Une photo, quelques mots (230ème) – Atelier d’écriture de Leiloona

une-photo-quelques-mots© Julien Ribot

La plaine, des champs à perte de vue, bordés par des arbres. Bien souvent des peupliers. Un paysage familier qui défile derrière la vitre du train. Et malgré cela, mon estomac se serre lorsque je le regarde. J’essaie de me concentrer sur mon livre mais rien n’y fait. Mes yeux sont désespérément attirés par l’extérieur.

A la gare m’attend la voiture de location. J’ai refusé que le notaire vienne me chercher. Je voulais retrouver la maison seule, sans regard inconnu pour m’observer ou me juger. A l’heure actuelle, en démarrant la voiture, je ne sais toujours pas comment je vais réagir lorsque j’y serai. Je sais juste que le malaise est bel et bien là.

Me voici dans la rue où j’ai grandi. Quinze ans que je ne l’avais pas vue mais rien n’a changé. Les maisons, collées les unes aux autres, sont juste encore plus décrépies, usées par le temps et le manque d’argent. Le numéro 124, chez moi. J’ai du mal à m’extraire de la voiture, je suis paralysée devant cette plaque insolemment rouge. Mon ventre est une boule de crainte, de colère et de tristesse. Je n’ai qu’à fermer les yeux pour entendre la voix de mon père, ses cris, ses fracas. Et elle, recroquevillée, ratatinée, subissant la violence des mots et des humiliations, sans réaction.

Mes mains tremblent lorsque je réussis à ouvrir le portail. Je ne sais pas si je vais pouvoir aller plus loin. Je pensais avoir dépassé mon enfance, la douleur de n’avoir jamais réussi à la sortir de là. C’est l’incompréhension et la douleur qui reviennent au galop dans mon cœur. Et maintenant qu’ils sont partis tous les deux, je ne saurai jamais ce qui la retenait, ce qui les liait inextricablement.

Je préfère ne pas rentrer, le notaire peut bien tout vendre, je ne veux rien. Mes souvenirs sont bien assez lourds sans me lester des leurs.

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24 réflexions sur “Une photo, quelques mots (230ème) – Atelier d’écriture de Leiloona

  1. Joli texte sur les gens qui ont à jamais quitté des lieux qui ne sont plus rien sans eux. Merci pour ma petite dose du lundi à 7h 🙂 Bises

  2. Waouh ton texte m’a scotché, il y a tellement de force ramassée en quelques lignes. Merci, il est magnifique ce texte!

  3. Ton texte est puissant dans les messages envoyés ! Bravo, ta plume est fluide et j’ai pris beaucoup de plaisir à te lire et à méditer certaines idées. La conclusion est topissime : « Mes souvenirs sont bien assez lourds sans me lester des leurs. »
    Merci !

  4. Ton texte trouve un écho dans un que j’ai écrit l’an dernier. C’est très fort et sensible. On sent bien que même si elle refuse de se lester de leurs souvenirs, ce n’est pas si simple. Elle les porte tout de même dans ses valises…

    • Tout à fait Sabariscon, elle ne veut pas se lester de leurs objets mais les souvenirs pèseront toujours sur elle, elle ne pourra jamais vraiment s’en détacher.

    • Merci Adèle, j’ai effectivement une petite tendance à écrire des choses tristes, il faut que j’essaie d’écrire des textes plus positifs !

  5. Il y a deux solutions dans ces cas douloureux : on fait comme tu le décris superbement, on vend, on brûle, on fuit à jamais cette scène d’une sorte de crime ….Ou on plonge dans tous les objets, les papiers, les photos, les traces d’un passé qui pourrait expliquer pourquoi elle n’est jamais partie…..C’est un beau texte Titine…..

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