
Un soir sur la Tamise, sur une yole en partance pour la haute mer, un marin, Charlie Marlow, raconte à ses camarades l’aventure qu’il a vécue autrefois : engagé comme capitaine d’un steamer par une société européenne faisant du commerce sur le fleuve Congo, on lui confia la mission d’aller chercher un agent de la compagnie, Kurtz, qu’on disait malade. Marlow commence la remontée du fleuve Congo, expédition qui va le mener au cœur des ténèbres.
Les livres de Joseph Conrad sont de ceux qui ne se laissent pas facilement appréhender. De « Cœur des ténèbres » se dégage une atmosphère étrange. Au fil de sa remontée du fleuve, Marlow a l’impression de revenir aux âges primitifs de l’humanité, à l’époque des origines, quand régnait la barbarie. A mesure qu’il pénètre dans les profondeurs de la jungle, celle-ci se fait plus menaçante et oppressante : « Remonter le fleuve, c’était comme retourner aux premiers âges de la Terre, lorsque la végétation abondait et que régnaient les grands arbres. Un cours d’eau vide, un grand silence et partout une forêt impénétrable. L’air était chaud, épais, lourd et gluant, l’éclat du soleil, sans gaieté ». Une scène résume à elle seule cette sensation d’étouffement et de danger, lorsqu’un brouillard blanc épais s’abat sur le fleuve et qu’une clameur sauvage s’élève de la forêt environnante.
Mais la sauvagerie n’est pas que le fait des autochtones. Avides et rapaces, les colons Européens les exploitent sans merci et les traitent avec cruauté tout en prétendant faire œuvre de civilisation. Le personnage de Kurtz symbolise cette ambiguïté. Agent très efficace de la compagnie pour laquelle il collecte de l’ivoire, il a également été chargé par l’ « Association internationale pour la suppression des coutumes barbares » de rédiger un rapport. Or, au bout de son périple, Marlow découvre en Kurtz une sorte de chef de tribu sur laquelle il paraît exercer une grande fascination et qui commet des actes barbares en son honneur, peut-être même de par sa volonté. L’humaniste semble avoir sombré dans la folie du mal.
Le mérite de Conrad est de préserver jusqu’au bout le mystère qui entoure Kurtz. Il n’apparaît que dans le dernier quart du roman, alors qu’il n’est plus qu’un homme malade et délirant. Pourtant, il est déjà présent bien avant grâce aux informations que recueille Marlow sur son compte dès son arrivée en Afrique. Elles font toutes de lui un grand homme, voire un génie, promis à un brillant avenir. Avant même de le rencontrer, Marlow est déjà sous l’emprise de Kurtz, et ce qu’il découvrira de l’horrible réalité n’y changera rien.
Conrad signe là une œuvre envoûtante sur l’horreur du colonialisme et la fascination du mal, sur ces ténèbres nichées au cœur des hommes. Dans le but de rendre justice à la modernité de ce texte, les Editions des Equateurs ont voulu dépoussiérer les précédentes traductions de Heart of darkness (plus connu sous le titre de « Au cœur des ténèbres »). Par les exemples qu’elle donne dans la préface, il semble bien que la traductrice a réussi à rendre sa fluidité à la prose de Conrad, tout en préservant cette ambivalence et cet art de l’évocation qui la caractérisent. A noter pour finir que « Cœur des ténèbres » inspira le film de Francis Ford Coppola « Apocalypse Now », transposé pendant la guerre du Vietnam, avec Marlon Brando dans le rôle de Kurtz. On y trouve comme dans le livre cette impression d’asphyxie, cette noirceur de l’âme. Le livre comme le film ne se laisseront pas facilement oublier.
Après un billet de Cuné sur Typhon, je me suis promis de lire cet auteur… un jour!
Au fait, il y a bien un film tiré de ce roman?
Encore un livre qui est dans ma PAL depuis des lustres. Pourtant, je suis très tentée. Je l’ai en V.O. et j’ai un peu peur du style. Au cas où, j’acheterai peut-être cette nouvelle traduction.
Je note, je note… Et ça sera l’occasion de voir Apocalypse now dans la foulée !
J’avais beaucoup ce roman, le seul de Conrad que j’ai lu… J’en garde un excellent souvenir… ainsi que du film Apocalypse now qui est un magnifique film… Peut-être que si j’ai le temps, je le relirai avec plaisir…
Encore un livre de mon immense PAL. Mais il me fait un peu peur… je ne sais pas trop pourquoi !
@keisha : l’adaptation la plus fidèle est un téléfilm britannique de 1994 avec Tim Roth, John Malkovich, Isaac de Bankolé (quand même !). Sinon, « Apocalypse Now » est une transposition plus qu’une adaptation fidèle. Et puis il y a « Aguirre, la colère de Dieu » qui reprend la même thématique.
@zarline : je ne sais pas ce que ça donne en anglais, en tout cas j’ai beaucoup apprécié cette traduction des Editions des Equateurs. Disons que le style est à la fois âpre et poétique.
@Céline : oui, autant lire et voir le film dans la foulée. J’avoue qu’en lisant « Coeur des ténèbres » je n’avais pas fait le rapprochement avec « Apocalypse Now », film que j’ai vu (une fois) il y a très longtemps.
@maggie : moi, c’est le film que je vais devoir revoir, et je pense que je vais le voir d’un autre oeil maintenant. Comme autre oeuvre de Conrad je te conseille « Lord Jim ».
@Mea : ce n’est pas un auteur facile, c’est vrai, mais à mon avis ça vaut le coup de s’accrocher.
« Lord Jim », ce n’est pas la première fois qu’on me le conseille donc il faut que je lise. Avant tout, je dois lire un wenworth conseillé par Titine mais aussi tout les romans victoriens que j’ai achetés en pagaille ces derniers temps ! Merci du conseil, le titre est noté sur mon invraisemblable LAL !
J’ai vraiment envie de me laisser tenter… je vais surveiller sa sortie en poche !
Je l’ai étudié en anglais à l’université. C’était vraiment difficile pour moi! Le film de Coppola, que j’ai vu également à cette occasion, a totalement éclipsé le roman. Et c’est dommage car tu me confirme que Conrad est un auteur à découvrir.
@maggie : à propos d’écrivains victoriens, Conrad en fait partie justement. Spontanément je ne l’aurais pas rangé parmi eux. La littérature victorienne est en fait un monde très divers.
@Pickwick : j’espère que cette traduction sortira bien en poche !
@dominique : en version originale j’imagine que ça ne doit pas être de tout repos. Pour moi Conrad est à découvrir, mais je sais qu’il rebute pas mal de monde. Les goûts et les couleurs…
Ton article me donne envie de lire cet auteur ; l’histoire a l’air intéressante (le genre d’histoire que j’aime bien).
Si tu aimes les histoires qui mêlent aventure et réflexion sur l’homme, tu aimeras celle-ci.
Je ne suis pas très tentée par ce roman mais j’ai un folio 2 euros de cet auteur, dont le titre m’échappe.
Le folio 2 euros est une bonne idée pour découvrir un auteur, et peut-être auras-tu envie ensuite de découvrir d’autres livres de Conrad.