Hors d’atteinte de Marcia Burnier

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« Mais elle sait que quelques années après son départ, quand il était entré dans sa vie, il avait fini par la convaincre qu’elle avait peur de tout, tout le temps. Peur du froid. Peur d’être seule. Peur de ne pas savoir comment faire pour vivre. Qu’elle était une chose fragile, qu’il fallait protéger, isoler et enfermer, pour éviter qu’elle se blesse. Après cinq ans passés sous l’emprise  de son compagnon, Erin a tout quitté pour se réfugier dans les Pyrénées. Dans une maison isolée, elle pose ses bagages avec sa chienne Tonnerre. Loin de tout, elle va essayer de se reconstruire notamment grâce aux randonnées en pleine nature. Elle a grandi dans les Alpes mais ne pouvait retourner en montagne en raison de sa soit disant fragilité. En raison des brimades, des remontrances, Erin est devenue peu à peu invisible. Elle doit réapprendre à se faire confiance, a effacé la peur.

Après la rage des « Orageuses », j’ai retrouvé une Marcia Burnier plus apaisée dans « Hors d’atteinte ». Comme dans son premier roman, elle traite du thème des violences faites aux femmes. Mais ici point de vengeance mais une reconstruction qui se fait lentement, au rythme de la nature qui entoure Erin. Le roman est une ode à la nature, à sa beauté qui peut émerveiller mais surtout consoler. Le personnage principal du roman retrouve des sensations oubliées et redonne toute sa place à son corps malmené. La compagnie des animaux, Tonnerre et le chat Idéfix, l’aidera également sur le chemin de la guérison. Au fur et à mesure, les flash-backs de sa vie d’avant deviennent de moins en moins présents, preuve qu’Erin se sent mieux.

Comme chez Jean-François Beauchemin, la beauté du monde, de la nature sauvage peut aider à surmonter sa peine. L’héroïne du deuxième roman de Marcia Burnier l’expérimente et nous explorons avec elle les sublimes paysages des Pyrénées. L’autrice nous offre à nouveau un très beau portrait de femme qui fuit pour mieux se retrouver.

Les orageuses de Marcia Burnier

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« Ce qu’elles voulaient, c’était des réparations, c’était se sentir moins vides, moins laissées-pour-compte. Elles avaient besoin de faire du bruit, de faire des vagues, que leur douleur retentisse quelque part. » Mia, Nina, Lila, Inès et Lucie ont toutes subi des violences sexuelles. Face à l’inertie et à la lenteur du système judiciaire, elles ont décidé de se faire justice. Elles veulent retrouver leurs agresseurs pour qu’ils prennent la mesure de leurs actes et ainsi reprendre confiance. Des dégâts matériels, pas physiques, mais qui laissent une trace durablement dans l’esprit des hommes qui les ont brutalisées. Il faut que la peur change de camp.

« Les orageuses » est le premier roman de Marcia Burnier et il fut également le premier livre de fiction de la collection Sorcières des éditions Cambourakis. Ce court texte est marquant, c’est un cri de rage et de colère. L’ouverture est un coup de poing puisqu’elle nous plonge dans la tête d’Inès après son agression. C’est vers Mia qu’elle se tourne ensuite. La sororité est très forte dans ce roman. Les jeunes femmes se soutiennent, se réconfortent et surtout elles se comprennent. Leur force, c’est d’être ensemble.

« Les orageuses » est bien évidemment un roman engagé qui sensibilise sur le devenir des victimes. L’empathie que l’on ressent pour les héroïnes nous permet de mieux appréhender leur questionnement sur la justice, sur les réparations (sous quelle forme ? la vengeance rabaisse-t-elle ?), sur la façon de se reconstruire et de continuer à vivre. Leurs propos sont souvent radicaux, à la hauteur de leur souffrance. Le corps a une place essentielle dans le texte, il n’oublie rien des agressions et il est le lieu de toutes les angoisses et peur. Il a autant besoin de réparation que l’esprit. Le récit est âpre mais il permet la réflexion.

« Les orageuses » est un premier roman très réussi, à l’écriture saisissante, emprunte de la rage de ses héroïnes.

Tumeur ou tutu de Léna Ghar

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Tumeur ou tutu (tu meurs ou tu tues) sont les deux options qui s’offrent à la narratrice pour pouvoir continuer à vivre. Depuis l’âge de trois ans, elle cherche à déterminer, à nommer son profond mal-être. Sa famille semble un modèle vue de l’extérieur. Ses parents, qu’elles surnomment Swayze et Novatchok, son demi-frère Grandoux et son petit frère Petit Prince forment en réalité une cellule familiale dysfonctionnelle. La mère est institutrice, elle adore les enfants sauf les siens qu’elle rabroue, humilie et frappe. Le père fait comme si rien ne se passait. Comment grandir, se construire dans un tel environnement ?

Léna Ghar a écrit un premier roman surprenant et singulier. L’histoire de la narratrice se fait par fragments de l’an 3 à l’an 27. Pour s’échapper, la petite fille s’invente un langage bien à elle : les surnoms des membres de sa famille, la praison pour désigner l’endroit où elle vit, les spartiates qui sont les humains qu’elle ne connaît pas, les paladins pour les proches et amis. L’autrice développe beaucoup d’inventivité pour nous plonger dans la psyché de cette enfant maltraitée.

Tout le roman est un monologue intérieur mais cette voix est parasitée par celle de la mère, brutale et odieuse, ou celle des autres membres de la famille, des amis. « Mes paladins ne gaspillent jamais leurs mots, ils ne cèdent pas à la polentase vaseuse à pleurer des spartiates. On est pareils, on n’a pas le bon neurone, on ne comprend que ce qui est irréfutable : les nombres. Je m’endors plus facilement depuis que je sais qu’en maths il n’y a qu’une seule réponse à chaque question. » Voilà une autre forme de langage qu’utilise Léna Ghar pour transcrire la voix de sa narratrice. Elle transforme le monde en équations, en problème à régler mathématiquement pour essayer de la comprendre et tenter de trouver sa place dans l’humanité.

Inventivité du langage, trouvailles formelles , tout est mis en œuvre par Léna Ghar pour nous faire ressentir la profonde blessure, le trauma d’une enfant maltraitée. « Tumeur ou tutu » est un premier roman très original et audacieux sur un sujet difficile.

L’enragé de Sorj Chalandon

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1932, Jules Bonneau, quasi homonyme de l’anarchiste tué en 1912, est enfermé depuis plusieurs années à la colonie pénitentiaire de Haute-Boulogne à Belle-Île-en-Mer. Complice d’un incendie et coupable de rébellion à agent, Jules a atterri sur l’île pour être rééduqué et rentrer dans le droit chemin. Parmi les enfants prisonniers dans cette forteresse, certains ont seulement eu la malchance d’être orphelins. Les maltraitances physiques et psychologiques sont le quotidien des enfants. Face à cela, Jules est devenu La Teigne, celui que l’on craint et qui est habité par la rage. Pour survivre aux brimades et aux violences, il faut s’endurcir, ne pas laisser aux matons le plaisir de vous voir pleurer. Jules se venge en rêve et s’imagine quitter la colonie pénitentiaire. Mais à quoi servirait-il de s’évader lorsque l’on est entouré d’eau ? « Les récifs, les courants, les tempêtes. On ne s’évade pas d’une île. On longe ses côtes à perte de vue en maudissant la mer. Même si certains ont tenté le coup.« 

La colonie pénitentiaire pour mineurs de Belle-Île-en-Mer, construite au départ pour enfermer les Communards, ne fut fermée qu’en 1977. C’est à sa fermeture que Sorj Chalandon apprit son existence. Lui, si attentif à l’enfance maltraitée, ne pouvait que s’intéresser à un tel lieu. C’est ainsi qu’il découvrit la mutinerie de 1934 où 56 mineurs s’étaient enfuis. 55 enfants ont été ramenés à Haute-Boulogne avec l’aide des habitants et des touristes (20 francs étaient la récompense). Toute la première partie du roman est consacrée à la vie derrière les murs de la maison de redressement et le point culminant sera la mutinerie. Sorj Chalandon est à son meilleur et le début du roman est aussi bouleversant qu’étouffant.

Dans la seconde partie, l’écrivant imagine ce qu’il est advenu du 56ème enfant évadé et non repris. Avec l’humanisme qui le caractérise, il fait en sorte que Jules Bonneau trouve enfin des personnes capables de lui tendre la main, de lui montrer que la fraternité existe. J’ai trouvé cette seconde partie moins réussie que la première qui était particulièrement forte et saisissante. J’y ai senti plus de rage et de colère, celles de Sorj Chalandon lui-même face à l’injustice.

On retrouve dans “L’enragé” toute l’empathie, la volonté de réparer les torts de Sorj Chalandon. Même si j’ai été moins emballée par la seconde partie du roman, cette lecture reste fort poignante.

Sous la menace de Vincent Almendros

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Quentin, 14 ans, part en week-end chez ses grands-parents paternels avec sa mère et sa cousine Chloé, 11 ans. Avant d’arriver, la mère s’arrête chez Jardiland pour acheter une plante destinée à son mari qui a eu un accident de voiture. Durant le trajet, l’atmosphère est tendue entre la mère et son fils. Ce dernier a en effet été renvoyé du collège Joliot-Curie. Il est en attente du conseil de discipline. Quentin a plutôt intérêt à se tenir à carreau durant le week-end.

Après « Faire mouche » et « Un été », je retrouve avec grand plaisir le talentueux Vincent Almendros. Comme dans ses romans précédents, « Sous la menace » est un huis-clos où le malaise est grandissant. En peu de pages, l’auteur met en place une atmosphère oppressante, inquiétante. Des incidents dérangeants interviennent à plusieurs endroits du roman (l’oiseau mort sur le chemin de promenade, l’invasion de fourmis volantes lors du repas dans le jardin). L’ambiguïté est également savamment entretenue. Vincent Almendros distille les révélations au compte-goutte ; elles modifient à chaque fois la perception que le lecteur avait de la situation ou d’un personnage. Le grand talent de l’auteur est celui de la chute. Encore une fois, la fin du roman est saisissante et terriblement glaçante. Elle éclaire le roman d’un jour nouveau, l’intrigue devient alors tout autre.

Vincent Almendros a l’art de créer des atmosphères lourdes et inquiétantes et a également celui de la chute. Les fins de ses romans sont inoubliables. Si vous ne connaissez pas encore cet écrivain, je ne peux que vous conseiller de le découvrir.

La langue des choses cachées de Cécile Coulon

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Pour la première fois, le fils prend la place de sa mère. Il se rend à pied dans un hameau nommé “Le Fond du Puits”. “Là, on attendait sa venue, il comprendrait, avait-elle dit, quelqu’un viendrait l’accueillir, on l’emmènerait dans une maison, et ça commencerait au bord d’un lit, près d’un malade. Cent fois il avait accompagné sa mère quand elle était appelée – il n’y avait pas d’autre manière de le dire, elle était appelée -, quand les hommes ne savaient plus où demander de l’aide – les hôpitaux étaient trop loin, les médecins absents, les vieux refusaient d’être soignés autrement que par des coupeurs de feu, des guérisseurs, des rebouteux.” Le fils, comme sa mère, parle la langue des choses cachées. A son arrivée au Fond du Puits, le fils est frappé par la solitude, la noirceur de l’endroit. C’est au chevet d’un enfant qu’il est attendu.

Le dernier roman de Cécile Coulon a tout d’un conte : les personnages n’ont pas de nom, l’époque et le lieu sont indéterminés. Le talent du fils contribue également à cela tant il semble mystérieux et puissant. Il ressent immédiatement la brutalité, la violence qui règnent dans les maisons du hameau. De sombres événements s’y sont déroulés et la mère en a été témoin. Des crimes impunis blesseront le fils qui aura envie de les révéler, de réveiller le passé caché. Le sort des femmes est au cœur de ce roman à la langue sublime, hypnotisante.

“La langue des choses cachées” est un roman court qui se lit d’une traite. La noirceur de la nature humaine, la poésie de sa langue, la beauté de la nature nous happent.

L’amour de François Bégaudeau

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Alors que Jeanne n’a d’yeux que pour le séduisant Pietro, un joueur de l’équipe de basket de la petite ville de Vendée où ils habitent, elle rencontre par hasard Jacques. Il est le fils du maçon qui réalise les travaux dans l’hôtel où travaille Jeanne. Et c’est avec lui qu’elle va passer les cinquante prochaines années. Des années qui l’amèneront à devenir secrétaire de direction chez Michelin, lui à être paysagiste à son compte. Ils auront un enfant, Daniel, qui deviendra ingénieur. Jeanne aimera durant tout ce temps les jeux de lettres et les chansons de Richard Cocciante, tandis que Jacques fabriquera des maquettes d’avions et de fusées, et cultivera des tomates. Cinquante ans de vie à deux, d’un amour discret, sans passion dévorante, mais avec une tendresse infinie. En 90 pages, François Bégaudeau réussit le tour de force de nous raconter toute la vie commune de ces deux personnages. Avec sobriété, pudeur, il évoque le quotidien qui forge cet amour. Il n’est peut-être pas flamboyant mais infiniment touchant par les attentions de chacun, les gestes tendres, mais aussi par les petites chamailleries qui sont comme un rituel. Mêmes les grands écarts n’entameront pas la relation nouée par Jeanne et Jacques au fil des années et de l’habitude.

Le roman de François Bégaudeau est également un formidable texte sur le temps qui passe, qu’il réussit à rendre très concret par les objets (la pendulette qui se transmet de génération en génération) et les évolutions technologiques. « Avec le temps, comme les amis de l’un sont les amis de l’autre, les sorties personnelles se font rares. Les sorties tout court. Les téléphones sont à touches, les bouteilles de soda en plastique, les mouchoirs en papier, les têtes d’hommes nues, les machines à coudre envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau. » Un condensé de vie, en un paragraphe, c’est brillant.

Fluide, bouleversant, « L’amour » est le portrait d’un couple, d’un milieu social, d’une vie, sublimé par la plume de François Bégaudeau. Un bijou.

Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea

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1986, dans l’abbaye Sacra di San Michele un homme s’éteint. Pendant que les frères se relaient auprès de lui, il repense à sa vie. Michelangelo Vitaliani, dit Mimo, est né en France en 1904 de parents italiens. Son père, sculpteur de pierre, perd la vie au front. Mimo, qui souffre d’achondroplasie, est envoyé en Italie en 1916 chez un oncle tailleur de pierre. Dans son atelier, bientôt installé à Pietra d’Alba, il est malmené, maltraité notamment en raison de son incroyable talent de sculpteur. C’est dans cette ville qu’il fait la rencontre qui va changer sa vie. Viola Orsini est issue d’une grande famille locale, elle a le même âge que Mimo ; elle possède une rare intelligence et rêve d’aller à l’université. Son milieu social ne lui permet pas de s’accomplir. Viola et Mimo ont de grandes ambitions et leurs destinées se lient de manière inextricable.

« Veiller sur elle » est arrivé dans mes mains auréolé du Prix Fnac, du Prix Goncourt et de nombreux articles louangeurs. Le dernier roman de Jean-Baptiste Andrea est une fresque romanesque qui traverse les époques (notamment les troubles des deux guerres mondiales) et mélange histoire intime, religion, Histoire et art. L’auteur nous entraine dans un tourbillon d’évènements, d’aventures et pimente le tout avec une mystérieuse Pietà enfermée dans l’abbaye Sacra di San Michele. Ce dernier point nous accompagne pendant tout le roman et la révélation ne déçoit pas.

« Veiller sur elle » est le récit de l’apprentissage de Mimo, qui part de rien, est handicapé par son physique mais qui a de l’or dans les mains. De Florence à Rome, nous suivons notre héros qui se débat pour réussir, chute, se relève et est par moments particulièrement antipathique ! Viola reste sa boussole et c’est le personnage qui m’a le plus intéressée dans le roman. Elle illumine cette histoire de sa vive intelligence, sa lucidité, sa volonté farouche de liberté qui ne la quittera jamais. Elle est entravée par son milieu social, contrainte par la réputation des Orsini à tenir son rang.

Jean-Baptiste Andrea fait montre d’un indéniable talent de conteur, ses personnages sont bien campés et le romanesque triomphe à chaque page. Malgré le plaisir de lecture, j’avoue avoir trouvé « Veiller sur elle » un peu long.

Dieu sur terre de Thomas Fersen

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Dans « Dieu sur terre », Thomas Fersen prête une partie de ses souvenirs à son héros qui grandit entre Ménilmontant et Pigalle dans les années 60/70. On l’accompagne de l’enfance avec ses parents, sa sœur et son frère (Dieu sur terre c’est lui car il réussit tout) à l’adolescence où sa vocation musicale se révèle devant les guitares d’un magasin de Pigalle. Le goût de la poésie lui vient tôt et il s’y consacre au fond de son lit au risque de passer pour un fainéant. « Il pense que je suis paresseux, mais je suis un contemplatif et Papa fait partie de ceux qui confondent avec inactif. Je suis perdu dans mes pensées parce qu’au fond, je suis un poète. Je suis bien mal récompensé, son admiration est muette. »

Ce texte, écrit en octosyllabes, est constitué de chapitres courts, d’anecdotes où l’on retrouve tout l’univers et la fantaisie de Thomas Fersen. A travers ce personnage de jeune garçon timide et peu sûr de lui, l’auteur nous replonge dans cette époque où les maitres d’école fumaient en classe, où des booms étaient organisées, où Giscard était élu et où le service militaire était obligatoire. Le narrateur a du mal à trouver sa place dans sa famille, à l’école où il est bousculé par plus fort que lui, il est obsédé par les filles mais se console avec son traversin (qui joue de multiples rôles dans la vie de notre héros). Son imaginaire est riche, malicieux comme dans ses chansons.

Paris est comme toujours très présente, un Paris populaire, chaleureux et gouailleur. « Des amitiés instantanées aussi sincères qu’éphémères, spécifiques au zinc des bistrots où existe un microclimat, se forment à l’heure de l’apéro. On y perd son anonymat plus vite que n’importe où ailleurs. Le zinc en est le fossoyeur, on y assiste à son trépas. »

J’aurais tendance à conseiller « Dieu sur terre » aux amoureux de l’univers de Thomas Fersen parce qu’il en est un concentré, parce que l’on se prend à fredonner certaines chansons à la lecture d’un mot, d’une phrase. Mais il est sans doute également un bon point d’entrée à son extraordinaire univers poétique, fantaisiste et parfois grivois.

Marie, Lizzie, lumières d’amour selon Dante Gabriel Rossetti de Marika Doux

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Mai 1874, Dante Gabriel Rossetti habite à Kelmscott Manor avec Jane et William Morris. Il y réceptionne son « Annonciation » pour la retravailler avant de l’envoyer à son nouveau propriétaire. La vue du tableau, peint bien des années auparavant, le renvoie à son passé, à celle qui le hante depuis sa mort en février 1862 : Elizabeth Siddal.

Lorsque l’on apprécie le mouvement préraphaélite et encore plus William Morris, il est difficile de trouver des ouvrages en français. J’étais donc ravie de voir cette nouvelle publication des Ateliers Henry Dougier. Marika Doux évoque la relation intense et tumultueuse de Lizzie Siddal et Rossetti  au travers de deux tableaux emblématiques : « L’annonciation » et « Beata Beatrix ». Le premier ouvre leur histoire puisque Rossetti donnera les traits de Lizzie à sa Marie. Le second sera un portrait posthume placé sous l’égide de Dante et de sa bien-aimée. En raison de son prénom, le peintre est habité et inspiré par le poète italien durant toute sa carrière. Il fera de Lizzie sa Béatrice.

Mais Elizabeth Siddal n’a pas été qu’une muse et Marika Doux n’oublie pas d’évoquer son travail artistique, la rivalité qui a pu exister entre les époux. C’est Elizabeth qui a été choisi par John Ruskin pour en être le mécène, pas Dante Gabriel. La destinée de la jeune femme est tragique, infiniment romanesque et s’achève dans l’addiction au laudanum. Sa beauté a néanmoins marqué la peinture préraphaélite, les tableaux de Rossetti en témoignent comme la sublime « Ophélie » de Millais. Aucune autre muse, Jane Morris ou Fanny Cornforth, ne saura mieux que Lizzie incarner l’idéal féminin après lequel Rossetti courut toute sa vie.

« Marie, Lizzie, lumière d’amour selon Dante Gabriel Rossetti » est à ce jour mon titre préféré de la collection « Le roman d’un chef-d’œuvre ». L’écriture de poétique de Marika Doux, son travail de documentation redonnent vie avec talent aux figures mythiques d’Elizabeth Siddal et Rossetti.