Bilan livresque et cinéma de février

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Un mois de février placé sous le signe de la découverte ! A part la poursuite de la lecture des aventures de la malicieuse Astrid Bromure et la lecture du dernier roman de Stéphane Carlier, je n’ai lu que des auteurs dont je découvrais le travail.

Je me suis régalée à la lecture de la plupart de ces romans, une mention spéciale pour « La vierge néerlandaise » de Marente de Moor qui est également le premier roman publié par une nouvelle maison d’édition : Les argonautes qui se consacre à la littérature européenne non anglophone.

J’ai achevé les lectures du Prix des lectrices et lecteurs des bibliothèques de la ville de Paris avec « Tenir sa langue » de Polina Panassenko et « Jean-Luc et Jean-Claude de Laurence Potte-Bonneville. Ce prix est décerné chaque année à un premier roman adulte. Les trois autres romans en lice sont : « Les enfants endormis » d’Anthony Passeron, « Les gens de Bilbao naissent où ils veulent » de Maria Larrea et « En salle » de Claire Baglin.

Le mois de février ayant passé très vite, je n’ai vu que quatre films mais j’ai quand même eu deux coups de cœur :

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Jeune élève du conservatoire, Antonina est passionnément amoureuse de Tchaïkovski. Elle le rencontre, il la repousse. Elle lui écrit des lettres enflammées et le grand maître finit par céder à ses avances. Il a surtout besoin de sa dote et il la prévient : il ne pourra l’aimer que comme un frère. Tchaïkovski est homosexuel mais Antonina ne veut rien comprendre tant elle est heureuse. Mais ce mariage sera inévitablement un échec et il entrainera sa chute.

Kirill Serebrennikov, lui-même homosexuel, concentre toute son attention sur Antonina, le grand compositeur restera à l’arrière. La passion folle d’Antonina m’a beaucoup fait penser à celle d’Adèle H. Il y a le même aveuglement, la même furie destructrice chez notre héroïne russe. C’est à son humiliation, à sa déchéance que nous assistons durant 2h23. Et Antonina est un personnage souvent peu aimable, elle prendra un amant qu’elle méprisera, elle abandonnera leurs enfants sans le moindre regret. Alyona Mikhailova est extraordinaire dans le rôle titre. Le film de Serebrennikov est particulièrement sombre, les rues de Moscou sont peuplées de mendiants et le destin d’Antonina est tragique (elle mourra dans un asile en 1917). La mise en scène est flamboyante, tourbillonnante. Je regrette uniquement une scène de danse contemporaine dont le film aurait pu se passer aisément.

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A onze ans, Sophie passe ses vacances seules avec son père, Calum, dans une station balnéaire de Turquie. C’est rétrospectivement que Sophie évoque ces moments au travers de films réalisés à l’époque avec une caméra amateur. La jeune fille semble y profiter du soleil, de la piscine, des copains et des soirées organisées. Mais son père, qui se coupe en quatre pour lui faire plaisir, semble être ailleurs par moment et emprunt d’une profonde tristesse.

Le film de Charlotte Wells est un bijou de délicatesse et de sensibilité. Le père, formidablement interprété par Paul Mescal, nous laisse deviner ses fragilités, ses problèmes d’argent et une profonde mélancolie. Celle-ci se distille durant tout le film lui donnant une atmosphère de dernière fois. On ne sait pas ce qu’il adviendra de Calum mais j’ai eu le sentiment qu’il n’y aura plus de vacances comme celles-ci entre le père et sa fille. Le lien entre eux n’en est que plus touchant et plus fragile. « Aftersun » peut paraître modeste mais il se révèle intense et infiniment beau dans l’observation de la relation des deux personnages.

Et sinon :

  • « Pour la France » de Rachid Hami : Une nuit, dans une eau glacée, des élèves officiers se débattent, tentent de s’extirper, de réussir ce rituel de passage. Le lendemain est annoncée la mort d’Aïssa, 23 ans, noyé lors de ce bizutage à St Cyr. Sa famille va se battre pour que l’armée reconnaisse sa responsabilité et pour que Aïssa soit enterré avec les honneurs militaires. Rachid Hami raconte dans son deuxième film l’histoire de son frère Jallal, décédé en 2012. Malgré le résultat du procès (quelques mois de prison avec sursis pour les coupables), il n’y a ni colère ni vengeance dans « Pour la France ». Certes, le réalisateur nous montre le poids de la hiérarchie, du silence, des protocoles au sein de l’armée. Mais il s’agit surtout d’un film sur deux frères aux parcours très différents. L’aîné, Ismaël, se remémore leur enfance en Algérie avec un père brutal, leur fuite en France, un séjour à Taipei où Aïssa finit ses études. Ismaël n’est pas brillant comme son cadet, il traficoque et embarrasse sa famille qui souhaite s’intégrer. Histoire d’un drame familial, d’une volonté de rendre à la France ce qu’elle a donné, « Pour la France » est un film sobre, poignant au casting impeccable (c’est toujours un plaisir de revoir Lubna Azabal ).
  • « Un petit frère » de Léonor Serraille : Rose a quitté l’Afrique avec deux de ses enfants. Elle vient vivre en France et s’installe chez des membres de sa famille en région parisienne. Elle trouve du travail dans un hôtel comme femme de ménage et elle inculque à ses fils l’importance de l’école pour réussir dans la vie. Rose est une femme libre, elle danse, elle aime. Elle finit par s’installer à Rouen après avoir suivi un homme. « Un petit frère » est la vie de Rose, de ses deux fils Jean et Ernest sur une vingtaine d’années. Léonor Serraille chronique le quotidien de cette famille monoparentale venue de Côte d’Ivoire : Rose veut le meilleur pour ses fils sans sacrifier sa vie de femme. Elle fera des erreurs, sera déçue par le hommes mais également par son fils aîné. Le film évite tous les clichés sur l’immigration, la réalisatrice nous livre une histoire toute en nuance. Annabelle Lengronne est époustouflante, elle est magnétique et j’ai été bluffée par la performance intense et sobre d’Ahmed Sylla.

Bilan livresque et cinéma de janvier

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Et nous voilà repartis pour une nouvelle année riche en lectures et en films et en ce mois de janvier 2023 j’ai lu sept livres. J’aurais commencé cette nouvelle année par une petite déception avec « La fin d’une ère » qui clôt la saga d’Elizabeth Jane Howard. Je n’ai pas non plus été totalement convaincue par le dernier roman de Julian Barnes « Elizabeth Finch », même si certains aspects m’ont plu. Le reste de mes lectures fut plus concluant avec la découverte d’Isabelle Amonou et son « Enfant rivière », celle de Laura Ulonati et de sa biographie romancée des sœurs Stephen, celle de Maria Larrea qui a écrit un premier roman très intéressant et singulier, celle d’Anne Enright avec son dernier roman « Actrice ». J’ai retrouvé avec beaucoup de plaisir la plume de May Sinclair avec « Vie et mort de Harriett Frean », un petit bijou dont je vous parle très bientôt.

Huit films sont venus complétés ce premier mois de l’année avec trois coups de cœur :

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1953, M. Williams est fonctionnaire à la mairie de Londres. Austère, rigide, toujours ponctuel, il impressionne ses subalternes par sa rigueur. Mais cette vie si bien réglée va être bouleversée lorsqu’il va apprendre qu’il n’a plus que six mois à vivre. Ne serait-il pas temps qu’il profite de la vie ?

L’intrigue de « Vivre » est aussi simple que çà mais le résultat est un bijou d’émotions. Oliver Hermanus adapte le film d’Akira Kurosawa à partir d’un scénario de Kazuo Ishiguro (on ne peut s’empêcher de penser aux « Vestiges du jour »). M. Williams évolue dans le Londres gris d’après-guerre où il y a encore tant à reconstruire. Et après quelques jours de dérives à Brighton, il choisit de laisser une trace, de sortir un dossier de sa pile poussiéreuse de la mairie afin de concrétiser un projet pouvant améliorer le quotidien d’un quartier. Bill Nighy éclabousse le film de son élégance, de sa classe so english et de son talent minimaliste si précieux. « Vivre » et M. Williams se révèleront absolument bouleversants.

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Sur une petite île irlandaise, Colm a décidé de ne plus adresser la parole à Pàdraic. Ils sont pourtant amis de longue date. Pàdraic n’a pourtant rien fait pour mériter ça et il ne comprend pas la réaction de son ami. Il s’obstine à aller le chercher pour aller au pub, à lui parler sans cesse. Colm le menace alors de se couper un doigt s’il continuait à lui parler.

Le réalisateur de « Bons baisers de Bruges » et de « Billboards, les panneaux de la vengeance » nous propose ici une fable singulière et surprenante. Sur cette île isolée et peu peuplée, les relations humaines sont comptées et l’attitude de Colm est incompréhensible. Mais celui-ci, qui a la soixantaine, ne veut plus perdre de temps en bavardages, il veut créer, écrire de la musique. Pour Pàdraic en revanche, rien n’est plus important que ses soirées au pub avec son ami. L’histoire des deux hommes tourne à l’absurde lorsque chacun s’entête. Martin McDonagh a eu l’excellente idée de reformer le duo d’acteurs de « Bons baisers de Bruges » : Colin Farrell et Brendan Gleeson qui excellent. Les paysages splendides et rudes forment un cadre idéal à cette histoire d’amitié qui souligne l’étrangeté de l’autre.

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Los Angeles, années 1920, les débuts du cinéma font se croiser Jack Conrad, une star montante, Nellie LeRoy, une jeune femme prête à tout pour se voir sur grand écran et Manny Torres, un jeune émigré mexicain qui fera tous les métiers existants sur les plateaux de tournage. L’époque est aux fêtes orgiaques, les tournages sont épiques et bricolés mais la joie de filmer est éclatante. L’arrivée du cinéma parlant, et bientôt du code Hays, va changer la donne et transformer cet art artisanal en industrie.

Damien Chazelle nous offre avec son dernier film 3h10 de déclaration d’amour au cinéma. Celle-ci se terminera en apothéose dans une salle obscure. Avant cela, le spectateur est emporté dans un tourbillon d’images et de musique (le tempo est toujours important chez Damien Chazelle). Il fait revivre les débuts du cinéma avec brio, énergie, fièvre et il salue les pionniers du cinéma qui lui ont ouvert la voie. Le cinéma n’est pas un art mineur et le réalisateur le montre ici avec un talent fou. « Babylon » évoque « Chantons sous la pluie » mais ici la fin de nos trois héros est plus sombre et mélancolique. Le parlant, et les normes qu’il impose, enlève un peu de la magie et de la liberté. Margot Robbie, Brad Pitt et Diego Calva illuminent le film. « Babylon » est un régal, une grande réussite visuelle et le plus bel hommage qu’un réalisateur pouvait rendre au cinéma. Chapeau bas M. Chazelle.

Et sinon :

  • « Nostalgia » de Mario Martone : Felice revient à Naples, sa ville natale, après quarante ans d’absence. Il vient pour sa mère, pour la revoir une dernière fois. Il doit ensuite retourner en Egypte où l’attend sa femme et où il a réussi sa vie. Mais Felice est envoûté par Naples, par ses ruelles étroites, par ses habitants accueillants, par ses souvenirs d’enfance qui lui reviennent en mémoire. Le quartier de la Sanità, où il a grandi, n’est pourtant pas qu’un lieu joyeux, l’ombre de la Camorra y plane toujours fortement. « Nostalgia » est un formidable film sur la puissance des origines, de l’enfance. Felice ne pense revenir que quelques jours à Naples mais il s’y enracine à nouveau. Il s’obstine à vouloir revivre ses souvenirs, à retrouver son ami d’enfance Oreste qui est pourtant devenu un dangereux chef mafieux. Une volonté de réconciliation, de retrouvailles l’habite si fortement qu’il ne voit plus la menace. Mario Martone nous offre de belles scènes d’humanité, de fraternité malgré la violence (comme celles qui se déroulent dans l’église d’un prêtre qui veut sauver la jeunesse de la Sanità). Le réalisateur sait également faire vivre, palpiter ce quartier pauvre de Naples. « Nostalgia » a des allures de tragédie grecque. Saisissant.
  • « Tàr » de Todd Field : Tàr est une cheffe d’orchestre au sommet de sa gloire qui dirige un orchestre philharmonique allemand. Entre masterclass, cours, répétition de la 5ème symphonie de Mahler, sa femme et sa fille, se dessine l’univers de Tàr où elle maitrise tout. Son talent force l’admiration de tous. Mais le comportement de Tàr est loin d’être irréprochable avec certaines jeunes musiciennes et cela pourrait remettre en cause sa si belle carrière. « Tàr » est le récit d’une chute, du passage de la lumière à l’ombre pour une femme brillante et arrogante. Le personnage, imaginé pour Cate Blanchett, n’est guère sympathique : froid, hiératique et dominant tout le monde. La maîtrise est sans doute ce qui la caractérise le mieux. C’est pourquoi Tàr perd pied quand son destin lui échappe. Subtilement, la réalité se fissure et se montre, par petites touches, menaçantes. Cate Blanchett est fascinante à regarder, sa prestation est impeccable. Même si le film impressionne, je l’ai trouvé un peu long (2h38), la chute de Tàr met un peu trop de temps à s’enclencher et la fin en Asie s’éternise également un peu.
  • « Les survivants » de Guillaume Renusson : Après un terrible drame, Samuel retourne dans son chalet isolé dans les Alpes italiennes. Il y découvre Chehreh, une migrante qui s’est réfugiée chez lui pour se protéger du froid. Samuel, qui semble totalement déprimé, va décider d’aider la jeune femme à rejoindre la France où son mari doit l’attendre. « Les survivants » est le premier film très réussi de Guillaume Renusson. Le passage de frontière se transforme en une traque tendue. Samuel et Chehreh sont poursuivis dans les montagnes par des individus rejetant violemment l’immigration. Les paysages enneigés ne sont pas les seuls à être hostiles. Denis Menochet, toujours impressionnant physiquement, et Zar Amir Ebrahimi incarnent deux personnages qui n’auraient jamais du se croiser mais qui vont chacun sauver la vie de l’autre. L’entraide est ici le cœur du film et elle dépasse les frontières, la barrière de la langue. Elle permet également à Samuel de retrouver son humanité, son empathie pour les autres.
  • « L’immensità » d’Emanuele Crialese : Clara est une femme resplendissante, enjouée et aimante envers ses trois enfants. Ils aiment regarder ensemble des émissions de variétés. Derrière la façade de famille heureuse, se cache une femme malheureuse, sous la coupe de son mari. Comme les épouses des années 70, Clara est une potiche que son mari exhibe chez ses amis. Les trois enfants ressentent le mal-être de leur mère, sa fragilité. C’est surtout le cas d’Adri, l’aînée de la fratrie, qui vit elle-même un moment charnière où elle découvre son homosexualité. « L’immensità » est le portrait poignant de Clara, qui fait de moins en moins face, et celui d’Adri qui s’affirme. Emanuele Crialese nous offre une chronique familiale aussi tendre, joyeuse (la scène où Clara met la table avec ses enfants en chantant) que mélancolique. Penelope Cruz est à nouveau formidable de délicatesse, d’émotion, sa performance est intense comme celle de la jeune Luana Giuliani.
  • « Les cyclades » de Marc Fitoussi : Adolescentes, Blandine et Magalie s’étaient promises d’aller ensemble à Amorgos, l’île grecque où se déroulait « Le grand bleu ». Elles se sont ensuite perdues de vue. Elles vont se retrouver grâce au fils de Blandine qui veut aider sa mère à sortir de sa dépression  post-divorce. Il retrouve Magalie et programme un voyage en Grèce pour les deux femmes. La comédie de Marc Fitoussi tient dans l’opposition de caractère entre les deux amies. Blandine est austère, prudente, éteinte alors que Magalie est solaire, insouciante et exubérante. Bien sûr les deux femmes se révèleront plus complexes que ce qu’il parait. Leur voyage, semé de péripéties et de rencontres improbables, oscillera entre fantaisie et émotion. « Les cyclades » doit beaucoup à ses comédiennes, parfaites dans leur rôle respectif : Olivia Côte et Laure Calamy. S’ajoute à ce duo savoureux Kristin Scott Thomas que l’on a plaisir à retrouver. Une jolie comédie sur l’émancipation et l’amitié.

Bilan livresque et cinéma de novembre

Novembre

Le temps passe décidément trop vite et décembre est déjà là. Il est donc temps de tirer le bilan de novembre. Six livres sont venus s’ajouter à la liste de mes livres lus. J’ai retrouvé l’un des mes auteurs préférés Jonathan Coe avec son « Royaume désuni », portrait lucide de son pays ; j’ai également lu le dernier roman de Sally Rooney « Beautiful world where are you » qui est plaisant à lire même si je ressens toujours une distance avec les personnages. J’ai découvert deux auteurs très différents : Kristina Kahakauwila, une jeune autrice hawaïenne, et Jurica Pavicic, un auteur croate. Je vous parle très prochainement du très beau et touchant roman de Wendy Delorme et Fanny Chiarello et de l’imposante biographie de Thomas Mann écrit par Colm Toibin.

Côté cinéma, j’ai vu des films très intéressants et je vous conseille en priorité « Le serment de Pamfir » et « Armageddon times » :

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Leonid, surnommé Pamfir (ce qui signifie pierre), revient vivre en Ukraine auprès de sa femme et de son fils. Il était parti travailler en Pologne pour fuir les trafics et la contrebande que tout le monde pratique dans sa région d’origine. Leonid veut être un homme honnête et présent pour sa famille qu’il chérit. Malheureusement, il va être rattrapé par son destin et il va devoir replonger dans les magouilles des mafieux locaux.

« Le serment de Pamfir » est le premier film de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk ce qui surprend tant il est maitrisé. Visuellement, le réalisateur nous offre des images saisissantes et frappantes : mouvements de caméra virtuoses, ambiance forte et marquante (carnaval où les hommes portent des masques d’animaux, couleurs vibrantes et flamboyantes). Les scènes d’ouverture et de fermeture sont incroyables et véritablement frappantes. L’intrigue se situe entre le film noir et le drame antique. Leonid est une sorte de dieu païen invincible (il faut le voir se battre contre dix hommes en même temps) et qui se sacrifie pour l’avenir de son fils. Oleksandr Yatsentyuk, qui l’incarne, est incandescent. « Le serment de Pamfir » est une tragédie, un récit familial sombre et universel sur fond de carnaval de Malanka, un très grand film à ne pas rater.

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Début des années 80 dans le Queens, Paul est un jeune garçon rêveur et turbulent. A l’école, il rencontre Johnny avec qui il va faire les 400 coups (un clin d’œil au film de Truffaut est présent dans le film). Paul est plus intéressé par le dessin que par les bancs de l’école ce qui crée de fortes tensions au sein de sa famille. Heureusement, le grand-père maternel de Paul est bienveillant, attentif et compréhensif.

Dans son dernier film, James Gray aborde sa jeunesse de manière poignante. L’évocation de sa famille est un mélange  de tendresse et de douleur. Le père n’est pas toujours tendre avec ses deux fils, la mère aimante est aussi infiniment triste, les grands-parents racontent régulièrement le destin tragique de leur famille juive ashkénaze. Mais le plus marquant dans le film est l’amitié entre Paul et Johnny. Le premier découvre l’injustice et les effets du racisme puisque son ami est noir et pauvre. James Gray nous raconte également le basculement de l’Amérique vers l’ultralibéralisme : Reagan est sur le point d’être élu et la famille Trump est à la tête de l’école privée où Paul va être contraint d’aller. Le réalisateur nous propose à nouveau un film remarquable et profondément mélancolique.

Et sinon :

  • « Ariaferma » de Leonardo Di Costanzo : Une prison perdue au milieu des montagnes sardes va bientôt fermer ses portes en raison de sa vétusté. Tous les prisonniers doivent être transférés dans d’autres établissements. Mais un imprévu va obliger le gardien chef Gargiulo à rester dans la prison avec d’autres collègues pour surveiller douze détenus. Ces derniers seront rassemblés au centre de la prison, dans une rotonde plus facile à surveiller. La tension va rapidement monter et se cristallise sur la nourriture. Le cuisinier étant parti, tout le monde mange des plats cuisinés que les prisonniers trouvent infâmes. Ils entament alors une grève de la faim. Leonardo Di Costanzo a réalisé une sorte de fable à l’atmosphère particulièrement réussie. Les images de la prison isolée dans le paysage, des cellules désaffectées contribuent à cette dernière. Le huis-clos montre l’opposition entre les prisonniers et leurs gardiens rapidement mis en difficulté. Celui qui mène la danse se nomme Lagioia (et il en montre peu !). Il est froid, austère, peu démonstratif et il va affronter Gargiulo. Le gardien va proposer de s’affranchir des règles, d’assouplir, durant une parenthèse, les relations entre les deux groupes. Ce qui se passe entre les deux protagonistes est impalpable, une étrange relation semble se nouer entre eux. Le rapport de force se transforme subtilement. « Ariaferma » doit également beaucoup à ses deux interprètes principaux : Toni Servillo (un habitué de Paolo Sorrentino) et Silvio Orlando (souvent débonnaire chez Nanni Moretti), parfaits tous les deux.
  • « Poulet frites » de Jean Libon et Yves Hinant : Dans un appartement miteux est retrouvé le corps de Farida, égorgée avec un couteau à pain. Le suspect idéal est trouvé en la personne d’Alain, voisin et ex de la victime, un toxicomane au casier judiciaire bien rempli. Il n’a aucun souvenir de la soirée du meurtre. Heureusement pour lui, l’enquête est menée par le flegmatique et rigoureux commissaire Le Moine. « Poulet frites » est l’œuvre de deux anciens acolytes de Strip-tease qui nous avait déjà offert le formidable « Ni juge, ni soumise » en 2019. La juge Anne Gruwez est d’ailleurs en charge de l’enquête. Celle-ci s’est déroulée en 2002-2003. Le travail de la police judiciaire de Bruxelles est exemplaire, allant jusqu’au bout des moindres pistes pour découvrir la vérité et ne se laissant pas influencer par de simples apparences. Comme toujours avec strip-tease, ce documentaire est un mélange de truculence (mention spéciale à Alain, totalement à côté de la plaque) et de profonde humanité qu’il serait dommage de manquer.

Bilan livresque et cinéma d’octobre

Octobre

Après une rentrée mouvementée, je reprends un rythme de lecture plus normal avec six livres lus. J’ai déjà pu vous parler du foisonnant et passionnant « Lorsque le dernier arbre » de Michael Christie, du très juste et pertinent premier roman de la journaliste Pascale Robert-Diard « La petite menteuse », de « Une passion mélancolique selon Frida Kahlo » de Christine Frérot qui permet de découvrir la vie fascinante de Frida Kahlo et Diego Rivera et de la lecture parfaite pour l’automne avec « Griffes » de Malika Ferdjoukh. J’aurais l’occasion de vous parler très bientôt de deux livres bouleversants et marquants : « Quand tu écouteras cette chanson » de Lola Lafon et « Les enfants endormis » d’Anthony Passeron. Ce dernier roman est pour le moment ma lecture préférée de cette rentrée littéraire 2022.

Égalité parfaite au niveau du cinéma puisque j’ai également vu six films et l’un d’eux se détache nettement, il s’agit de « L’innocent » de Louis Garrel.

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Sylvie, la soixantaine, est professeur de théâtre en milieu carcéral. Elle y rencontre Michel dont elle tombe amoureux. Tous les deux se marient en prison. Au grand désespoir d’Abel, le fils de Sylvie, qui a déjà vu sa mère se laisser embobiner par des taulards. Après la prison, Michel et Sylvie décident d’ouvrir un magasin de fleurs. Le local apparaissant comme par magie, Abel se met à espionner les faits et gestes de son beau-père.

Le réjouissant nouveau film de Louis Garrel mélange comédie romantique et film de braquage. La combinaison des deux genres  peut sembler étonnante mais l’équilibre entre les deux est parfait. Il faut dire que le réalisateur a collaboré avec mon cher Tanguy Viel pour écrire le scénario. L’intrigue mêle péripéties rocambolesques, filatures ridicules, caviar, tendresse et déclaration d’amour incongrue. La fantaisie et le légèreté sont les maîtres mots qui rythment cette comédie extrêmement plaisante. Louis Garrel nous offre également un casting irrésistible : Anouk Grinberg pétillante et fantasque, Noémie Merlant prête à tout pour sortir Abel de sa déprime et Roschdy Zem au charme imparable. « L’innocent » est un régal, une comédie parfaitement réussie où les acteurs semblent follement s’amuser.

Et sinon :

  • « L’origine du mal » de Sébastien Marnier : Stéphane, ouvrière dans une conserverie de poissons, a retrouvé son père biologique. Après leur rencontre, Serge l’amène dans sa somptueuse villa sur une presqu’île de la Côté d’Azur. Il y vit avec son extravagante et dépensière femme, sa fille aînée George austère et peu accueillante, sa petite fille accro à son appareil photo et la bonne Agnès. Diminué par un AVC, Serge se méfie comme la peste de ses femmes qui cherchent à le placer sous tutelle. Il compte sur Stéphane pour empêcher cela. « L’origine du mal » fait irrésistiblement penser au cinéma de Claude Chabrol pour son atmosphère vénéneuse et l’immoralité de certaines scènes. Ce thriller, au sein de cette famille recomposée, fonctionne formidablement bien et joue sans cesse avec les apparences (qui sera l’allié de qui ? les mensonges de Stéphane sur ses origines sociales). Le casting est absolument parfait : Jacques Weber en ogre, Dominique Blanc en collectionneuse maladive (tous ses achats donnent un côté inquiétant et étouffant à la villa), Laure Calamy en personne trouble, Doria Tillier méprisante à souhait. La famille, terreau de toutes les monstruosités, est ici décortiquée avec ironie et noirceur.
  • « Reprise en main » de Gilles Perret : En Haute-Savoie, un homme escalade sans assurance une falaise à pic. Cet homme, c’est Cédric qui travaille dans une usine de mécanique de précision. Très attaché à sa vallée et à son entreprise où travaillait déjà son père, il est outré lorsqu’il apprend que l’usine va être rachetée par un groupe financier. Licenciements, conditions de travail malmenées, outils de production non remplacés, voilà l’avenir qui se dessine pour les salariés. Cédric décide alors, avec deux amis d’enfance, de créer son propre fonds d’investissement pour racheter son entreprise. « Reprise en main » est une comédie sociale dans l’esprit de « The full monty ». La solidarité entre hommes, la volonté de garder la tête haute, l’humour s’y conjuguent pour nous faire passer un moment sympathique. Comme dans le film anglais, le casting est savoureux : Pierre Deladonchamps, Grégory Montel, Laëtitia Dosch, Rufus, Finnegan Oldfield donnent du relief à cette histoire bourrée d’optimisme.
  • « RMN » de Cristian Mangiu : Matthias revient précipitamment dans son village de Transylvanie. Il a frappé son chef en Allemagne après que celui-ci l’avait traité de sale gitan. L’ambiance au village n’est pas très accueillante : sa femme veut garder ses distances, son fils est devenu mutique après une vision traumatisante en forêt. Matthias tente de se réconforter dans les bras de Csilla, son ancienne maîtresse. Cette dernière travaille dans les ressources humaines pour la seule entreprise encore dynamique : une boulangerie industrielle. Ne trouvant pas de candidats à l’embauche dans le village, elle fait venir deux travailleurs sri lankais. Mais les deux étrangers sont très mal perçus et font naître une vague de xénophobie dans le village. Cristian Mangiu s’est inspiré d’un fait divers pour réaliser son nouveau film. Le village, paupérisé, mélange les peuples : hongrois, allemands côtoient les roumains mais la moindre étincelle peut faire resurgir les tensions. ces communautés trouvent un ennemi commun avec les deux sri lankais. La peur de l’autre, le racisme traversent tout le film et montre que l’on peut rapidement devenir « l’autre » de quelqu’un. Le réalisateur contextualise parfaitement le problème (social, religieux, historique) et nous offre un moment saisissant avec la réunion de l’ensemble des habitants débattant du problème. Le film est sombre, sans jugement moralisateur, j’aurais seulement un bémol sur la fin dont je n’ai pas bien saisi la portée.
  • « La conspiration du Caire » de Tarik Saleh : Adam est le fils d’un modeste pêcheur du nord du pays et il vient d’être accepté à la prestigieuse université cairote al-Azhar. Peu après son arrivée, le grand imam d’al-Azhar décède. Ce personnage influent doit être remplacé au plus vite et les services secrets veulent placer leur candidat. Pour influer sur l’élection de l’imam, un officier choisit Adam comme taupe au sein de l’institution religieuse. J’avais beaucoup apprécié « Le Caire confidentiel », le précédent film de Tarik Saleh. Le réalisateur continue à nous montrer la part sombre de son pays qu’il a du quitter sur ordre des services de sécurité. Tout n’est ici que manipulation, utilisation des étudiants à des fins politiques, trahison et coups tordus. Le naïf Adam ne va pas le rester longtemps et il se révèlera très habile à ce jeu de dupes. Les services secrets font régner la terreur et surveillent chacun. Un film sombre entre thriller et film d’espionnage.
  • « Un beau matin » de Mia Hansen-Love : Sandra, traductrice, doit se résoudre à placer son père dans un Ehpad. Ancien professeur de philosophie, Georg est atteint d’une maladie dégénérative qui le prive de la vue et brouille de plus en plus ses idées. Sandra et sa sœur accompagnent leur père et lui cherchent l’institution la plus bienveillante. En parallèle, la jeune femme recroise la route de Clément avec qui elle entame une liaison. « Un beau matin » aborde, avec beaucoup de douceur, le thème de la fin de vie et la difficulté à trouver le lieu adapté à la pathologie de Georg. Se pose également la question de la trace laissée par la personne qui disparaît. Ici, Sandra ne peut se résoudre à voir disperser la bibliothèque de son père qui représente toute sa vie. « Un beau matin » n’a pas l’ampleur du précédent film de Mia Hansen-Love mais il nous montre avec délicatesse le quotidien de son héroïne et sa douleur face à la maladie de son père.

Bilan livresque et cinéma d’août

Comme chaque année, les vacances d’été sont une excellente occasion de faire baisser ma pal. 14 lectures ont occupées mes journées caniculaires. J’ai déjà eu l’occasion de vous conseiller « Moon river » du toujours hilarant Fabcaro, la fabuleuse « Céleste » de Chloé Cruchaudet, le délicat premier roman de Léna Paul-Le Garrec, le réjouissant cosy crime « Madame Mohr a disparu » et l’addictif nouveau roman de l’inventif Stuart Turton. Je ne vais pas vous détailler maintenant les autres livres lus, sachez seulement qu’aucun ne m’a déçue et que j’ai eu à nouveau un coup de cœur pour le travail de Tristan Saule et que la découverte de David Park m’a profondément marquée. 

Côté cinéma, je n’ai qu’un seul film à vous recommander :

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Aimé est le souffre-douleur de son collège. Solitaire par la force des choses, il regarde avec envie la bande formée par Cat, Fouad, Antoine et Sami. Il est donc le premier surpris lorsqu’ils lui proposent de se joindre à eux. Mais ces quatre là ont besoin d’Aimé pour réaliser leur projet fou : incendier l’usine du coin qui pollue la rivière depuis des années. Le groupe vote démocratiquement chacune de leur action mais à quatre les votes à égalité se multiplient. Aimé sera là pour les départager.

« La petite bande » est une comédie attachante et réjouissante. Nos cinq aventuriers nous enchantent à chaque plan. Les jeunes acteurs sont d’un naturel, d’une spontanéité et d’une énergie épatants et l’entente entre eux paraît une évidence. La cause qu’ils veulent servir est belle et louable. Mais ce sont des adolescents et leurs motivations se révéleront moins nobles mais de leur âge ! La gravité n’est pas longtemps de mise dans l’extraordinaire petite bande composée par Pierre Salvadori. Il la plonge dans la beauté des paysages corses qui forme un cocoon, un terrain de jeu idéal. C’est pétillant, vivant, drôle, ‘La petite bande », ode à la nature et à l’amitié, fut une bouffée d’air frais bien venue durant les fortes chaleurs. 

Bilan livresque et cinéma de juillet

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L’été est propice aux lectures et dix livres m’ont occupée durant le mois de juillet. J’ai achevé la formidable et addictive saga Blackwater, été à nouveau conquise par la plume d’Olivier Mak-Bouchard, ri  aux déconvenues du héros de « Samouraï » de Fabrice Caro, découvert un classique de la littérature anglaise avec « Un mois à la campagne » et l’autobiographie de la recluse Elisavet Moutzan-Martinengou,  mis les voiles avec Martin Dumont sur une île, partagé le destin douloureux de « Nêne » et de l’héroïne de « Tout ce que nous allons savoir », ai filé en sauvagine dans les bois du Kamouraska avec Gabrielle Filteau-Chiba et rencontré la solaire « Madame Hayat ».

Côté cinéma, voici mes trois films préférés du mois dont deux ont en commun leur actrice principale, Marina Foïs :

La Nuit du 12_resultat

Clara quitte une soirée entre copines et rentre à pieds chez elle. Elle n’y parviendra jamais. Clara est brûlée vive en pleine nuit. La police judiciaire sera chargée de l’enquête avec à la tête de celle-ci Yohan, inspecteur, et son équipe. Le travail de la police ouvre de nombreuses pistes sans pour autant que l’identité du coupable ne surgisse. Bientôt, Yohan est obsédé par l’histoire de Clara.

« La nuit du 12 » n’est pas un polar ordinaire. Dès l’ouverture, le spectateur est prévenu : le coupable ne sera jamais identifié malgré le travail acharné de la P.J.. L’intérêt du film est donc ailleurs. Tendu et sombre, il montre comment Yohan va être ébranlé par cette enquête et pas uniquement parce qu’il ne trouve pas l’assassin de Clara. Les interrogatoires, la manière horrible de tuer la jeune fille, les à priori sur sa vie sexuelle vont amener Yohan à questionner son point de vue masculin. Ce sont toujours les femmes que l’on immole par le feu et ce sont majoritairement les hommes qui tuent. Et la police est essentiellement constituée d’hommes… Yohan finit par conclure que tous les hommes fréquentés par Clara auraient pu la tuer. L’inspecteur est parfaitement incarné par Bastien Bouillon, taiseux, méticuleux et vacillant face à la violence de ce féminicide. Poignant, glaçant et réaliste, « La nuit du 12 » est une réussite.

 

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Antoine et sa femme Olga ont quitté la France pour s’installer dans les montagnes reculées de la Galice. Ils ont changé de vie pour se consacrer à la culture maraîchère écoresponsable. Ils retapent également bénévolement de vieilles maisons en espérant faire revenir des habitants dans le village. Mais leurs bonnes intentions ne sont pas bien vues par tous. Leurs voisins, deux frères et leur mère, détestent ces français qui se croient chez eux. Leur différend se cristallise autour de l’installation d’éoliennes. Antoine et Olga sont contre, leurs voisins sont pour et ils espèrent quitter le village grâce à l’argent reçu avec les éoliennes. La tension existante entre eux ne tarde pas à tourner à la persécution.  

Si vous ne devez voir qu’un seul film ce mois-ci, allez voir le formidable film de Rodrigo Sorogoyen. La scène d’ouverture est sidérante : des hommes maîtrisent un cheval sauvage. Une autre scène glaçante lui fera écho dans le film. Les deux soulignent la noirceur, la violence et la rage qui règnent dans le village espagnol. « As bestas » se divisent en deux parties qui donne tour à tour sa place à Antoine et Olga. Le premier, interprété par Denis Ménochet, incarne la force, il est imposant et tout en hargne rentrée. Olga, jouée par Marina Foïs, cache une solidité et une détermination incroyables derrière un calme froid. Les deux acteurs sont brillants. Le film est également intéressant par son réalisme et par son inscription dans des thématiques très actuelles comme la mutation du monde rural. L’ensemble donne un film passionnant, inquiétant, noir et au casting remarquable (Luis Zahera, qui joue un des voisins, fait froid dans le dos). 

 

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Louise, une infirmière quadragénaire, est exténuée. Elle est tellement au bout du rouleau qu’après avoir déplacé sa voiture, elle n’arrive plus à en sortir. Une crise d’angoisse l’empêche de mettre un pied dehors. Le soir, alors qu’elle dort dans sa voiture, un cambrioleur essaie de lui voler son véhicule. Malgré la présence de Louise, Paul décide quand même de piquer la voiture. Il en a besoin pour descendre au Cap ferret où vit le responsable de la mort de son frère.

Le premier film de Didier Barcelo est attachant et plein de charme. Le réalisateur nous propose un road-movie plein de fantaisie, d’humour et de mélancolie. Le sel du voyage va notamment résider dans les rencontres incongrues : une autostoppeuse complotiste et sensible aux ondes, un homme âgé qui ne veut pas aller à l’hôpital, un psychologue ou presque qui essaie d’aider Louise à quitter son véhicule (un formidable numéro d’acteur de Jean-Charles Clichet). L’alchimie, la complicité entre Marina Foïs et Benjamin Voisin sont visibles à l’écran. C’est un régal de les regarder évoluer entre piques ironiques et tendresse. Benjamin Voisin est à nouveau d’un naturel désarmant. « En roue libre » se regarde avec grand plaisir, entre légèreté et émotion, j’ai été séduite par ce road-movie à la française.

Et sinon :

  • « El buen patròn » de Fernando Léòn de Aranoa : Juan Blanco est le patron d’une usine de balances qu’il a hérité de son père. Il se veut un patron bienveillant, paternaliste avec ses employés. L’image lui importe beaucoup et son entreprise est bien gérée. Cela lui a valu de gagner de nombreux prix et elle est à nouveau en lice pour en remporter un. Les choses vont se compliquer quand un salarié licencié s’installe en face de l’usine avec porte-voix et banderoles insultantes. « El buen patròn » est une comédie sociale grinçante qui montre un patron prêt à de nombreuses compromissions avec la morale pour sauvegarder les apparences. Le film nous montre Juan Blanco durant une semaine qui va se révéler calamiteuse. Ses choix s’avèrent des plus mauvais et ne font qu’envenimer la situation. Roublard, aussi froid qu’il sait être mielleux, Juan Blanco est génialement interprété par Javier Bardem. On ne sait s’il faut le plaindre ou se féliciter de ses déboires mais la satire est réussie.
  • « Dédales » de Bogdan George  Apetri : Cristina est une jeune novice qui doit prendre un taxi pour se rendre à l’hôpital depuis son couvent campagnard. Le départ doit se faire en catimini car Cristina ne souhaite pas révéler la raison de celui-ci aux autres sœurs. Malheureusement, la jeune femme ne reviendra jamais dans son couvent. Son destin va basculer dans la violence et la brutalité. « Dédales » est un polar marquant et surprenant. Bogdan George Apetri révèle petit à petit les secrets de Cristina mais également ceux de l’inspecteur Marius Preda qui va enquêter sur ce qui est arrivé à la jeune femme. Ce dernier a des méthodes peu orthodoxes, il est prêt à tout pour confondre celui qui semble coupable. Son obstination rageuse va être à l’origine d’une étonnante boucle temporelle révélatrice de ce qu’il souhaite profondément. Le réalisateur roumain maîtrise sa mise en scène ( la scène terrible, où le destin de Cristina bascule, en est la preuve). « Dédales » est un film d’une noirceur implacable.
  • « Les minions 2 » : Gru, enfant, tente d’intégrer la bande des Vicious Six pour devenir, comme eux, un super-méchant. Mais ils le rejettent avec mépris et raillerie, comme ils l’avaient fait pour leur fondateur, trop âgé. Les deux outsiders vont leur prouver qu’ils ont eu tort de les écarter. « Les minions 2 » restent fidèle à un rythme survolté, les aventures s’enchainent pour notre plus grand plaisir. Les facéties et le babillage des minions fonctionnent toujours aussi bien. C’est drôle, enlevé et totalement réjouissant.

Bilan livresque et cinéma de juin

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Le mois de juin fut placé, comme chaque année, sous le signe de la littérature anglaise. Ce fut à nouveau un grand plaisir d’organiser ce mois anglais aux côtés de Lou et nous remercions chaleureusement les participants. En dehors des lectures dont je vous ai déjà parlées, j’ai eu le plaisir de découvrir deux autrices : Gabrielle Filteau-Chiba avec « Encabanée » et Mariette Navarro avec « Ultramarins. J’ai également pu poursuivre la lecture de la série Blackwater de Michael McDowell, une saga populaire et totalement addictive !

Du côté du cinéma, voici mes deux films préférés :

Nitram

Nitram est un jeune homme décalé, en marge. Il vit toujours avec ses parents qui semblent incapables de gérer leur fils étrange et parfois inquiétant. Instable, il ne trouve pas de travail mais s’improvise parfois jardinier. C’est ainsi qu’il croise la route d’une héritière vieillissante et solitaire qui le prend sous son aile. Tous deux vivent ensemble et nouent un lien bizarre. La mort de l’héritière va faire totalement basculer Nitram dans la folie. 

Justin Kurzel s’est inspiré d’un fait divers réel : en 1996 à Port Arthur, un déséquilibré a tiré sur la foule, tuant 35 personnes et faisant de nombreux blessés. Le film montre le parcours d’un jeune homme lunaire, un peu dérangé qui n’est pas compris et accompagné par sa famille. Nitram semble très seul, pouvant laisser libre court à ses délires. Le film met mal à l’aise, l’ambiance est poisseuse, sombre. Cela est du à la réalisation de Justin Kurzel mais aussi à l’interprétation de Caleb Landry Jones qui avait reçu le prix d’interprétation à Cannes en 2021. Un film glaçant et percutant. 

I am your man

Alma est spécialiste de l’écriture cunéiforme. Pour financer ses recherches, elle accepte de tester pendant trois semaines un androïdes, prénommé Tom, qui doit correspondre à son idéal masculin. Mais Alma n’a pas très envie de jouer le jeu et ne se laisse pas séduire facilement. Les tentatives romantiques, comme un bain à la bougie, de Tom tombent toutes à l’eau. Pourtant, au fil des jours, le robot semble s’adapter au caractère imprévisible, et non programmé, des humains qui l’entourent.

« I’m your man » est une comédie romantique originale et pleine de charme. Maria Schrader a écrit un très beau et sensible portrait de femme, incarnée avec beaucoup de talent par Maren Eggert. Alma est une femme indépendante pour qui le bonheur n’est pas une fin en soi. Le film souligne la complexité de l’être humain, ses aspirations qui vont bien au-delà d’un simple algorithme. Mais il questionne également l’amour, la mémoire, notre insatisfaction perpétuelle. Dan Stevens est impeccable et crédible en androïde. « I’m your man » est un film délicat, profond et qui nous offre de beaux moments de poésie. 

Et sinon :

  • « The duke » de Roger Mitchell : 1961, Kempton Bunton, chauffeur de taxi sexagénaire et militant de gauche, réussit à dérober le portrait du duc de Wellington peint par à Goya et présenté à la National Gallery. Sa revendication pour rendre le tableau : que les personnes âgées ne paient plus de redevance t.v ! Cette comédie est inspirée d’une histoire vraie et le procès de Kempton Bunton fit grand bruit dans la presse. Le personnage est plein d’humour et de fantaisie. Le film de Roger Mitchell met en scène deux grand acteurs britanniques : Helen Mirren et Jim Broadbent, un régal de les regarder évoluer sur grand écran. 

 

  • « Petite fleur » de Santiago Mitre : José est un dessinateur de BD argentin qui s’est installé en France avec sa femme et leur bébé. Il peine à trouver l’inspiration au fin fond du Massif Central. Il fait alors connaissance avec Jean-Claude, leur voisin amateur de jazz. Dandy chaleureux et bavard, il finit par taper sur les nerfs de José qui l’assassine au son du Petite fleur de Sydney Bechet. Le problème, c’est que Jean-Claude réapparait quelques jours après. Santiago Mitre réalise ici une comédie réjouissante, une fable noire et drolatique. L’univers de « Petite fleur » m’a beaucoup fait penser à la fantaisie de Raoul Ruiz. La présence de Melvil Poupaud ne fait que renforcer cette comparaison et sa prestation est extrêmement savoureuse en voisin qui ne meurt jamais. « Petite fleur » est une comédie décalée, absurde et pleine de charme. 

 

  • « Men » de Alex Garland : Harper a loué une maison à la campagne anglaise pour se remettre d’un évènement traumatique. Loin d’être reposantes, ses vacances vont rapidement se transformer en cauchemar. Le village semble être habité par des hommes toxiques, pervers er voyeurs. Harper, qui a été maltraitée par son ancien petit ami, devient une proie. « Men » est un film d’horreur au message politique un peu trop appuyée. Tous les personnages masculins du village sont joués par un seul et même acteur, Rory Kinnear, comme si tous les hommes étaient dangereux et menaçants pour Harper. L’ambiance est de plus en plus angoissante et le film se clôt par une scène hallucinante, digne de David Cronenberg. Même si le film est parfois maladroit, il faut saluer les prestations de ses deux acteurs : Jessie Buckley et Rory Kinnear. 

 

  • « Incroyable mais vrai » de Quentin Dupieux : Marie et Alain deviennent propriétaires d’une maison un peu vieillotte mais qui possède un passage secret aux pouvoirs étonnants. Marie devient rapidement totalement obsédée par ce tunnel alors qu’Alain ne s’y intéresse pas. Comme toujours, Quentin Dupieux a de nouveau réalisé un film absurde er loufoque. Le sommet de « Incroyable mais vrai » réside dans une scène de repas où Maris et Alain reçoivent le patron d’Alain et sa petite amie. Je vous laisse découvrir ce qui sera révélé lors du diner. Le film de Quentin Dupieux questionne la virilité, la peur de vieillir et il est servi par un quatuor d’acteurs qui semble follement s’amuser : Léa Drucker, Anaïs Dumoustier, Alain Chabat et Benoit Magimel. 

Bilan livresque et cinéma de mai

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Huit romans et trois BD/roman graphique/manga se sont rajoutés en mai aux livres lus en 2022. J’ai déjà pu vous parler du formidable « Connemara » de Nicolas Mathieu. A part l’hilarante BD de FabCaro et le manga consacré à la relation d’un vieil homme et son chat, le reste de mes lectures s’inscrivent dans le cadre du mois anglais qui va commencer le 1er juin. Je vous reparle donc très prochainement des enquêtes de Jane Austen et des sœurs Brontë, de la vie fantasque de W. Somerset Maugham, du retour en enfance d’Elizabeth Von Arnim et de Lord Berners, d’un été sur l’ile d’Hydra avec Elizabeth Jane Howard et du dernier roman d’Elizabeth Day. Le dernier roman lu durant le mois de mai fut le tome 3 de la saga Blackwater, « La maison » et je l’ai dévoré en une journée. Je vous reparle de la série une fois que j’aurais lu les six volumes.

Mes films préférés du mois de mai sont :

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Alice hait son frère Louis et elle le lui a dit. Certes, elle le fait avec le sourire mais la phrase se révèle juste au fil des années. Le frère et la sœur, lui écrivain et elle comédienne, cessent de se voir, de se parler. Lorsque leurs parents sont victime d’un terrible accident, Alice et Louis vont avoir du mal à s’éviter dans les couloirs de l’hôpital.

Après « Tromperie », adaptation de Philip Roth qui ne m’avait pas convaincue, Arnaud Desplechin retourne à son thème de prédilection : la famille. La détestation entre un frère et une sœur était déjà au cœur de « Rois et reines » et d’un « Conte de Noël ». La rupture n’est ici jamais explicitée, on devine une rivalité entre Alice et Louis qui connaissent tous les deux le succès, une question d’orgueil et d’ego. Ce qui frappe, c’est la violence des sentiments qui animent les deux personnages : la scène d’ouverture où Louis met à la porte sa sœur et son mari venus lui présenter leurs condoléances après la mort de son fils, Alice qui hurle sur un pharmacien pourtant bienveillant. Le ton du film est grave, la mise en scène classique avec quelques fantaisies (Louis volant au-dessus des toits de Paris) et les deux interprètes principaux sont parfaits dans des rôles excessifs : Marion Cotillard, intense, Melvil Poupaud (que l’on voit beaucoup ces derniers temps pour mon plus grand plaisir) à fleur de peau. Mon seul bémol concerne les deux épilogues qui clôturent le film et qui ne me semble pas apporter grand chose à l’intrigue.

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Au début des années 80, Elisabeth vit avec ses deux enfants dans une tour du quartier Beaugrenelle. Son mari l’a quittée et elle peine à relever la tête. Elle n’a aucune expérience professionnelle et aucune confiance en elle. Pourtant, elle ose se rendre dans le studio de radio où s’enregistrent durant la nuit les émissions de Vanda Dorval qu’elle admire. Elle se fait engager pour répondre aux auditeurs et gagne ainsi un peu d’indépendance (financière et intellectuelle). C’est dans le studio qu’elle rencontre une jeune femme paumée, sans abri qu’elle décide d’aider.

Pourquoi un film vous touche plus qu’un autre ? Difficile de définir précisément ce qui m’a bouleversée dans « Les passagers de la nuit ». Mikhaël Hers insuffle beaucoup de nostalgie à son film qui, pourtant, est l’histoire d’une renaissance, d’une émancipation. Les moments heureux sont toujours furtifs semble nous dire le cinéaste, même s’ils se gravent dans la mémoire. Le film est également hanté par la figure de Pascale Ogier, étoile filante du cinéma français de cette époque. Noée Abita, qui interprète la jeune femme perdue, lui ressemble beaucoup et notamment dans la tonalité de sa voix. Charlotte Gainsbourg est très touchante, tout en timidité et en fragilité pour incarner Elizabeth. Le réalisateur nous offre également des images magnifiques de Paris à l’aube, la nuit, qui donnent un grain particulier à l’atmosphère du film.

Et sinon :

  • « Varsovie 83, une affaire d’Etat » de Jan P. : A Varsovie, le 14 mai 1983, un lycèen est arrêté par la police avec son meilleur ami sans raison apparente. Roué de coups au commissariat, sous les yeux de son ami, il meurt à l’hôpital suite à ses blessures. Sa mère est une opposante au régime, proche de Solidarnosc et elle va se battre pour que les assassins de son fils soient jugés. Le seul témoin est Jurek, l’ami de son fils, et l’Etat va tout faire pour étouffer l’affaire. Le film de Jan P. dure 2h40 mais à aucun moment il ne s’essouffle. La tension est constante et l’on ne cesse de s’inquiéter pour Jurek et la mère de son ami. La mécanique de la dictature du général Jaruzelski est bien connue mais elle est ici minutieusement détaillée. Chaque maillon de la chaine, qui veut faire taire les opposants, a son importance. Le réalisateur fait revivre cette époque, cette oppression avec beaucoup de force et nous rappelle que la menace reste très actuelle.
  • « Downton Abbey II : une nouvelle ère » de Simon Curtis : Il faut bien le reconnaître, même après six saisons et un premier film, c’est toujours un plaisir de retrouver la famille Crawley. Une nouvelle ère s’annonce et cela est matérialisé par le tournage d’un film sur le domaine de Downton. C’est la bonne idée du film qui rend un hommage savoureux à « Chantons sous la pluie ». Certains personnages, malchanceux et malheureux en amour, vont enfin trouver leur place. De l’humour, de l’élégance, de l’émotion et la toujours piquante Maggie Smith nous permettent de passer encore une excellent moment.
  • « Sentinelles sud » de Mathieu Gérault : Christian et Mounir sont revenus déboussolés d’Afghanistan. Le premier tente de retrouver une vie normale en bossant dans un supermarché. Le second préfère reprendre ses petits trafics. Mais une opération spéciale, qui eut lieu pendant la guerre, continue de les hanter et les empêche de tourner la page. Le film de Mathieu Gérault est tout entier tourné vers ses deux personnages centraux aux liens indéfectibles. Leur amitié, née avant la guerre, les soude même si cela signifie de plonger ensemble. Déboussolés, se débattant pour atteindre une forme de paix, ces deux personnages poignants sont formidablement interprétés par Niels Schneider er Sofian Khammes. S’ajoute à leur histoire, une intrigue sombre, noire à propos de l’opération spéciale qui donne encore plus d’ampleur au film.
  • « Et j’aime à la fureur » d’André Bonzel : André Bonzel collectionne les films amateurs. Pour raconter son histoire et celle de sa famille, il mêle les films de sa collection et ceux qu’il a réalisés depuis son plus jeune âge avec sa caméra Pathé-Baby. Il a de plus retrouver des images de son père qu’il n’avait jamais vues et qui remettent en perspective ses souvenirs. « Et j’aime à la fureur » est un documentaire très original, très touchant, mâtiné d’un humour caustique et de mélancolie. Il s’agit également d’un formidable hommage au cinéma, à la puissance des images. La musique originale de Benjamin Biolay magnifie l’ensemble.

Bilan livresque et cinéma d’avril

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Un mois d’avril qui est passé bien vite et qui est finalement un peu maigre du point de vue culturel : seulement cinq livres et cinq films à mon actif. Heureusement, aucune déception dans ce que j’ai lu et vu durant le mois. Jusqu’à maintenant, je ne vous ai parlé que du formidable et brillant roman de Dalmon Galgut « La promesse » que je vous conseille à nouveau chaudement. Autre très grand roman dont je vous parle très vite : « Une arche de lumière » où Dermot Bolger nous raconte l’incroyable destinée d’une femme libre. J’ai également poursuivi ma découverte de la saga Blackwater dont le deuxième tome m’a également beaucoup plu. « Pourquoi la vie » de Coline Pierré est une uchronie où la poétesse Sylvia Plath aurait raté son suicide, un livre lumineux dont j’ai trouvé le point de départ original. Enfin, j’ai achevé le mois d’avril avec le premier roman de Matthieu Zaccagna à la langue percutante et rythmée.

Et mes films préférés du mois sont :

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Sur une île croate paradisiaque, Julija, 17 ans, vit sous la coupe d’un père tyrannique. Elle l’aide à pêcher chaque matin, doit le servir lorsqu’il le demande et ne sort jamais. Sa mère, totalement résignée, ne la soutient pas lorsqu’elle tente de résister. Un élément perturbateur va venir accélérer l’envie d’émancipation de la jeune fille. Ancien patron de son père et ancien prétendant de la mère, ce millionnaire va séjourner sur l’île quelque temps. Le père veut lui vendre un îlot pour renflouer ses caisses. L’invité va surtout faire souffler un vent de liberté sur l’univers de Julija.

« Murina » est le très beau et réussi premier film d’Antoneta Alamat Kusijanovic. Le récit d’émancipation de Julija prend des allures de conte. Le père est à la fois un ogre et Barbe-Bleue, sa fille est une princesse attendant que l’on vienne la délivrer. Julija a également des allures de sirène, elle passe son temps en maillot de bain, toujours prête à s’esquiver dans l’eau. Gracija Filipovic incarne cette naïade avec naturel et justesse, formidable d’obstination pour sortir des griffes de son père. Les paysages sont splendidement filmés mais sous la carte postale de mer truquoise et de soleil éblouissant, la tension monte à l’image de la colère du père qui voit sa fille lui échapper. Gorgé de lumière, « Murina » est un premier film extrêmement prometteur.

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Chiara, 15 ans, vit à Gioia Taura, près de Reggio Calabria. Elle est une adolescente ordinaire qui aime sortir avec ses copines et passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux. Sa famille est très unie. Sa vie bascule lorsque son père est recherché par la police. A la stupeur de Chiara, il s’avère travailler pour la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise. Chiara a du mal à y croire et elle veut comprendre les choix de son père.

Le film de Jonas Carpignano nous plonge dans les méandres de la mafia du sud de l’Italie, une pieuvre qui contrôle tout et qui est devenue le quotidien de chacun, tout en restant cachée. C’est ce système que découvre Chiara à force de fouiller, de questionner et d’espionner les uns et les autres. A force de creuser, Chiara devient elle-même violente. La prise de conscience du monde dans lequel elle évolue, va la forcer à faire un choix impossible, à interroger les liens du sang. Le réalisateur a choisi de tourner son film avec des acteurs non professionnels et avec les membres d’une même famille. « A Chiara » est un film réaliste, sombre et percutant dont l’actrice principale, Swamy Rotolo, est touchante et intense dans sa quête de vérité.

Et sinon:

  • « Hit the road » de Panah Panahi : Le réalisateur iranien, fils de Jafar Panahi, nous raconte le road movie d’une famille allant à la frontière turque. Le fils aîné va quitter le pays clandestinement. Le contexte politique n’est jamais évoqué mais il pèse sur cette famille qui tente de rendre le voyage léger pour le petit dernier. « Hit the road » est un film plein d’énergie, de drôlerie (le petit dernier est un sacré numéro !) mais aussi de tristesse et de mélancolie à l’idée de la séparation. Les paysages iraniens sont à couper le souffle.
  • « En corps » de Cédric Klapisch : Le dernier film de Cédric Klapisch suit la trajectoire d’une jeune danseuse étoile qui se blesse sur scène. Energique, plein de fraicheur, « En corps » célèbre la danse, l’élan vital qui permet de se relever. Au plus près du mouvement des corps, le réalisateur nous livre un très beau film, sensible qui doit beaucoup à son interprète principale Marion Barbeau.
  • « Retour à Reims » de Jean-Gabriel Périot : A l’origine de ce documentaire est le texte de Didier Eribon qui racontait la honte de sa classe sociale et son parcours pour en sortir. Le réalisateur élargit le propos et nous montre l’évolution de la classe ouvrière des années 50 à nos jours. Mélange d’individuel et de collectif, le film est extrêmement intéressant et pertinent.

Bilan livresque et cinéma de mars

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Je n’ai pas lu autant que je l’aurais voulu au mois de mars et mon bilan est un peu maigre avec sept romans et une bande-dessinée. Après avoir aimé « Le miniaturiste » et « Les filles du lion », je me suis enfin décidé à lire le dernier roman de Jessie Burton (il faut dire que le lapin vert géant de la couverture du grand format a freiné mes ardeurs…). J’ai découvert récemment la plume de Vincent Almendros avec « Faire mouche » et j’ai prolongé ma découverte avec le formidable « Un été ». Pour lutter contre la morosité, j’ai lu le toujours hilarant Fabcaro avec « Moins qu’hier (plus que demain) » où il dépeint avec acidité la vie de couple. Le reste ne fut que découverte : délicieuse avec « La papeterie Tsubaki », intrigante avec le premier tome de la série Blackwater intitulé « La crue », réjouissante avec « La gitane aux yeux bleus », cinématographique avec « 24 fois la vérité » et totalement décevante avec « L’heure de plomb ».

Côté cinéma, j’ai ou voir sept films durant le mois de mars dont voici mes préférés :

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Phil est venu s’installer sur l’île de Lewis, au nord de l’Ecosse, depuis plusieurs années. Il travaille sur une exploitation agricole et vit seul. Un matin où le reste des habitants est à la messe, Phil fait un AVC sur une plage. Il est retrouvé à temps mais il s’avère qu’il a perdu la mémoire. Millie, la fille de son employeur, est sa référente à son retour sur l’île. Elle l’aide à retrouver ses marques et lui avoue qu’ils étaient amants avant son accident. Mais personne n’était au courant de leur liaison.

Bouli Lanners s’exile en Écosse pour son nouveau film en tant que réalisateur et dont il tient le premier rôle. Les paysages de l’île de Lewis sont magnifiquement mis en valeur. Mais le réalisateur nous fait également sentir l’étroitesse du lieu, de la communauté où Phil et Millie évoluent. Chacun se connaît et vit dans la discipline de l’Église presbytérienne. On sent le poids de celle-ci sur la vie de Millie, restée célibataire en raison de l’isolement et n’osant avouer à sa famille sa relation avec Phil. L’histoire d’amour, qui se noue entre ces deux solitaires, est un éveil, une chance inespérée d’illuminer leurs vies. Et c’est avec une délicatesse infinie, une grande douceur que Bouli Lanners nous montre la naissance de leurs sentiments. Les deux personnages sont touchants, tout en retenue et magnifiquement incarnés par Michelle Fairley et Bouli Lanners. Leur histoire est d’autant plus touchante que tous les deux ont dépassé la cinquantaine. « L’ombre d’un mensonge » est une très belle réussite, un drame romantique plein de pudeur et de tendresse.

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Fernand Iveton est ouvrier tourneur dans une usine à Alger. Il est né ici et ne supporte plus la manière dont est traitée la population arabe. En 1954, le jeune communiste décide de ne plus rester passif. Avec son ami d’enfance Henri, il s’engage pour que les Arabes aient plus de droit et de liberté. Fernand devra placer une bombe dans son usine qui produit de l’électricité. Elle est placée dans un local technique et ne doit exploser qu’après les heures de travail pour ne blesser personne. Le but est seulement de plonger Alger dans le noir. Malheureusement, la bombe est découverte et Fernand est arrêté, torturé et condamné à mort.

« De nos frères blessés » est évidemment un film politique qui rend hommage à Fernand Iveton, un héros ordinaire qui paya de sa vie son engagement. La guerre ne disait pas encore son nom mais la mascarade de procès montre bien qu’il fallait faire un exemple avec Fernand. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, François Mitterrand, n’aura d’ailleurs aucune pitié pour ce jeune idéaliste. Mais le film de Hélier Cisterne est également le récit d’une magnifique histoire d’amour entre Fernand et Hélène. Ces deux-là se rencontrent à Paris, Hélène a fui la Pologne et le communisme. Leurs idéaux s’entrechoquent mais l’attirance sera la plus forte. Leur amour s’épanouit sous le soleil d’Alger et ce malgré la violence qui gronde. Hélène restera un soutien sans faille pour Fernand. Ces deux personnages, insouciants puis tragiques, sont poignants, Vincent Lacoste et Vicky Krieps les incarnent idéalement. Sans pathos excessif, avec sobriété et intelligence, Hélier Cisterne nous offre un film militant qui sort de l’ombre Fernand Iveton et sa femme Hélène.

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Julie court sans cesse après le temps. Elle est une mère célibataire de deux enfants, vit dans une lointaine banlieue et travaille à Paris. Elle est première femme de chambre dans un palace. Chaque instant est compté et chronométré dans la vie de Julie. Sa vie se transforme en cauchemar lorsqu’une grève paralyse les transports en commun. Julie n’arrive plus à l’heure au boulot, pour récupérer ses enfants. La course effrénée se complique encore plus lorsqu’elle décroche un entretien pour un travail qui correspond mieux à ses qualifications.

« A plein temps » fait de la vie de cette femme seule, un véritable thriller social. Bosseuse acharnée, elle doit aussi trouver le temps de se consacrer à ses enfants, de les choyer malgré le manque d’argent du à une pension alimentaire qui tarde à venir. Eric Gravel filme son personnage en perpétuel mouvement et quasiment à bout de souffle. Julie est au bord du gouffre, elle s’épuise à force de vouloir tout conjuguer. Son destin chancelant, vacillant au moindre grain de sable nous touche forcément. Laure Calamy porte le film sur ses épaules et elle est une nouvelle fois admirable, incarnant avec force ce personnage.

  • « Petite nature » de Samuel Theis : Johnny a dix ans et il a déjà beaucoup de responsabilités. Il s’occupe de sa petite sœur, l’habille, l’amène à l’école. Il fait de même avec sa mère lorsqu’elle a trop bu. Celle-ci est seule avec ses trois enfants, travaille dans un tabac de l’autre côté de la frontière. Elle est maladroite, parfois brutale et s’appuie beaucoup trop sur Johnny. Ce dernier est remarqué par son nouvel instituteur, M. Adamski, qui détecte chez lui des capacités non exploitées. Cet adulte, qui lui prête attention, devient vite un objet de fascination et de désir. Le thème de ce film aurait pu être périlleux, parler du désir homosexuel naissant d’un enfant de dix ans était loin d’être un pari facile. Samuel Theis le réussit parfaitement avec pudeur et beaucoup de sensibilité. Les personnages ne sont jamais jugés, jamais pris de haut (c’est notamment le cas de la mère qui fait ce qu’elle peut et peine à sortir la tête de l’eau). Le film n’est jamais misérabiliste, jamais plombant malgré les difficultés avec lesquelles se débat Johnny. « Petite nature » est également le récit d’un apprentissage et d’une émancipation. Il faut saluer l’incroyable talent d’Aliocha Reinert qui crève l’écran et nous transporte. Le film de Samuel Theis parle avec justesse et empathie de l’éveil d’un jeune garçon qui apprend à assumer sa différence.
  • « Ali & Ava » de Clio Barnard : Ali et Ava vivent tous les deux à Bradford dans le Yorkshire et ils avaient pourtant peu de chance de se rencontrer. Ava travaille comme assistante d’éducation dans une école et c’est là que sa route croise celle d’Ali qui accompagne la fille de ses locataires. Rapidement, une entraide bienveillante nait entre eux, malgré leurs origines différentes et leurs goûts musicaux éloignés. Ce lien va devenir plus fort et Ava et Ali vont devoir affronter les préjugés, le rejet de leurs proches. J’avais énormément aimé le précédent film de Clio Barnard « Dark river » qui se déroulait déjà dans un Yorkshire âpre et rude. Dans « Ali & Ava », elle nous montre des communautés très cloisonnées, qui ne se mélangent pas. Ali est d’origine pakistanaise, il est en instance de divorce mais n’ose pas l’avouer à sa famille. Ava est mère et grand-mère et elle se sacrifie pour sa famille. L’histoire d’Ava et Ali est improbable, imprévue et c’est ce qui la rend si précieuse. Ils ont la cinquantaine ou presque et, comme dans le film de Bouli Lanners, la seconde chance qui leur est offerte est infiniment touchante. Le contexte social où ils évoluent est difficile, pesant et entrave leur histoire. Le film est délicatement optimiste et il doit beaucoup à ses deux acteurs rayonnants : Claire Rushbrook et Adeel Akhtar. La musique joue un rôle essentiel dans leur histoire (Ali est un ancien DJ) et irradie le film. « Ali & Ava » est un film réaliste, social mais il ne sombre pas dans la noirceur et nous offre un beau moment de cinéma lumineux et humaniste.
  • « Rien à foutre » de Emmanuel Marre et Julie Lecoustre : Cassandre, 26 ans, est hôtesse de l’air pour une compagnie low-cost. Son rythme de vie est effréné : entre vols et boîtes de nuit à Lanzarote où elle habite. Elle semble profiter pleinement des avantages  liés à son métier, ne se pose aucune question sur son avenir ou sur ses conditions de travail. Pourtant, Cassandre semble également habitée par une ultra-moderne solitude. Le premier film d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre a des airs de documentaire sur la vie de cette jeune femme. Adèle Exarchopoulos est de tous les plans, la caméra la suit pas à pas. Elle incarne son personnage avec un naturel confondant. Cassandre est en représentation permanente : dans sa tenue d’hôtesse de l’air comme dans celle de night clubeuse. Elle enchaîne les rencontres d’un soir. Le jour d’après ne semble pas exister pour elle. Le personnage est bien évidemment plus complexe qu’il n’y parait et la deuxième partie du film nous montrera qu’il s’agit là d’une fuite en avant. « Rien à foutre » est un film surprenant, montrant la vie d’une jeune femme qui brûle sa vie et refuse de réfléchir à l’avenir.
  • « Belfast » de Kenneth Branagh : Buddy a neuf ans et il a grandi à Belfast entouré de son grand frère et de ses parents aimants. En août 1969, les protestants veulent chasser les catholiques alors que les deux communautés arrivaient à vivre côte à côte. La famille de Buddy est protestante mais elle va subir la violence. Le père de famille, qui travaille en Angleterre, refuse de prendre partie et de se mêler au combat. La question de quitter Belfast se pose alors. Kenneth Branagh raconte ici son enfance à Belfast dans un noir et blanc soigné. Sa famille, ses parents surtout (incarnés par deux anciens mannequins : Jamie Dornan et Caitrona Balfe), est très idéalisée. Pour le reste du casting, Kenneth Branagh a eu la bonne idée de faire jouer les grands-parents par deux grands acteurs britannique : Judi Dench et Ciaran Hinds. L’ensemble est plaisant à voir, divertissant malgré la violence qui s’immisce dans le quotidien des habitants de Belfast. Et c’est sans doute là le défaut du film, tout est trop beau, trop lisse, trop propre pour provoquer la moindre émotion. Le destin du petit Buddy, forcé de quitter sa ville, ses grands-parents et la jeune fille dont il est amoureux, aurait du nous émouvoir profondément, ce ne fut pas le cas pour moi.