« Je remontai mes lunettes sur mon nez. Des petits moineaux couleur de cendre s’élevaient et plongeaient en piqué le long des toits. Dans la lumière déclinante du soir, la pierre du perron, chaude comme une haleine quand je m’étais assise, exhalait maintenant une fraîcheur superficielle sous mes cuisses. » Marie a sept ans et nous sommes à Brooklyn dans les années 30. Comme tous les soirs, la petite fille guette le retour de son père à la maison. Elle observe les garçons qui jouent un peu plus loin, elle discute avec Pegeen (un clin d’œil à Synge ?) qui est sa voisine, regarde deux sœurs de la charité passer. Marie est une spectatrice attentive, malgré sa mauvaise vue, de la vie de son quartier, de ce Brooklyn auquel sa famille restera si attachée au fil des années et des bouleversements sociétaux.
Pour autant, Brooklyn n’est pas le centre du livre de Alice McDermott, il est le décor de la vie de Marie. Elle est le « someone » du titre, à la fois ordinaire et singulière. C’est la vie de Marie qui nous est racontée mais cela aurait pu être celle de quelqu’un d’autre. Alice McDermott cherche à montrer l’universel au travers de cette vie-là. Les enjeux essentiels de l’existence ne sont-ils pas les mêmes pour tous ? L’amour, la mort, les enfants, la vie de Marie est faite de tout cela. Nous assisterons à la maladie du père, au premier amour déçu, à la vocation religieuse de Gabe le frère de Marie, à la rencontre avec Tom son futur mari, à son travail aux pompes funèbres de M. Fagin (qui en veut beaucoup à Charles Dickens de l’usage qu’il a fait de son nom mais possède néanmoins tous ses romans !). C’est une vie pleine, entière, il y a des drames, la guerre, des rires, des larmes, le temps qui passe et qui semble apaiser, arrondir les angles de la vie.
Mais comme dans le dernier roman de Colm Toibin, cette existence simple, ordinaire est sublimée par l’écriture de Alice McDermott. L’auteur embrasse la totalité de la vie de son personnage de manière non chronologique et par ellipses. Marie semble se raconter à la fin de sa vie, les souvenirs font des va-et-vient dans les différentes époques. L’écriture de Alice McDermott est d’une grande précision, d’une grande acuité dans les détails ce qui rend les scènes extrêmement vivantes et réalistes. De plus, l’écriture est poétique, délicate et toujours tendre envers les personnages. Chaque instant de la vie de Marie devient alors une miniature.
« Someone » est un roman que j’ai beaucoup apprécié, lumineux et sensible à l’écriture précieuse, au coeur des enjeux et des sentiments d’une vie que Alice McDermott a su rendre passionnante.
Une lecture commune avec Delphine.
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Je note, ça me plait bcp ce que tu en dis !
C’est vraiment un livre plein de délicatesse qui sait admirablement mettre lumière la vie de son personnage principale.
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idem que Framboise, je note. Intéressant. Belle journée…
Merci Cat, j’espère que tu aimeras si tu as l’occasion de le lire.
Vous semblez être toutes les deux du même avis , ça me donne donc un titre de plus à ajouter pour un autre mois américain.
Oui, nous sommes d’accord toutes les deux sur l’intérêt et la finesse de ce roman. Je ne peux donc que t’encourager à le lire !
Un roman que je croise souvent en ce moment sur la blogo – pas encore lu car j’avais peur d’un roman un peu contemplatif, comme « Academy Street » de Mary Costello…
Je ne vais pas te cacher que c’est un roman plutôt contemplatif mais les aller-retours entre les époques donnent du rythme à la lecture.
J’aime beaucoup l’extrait du début, je pense que le style me plairait et l’histoire contée ainsi ne doit pas être ennuyeuse ! 😉
Je pense que ça pourrait effectivement te plaire. C’est vraiment un très joli roman.
Tu as su titiller ma curiosité sur un titre qui ne m’aurait pas attiré à première vue.
Ah je me suis bien contente d’avoir su titiller ta curiosité de lecteur ! J’espère que tu aimeras !
Je suis restée en retrait de cette histoire.
Quel dommage, j’ai trouvé ce roman plein de délicatesse et d’empathie pour Marie.
Aimé sans plus. Je crois avoir été déçue par le côté attendu, sans surprise de l’histoire (émigrés irlandais, etc.)
Je crois que c’était le but de raconter une vie sans histoire extraordinaire, sans retournements inattendus. J’aime bien cette idée de raconter l’histoire d’une personne ordinaire mais je peux comprendre que ça ne t’ai pas enthousiasmée.