ensemble qu’ils n’ont pas pu oublier. Le désir entre eux n’a jamais disparu même si le rationnel Jake ne veut pas le reconnaître. Le court-métrage tourne autour de l’opposition entre les deux hommes. Almodovar utilise la forme très classique du western pour parler de son thème de prédilection  : le désir. Rien de révolutionnaire et bizarrement j’aurais plutôt préféré connaître la suite de l’histoire de Jake et Silva, celle de deux cowboys vieillissant qui rêvent de calme et de tranquillité.

Bilan livresque et cinéma de juillet

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J’ai fait de bien belles découvertes durant ce mois de juillet : la plume splendide de Jean-François Beauchemin, la douce poésie de Diglee, l’humour réjouissant de Benjamin Stevenson, la lucidité si moderne d’Hedwig Dohm sur le sort des femmes, la plume fine de Shirley Hazzard. Et j’ai retrouvé avec grand plaisir Maria Messina, que les éditions Cambourakis ont la bonne idée de continuer à republier, et Alexandra Koszelyk qui a reçu cette année le prix Vleel pour son formidable dernier roman : « L’archiviste ».

J’ai eu l’occasion de voir huit films durant le mois de juillet dont deux avant-premières qui font partie de mes coups de cœur du mois :

Mothering sunday

30 mars 1924, jour du dimanche des mères où les aristocrates anglais donnaient leur journée aux domestiques pour qu’ils rendent visite à leurs mères. Jane Fairchild est orpheline. Elle travaille pour la famille Niven qui a perdu son fils au front. La jeune femme va passer la journée avec son amant, Paul Sherigham, fils d’amis proches des Niven. Il doit bientôt se marier et doit poursuivre ses études de droit comme le souhaite son père. Ce 30 mars 1924 va bouleverser la vie des différents protagonistes.

Eva Husson a choisi d’adapter le formidable roman de Graham Swift et nous propose un film fidèle à l’œuvre originale. Comme dans le roman, l’histoire nous projette dans le futur de Jane pour souligner à quel point ce jour fut décisif. La mélancolie, la perte et le deuil sont l’arrière-fond de ce film qui est pourtant esthétiquement très lumineux. La réalisatrice compose des images splendides, sensibles mettant en valeur chaque moment de cette chaude journée de mars. Le casting est incroyable : Olivia Coleman, Colin Firth, Josh O’Connor et Odessa Young qui est une révélation. La fin d’une époque, l’éveil à la sensualité, « Entre les lignes » est un film en costumes très réussi, envoûtant, délicat et touchant. (sortie le 4 octobre)

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Fin avril 1976, le deuxième procès de Pierre Goldman s’ouvre. Il est accusé d’avoir commis quatre braquages dont l’un a abouti à la mort de deux pharmaciennes boulevard Richard Lenoir en décembre 1969. Pierre Goldman nie avoir participé au braquage sanglant mais reconnaît être l’auteur des trois autres. Il a été condamné à la réclusion à perpétuité lors de son premier procès en 1974. Pour ce nouveau procès, qui se déroule à Amiens, l’accusé sera défendu par maître George Kiejman.

Cédric Kahn reconstitue avec minutie ce procès qui fit grand bruit à l’époque. La personnalité de Pierre Goldman, révolutionnaire devenu braqueur, y est pour beaucoup. Provocateur, irrévérencieux, brillant, il assure le spectacle dans la salle d’audience. Rapidement, il politise son procès, jouant de ses origines juives polonaises pour accuser ses détracteurs (surtout les policiers) d’être fascistes et racistes. Le huis-clos de Cédric Kahn rend parfaitement la fièvre du procès, la verve insolente de l’accusé, l’agacement de maître Kiejman face aux saillies de son client  et la très forte fracture qui divisait la France (c’est toujours le cas…). Il faut saluer le choix du réalisateur pour incarner le charismatique Pierre Goldman : Arieh Worthalter, intense et saisissant. (sortie le 27 septembre 2023)

Moretti

Giovanni est réalisateur et il peine à financer son dernier film qui parle du parti communiste italien au moment de l’invasion de Budapest. Sa femme et productrice, depuis quarante ans, s’apprête à le quitter. Pire, elle produit pour la première fois le film d’un autre (une sorte de jeune Tarantino dont le cinéma rend dingue Giovanni). Tout va donc mal pour notre héros de 69 ans qui est gagné par l’amertume et la dépression.

Quel bonheur de retrouver Nanni Moretti dans sa veine d’auto-fiction ! On retrouve son personnage grincheux, autoritaire, moralisateur, déçu par la gauche italienne, follement amoureux du cinéma et toujours capable d’auto-dérision. Sa passion pour les comédies musicales nous offre encore une fois une scène superbe. « Vers un avenir radieux » se situe dans la droite ligne de « Journal intime » où l’on retrouvait les mêmes thématiques (obsessions) du réalisateur italien. Malgré le dépit du personnage central face à l’évolution du cinéma, de l’Italie et de sa vie personnelle, la comédie prédomine avec des scènes mémorables (celle dans les bureaux de Netflix à Rome notamment). Réjouissant, irrésistible, « Vers un avenir radieux » montre l’énergie folle de Nanni Moretti et son sens imparable de la comédie.

Et sinon :

  • « Oppenheimer » de Christopher Nolan : Christopher Nolan retrace la trajectoire de Robert Oppenheimer, père de la bombe atomique : de ses études à Cambridge en passant par la commission d’enquête en 1954 diligentée par le FBI en raison de sa sympathie pour les idées communistes, à sa réhabilitation en 1963 grâce au président Kennedy. Le film montre les contradictions de l’homme, ses questionnements moraux une fois son invention finalisée. Lui, le physicien brillant, juif, ne pouvait que se lancer dans la course à l’arme nucléaire pour contrer les nazis. Mais son travail s’achève alors qu’Hitler se suicide et la puissance destructrice de la bombe commence à inquiéter son créateur. C’est cette dualité du personnage qui est le plus intéressant dans le film de Nolan. Et il ne pouvait trouver meilleur acteur pour l’incarner que Cillian Murphy, habité par l’émulation des recherches puis hanté par les ravages de son œuvre. Certaines images sont marquantes, visuellement très fortes. Mais le film est long, vraiment trop long.
  • « Les meutes » de Ramal Lazraq : Hassan et son fils Issam vivent dans les quartiers pauvres de Casablanca. Pour essayer d’améliorer leur quotidien, le père accepte de rendre service à un organisateur de combats de chien. Il doit kidnapper le garde du corps d’un participant aux combats qui devient de plus en plus puissant. Hassan entraine son fils dans cette mission. Malheureusement, l’homme kidnappé meurt dans le coffre de la voiture. Débute alors pour le père et le fils une très longue nuit. Le premier film de Ramal Lazraq est particulièrement réussi, oscillant entre réalisme et thriller. De nombreuses péripéties, des rencontres inquiétantes vont émailler la nuit de Hassan et Issam, pauvres bougres maladroits et malchanceux. La nuit de Casablanca révèle un monde parallèle et interlope, des petits truands, des gueules marquées par la misère, des solitudes profondes. Et dans ce milieu violent, brutal, s’impose soudain la religion et le respect du corps du défunt qui a été trimballé pendant des heures. Une volonté de rachat qui nait aux bords de l’aube chez Hassan, une bulle d’humanité dans cette sombre cavalcade nocturne menée avec beaucoup de talent par le réalisateur.
  • « Les filles d’Olfa » de Kaouther Ben Haria : Olfa Hamrami est la mère de quatre filles dont deux d’entre elles, Rahma et Ghofrane, ne sont plus avec elle puisqu’elles ont rejoint Daech. Pour raconter cette histoire, qui a frappé les tunisiens, la réalisatrice Kaouther Ben Haria a inventé une forme hybride entre film et documentaire. Probablement pour que Olfa se livre plus facilement, elle lui propose de travailler sur la préparation du film avec ses deux filles cadettes Eya et Tayssir. Olfa échange avec l’actrice qui va jouer son rôle, raconte son mariage forcé, sa difficulté à élever ses filles. Ces dernières se livrent également et montrent le côté sombre de leur mère qui les a brutalisées dès que leur féminité s’affirmait. La détestation du corps, très présent chez Olfa, la méfiance vis-à-vis des hommes, une volonté protectrice qui s’exprime mal, finissent par gangréner les relations avec les deux ainées. La parole des trois femmes est saisissante, entre libération, remords et culpabilité. Un dispositif étonnant sur l’intimité d’une famille, sur le destin bouleversant de cinq femmes tunisiennes.
  • « Barbie » de Greta Gerwig : A Barbieland, les journées se déroulent toujours de manière parfaite sous un soleil radieux et dans la bonne humeur. Les Barbie dirigent ce monde rose bonbon. Les Ken, un peu benêts, les admirent et sont à leur disposition. Un jour, une Barbie fait vaciller ce monde idyllique en parlant de la mort. Elle doit alors se rendre dans le monde réel pour retrouver l’enfant qui joue avec elle et qui, visiblement, est déprimée. Un Ken la suite et découvre avec bonheur les joies du patriarcat. Greta Gerwig fait montre de beaucoup de malice dans son dernier film. L’esthétique de celui-ci est inventive, le début évoque la série des « Toy story ». Les dialogues sont drôles, plein d’esprit et les discours féministes sont moins lisses que ce que je craignais. Le casting est réussi avec en tête Margot Robbie et Ryan Gosling qui semblent follement s’amuser. Mais le film a été commandé par Mattel et cela se sent quand même beaucoup malgré l’intelligence de Greta Gerwig. La réalisatrice n’aura pas réussi à masquer complètement le produit marketing.
  • « Sur la branche » de Marie Garel-Weiss : Mimi, presque 30 ans, sort de l’hôpital psychiatrique et elle doit dorénavant travailler dans un jardin pour lui apporter de l’apaisement. Mais Mimi a passé l’examen du barreau et elle propose ses talents au cabinet de Claire et son ex-mari Paul. Ce dernier connaît quelques soucis et passe ses journées en robe de chambre. Mimi est envoyée chez lui pour récupérer des dossiers importants. Lorsqu’un charmant voyou fait appel à Paul, Mimi s’emballe et prend l’affaire très à cœur. « Sur la branche » est une charmante et rafraichissante comédie. L’intrigue est rythmée, nous emmenant de Paris aux bords de mer dans de virevoltants aller-retours (même si Mimi fait du 40 km/heure sur l’autoroute…). La réalisatrice compose un duo inédit et plein de fantaisie : Benoit Poelvoorde, très en forme, et la formidable Daphné Patakia qui avait déjà fait fortes impressions dans la série « Ovni(s) ». Un film idéal pour cette période estivale.

Bilan livresque et cinéma de juin

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La douzième édition du mois anglais vient de se terminer et, sur les onze livres prévus au départ, j’ai pu en lire dix. Il me reste uniquement à relire « Raison et sentiments » de Jane Austen, ce que j’espère faire cet été. Mes lectures furent variées et excellentes dans l’ensemble. Mon grand coup de cœur du mois va « Au retour du soldat » de Rebecca West, un bijou de délicatesse et d’une grande profondeur. Encore un grand merci à ma chère Lou avec qui j’ai toujours plaisir à organiser ce mois anglais et aux nombreux participants.

Et côté cinéma, j’ai eu l’occasion de voir six films dont mon préféré est le suivant :

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1970-72, Madagascar, les militaires français sont toujours là alors que l’île est indépendante depuis 1960. Thomas et sa famille y vivent dans une sorte de paradis illusoire. Les militaires font comme si leur présence allait de soi alors que la révolte gronde. C’est la fin d’une époque que montre Robin Campillo qui s’inspire ici de son enfance. Ce qui est très réussi dans son film, c’est que l’histoire nous est racontée à hauteur d’enfant. Thomas voit et entend tout (dans sa caisse de déménagement dans le jardin, derrière la porte en verre dépoli de la cuisine) même s’il ne comprend pas toujours les situations auxquelles il assiste. Des séquences très amusantes, mettant en scène son héroïne préférée Fantômette, montrent que l’imaginaire du garçon est déjà en marche.

Mais le film n’est pas que le récit de la fin de l’occupation coloniale à Madagascar, c’est également le récit de la fin d’un couple, de l’émancipation de la mère de Thomas. « L’île rouge » est un film vibrant sur le souvenir, sur l’émancipation et la naissance d’un cinéaste.

Et sinon :

  • « Fifi » de Jeanne Aslan et Paul Saintillan : Fifi vit dans une famille pauvre et totalement dysfonctionnelle. Pour s’évader de ce quotidien pesant, elle s’installe dans la maison vide d’une copine partie en vacances avec ses parents. Mais le frère aîné de la copine revient passer l’été à Nancy. Le premier film de Jeanne Aslan et Paul Saintillan est plein de charme et de délicatesse. Rien de spectaculaire dans ce film, seulement des moments partagés entre l’adolescente et le jeune homme indécis dont tous deux se souviendront longtemps. Pour interpréter cette jolie partition, deux jeunes comédiens qui m’ont déjà impressionnée dans d’autres œuvres : Céleste Brunnquell (En thérapie) et Quentin Dolmaire (OVNI(s)).
  • « Le processus de paix » de Ilan Klipper : Marie et Simon ont deux enfants, une vie  bien installée socialement. Elle anime une émission de radio de sexologie féministe pendant que lui enseigne le conflit israélo-palestinien à l’université. Tout devrait aller pour le mieux mais ils ne se supportent plus. Voilà une comédie française réussie aux dialogues vifs, aux situations cocasses et qui ne prend pas ses spectateurs pour des idiots. La qualité du casting est à la hauteur : Camille Chamoux, solaire et volontaire, Damien Bonnard, lunaire et angoissé. Et les seconds rôles sont tous soignés : Ariane Ascaride en mère juive déjantée, Jeanne Balibar totalement libérée, Quentin Dolmaire, jeune stagiaire que rêve de croquer Jeanne Balibar.
  • « Sick of myself » de Kristoffer Borgli : Signe est serveuse dans un café. Son petit ami est un artiste à l’ego démesuré qui ne cesse de tirer la couverture à lui. Mais il n’est pas le plus égotiste des deux. Signe est prête à tout pour connaître son heure de gloire. Elle multiplie les tentatives pour attirer l’attention et trouve enfin ce qui va la rendre célèbre : elle prend des médicaments qui vont la défigurer, ce qu’elle fera passer pour une maladie de peau. Le film de Kristoffer Borgli est tout à fait dans l’esprit de Ruben Östlund : excessif, cruel et surtout critique envers notre époque égocentrique. C’est un véritable jeu de massacre entre Signe et son petit ami, les dialogues sont cinglants. Le couple est le lieu de toutes les bassesses comme le montrait également Ruben Östlund dans « Snow therapy ». C’est décapant comme les scandinaves savent si bien le faire.
  • « Wahou » de Bruno Podalydès : Le dernier opus de Bruno Podalydès est un film à sketches autour de deux agents immobiliers interprétés par Karine Viard et Bruno Podalydès himself. Tout se déroule autour de deux biens : un appartement moderne à louer dans « le triangle d’or de Bougival » et l’autre est une belle maison bourgeoise avec au fond du jardin la ligne de RER. Comme toujours chez le réalisateur, le film est drôle et plein de tendresse pour ses personnages (mention spéciale au couple fantasque joué par Sabine Azéma et Eddy Mitchell). C’est bien écrit, bien interprété, tout cela nous donne une comédie charmante avec une pointe de nostalgie.
  • « Indiana Jones et le cadran de la destinée » de James Mangold : cinquième et dernier volet des aventures de notre archéologue préféré, cet opus revivifie le mythe avec un film rythmé par de nombreux rebondissements, rempli de clins d’œil aux films précédents et une Phoebe Waller-Bridge malicieuse et ironique. Une durée de deux heures aurait sans doute été suffisant mais ne boudons pas les adieux de l’un des personnages les plus sympathiques d’Hollywood.