Bilan livresque et cinéma d’octobre

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Octobre s’achève déjà et je laisse derrière moi huit livres, ce qui est déjà un peu mieux que mon bilan de mois de septembre. J’ai déjà eu le plaisir de vous parler du dernier roman de Stéphanie Hochet qui mêle autobiographie et biographie imaginée de William Shakespeare, du court texte de Fanny Chiarello dans la collection « Récits d’objets » aux éditions Cambourakis et de mes retrouvailles avec cette chère Miss Marple. Très prochainement, je vous parlerai du formidable premier roman de Paul Saint Bris « L’allègement des vernis », du très déstabilisant « Une fin heureuse » de Maren Uthaug, de la charmante bande-dessinée de Cécile Becq « Trois chardons », du très beau dernier roman d’Elisa Shua Dusapin « Le vieil incendie » et du frappant premier roman d’Antti Rönkä « Sans toucher terre ».

Côté cinéma,  j’ai vu sept films dont voici mes préférés :

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François et son fils Émile sont coincés dans un embouteillage sur la route qui les emmènent voir Lana, l’épouse du premier et la mère du second, à l’hôpital. Pendant qu’ils patientent dans leur voiture, une étonnante créature s’échappe d’une ambulance. Un homme avec une seule aile qui pousse des cris bestiaux. Une étrange épidémie sévit, des êtres humains se transforment peu à peu en animaux sans que l’on connaisse la cause de ces mutations et sans que l’on puisse les soigner. Les personnes malades vont être installées dans un centre fermé dans les Landes. François et Émile vont déménager pour suivre Lana.

« Le règne animal » n’est que le deuxième film de Thomas Caillet. « Les combattants » m’avait déjà séduite et il avait révélé Adèle Haenel. Ce film est hybride, entre dystopie, conte et réalisme. Fable sur les mutations du monde mais également sur le changement à une échelle plus personnelle et intime, il est aussi une métaphore de l’adolescence qui s’incarne dans le corps maladroit, gauche de Paul Kircher. Révélation de « L’adolescent » de Christophe Honoré, il confirme ici son talent et son phrasé particulier. L’alchimie avec Romain Duris est parfaite et il y a longtemps que l’on n’avait pas vu une si belle relation père-fils à l’écran. L’émancipation du plus jeune est au cœur de l’histoire. Thomas Caillet nous offre des scènes incroyables comme celle de nuit où François et Émile cherche Lana en écoutant une chanson de Pierre Bachelet ou celle où un homme-oiseau réussit à prendre son envol. Poétique, émouvant et maitrisé, « Le règne animal » est l’un des films marquants de 2023.

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Dans une petite ville sinistrée du nord de l’Angleterre, arrive un groupe de réfugiés syriens. Leur installation ravive une haine xénophobe issue de la peur des habitants à ne pas réussir à nourrir leurs enfants. Les syriens recevraient plus que ce qu’on leur donne. La ville a vu la mine, principal pourvoyeur d’emplois, se fermer et la fierté ouvrière s’est fait la malle avec elle. Au milieu du désarroi commun aux habitants et aux réfugiés, une amitié lumineuse va naître entre Yara, une jeune photographe syrienne, et TJ Ballantyne, le propriétaire du pub local, bien décati, et seul lieu de sociabilité encore ouvert.

Ce film est le dernier de Ken Loach et de son vieux compère Paul Laverty. Il est un condensé de l’œuvre du réalisateur anglais. Il nous montre la réalité de la misère sociale dans ces petites villes désindustrialisées où l’avenir semble totalement bouché et où l’on ressasse le passé. Ce dernier est visible sur les murs de l’arrière salle du pub qui sont recouverts de photos des mineurs défilant avec la bannière de la ville ou des grèves de 84-85 face à Thatcher. L’amitié de Yara et TJ va insuffler un peu d’optimisme et d’espoir dans la ville. Pour que la communauté se reforme, se ressoude, pourquoi ne pas organiser une cantine solidaire où les syriens et les familles anglaises pauvres seraient assis côte à côte ? La résistance, l’humanisme, la solidarité, voilà les valeurs défendues durant toute sa carrière par Ken Loach. L’optimisme n’était pas au rendez-vous dans ses deux derniers films « Moi, Daniel Blake » et « Sorry we missed you », la noirceur et le désespoir l’emportaient. A 87 ans, le réalisateur nous offre un dernier film où l’utopie reste possible, où les personnages centraux sont infiniment touchants, il me semble que Ken Loach ne pouvait pas mieux achever sa carrière.

Et sinon :

  • « Killers of the flower moon » de Martin Scorsese : Ernest Buckhart revient du front après l’armistice de 1918. Son oncle William Hale l’accueille chez lui dans l’Oklahoma. Riche fermier, il a fait fortune dans l’élevage de bétail mais cela ne lui suffit pas. Même s’il se fait passer pour leur ami et protecteur, William lorgne sur l’argent des indiens Osage. Chassés du Kansas à la fin du 19ème siècle, ce peuple s’est vu reléguer sur les terres arides de l’Oklahoma. Mais l’or noir coule à flot sous le sol et va rendre les Osages extrêmement riches. Grandes demeures, superbes voitures, employés de maison blancs, leur train de vie en rend jaloux plus d’un. William va donc pousser son neveu à épouser Molly Kyle, une riche Osage qui pourra lui léguer son argent à sa mort. Ernest n’est pas le seul à se marier pour l’argent et rapidement la mort frappe à de nombreuses reprises la tribu. Martin Scorsese s’est inspiré de « La note américaine » de David Grann qui ramena à la vie la tribu Osage. Le réalisateur en fait une fresque, une saga historique et familiale. La violence, la mafia, la culpabilité sont des thèmes typiques du cinéma de Scorsese et on les retrouve ici. Robert de Niro incarne, avec le talent qu’on lui connait, un personnage particulièrement détestable, calculateur et manipulateur. Son neveu est bien faible, minable et piégé dans sa fidélité à sa famille. Leonardo di Caprio rend bien la veulerie d’Ernest. Face à lui, Lily Gladstone incarne Molly avec force et douceur. Elle illumine le film de sa grâce. Ne vous laissez pas décourager par la durée du film, Scorsese nous ménage assez de rebondissements pour qu’il ne soit pas ennuyeux.
  • « Le ravissement » d’Iris Kaltenbäck : Lydia est sage-femme en région parisienne. Elle est investie, empathique et consciencieuse. Elle est extrêmement proche de son amie Salomé. Celle-ci est enceinte et Lydia sera là pour l’accoucher mais aussi pour garder la petite quand sa mère fera une dépression post-partum. L’enfant sera prénommée Esmée suite à une suggestion de Lydia. Cette dernière passe de plus en plus de temps avec le bébé et s’invente une fiction autour d’elle. Les mensonges s’accumulent et enferment Lydia. « Le ravissement » est le premier long métrage d’Iris Kaltenbäck. L’histoire de Lydia est racontée à posteriori par une voix off, celle de Milos, un chauffeur de bus rencontré et aimé par Lydia. On comprend rapidement que tout cela va mal finir pour la sage-femme mais ce qui advient est filmé avec retenue et sobriété. La réalisatrice n’accable pas son personnage qui est l’atout du film. Lydia est mystérieuse même pour son amie Salomé, ses motivations restent opaques mais on sent une solitude profonde et un besoin d’affection énorme. La réalisatrice ne pouvait rêver mieux que la formidable Hafsia Herzi pour incarner son héroïne. On la voit peu à peu glisser dans le mensonge, se prendre au piège et on aimerait l’arrêter tant on ressent de l’empathie pour elle.
  • « La fiancée du poète » de Yolande Moreau : Après de nombreuses années d’absence, Mireille revient vivre dans la maison de ses parents décédés en bord de Meuse. Elle trouve un emploi de cantinière qui ne suffit pas à la remise en état de la vaste demeure. Mireille décide alors de prendre des locataires. Arrivent tour à tour un étudiant aux Beaux-Arts, habile copiste rapidement surnommé Picasso, un jardinier communal qui aime se travestir et un chanteur américain prénommé Elvis qui se révèlera turc et sans papier. Un quatrième larron, tout droit sorti du passé de Mireille, viendra bientôt s’ajouter à l’étonnante bande. « La fiancée du poète » est le troisième film en tant que réalisatrice de Yolande Moreau. Nous retrouvons dans ce film l’univers poétique et foutraque de l’ex-Deschiens. Mireille se compose une nouvelle famille avec des hommes aussi à côté de la plaque qu’elle. Tous sont les rois des petites arnaques, des petits arrangements pour que la vie soit plus facile. Leur façon, libre, de vivre ensemble devient une forme d’utopie où chacun peut laisser s’exprimer sa personnalité. Il y a beaucoup de tendresse et de douceur dans ce film et l’on ne peut que s’attacher à cette communauté atypique.
  • « Second tour » d’Albert Dupontel : Mlle Pove était journaliste politique mais à force de l’ouvrir à tort et à travers, elle a fini au foot avec son cameraman Gus. Suite à divers incidents, sa chaine est contrainte de faire appel à elle pour suivre la campagne du favori de l’élection présidentielle : Pierre-Henry Mercier. Issu d’un milieu très aisé, le candidat défend des idées ultra-libérales. Pas de quoi intéresser la journaliste jusqu’à ce que le candidat frôle la mort dans l’explosion de sa voiture. Mlle Pove va alors mener une enquête qui lui apportera de nombreuses surprises. J’apprécie depuis longtemps l’humour noir d’Albert Dupontel, j’étais donc ravie de le retrouver dans son nouveau film. Malheureusement, j’en suis sortie fort déçue. Si le début m’a plu avec son côté thriller politique, j’ai trouvé la seconde partie plus faible. La journaliste découvre un secret de famille qui se greffe mal à la satire politique. Par moment, le film est même mièvre et le message écolo-bucolique est beaucoup trop appuyé, trop lourdement amené pour convaincre. Nicolas Marié sauve l’ensemble en étant d’une drôlerie irrésistible.
  • « Coup de chance » de Woody Allen : Fanny, qui travaille chez un commissaire-priseur, croise par hasard Alain, un ancien camarade de classe au lycée. Il lui avoue qu’il était alors très amoureux d’elle. Il est maintenant écrivain et vit dans un appartement sous les toits (près des Champs Élysées quand même, la bohème a ses limites). Fanny est séduite par le jeune homme mais elle est mariée à Jean. Ce dernier a fait fortune de manière mystérieuse et couvre sa femme de cadeaux onéreux. Comme il est triste de voir un cinéaste tant aimé se planter à ce point. Outre des dialogues indigents (Alain, interprété par le pauvre Niels Schneider, répète en boucle qu’il était amoureux de Fanny au lycée), la lumière calamiteuse sur les personnages, Woody Allen s’est totalement trompé de ton pour raconter son histoire. Il en fait une comédie de cocufiage alors qu’il aurait du s’orienter sur une atmosphère à la « Match point ». Le méchant, Melvil Poupaud, n’est ici ni crédible ni inquiétant. On s’ennuie…

3 réflexions sur “Bilan livresque et cinéma d’octobre

  1. Un bilan avec plusieurs moments forts, il me semble. J’ai hâte de lire les chroniques à venir, surtout celle sur la BD.
    Le règne animal m’intéresse, surtout pour son côté fantastique réaliste. The old oak me tente.

  2. Bonjour Titine, même si j’ai trouvé Romain Duris très bien dans le Règne animal, je n’ai pas été totalement convaincue par Le règne animal. Je ne sais pas où le réalisateur / scénariste veut en venir. Le Scorsese est du très grand cinéma, j’en redemande des films de cette qualité. Bonne journée.

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