Ida, une soixantaine d’années, a été renversée par un camion. Elle était bonne à tout faire chez la riche famille Besson. Après l’accident, ses employeurs s’interrogent sur sa personnalité. Que savaient-ils d’elle ? Elle aimait les fleurs qu’elle arrosait la nuit (« Je suis un oiseau de nuit » répétait-elle), elle avait des connaissances en histoire, avait un manteau de qualité et plusieurs paires de chaussures. Voilà à quoi se résument les connaissances sur Ida, bien peu de choses finalement. Mais qu’importe la vie privée des domestiques ?
Hélène Bessette (1918-2000), adoubée par Raymond Queneau, Marguerite Duras ou Nathalie Sarraute, est aujourd’hui peu connue ou lue. Elle a pourtant publié quatorze livres chez Gallimard et certains furent sur les listes du Goncourt et du Médicis. Son œuvre est radicale, avant-gardiste sur le fond et la forme. « Ida ou le délire » a été son dernier roman oublié en 1973. Sa forme est originale, la langue est hachée, les propos des employeurs sont fragmentés, saccadés. La mise en page est également très travaillée avec des sauts de page, des mots en capitales. Le fond est à l’image de la forme, aussi intense que singulier. Hélène Bessette fustige les rapports de classe, la domination des riches sur les plus petits. Ida est invisible, discrète, pas gênante, elle appartient à ses patrons. « Un peu plus que la chose. Un peu moins que la personne. Une personne qui était une chose. » Les propos des employeurs sont d’une violence inouïe, d’un mépris profond. Ils finissent par parler des Ida, la dépersonnalisant ainsi et rendant identiques toutes les bonnes ayant travaillé pour eux. La pauvre Ida sera même enterrée dans la fosse commune. Hélène Bessette rend, à la toute fin du roman, son identité à l’absente de manière éclatante.
Hélène Bessette, qui eut une fin de vie misérable marquée par l’oubli et la paranoïa, est une voix très singulière de la littérature française que j’ai été enchantée de découvrir.









