
Sur une île des Cyclades, un homme se remémore son séjour à Alexandrie avant la seconde guerre mondiale. Il était enseignant, peu fortuné et en couple avec Mélissa, une danseuse de cabaret phtisique. Il fait la connaissance de Justine, mariée à Nessim, jeune homme riche et cultivé. Le narrateur tombe sous le charme de la mystérieuse et fascinante Justine. Il entre également dans le cercle intellectuel de son mari et y rencontre de nombreuses personnes singulières.
« Justine » est le premier volet du Quatuor d’Alexandrie écrit par Lawrence Durrell. Le récit rétrospectif du narrateur se fait par bribes, par fragments sans aucune chronologie. « Dans la grande tranquillité de ces soirées d’hiver il y a une horloge : la mer. Son trouble balancement qui se prolonge dans l’esprit est la fugue sur laquelle cet écrit est composé. » Le narrateur est pris dans les flux et les reflux de sa mémoire ce qui donne une tonalité mélancolique au texte. Les personnages eux-mêmes vont et viennent, apparaissent et disparaissent sur de nombreuses pages. Ils sont d’ailleurs très nombreux et Lawrence Durrell ne nous les fait découvrir que par petites touches. C’est par exemple le cas de Cléa dont le nom est cité au détour d’un paragraphe et nous ne la découvrirons pleinement que beaucoup plus tard.
« Justine » est un texte exigeant, difficile d’accès par moments en raison de références culturelles et historiques que je n’ai pas. La narration est labyrinthique, ce qui est passionnant mais demande une grande attention. En plus des propos du narrateur, nous avons accès également au journal intime de Justine et au roman parlant d’elle écrit par son premier mari. De quoi complexifier le récit !
Ce qui fait la force de « Justine » est la beauté saisissante de la plume de Lawrence Durrell. Elle excelle notamment lorsqu’il parle d’Alexandrie, personnage principal de son quatuor, qui se déploie au fil des saisons, de la langueur de l’été à la triste grisaille de l’hiver. « Quelques bouffées d’air et une pluie aigrelette sont les avant-coureurs de l’obscurité qui efface la lumière du ciel. Et maintenant, impalpable, invisible dans l’obscurité des chambres aux volets clos, le sable envahit tout, apparaît comme par magie sur les vêtements serrés depuis longtemps dans les armoires, s’insinue entre les pages des livres, se dépose sur les tableaux et sur les cuillères. Dans les serrures et sous les ongles. L’air sanglote, vibre, dessèche les muqueuses et injecte les yeux de sang. »
La vie d’expatriés en Égypte avant la seconde guerre mondiale, l’amour et le désir qui s’affrontent et s’entremêlent, l’atmosphère de la ville d’Alexandrie, l’analyse des méandres de l’âme humaine, « Justine » aborde toutes ces thématiques au travers des brides de souvenirs du narrateur. Le premier volet du Quatuor d’Alexandrie ne se livre pas facilement mais la langue magnifique de Lawrence Durrell m’a totalement séduite.
Traduction Roger Giroux