Trois sœurs de Laura Poggioli

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« Krestina, Angelina et Maria sont sœurs. Elles avaient 19,18 et 17 ans le 27 juillet 2018 quand elles ont tué leur père Mikhaïl Sergueïevitch Khatchatourian. » Ce meurtre est le résultat d’années de maltraitance, d’humiliations et de violences sexuelles. Ce terrible fait divers a beaucoup divisé la Russie sur la question de la légitime défense et des violences domestiques. Laura Poggioli, qui a vécu en Russie lorsqu’elle était étudiante, a voulu comprendre cet évènement tragique et sa résonnance dans la société russe. L’histoire des sœurs Khatchatourian lui a également tendu un miroir reflétant sa propre histoire et celle des femmes de sa famille.

« Trois sœurs » est un texte hybride qui mélange l’histoire romancée des sœurs Khatchatourian, l’analyse des violences intra-familiales en Russie et un récit plus personnel et cathartique. Les deux premiers sont très intéressants et bénéficient de la connaissance profonde de l’autrice de ce pays. Le poids du patriarcat reste très marqué en Russie. Laura Poggioli explique que les violences domestiques devaient rester dans le domaine privé et se régler en famille. « (…) si l’Etat s’en mêlait, y regardait de trop près, ça risquait de mettre en danger l’équilibre même des familles et l’existence des valeurs traditionnelles. » Ce qui est également aberrant, c’est la manière dont ces violences sont utilisées dans la rivalité avec l’Occident. Les femmes s’y expriment dorénavant, la parole s’y est libérée, elle ne peut donc pas l’être en Russie. 

Les passages concernant sont histoire personnelle, ses relations aux hommes m’ont moins intéressée et m’ont semblée superflus par rapport au reste du livre. Le récit de la vie des trois sœurs, l’analyse de la société russe, la passion de l’autrice pour ce pays forment un ensemble cohérent qui n’avait besoin qu’aucun rajout. Chaque fois qu’elle nous fait sortir de la Russie, j’ai eu l’impression de m’éloigner du véritable sujet du livre. 

Même si « Trois sœurs » s’éparpillent dans des genres différents, l’histoire des sœurs Khatchatourian et l’analyse du fait divers par Laura Poggioli sont édifiantes.

Les enfants endormis d’Anthony Passeron

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Arrière pays niçois, les Trente Glorieuses ont été profitables à la famille d’Anthony Passeron. Leur boucherie-charcuterie a bien prospéré dans leur petite ville rurale. Leur fils aîné, Désiré, sera le premier à obtenir le bac et une bonne place chez le notaire. Mais Désiré rêve d’une autre vie, il étouffe dans l’étroitesse de l’univers de ses parents. C’est ainsi qu’il part à l’aventure à Amsterdam. Il en revient accro à l’héroïne. Et c’est sans difficulté qu’il en trouve sur la Côte d’Azur, les seringues circulent, s’échangent. A la honte de voir Désiré voler médicaments, bijoux de famille et argent du commerce pour se payer ses doses, va bientôt s’ajouter celle d’une maladie inconnue et dévastatrice : le SIDA.

Dans « Les enfants endormis », Anthony Passeron fait le récit en parallèle de deux courses contre la montre : celle des médecins et celle de Désiré et de sa famille. La première retrace la propagation rapide de la maladie sur des populations marginalisées : les homosexuels, les drogués, les africains et haïtiens. L’auteur retrace minutieusement les avancées, les échecs des chercheurs pour identifier le virus et ses modes de contamination, la concurrence entre les équipes françaises et américaines, le peu d’intérêt des autorités pour cette maladie et enfin la recherche d’un traitement.

Face au travail opiniâtre des chercheurs, il y a la vie de Désiré, celle de sa compagne et de leur fille Émilie. Tous trois ont contracté la maladie. Plongée au départ dans le déni, Louise, la mère de Désiré, va se révéler une combattante acharnée passant ses journées à l’hôpital auprès de son fils si prometteur puis de sa petite fille, bravant les humiliations et le mépris. La grand-mère d’Anthony Passeron est une femme admirable qui dépasse ses préjugés, ses peurs pour accompagner les siens dans un combat malheureusement perdu d’avance.

La force du livre d’Anthony Passeron se situe dans cette construction qu’il réussit à parfaitement équilibrer. La partie scientifique est passionnante, très documentée tout en restant abordable et compréhensible. La partie familiale est émouvante, leur combat est bouleversant mais l’auteur ne tombe jamais dans le pathos et c’est avec beaucoup de dignité qu’il sort de l’oubli son oncle Désiré.

« Les enfants endormis » est, pour moi, l’un des livres marquants de cette rentrée littéraire. Un récit intime et sociologique touchant où Anthony Passeron rend hommage à son oncle Désiré, à tous ceux qui tombèrent malade dans l’indifférence générale et aux quelques médecins qui s’intéressèrent à eux dès le début.

Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon

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« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Je suis venue en éprouver l’espace car on ne peut éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l’épaisseur des semaines. Comment imaginer vingt-cinq mois de vie cachés à huit dans ces pièces exiguës ? Alors, tout la nuit, j’irai d’une pièce à l’autre. J’irai de la chambre de ses parents à la salle de bain, du grenier à la petite salle commune, je compterai les pas dont Anne Frank disposait, si peu de pas. » C’est à un lieu vide que se confronte Lola Lafon, un lieu où l’absence de ses habitants résonne terriblement. Otto Frank, le seul survivant, a voulu que l’Annexe soit ainsi conservée lorsqu’elle est devenue un musée dans les années 60. Le texte passionnant et bouleversant de l’autrice nous offre un nouvel éclairage sur le journal d’Anne Frank et sur sa postérité. La jeune fille a commencé à écrire le 12 juin 1942 sans intention d’être lue. En mars 1944, le ministre de l’Education des Pays-Bas demande aux hollandais de garder leurs journaux intimes qui pourront être lus comme des témoignages. A partir de ce moment, Anne Frank n’écrit plus pour elle mais pour nous, pour être lue un jour. Et cela change tout puisque le journal n’est plus un texte spontané mais une œuvre réfléchie, retravaillée. Et c’est bien ainsi qu’il faudrait le lire, l’étudier. Lola Lafon revient également sur la postérité du journal et de sa jeune autrice. Anne Frank devient une icône, son texte est adapté au théâtre, au cinéma, il est tronqué, modifié pour cacher l’horrible réalité de la mort de la jeune fille. Celle-ci est également sujet à la haine et au négationniste dès la publication du journal.

La confrontation avec Anne Frank est aussi l’occasion pour Lola Lafon d’affronter ses propres fantômes et c’est sans doute ce qui m’a le plus émue dans son texte. « Plutôt que savoir, il faudrait dire que je connais cette histoire, qui est aussi celle de ma famille. Savoir impliquerait qu’on me l’ait racontée, transmise. Mais une histoire à laquelle il manque des paragraphes entiers ne peut être racontée. Et l’histoire que je connais est un récit troué de silences, dont la troisième génération après la Shoah, la mienne, a hérité. » A la mort de certains de ses proches en camps de concentration, s’ajoutent l’enfance en Roumanie, un adolescent croisé brièvement qui sera victime d’un autre génocide.

Avec une infinie pudeur, Lola Lafon réussit à se confronter à sa lourde histoire familiale, tout en la mêlant à celle d’Anne Frank. Un texte douloureux et saisissant.

Une passion mélancolique selon Frida Kahlo de christine Frérot

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« Le 13 juillet 1954 fut le jour le plus tragique de ma vie. Frida s’est envolée. Comme elle le voulait, pour toujours. Et c’est avec une dernière pirouette – j’espère que la sortie sera joyeuse et j’espère ne jamais revenir – qu’elle a refermé son journal intime. » Christine Frérot a choisi de donner la parole à Diego Rivera pour nous parler de « L’étreinte d’amour de l’univers, la terre (Mexique), moi, Diego et monsieur Xolotl », ainsi que de la vie de son autrice, Frida Kahlo. Le choix du tableau est intéressant puisqu’il montre bien la complexité, la dualité et les nombreuses influences de l’artiste. C’est une œuvre riche de symboles qui exprime la personnalité de Frida. Les premiers chapitres du livre explique le tableau et la manière dont il s’inscrit dans la vie du couple Kahlo/Rivera.

La suite du livre est une biographie plus classique de ce couple hors-norme pour qui l’art et la politique étaient au centre de tout. Leur histoire flamboyante est celle d’un amour, certes tourmenté, mais surtout absolu. L’éléphant et la colombe restent des personnages fascinants, qui éclipsent parfois leur travail respectif.

Christine Frérot s’appuie sur une bibliographie solide et des citations dont elle parsème son texte. « Une passion mélancolique selon Frida Kahlo » est un bon point de départ pour ceux qui voudrait découvrir l’artiste et sa vie tumultueuse et passionnée.

La petite menteuse de Pascale Robert-Diard

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Alice Keridreux a la cinquantaine, elle est avocate, un travail qui l’habite. Un soir, une jeune femme se présente à son cabinet. Lisa Charvet a 20 ans et elle a été victime d’un viol six ans plus tôt. Après un premier procès, l’accusé a fait appel et c’est pour la représenter lors de ce deuxième procès que Lisa a besoin d’Alice. Contre l’avis de ses parents, la jeune femme souhaite changer d’avocat, elle a besoin d’un regard féminin sur son dossier, de quelqu’un qui la comprenne et la protège. Car Lisa a de terribles aveux à faire : six ans plus tôt, elle a menti.

« Vous avez senti comme la conviction est une chose fragile ? » Voilà ce qu’exprime avec beaucoup de sobriété, le premier roman de Pascale Robert-Diard. Chroniqueuse judiciaire au journal le Monde, l’autrice dépeint avec beaucoup de véracité les rouages de la justice, les confrontations entre avocats, l’écriture d’une plaidoirie. Le cas de Lisa interroge, questionne l’intime conviction. Elle semble autant broyée par le système que l’accusé, elle a été happée par un engrenage qu’elle n’a pas su arrêter à temps. Les adultes, bienveillants, ont laissé leurs affects remplacer leur jugement et leur capacité de recul sur une situation complexe et douloureuse. Les souffrances de Lisa adolescente étaient bien réelles et son récit est poignant. Tous les personnages sont d’ailleurs parfaitement construits, jamais manichéens. Les zones d’ombre, l’ambiguïté de l’âme humaine sont au cœur du roman de Pascale Robert-Diard.

Réaliste, captivant, « La petite menteuse » nous livre avec justesse et empathie le récit d’une erreur judiciaire et du parcours d’une jeune femme perturbée mais courageuse. 

De notre monde emporté de Christian Astolfi

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« Nul parmi nous n’esquisse le moindre mouvement de repli. Tous nous restons de marbre. Yeux secs. Lèvres muettes. Mains dans les poches ou sur l’anse des sacs à main. Rien de ce que nous ressentons ou pensons ne se voit ni s’ébruite. Nulle voix ne s’élève. Nul souffle ne s’échappe. Nous sommes là parce que nous attendons…Nous attendons l’arrêt de la chambre criminelle de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire de ce pays, sur le pourvoi que nous avons formé pour homicides et blessures volontaires dans le scandale sanitaire qui nous frappe. Le malheur qui a jeté sur nos vies depuis plus de vingt années un voile de malheur. Le scandale pour lequel nous réclamons à nouveau qu’on nous fasse réparation. Le scandale de l’amiante. » Le narrateur, Narval, fait le récit de ces vies sacrifiées, grignotées par l’amiante. Des vies d’ouvriers qui se sont déroulées sur les chantiers navals de la Seyne-sur-Mer où l’amitié permet de tenir le coup face à la dureté des tâches. Des ouvriers liés par les luttes : contre la fermeture des chantiers, contre l’amiante.

« De notre monde emporté » est un roman juste et digne sur le monde ouvrier, à l’instar de « A la ligne » de Joseph Ponthus. Christian Astolfi nous raconte le délitement d’un monde, l’effondrement du centre économique de la Seyne-sur-Mer. Ce que montre parfaitement l’auteur, c’est la fierté des ouvriers, leur dignité et le fort sentiment d’appartenance à une communauté, à un lieu. Ce n’est pas seulement leur travail que Narval et ses camarades perdent à la fermeture des chantiers navals, c’est également une précieuse fraternité.

Christian Astolfi inscrit son roman dans l’histoire politique de la France des années 70-80. La gauche arrive au pouvoir et fait naitre un immense espoir notamment dans la classe ouvrière. « De notre monde emporté » est également le récit d’une déception face aux promesses non tenues de la gauche, les enfants des soixante-huitards sont à leur tour floués. Le chagrin, mais aussi la nostalgie des années de chantier, innervent le récit de Narval qui voit sa vie et celles de ses camarades se disloquer. La solitude prend la place de la communauté, les souvenirs prennent celle d’un possible avenir.

« De notre monde emporté » est un roman poignant, sans esbrouffe sur la disparition du monde ouvrier, sur la désillusion et le désenchantement. Mais l’écriture, celle de Christian Astolfi et celle de Narval, permet de faire revivre les amitiés, les solidarités perdues.

La sauvagière de Corinne Morel Darleux

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Après une enfance noyée dans l’ennui d’une petite ville de province, la narratrice se confronte au monde du travail dans une brasserie puis un hôtel. Celui-ci la dévore, la consume et peuple ses nuits de cauchemars violents. La mort de sa mère sera l’élément déclencheur qui lui fera tout quitter : « Je voulais me détacher, que personne ne dépende de moi et ne plus rendre de compte à qui que ce soit. M’extraire des sollicitations, couper les ponts et effacer mes traces ; ne plus avoir à choisir, à prendre parti ou position. Ne plus me poser de questions. Je ne rêvais que de passivité muette et ignorante. J’aspirais à l’ombre des coulisses, au repos des désinformés. A la quiétude de l’abandon. »  Un accident de moto va sceller son destin. La narratrice se réveille dans une maison au cœur d’une forêt, près des montagnes. Deux femmes, Jeanne et Stella, y habitent et s’occupent d’elle. Le retrait du monde, tant souhaité, s’offre à elle.

Le nouveau roman de Corinne Morel Darleux nous plonge au cœur de la nature sauvage. L’héroïne explore le lâcher-prise, le pas de côté fait par rapport au quotidien, au bruit du monde. Elle va peu à peu s’abandonner à la forêt, à une vie animale que l’autrice décrit avec beaucoup de poésie.

« La sauvagière » prend également des allures de fable onirique. La réalité nous échappe tout au long du roman. Les présences de Jeanne et Stella sont évanescentes, fuyantes. Leurs personnalités mystérieuses évoquent les mythes et légendes dont Corinne Morel Darleux parsème son récit. Entre rêve, réalité, cauchemar, le texte est emprunt d’étrangeté et intrigue son lecteur.

« La sauvagière » est un roman de nature writing au féminin à l’atmosphère onirique et poétique. J’ai apprécié cette ode au pas de côté, cette plongée atypique dans une forêt sauvage mais je suis restée un peu sur ma faim  et je n’ai pas été totalement convaincue par ce texte.

Héroïne de Tristan Saule

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Laura est infirmière, amoureuse d’une femme mariée qui peine à s’engager complètement. Tonio travaille avec Lounès, le petit dealer de la place carrée, il est son chauffeur. Mais il en a assez d’être aux ordres de Lounès, il en veut plus. Mais il y a aussi Joëlle, la femme de ménage, Thierry et Cynthia qui viennent d’avoir un enfant, Idriss qui tente d’épater sa copine Zoé, Raphaël le bibliothécaire ou Fatou victime de violences conjugales. Tous cherchent des solutions pour se sortir de la précarité, avoir une vie plus confortable. Le confinement va les frapper de plein fouet.

« Héroïne » est le deuxième volume des chroniques de la place carrée. Les évènements ont lieu un an après ceux de « Mathilde ne dit rien » (nous avons d’ailleurs le plaisir de recroiser la protagoniste de ce roman dans celui-ci). Comme dans le premier volet, Tristan Saule nous offre un thriller social tendu. Il est constitué de fragments de vie, de moments qui peuvent s’étendre sur plusieurs pages ou sur une seule ligne en laissant la parole aux différents protagonistes. L’ouverture est encore une fois particulièrement réussie. L’auteur alterne à un rythme soutenu les informations sur Laura et Tonio. Toute la question étant de savoir comment leurs destinées vont se croiser alors que leurs vies sont très différentes.

Le projet de la place carrée, un roman par an autour des habitants de ce quartier défavorisé, s’inscrit pleinement dans l’actualité. Ici, nous replongeons dans la stupeur, le désarroi qui nous ont habité au début du confinement et la pression croissante sur les hôpitaux. « On ne s’y fait pas. Une ville morte comme ça, qu’on soit à pied ou en bagnole, c’est quelque chose. Tonio a l’impression d’être le seul survivant d’une catastrophe. En un sens, c’est vrai. A la télé, ils racontent que des gens meurent. Des centaines par jour. Ceux qui restent sont des survivants, non ? Tonio ne sait pas trop quoi penser de cette situation. D’un côté, il se dit que tout ça, c’est des conneries. De l’autre, il a un peu peur. Un tout petit peu. »

« Héroïne », le deuxième volume des chroniques de la place carrée, est une réussite. Roman noir, tendu, à l’écriture nerveuse, il est aussi addictif que « Mathilde ne dit rien ».

Lulu de Léna Paul-Le Garrec

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Lulu vient d’inventer le Piscis detritivore, un poisson d’un nouveau genre qui se nourrit exclusivement de déchets et nettoie ainsi les océans. Le parcours de Lulu,pour en arriver là, n’aura pas été des plus aisés. Il fut un enfant singulier, solitaire, dévoré par la curiosité. C’est celle-ci qui le pousse à collectionner toutes sortes d’objets trouvés sur la plage : coquillages, plumes, bois flotté, bouteilles à la mer. Sa chambre se change peu à peu en véritable cabinet de curiosités, au grand désarroi de sa mère qui peine à comprendre son fils unique.

« Lulu » est le premier roman de Léna Paul-Le Garrec et il est emprunt de poésie et de de douceur. Le personnage de Lulu, habité par la beauté de la nature, est infiniment touchant. Les objets accumulés le protègent d’un monde dont il ne connaît pas les codes, tout en lui permettant de s’ouvrir peu à peu aux autres. Sa candeur est extrêmement rafraichissante pour le lecteur. Et la mer n’est pas un simple décor, Léna Paul-Le Garrec décrit à merveille les éléments, la côte Atlantique et le bonheur de se plonger dans la contemplation de tels paysages. « Je pourrais tracer des mots doux ou dessiner sur le sable. Je préfère m’asseoir, être attentif, et attendre le ravissement. Attendre que pudiquement l’horizon se retire. Attendre la confusion du ciel qui vient enlacer la mer pour ne former qu’un, faire corps, un seul et même élément qui se dilue dans un même lavis. La vie où commence la mer, où finit le ciel. Dans un monochrome staëlien où l’un est le revers de l’autre, le Janus d’un même paysage. »

« Lulu » est un pantone de couleurs et d’émotions où la beauté du monde enchante et sauve un enfant de sa solitude. Un premier roman tout en délicatesse.

Nêne d’Ernest Pérochon

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Madeleine est gagée chez Michel Cordier, un veuf avec deux enfants en bas âge. La jeune femme doit tenir la maison et s’occuper des petits. Sans enfant, Madeleine s’attache très profondément à ceux du fermier, allant jusqu’à dépenser son argent personnel pour eux. Michel Cordier est très satisfait de son travail et il la laisse gérer entièrement sa maison ce qui ne plaît pas à tous. C’est le cas de Boiseriot, le valet de ferme, qui a en plus vu ses avances repoussées. Il veut se venger de Madeleine et la voir quitter la ferme.

« Nêne » est le deuxième roman d’Ernest Pérochon et il obtint le Prix Goncourt en 1920. Il s’inscrit dans une veine naturaliste, les descriptions de la vie à la ferme sont très précises. De même, l’ambiance oppressante du village est très bien rendue. S’y côtoient des catholiques, des dissidents et des protestants, ce qui crée de fortes tensions et jalousies entre les habitants. Mais « Nêne » est avant tout un beau et touchant portrait de femme. Madeleine a un cœur simple, elle est solide, honnête, modeste et entière. Sa fidélité à sa famille, aux enfants de Michel Cordier est totale. Elle donne tout, argent et sentiments, à ceux qu’elle aime. Et comme Madeleine est incapable de se défendre face à la méchanceté, son destin sera inévitablement tragique à l’instar d’une Gervaise.

Ernest Pérochon est un auteur aujourd’hui méconnu et peu lu. « Nêne » vaut d’être redécouvert pour ses qualités littéraires et son personnage principal émouvant.