Bilan livresque et cinéma de novembre

Durant le mois de novembre, j’ai lu sept livres qui m’ont permis de découvrir la plume de Benoît Séverac et son commandant de police Cérisol, celle de Paul Gasnier dont j’appréciais déjà le talent de journaliste et celle de James Hilton avec un classique de la littérature anglaise « Goodbye Mr Chips ». J’ai eu le plaisir de retrouver la talentueuse Anita Brookner avec l’excellent « Providence » et de découvrir le recueil de nouvelles de Colin Barrett dont j’ai beaucoup aimé le premier roman. Malheureusement, je n’ai pas été conquise par le dernier roman de S.A. Cosby que j’étais pourtant pressée de lire. Enfin, je suis plongée depuis ce matin dans le recueil de nouvelles hivernales et féminines des formidables et jeunes éditions Honorine.

Côté cinéma, j’ai vu six films dont voici mon préféré :

Une mère, Alice, se débat dans la rue pour que son fils monte dans un tranway. Elle a été convoquée devant le juge aux affaires familiales avec ses deux enfants. Face à elle, son ex-mari qui réclame un droit de visite car sa fille et son fils refusent de le voir depuis deux ans. Lui, met ça sur le compte de la nocivité d’Alice, de ses problèmes de santé qui l’empêcheraient d’être présente pour ses enfants. Elle, est prête à tout pour les protéger d’un père qui s’est révélé toxique.

Le premier film de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys est un véritable coup de poing. L’ouverture, caméra à l’épaule, évoque le réalisme des frères Dardenne. La suite se déroule entièrement au sein du palais de justice, un lieu neutre qui permet de laisser toute la place aux personnages. L’audience en elle-même est une séquence impressionnante où la tension est à son apogée. Face à la caméra, qui ne les laisse pas respirer, deux acteurs exceptionnels : Laurent Capelluto et surtout Myriem Akheddiou, bouleversante, vibrante de colère et d’angoisse. Sa performance est saisissante, tout comme l’est ce long-métrage que je ne suis pas prête d’oublier.

Et sinon :

  • « On falling » de Laura Carreira : A Edimbourg, une jeune immigrée portugaise, trime comme « pickeuse » pour une entreprise de e-commerce. Son travail est extrêmement répétitif et le soir elle rentre dans un appartement qu’elle partage avec d’autres locataires avec qui elle a peu de contact. Le premier long-métrage de Laura Carreira est dans la veine du cinéma réaliste et social de Ken Loach. On pense bien évidemment à « Sorry we missed you » puisque le même type d’entreprise est au cœur des deux films. Un travail déshumanisant, abrutissant et qui ne paie pas suffisamment. Au fur et à mesure, Aurora se révélera au bord du gouffre, le moindre grain de sable peut la faire basculer. Laura Carreira montre avec précision et sensibilité, la précarité et la profonde solitude de cette jeune femme qui tente de garder la tête haute.
  • « Deux procureurs » de Sergei Loznitsa : En 1937, en URSS, la terreur stalinienne envoie les militants les plus zélés du parti communiste en prison et souvent devant le peloton d’exécution. L’un d’eux, Stepniak, réussit à faire sortir un message pour dénoncer le traitement inhumain qu’il subit. Il demande justice. Un jeune procureur, Kornev, va demander à le rencontrer dans sa prison hyper-sécurisée et contrôlée. « Deux procureurs » est une fable cauchemardesque qui fait inévitablement penser à l’univers de Kafka. L’arrivée du procureur à la prison en est le symbole. C’est un véritable parcours du combattant pour arriver jusqu’au prisonnier. Tout est mis en place pour empêcher le procureur d’entendre le témoignage de Stepniak. L’image est souvent fixe, les couleurs sont ternes pour renforcer l’impression de cauchemar. Le personnage du procureur est la seule lumière de cet univers oppressant. Naïf, idéaliste, obstiné, il semble ne pas saisir où il se trouve et ce qui peut le menacer. Le film de Sergei Loznitsa est bien évidemment terrifiant.
  • « La femme la plus riche du monde » de Thierry Klifa : Marianne Farrère est ultra-riche, elle est à la tête de l’entreprise fondée par son père. Lors d’une séance photo, elle fait la connaissance de Pierre-Alain Fantin, le photographe. Un coup de foudre amical qui rend ces deux-là inséparables. La grande bourgeoise et le provocateur grossier, le duo improbable ne plait pas à la famille de Marianne car elle n’hésite pas à donner beaucoup d’argent à son nouvel ami. Thierry Klifa s’est emparé avec délice de l’affaire Bettencourt où François-Marie Banier avait été condamné pour abus de faiblesse. Le milieu de Marianne est croqué avec beaucoup d’ironie et le vernis de la bienséance vole en éclat avec l’arrivée de Fantin qui met les pieds dans le plat sans ménagement. Le casting est particulièrement réussi et contribue au plaisir que l’on prend à regarder le film. Isabelle Huppert joue une Marianne qui semble sortir de sa torpeur pour enfin profiter de la vie. Laurent Lafitte incarne un Fantin aussi détestable (notamment avec les domestiques) que plein de panache. Il semble follement s’amuser. « La femme la plus riche du monde » est une comédie jubilatoire.
  • « Dossier 137 » de Dominik Moll : Nous en sommes en 2018, la France vit au rythme des manifestations des gilets jaunes. La famille Girard, dont plusieurs membres travaillent dans le milieu hospitalier, décide de se rendre à Paris pour défendre les services publics. A la nuit tombée, la famille est séparée. Le plus jeune fils se retrouve seul dans une rue près des Champs Élysées avec un ami. Des policiers surgissent et tirent au flash ball sur les deux garçons qui s’enfuient. L’un d’eux s’effondre, touché à la tête. La mère porte plainte et l’IGPN est saisie. Après « La nuit du 12 », Dominik Moll continue à s’intéresser au milieu policier et comme son film précédent, il le fait avec minutie, rigueur et précision. Nous suivons le quotidien d’une enquêtrice, formidable Léa Drucker, qui tente de comprendre ce qui s’est passé. Le film n’est pas anti-flic mais il souligne l’importance de l’IGPN, même si celle-ci doit plier devant le pouvoir politique. A l’heure où un ministre de l’intérieur refuse de parler de violences policières, « Dossier 137 » est important et son sujet reste malheureusement d’actualité. Moins fort que « La nuit du 12 », peut-être plus froid, le dernier film de Dominic Moll reste passionnant à suivre.
  • « Les aigles de la république » de Tarik Saleh : George Fahmy est « le pharaon de l’écran », une star du cinéma égyptien, séparé de sa femme et vivant avec une actrice beaucoup plus jeune que lui. Il est contraint par le pouvoir à tourner dans un biopic sur le président Abdel Fattah al-Sissi sans quoi son fils risque d’avoir « un accident ». « Les aigles de la république » est le troisième film que Tarik Saleh consacre à l’Égypte, le pays de son père. Le personnage de George est inconséquent, aimant le luxe, séducteur. Il ne comprend que petit à petit qu’il s’est fourré dans un piège en acceptant d’incarner le président. Il tente de profiter de la situation en protégeant des amis et voisins mais il restera un pion pour les dignitaires du régime et les choses ne vont faire que s’aggraver. « Les aigles de la république » est moins réussi que « Le Caire confidentiel » ou « La conspiration » mais les mésaventures de George font froid dans le dos.

Bilan livresque et cinéma d’octobre

De bien belles lectures durant ce mois d’octobre et plusieurs coups de cœur :

-« Migrations » de Charlotte McConaghy qui nous plonge dans un monde où la faune et la flore sont presque anéanties aux côtés d’une héroïne solitaire, meurtrie et terriblement attachante. L’écriture de Charlotte McConaghi est immersive et saisissante ;

-« Le grand horizon » de Lola Nicolle où l’on suit Vincent dans une course d’ultra-cyclisme : la Transcontinental Race. Par manque de temps, je n’ai pas chroniqué cette lecture qui pourtant m’a beaucoup plu notamment grâce à la très belle plume de son autrice ;

-« Baignades » d’Andrée A. Michaud, ma première lecture de l’autrice québécoise est un immense coup de cœur tant la narration m’a tenue en haleine et m’a surprise ;

-« Louve en juillet » de Gabrielle Filteau-Chiba qui inaugure la collection « Animales » des éditions Dépaysage et où l’autrice, que j’apprécie beaucoup,  revient sur sa relation intense avec sa chienne Séquoia ;

-« L’affaire de la rue Transnonain » de Jérôme Chantreau nous transporte en 1834 durant la nuit du 14 avril durant laquelle les soldats de Louis-Philippe vont massacrer les habitants d’un immeuble. Entre document et roman, l’auteur mène une enquête passionnante dans un Paris pré haussmannien. Un régal !

-« Jane Austen, une vie entre les pages » de Janine Barchas et Isabel Greenberg que je déguste avec délectation et qui est une grande réussite aussi bien sur le fond que sur la forme ;

-« La femme du pasteur » de Elizabeth von Arnim qui est en cours de lecture car il est très dense et comme toujours c’est un grand plaisir de lire cette autrice que j’affectionne tout particulièrement.

Côté cinéma, j’ai pu voir huit films dont voici mes préférés :

Alger, 1938, Meursault travaille comme employé de bureau, il est consciencieux et sans ambition. Il apprend par un télégramme la mort de sa mère dans l’asile où il l’avait placée trois ans auparavant. Le voyage pour assister à l’enterrement est long, la chaleur pénible. Meursault veille le cercueil fermé de sa mère, n’exprime aucune émotion, ne laisse couler aucune larme. Cette indifférence lui sera reprochée lors de son procès, bien plus que la raison de sa présence au tribunal : le meurtre d’un Arabe.

Ayant beaucoup aimé le roman d’Albert Camus, lu il y a fort longtemps, j’avais hâte de découvrir l’adaptation de François Ozon et je suis sortie de la projection éblouie et fascinée. Le réalisateur réussit à être fidèle à l’œuvre originale tout en s’en affranchissant. Sa mise en scène est à la fois très sensuelle et très graphique. Il utilise un noir et blanc épuré qui rend avec puissance les implacables lumière et chaleur d’Alger. La ville, le contexte historique sont d’ailleurs très présents, l’intrigue est profondément ancrée dans ce lieu.

L’insondable Meursault est une énigme, un taiseux qui ne parle que lorsque cela est nécessaire et qui ne ment jamais. François Ozon construit son personnage autour du vide, du silence mais lorsque Meursault se décide à s’exprimer, c’est une déflagration (formidable scène avec Swann Arlaud). La performance de Benjamin Voisin est exceptionnelle, il est tout en intériorité mais également charnel. Il semble absent au monde et pourtant profite de chaque rayon de soleil, de chaque baignade. A ses côtés, la solaire Rebecca Marder donne de l’épaisseur au personnage de Marie à qui François Ozon donne plus d’importance que dans le roman. De même pour la sœur de la victime qui fait exister le peuple algérien nié par les français. Remarquable, brillant, « L’étranger » est une réussite totale que j’ai déjà envie de revoir.

Une mère célibataire, Shu-Fen, revient à Taipei avec ses deux filles : I-Ann qui a du arrêter ses études faute de moyens et la petite dernière I-Jing. Shu-Fen a réussi à avoir une échoppe dans le grand marché nocturne de la capitale taïwanaise. Sa fille aînée vend des noix de bétel pour aider sa mère. La petite est souvent laissée seule et elle explore les échoppes du marché. Son grand-père ne supporte pas qu’elle soit gauchère et lui dit que c’est la main du diable. La petite fille de cinq ans va prendre cette phrase au pied de la lettre.

Shih-Ching Tsou réalise ici son premier long-métrage après avoir longtemps collaboré avec Sean Baker. Ce dernier est d’ailleurs le co-scénariste du film. On retrouve dans « Left-handed girl » une énergie, un mouvement incessant que l’on avait pu voir dans « Anora ». Le marché de nuit est un cadre idéal, coloré et lumineux pour les aventures de cette adorable petite fille. L’effervescence du lieu, le charme de I-Jing ne masquent pas la dure réalité de la famille. La mère, dont les parents sont assez riches, doit se débrouiller seule et est souvent en conflit avec sa fille aînée. Drôle, attendrissant (mention spéciale à Nina Ye qui interprète I-Jing), le film nous réserve une scène finale d’anthologie lors de l’anniversaire de la grand-mère.

La petite dernière de la famille, c’est Fatima. Elle est en terminale, joue les dures dans la cour de l’école avec sa bande de potes mais elle travaille très sérieusement pour le bac, elle joue au foot tout en étant asthmatique, elle pratique scrupuleusement la prière et découvre peu à peu son attirance pour les femmes. L’appartement familial est un cocon où règne une mère affectueuse. Le père est en retrait, ne se mêlant pas des histoires de ses trois filles.

Hafsia Herzi adapte avec talent le très réussi premier roman de Fatima Daas. Les nombreuses contradictions dans la vie de l’héroïne sont au cœur de l’histoire. Le jeune femme, superbement incarnée par Nadia Melliti (Prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes), va apprendre à se connaître, à s’accepter durant cinq saisons. Sa vie après le bac (une fac de philo à Paris) est un tourbillon de découvertes, de rencontres, de coups de cœur et de déceptions. Le personnage de Fatma est fermé, dur, solitaire mais on sent également une douleur, une sensibilité poindre. La réalisation de Hafsia Herzi est très vive, réaliste et empathique. Il y a beaucoup de douceur dans sa façon d’appréhender chaque personnage. Le casting mélange amateurs et professionnels et ils sont tous très justes. Avec beaucoup de finesse et sobriété, la réalisatrice met en scène ce récit d’apprentissage émouvant.

Et sinon :

  • « Météors » de Hubert Charuel et Claude Le Pape : Dan, Mika et Tony passent une soirée au bowling en abusant de l’alcool et des joints. Les deux premiers rentrent en voiture. Dan, le roi des plans foireux, a l’idée de kidnapper un maine coon qu’il voit au bord de la route. Il se trouve que l’animal est un chat de compétition et son propriétaire se met à poursuivre les deux compères. Cela se termine au tribunal, Dan et Mika auront six mois pour trouver du travail et arrêter la drogue. C’est Tony, chef de chantier à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, qui va les embaucher. Le nouveau film d’Hubert Charuel et Claude Le Pape démarre comme une comédie potache mais le ton va peu à peu s’assombrir. Le cœur de l’intrigue est l’amitié puissante qui unit Dan et Mika. Mais les deux jeunes hommes vont prendre des directions différentes après leur procès. Paul Kircher et Idir Azougli interprètent avec intensité les deux copains. Le film se termine de façon plus politique avec la question du traitement des déchets nucléaires. Peut-être que « Météors » aborde trop de thèmes à la fois mais l’amitié de Dan et Mika vaut vraiment le détour.
  • « Un simple accident » de Jafar Panahi : Une famille rentre à la nuit tombée en voiture. Un choc, certainement un chien, met à mal le moteur du véhicule. Le père de famille cherche de l’aide dans un magasin. Vahid, qui travaille dans la réserve, se fige en reconnaissant le bruit trainant d’une jambe boiteuse. L’homme, qui vient d’entrer, ne peut être qu’Eghbal, dit La Guibole, gardien de prison qui l’a jadis torturé. Après l’avoir suivi, Vahid le kidnappe mais au moment de le tuer il a un doute sur son identité. Tourné clandestinement, le dernier film de Jafar Panahi nous embarque à nouveau à bord d’un véhicule. Vahid va chercher d’autres opposants en capacité d’identifier formellement La Guibole. L’équipée est des plus hétéroclites : un couple de futurs mariés habillés pour une séance photo, la photographe, un homme particulièrement en colère. Ils ressemblent par moment aux pieds Nickelés et donnent au film un ton de comédie italienne. Mais leur journée ensemble est également l’occasion de se questionner sur leur humanité, leur sens de la justice et leur envie de vengeance. Les péripéties de cette troupe attachante se révèlent tour à tour amusantes, haletantes mais aussi glaçantes à l’image des dernières minutes du film.
  • « Nouvelle vague » de Richard Linklater : 1959, Godard, Truffaut et Chabrol exercent leurs talents dans les Cahiers du cinéma. Mais leur envie de renouveau, de modernité doit s’incarner dans des films. Des trois amis, seul Godard n’est pas encore passé derrière la caméra. Il se décide enfin pour réaliser « A bout de souffle » qui deviendra l’emblème de la nouvelle vague. Richard Linklater montre le tournage de ce film iconique. La technique de Godard est aussi novatrice que ce qu’il va créer et déroute les techniciens et les acteurs. Le réalisateur américain a choisi l’évocation plutôt que la ressemblance pour son casting et ça fonctionne parfaitement (Guillaume Marbeck est plus vrai que nature en Godard). Richard Linklater réussit à rendre le bouillonnement, la spontanéité et l’innovation de ce courant cinématographique. « A bout de souffle » étant un de mes films préférés, j’attendais beaucoup de ce film et j’ai été séduite par les choix du réalisateur qui a su capter la magie créée par Godard.
  • « Une bataille après l’autre » de Paul Thomas Anderson : En Californie, Bob Ferguson élève seul sa fille adolescente Willa. Ancien activiste de gauche, il vit dans la clandestinité depuis l’arrestation seize ans auparavant de la mère de sa fille Perfidia Beverly Hills. Leur groupe révolutionnaire était à l’origine d’actions violentes et Bob a élevé sa fille dans la paranoïa. Il n’a pas eu tort puisque leur pire ennemi, le colonel Lockjaw, réapparait et se met à leur recherche. Bob, plongé dans la fumée de ses joints, a perdu ses réflexes et doit se secouer pour protéger sa fille. Paul Thomas Anderson nous offre ici un divertissement très efficace qui va à cent à l’heure. L’intrigue est centrée surtout sur la fuite de Bob et Willa ce qui occasionne de nombreuses scènes d’action et de courses poursuites. Il y a des passages très drôles comme ceux où Bob a totalement oublié les codes de son Manuel de la Rébellion ou quand une société secrète nommée le Club des Aventuriers de Noël s’écrient « Loué soit St Nicolas ! ». Le trait est parfois forcé (le personnage de Sean Penn est too much) mais globalement les 2h42 passent sans encombre grâce au rythme et aux excellents acteurs. Mention spéciale à Benicio Del Toro qui incarne merveilleusement bien un prof de karaté qui fait passer des migrants en douce.
  • « Berlinguer-la grande ambition » d’Andrea Segre : Enrico Berlinguer est une figure importante de la politique italienne. Leader du parti communiste, on le découvre ici entre 1973 et 1978, date de l’assassinat d’Aldo Moro. Berlinguer était très populaire et il réussit à rendre le PC très puissant notamment parce qu’il prend ses distances avec Moscou. Humaniste, porté par ses convictions, il tente de créer avec Moro un gouvernement d’unité nationale à un moment où le pays est menacé par les Brigades rouges et les groupuscules fascistes. Le réalisateur nous montre un homme au travail, impliqué et pragmatique. Le film porte sur une époque passionnante, un tournant qui malheureusement débouchera sur un échec. « Berlinguer-la grande ambition » est très classique dans sa forme et un peu trop austère à mon goût.

Bilan livresque et cinéma de septembre

Voici mon bilan de lectures du mois de septembre :

-« Les hommes de Shetland », premier roman de Malachy Tallack sorti en cette rentrée littéraire et qui est un roman touchant sur un homme solitaire ;

-« Un gentleman à la mer » est un court texte de Herbert Clyde Lewis et c’est une pépite d’humour grinçant ;

-Peter May a rajouté un volume à sa trilogie écossaise avec « Loch noir » où Fin McLeod revient à nouveau sur l’île de Lewis pour enquêter ;

-« L’appel » de Leila Guerriero dresse l’incroyable portrait de Sylvia Labeyru, otage de la dictature militaire argentine,  et sa difficile libération ;

-« La violoniste » était la troisième nouvelle de Ferdinand von Saar que je lisais et je suis toujours séduite par sa plume mélancolique et délicate ;

-Gillian McAllister se lance un nouveau défi littéraire avec « L’instant d’après » et écrit deux romans en un ;

-Après avoir adoré « Ironopolis », j’ai eu un nouveau coup de cœur pour le deuxième roman de Glen James Brown « L’histoire de Mother Naked » ;

-« La méridienne » de Marghanita Laski est un court texte surprenant qui m’a beaucoup fait penser à « La séquestrée » de Charlotte Perkins Gilman ;

-Je termine le mois de septembre le sourire aux lèvres avec le dernier roman de Fabrice Caro « Les derniers jours de l’apesanteur ».

Côté cinéma, j’ai vu neuf films dont voici mes préférés :

Accompagné par son jeune fils Esteban, Luis recherche sa fille Mar qui a disparu depuis plusieurs mois. Sa quête l’a emmené au cœur de l’Atlas marocain où se déroule une rave sauvage dont sa fille était friande. Personne ne la connaît mais on lui indique qu’une autre fête va avoir lieu plus loin dans le sud du désert, il décide alors de suivre un groupe de teufeurs.

« Sirât » est un film dont on sort sidéré, Oliver Laxe nous fait vivre une véritable expérience sensorielle. La musique techno, que je n’apprécie pas spécialement, est ici la pulsation du récit, l’état de transe des danseurs devient presque le nôtre. Les paysages, dans lesquels se déroulent l’histoire, sont incroyables, arides et impressionnants. Voir un mur d’enceintes s’élever devant les montagnes de l’Atlas est l’une des images marquantes de ce film. Ces paysages, les camions mastodontes des teufeurs évoquent « Mad Max ». Et c’est bien une atmosphère de fin du monde dans laquelle sont plongés les personnages puisqu’il est question de guerre à la radio. Ces personnages sont d’ailleurs tous des marginaux déglingués, handicapés qui font entrer Luis et Esteban dans leur petite communauté. Ensemble, ils vont parcourir le désert, se confronter à des dangers extrêmes. Le suspense s’affirme alors dans le film qui nous réserve des coups de théâtre saisissants.

« Sirât » est un film hallucinant et halluciné. L’expérience se transforme en cauchemar pour les personnages devant nos regards stupéfiés.

Nora est une actrice reconnue pour son travail au théâtre. Solitaire, angoissée, elle éprouve des difficultés à vivre. Sa sœur cadette, Agnès, semble mieux avoir digéré leur enfance compliquée entre deux parents se déchirant sans cesse. Le père est un cinéaste de renom qui a été très absent pour sa famille et l’est encore. Il revient au moment de l’enterrement de son ex-femme pour proposer le rôle principal de son prochain film à Nora. Ces deux-là n’arrivent plus à communiquer depuis des années. 

« Oslo, 31 août » et « Julie (en douze chapitres) » sont deux films que j’avais adorés et j’étais ravie de retrouver l’univers de Joachim Trier d’autant que Renate Reinsve y tient également le rôle principal. J’ai beaucoup apprécié la place donnée à la splendide maison à Oslo qui a toujours abrité cette famille. Chargée d’émotions positives mais également négatives (la grand-mère s’y est suicidée), elle se présente comme un fil rouge et une incarnation des relations familiales avec ses nombreuses fissures. L’exploration des liens entre père et filles évoque le cinéma d’Ingmar Bergman mais j’ai trouvé le film de Joachim Trier beaucoup moins sombre, moins plombant. La lumière vient de la relation infiniment touchante entre les deux sœurs qui se soutiennent contre vents et marée et malgré leur différence de caractère. L’affiche reprend d’ailleurs l’une des scènes les plus émouvantes entre Nora et Agnès. « Valeur sentimentale » est un drame familial subtil qui offre aux spectateurs de beaux moments chargés d’émotion. 

Et sinon :

  • « Nino » de Pauline Loquès : Nino a fait des examens médicaux en raison d’une douleur à la gorge. Mais il ne s’attend pas au diagnostic que lui révèle de façon abrupte le médecin : le jeune homme est atteint d’un cancer. Perturbé par la nouvelle, il perd ses clefs et erre dans Paris allant de proches en proches sans parvenir à leur apprendre sa maladie. Malgré sa thématique, le film de Pauline Loquès n’est que douceur et tendresse. Cela est dû au personnage de Nino, formidablement incarné par Théodore Pellerin, qui est un jeune homme réservé, un brin lunaire et d’un grand calme face à ce qui lui arrive. Son errance dans les rues de Paris évoque « Cléo de 5 à 7 » mais aussi « Oslo, 31 août » de Joachim Trier. Sa mère, ses amis sont là mais le diagnostic a installé une distance entre eux et Nino qui se sent bien seul. Sa déambulation l’amènera à rencontrer un veuf éploré aux bains douches, une ancienne camarade de classe mère célibataire qui l’accueillera une nuit. « Nino » est le très beau portrait d’un personnage infiniment touchant et attachant.
  • « Ciutad sin sueño » de Guillermo Galoe : Toni et Bilal sont deux adolescents vivants dans la Cañada Real, le plus grand bidonville d’Europe. Ils sont amis et leur vie est sur le point de changer. La Cañada est proche de Madrid, la valeur des terrains a fortement augmenté et les pouvoirs publics veulent déloger les gitans, les roms et les marocains qui y vivent (notamment en leur coupant l’électricité). La famille de Bilal a décidé de partir. Mais le grand-père ferrailleur de Toni refuse de partir vivre en appartement. Patriarche imposant, il n’a connu que la Cañada, la nature sauvage qui l’entoure comme les trafics qui y règnent. Guillermo Galoe a très longtemps côtoyé les habitants de la Cañada pour gagner leur confiance et finir par leur proposer de jouer dans son film. Tous les acteurs sont donc non professionnels et cela donne bien entendu une épaisseur réaliste supplémentaire. La Cañada est un lieu invraisemblable où les communautés vivent ensemble an partageant leurs cultures et leurs légendes. Le lieu n’a bien sûr rien d’idéal, il est dur et rugueux. Mais Toni et Bilal savent y être heureux, ils réinventent leur quotidien en filmant avec un téléphone. « Ciutad sin sueño » est un formidable et saisissant film social.
  • « L’intérêt d’Adam » de Laura Wandel : Adam, 4 ans, est hospitalisé pour malnutrition suite à une décision de justice. Sa mère célibataire est sans famille proche et a un droit de visite limité. Lucy, l’infirmière en chef du service de pédiatrie, doit s’assurer qu’elle respecte bien ses horaires de présence auprès d’Adam. Mais le profond désarroi de la mère la touche profondément et elle tente de l’aider au-delà de ce qui lui est demandé. Le film de Laura Wandel nous plonge en immersion dans ce service de pédiatrie, son dispositif est proche du documentaire. La caméra suit sans cesse Lucy rendant ainsi l’urgence de la situation et soulignant son très (trop) grand investissement dans son service. La tension nait de la confrontation entre la mère follement aimante mais perdue et une infirmière proche du burn out qui va finir par transgresser les règles. Le film est porté par deux extraordinaires actrices : Anamaria Vartolomei et Léa Drucker.
  • « La femme qui en savait trop » de Nader Saeivar : Tarlan, enseignante et militante, s’inquiète pour Zara, sa fille adoptive. Celle-ci est professeure de danse et son mari veut l’obliger à arrêter son activité, mal vue du régime islamique. Il la maltraite, la frappe. Tarlan tente d’arranger les choses, tout en s’occupant de son fils, en prison pour malversations financières. Un jour, elle assiste à une scène violente dans la demeure de Zara. « La femme qui en savait trop » a été écrit par Nader Saeivar et Jafar Panahi et ils s’inscrit dans le mouvement « Femme, vie, liberté ». Il a été tourné de manière clandestine comme beaucoup de films iraniens en ce moment. Le film est le portrait d’une femme admirable qui a toujours combattu pour le droit syndical et celui des femmes et qui ne compte pas abdiquer devant les méthodes du régime. Ce dernier régit aussi bien la vie publique que la sphère privée et surtout celles des femmes. La danse est un symbole de l’oppression faite aux femmes et nous offre une splendide scène finale qui donne un peu d’espoir. L’interprète principale, Maryam Boubani, est formidable d’humanité et d’obstination.
  • « Classe moyenne » d’Antony Cordier : Pendant l’été, la famille Trousselard vient vivre dans sa luxueuse villa du sud de la France. Lui est avocat d’affaires et elle une actrice dont la carrière bat de l’aile. Pendant le reste de l’année, la propriété est gardée par la famille Azizi. Les relations entre eux restent polies jusqu’à ce que la condescendance, les caprices et le mépris des Trousselard dépassent les bornes. La cohabitation entre les deux va se transformer en jeu de massacre. La lutte des classe n’est pas morte comme nous le montre le film d’Antony Cordier, elle est même particulièrement cinglante. Les coups bas, les humiliations et les mesquineries sont au menu (M. Trousselard se targue d’être un excellent cuisinier à longueur de temps) et sont servis par des dialogues ciselés. Le casting est absolument parfait avec en tête un Laurent Lafitte odieux à souhait, imbu de lui-même et pédant avec ses locutions latines. « Classe moyenne » se révèle cruel et réjouissant.
  • « Downton abbey : le grand final » de Simon Curtis : La famille Crawley connait bien des problèmes en cette année 1930. Lady Mary vient de divorcer ce qui cause un véritable scandale dans les salons aristocratiques (elle sera obligée de se cacher sous un escalier avec ses parents pour ne pas croiser des membres de la famille royale lors d’une réception). L’argent de l’héritage de Lady Grantham a été mis en péril par le krach de 29 et les imprudences de son frère. Les choses changent à Downton Abbey avec la retraite de Mr Carson et Mrs Patmore. Une page se tourne à Downton et pour les spectateurs de la série dont je fais partie depuis le 1er épisode. Le plaisir du film nait des retrouvailles avec cette galerie de personnages que l’on suit et que l’on apprécie depuis si longtemps. Le plus de ce troisième film est la présence de l’irrévérencieux et sarcastique Noël Coward qui est un vent de modernité dans les salons de Downton. L’évocation des disparus (Matthew, Sybil) ne peut qu’émouvoir mais celle qui nous manque terriblement, c’est bien sûr Lady Violet (irremplaçable Maggie Smith) dont le fantôme fait monter les larmes aux yeux. Longue vie à Downton Abbey !

 

  • « Connemara » d’Alex Lutz : Après un burn out, Hélène décide de retourner dans sa région natale entre Nancy et Épinal suivie par son mari et ses filles. Cette petite ville, trop étriquée pour ses ambitions, elle la retrouve comme si elle n’était jamais partie. Rien n’a véritablement changé. La preuve, son coup de cœur d’adolescente, Christophe, est toujours là et il va même rechausser les patins de hockey où il excellait. Hélène, qui a un grand besoin de légèreté, va entamer une liaison avec lui. Le film d’Alex Lutz est adapté du roman éponyme de Nicolas Mathieu qui évoquait le déterminisme social, l’opposition entre deux France, l’une plus populaire que l’autre qui passe le tube de Michel Sardou à chaque fête. Les deux héros sont interprétés par deux acteurs que j’apprécie beaucoup : la lumineuse et sensible Mélanie Thierry et le touchant Bastien Bouillon (dans un rôle un peu trop proche de celui de « Partir un jour »). Malgré leur performance et une certaine délicatesse dans le regard du réalisateur, l’émotion ne passe pas l’écran peut-être en raison de trop d’effets de mise en scène. 

Bilan livresque et cinéma d’août

Dix livres m’ont accompagnée durant le mois d’août :

-le bouleversant et douloureux « Gioconda » de Nikos Kokantzis, 

-mon premier roman de la rentrée littéraire, le très réussi et très attendu « Nous serons tempête » de Jesmyn Ward,

-« Toi » le très bel hommage de Hélène Gestern à sa splendide chatte blanche,

-ma deuxième lecture de la rentrée littéraire est un premier roman à l’écriture ciselé, imagée et poétique, il s’agit de « L’entroubli » de Thibault Daelman,

-« Le veuf noir du Grand Canyon » de Vincent Manilève parce que j’aime décidément beaucoup cette collection Society de 10/18,

-ma troisième lecture de la rentrée littéraire fut « Éclaircie  » de Carys Davies, un excellent roman qui nous transporte dans une ile au nord de l’Ecosse au 19ème siècle,

-mon coup cœur du mois va au deuxième roman de Michelle Gallen « Du fil à retordre », une fresque social et un récit d’émancipation teintés de désespoir et d’un humour caustique,

-j’ai également découvert l’écrivain indien Rabindranath Tagore avec son très beau « Chârulatâ »,

-j’ai retrouvé Elizabeth Jane Howard avec « A petit feu », un roman parfait pour l’été puisqu’il nous emmène sur la  Côte d’Azur et en Jamaïque, mais qui est loin d’être aussi léger qu’il n’y paraît au départ,

-enfin, j’ai lu le délicieux recueil de Marco Martella « Fleurs » où l’auteur s’amuse follement à brouiller les frontières entre fiction et réalité. 

Côté cinéma, j’ai vu sept films durant le mois d’août dont voici mes préférés : 

Myriam est une militante obstinée des droits des femmes. Le pouvoir iranien l’a mise en prison. Mais en raison de ses problèmes de santé, Myriam est autorisée à sortir pendant sept jours pour effectuer des examens médicaux. A sa sortie, elle découvre que son frère et sa mère ont organisé son évasion du pays à travers les montagnes. De l’autre côté, en Turquie, l’attendent son mari et ses deux enfants qui ne l’ont pas vue depuis six ans et qui se sont exilés en Allemagne.

Le formidable film d’Ali Samadi Ahadi souligne l’incroyable courage des opposants iraniens et notamment celui des femmes depuis le mouvement Femme, vie, liberté. Pendant tout le trajet vers sa famille, Myriam questionne son engagement et la possibilité de l’exil. Que doit-elle faire passer en premier ? Sa famille ou son combat ? Peut-elle être une opposante crédible et efficace si elle quitte son pays ? Elle en parlera avec ses enfants et surtout sa fille adolescente, en colère contre sa mère absente. « Sept jours » est un film poignant, intense, Myriam est superbement interprétée par Vishka Asayesh, qui a elle-même choisi l’exil, tout comme Ali Samadi Ahadi.

Hugo, 19 ans, enfile sa plus belle chemise pour recevoir sa petite amie Queen, dans la maison familiale sur une ile de l’Atlantique. Le garçon est timide, réservé et il n’en revient pas d’avoir réussi à conquérir une fille aussi belle, lui qui un an plus tôt était en surpoids. Queen est originaire de Toulon, elle est esthéticienne, porte des robes sexy et des ongles interminables. Elle assume son look avec naturel, à un très bon cœur et s’émerveille de tout. Les vacances à deux auraient pu se dérouler sans nuage mais Hugo recroise des connaissances, issues d’un milieu bourgeois. On sent qu’Hugo à toujours voulu faire partie de leur groupe et il cherche par tous les moyens à devenir leur ami. 

Le premier film d’Aurélien Peyre est une formidable réussite. L’histoire, qui se déroule devant nous, est d’une immense cruauté. Hugo est habité par la honte, celle de son ancien corps, celle de son milieu social qui n’est pas au niveau de celui de ses amis et enfin de Queen, jugée trop populaire, trop cagole par ces bougeois snobs. Au lieu de profiter de sa solaire et ravissante petite amie, Hugo préfère se conformer au moule imposé par ceux qui le considère à peine. Le jeune homme est incarné par le formidable Félix Lefebvre, dont j’avais déjà admiré le talent dans « Été 85 » de François Ozon. Il faut également souligner celui d’Anja Verderosa, splendide et attachante Queen. « L’épreuve du feu » se revele être un conte moral aussi amer que douloureux pour ces deux protagonistes principaux. 

Et sinon :

  • « En boucle » de Junta Yamaguchi : A Kibune au Japon, le temps va s’arrêter à 13h58 ou plutôt il va reculer à 13h56. Les employés et les clients de cette auberge au bord de l’eau vont se retrouver bloqués dans une boucle temporelle de deux minutes. Mais leur conscience n’est pas prisonnière de la boucle et chacun se souvient de ce qu’il fait. Mais que peuvent-ils faire en si peu de temps ? Certains règlent leur compte, d’autres s’avouent leur amour, un autre se suicide pour expérimenter la mort pour son prochain livre, une autre tente désespérément de réchauffer du saké à la cuisine, un autre cherche une explication. « En boucle » n’est pas le premier film à plonger ses personnages dans une répétition temporelle mais son originalité tient à la durée très courte de la boucle. Cela donne une frénésie comique aux différentes scènes, les personnages doivent sans cesse se dépêcher pour accomplir une action. C’est truculent et ça se termine comme un épisode du Doctor Who ! 
  • « Sally Bauer » de Frida Kempff : Suède, 1939, Sally est la mère célibataire d’un petit Lars dont le père, danois, a déjà une femme et des enfants. La famille de Sally accepte mal cette situation et lui rappelle sans cesse ses devoirs maternels. Sa mère l’oblige à s’inscrire dans une école pour devenir une bonne ménagère. Mais Sally n’a qu’une idée en tête : traverser la Manche à la nage. Le film de Frida Kempff réinvente un peu l’histoire de la nageuse Sally Bauer (1908-2001). Mais il remet en lumière l’exploit de cette jeune femme qui traversa la Manche en 1939, quelques jours avant le début de la seconde guerre mondiale. La reconstitution est très classique mais l’actrice principale, Josefin Neldén, est totalement habitée par son rôle. 

Cet été, des films des deux premières décennies de la carrière de Claude Chabrol ont été repris sur grand écran et j’en ai profité pour voir ou revoir les œuvres suivantes :

  • « Que la bête meure » : Sur la place d’un petit village breton, un jeune garçon est brutalement percuté par une voiture fonçant à vive allure. L’enfant meure et son père, Charles Thénier, s’effondre de douleur; Après une dépression de plusieurs mois, il se jure de retrouver et de tuer l’assassin de son fils. « Que la bête meure » est redoutablement bien construit, Chabrol y joue perpétuellement avec la fiction et l’ambiguïté. Charles Thénier est écrivain et il note tout dans son carnet qui aura un rôle performatif dans l’intrigue et un rôle décisif dans le dénouement. Le film va rapidement se centrer sur l’affrontement entre Charles et l’assassin présumé de son fils, un garagiste ayant réussi en affaires. Ce dernier est incarné par le génial Jean Yanne : vulgaire, grossier, ignoble, brutal, sa famille le déteste et il le lui rend bien. Face à lui, Michel Duchaussoy est l’incarnation de la colère, de la vengeance sous un masque d’impassibilité. Un jeu de chat et de la souris s’installe où le cynisme, la lâcheté, la rouerie auront partie prenante. Un sommet d’ironie et de tragédie.
  • « La femme infidèle » : Charles, Hélène et leur fils vivent en banlieue parisienne dans une luxueuse maison. Leur vie respire un bonheur paisible et bourgeois. Charles travaille à Paris pendant que sa femme reste à la maison. Il la surprend un jour en plein mensonge. Il craint l’adultère et engage un détective privé pour suivre Hélène. Le point de départ du scénario est très classique. Mais nous sommes chez Claude Chabrol et la singularité du film s’affirme à partir de la rencontre entre le mari (Michel Bouquet incarnation parfaite du bourgeois chez Chabrol) et l’amant (Maurice Ronet toujours charmeur). La scène entre les deux hommes est surréaliste et se termine mal pour l’amant. Le mari se débarrasse du corps avec une maladresse risible. Débute alors un drame psychologique et une étonnante alliance silencieuse entre Charles et Hélène (Stéphane Audran, frivole et langoureuse) quand la police débarque chez eux. L’ambiguïté de leur relation fait tout le sel de ce film qui sait surprendre son spectateur. 
  • « Juste avant la nuit » : Charles vit à Versailles avec son épouse Hélène et leurs deux enfants. Sa maison a été construite par son meilleur ami François. L’épouse de ce dernier est la maîtresse de Charles et elle aime les jeux sexuels violents. Lors de l’un d’eux, son amant l’étrangle. La police ne remonte pas jusqu’à lui, personne ne le soupçonne. Mais Charles est dévoré par la culpabilité. « Juste avant la nuit » est le pendant de « La femme infidèle ». Les personnages portent les mêmes prénoms et sont interprétés par les mêmes acteurs : Stéphane Audran et Michel Bouquet. Il est également question d’adultère mais cette fois, c’est le mari qui trompe sa femme (mais c’est toujours Michel Bouquet qui assassine !). Cette fois, Charles ne cherche pas à masquer son crime mais il veut au contraire le révéler à tout le monde. Le personnage est une sorte de Raskolnikov qui ne sera en paix que lorsque son crime sera puni alors que ni sa femme, ni son ami ne veulent le dénoncer. Briser sa jolie famille et le vernis des apparences n’est pas envisageable. L’ordre établi doit rester intact et c’est ce qui fait froid dans le dos dans ce drame feutré. 

Bilan livresque et cinéma de juillet

Le mois de juillet fut fructueux avec dix livres lus (enfin 9 1/2 pour être parfaitement honnête !). J’ai débuté le mois avec le très réussi et instructif roman de Marine Carteron « Les effacées », puis j’ai plongé dans les fleurs et les plantes avec la Rosalie de Fanny Ducassé. J’ai enfin pu découvrir le formidable « Divorcée » d’Ursula Parrott paru chez les toutes jeunes éditions Honorine ; autre jeune maison d’édition : Esquif qui ne publie que des nouvelles inédites et j’ai lu, sourire aux lèvres, celle de Fabrice Caro.  J’ai également découvert « Toutes les nuances de la nuit » que j’ai dévoré malgré mes bémols, mais aussi le grinçant Pascal Garnier avec « La place du mort » et l’habile Christianna Brand avec « Narcose ». Enfin, j’ai été touchée par l’enquête d’Adèle Yon sur son arrière-grand-mère et par le dernier roman de Raphaël Meltz « Après ». Et je suis actuellement plongée dans l’épais roman noir de Dominic Nolan « Vine Street ».

Côté cinéma, j’ai vu sept films durant le mois de juillet dont voici mes préférés :

Dag Johan Haugerud a obtenu en février dernier l’ours d’or de la Berlinade pour « Rêves », premier volet de sa trilogie d’Oslo à sortir en France. Dans ses trois films, il évoque le sentiment amoureux à l’heure des réseaux sociaux et des applis de rencontre. Ce qui est intéressant, c’est que le réalisateur le fait au travers de générations différentes. Les personnages parlent beaucoup de leurs désirs, de leurs coups de cœur sous forme de confidences à un tiers ou à un journal intime.

C’est le cas de Johanne, 17 ans, qui est tombée amoureuse de sa prof de norvégien et de français et qui confie ses émois et désarrois à un carnet intime. Sa grand-mère, une poétesse baba cool, va le lire et estimer qu’en raison de  sa qualité littéraire, il mériterait d’être publié.  La mère de Johanne le lit également et les joutes oratoires entre les deux ainées, concernant cette histoire d’amour, sont hilarantes. « Rêves » est mon film préféré de la trilogie. Il aborde avec délicatesse, sensibilité mais aussi beaucoup d’humour ce qu’est un premier amour et comment on survit à celui-ci et à sa première déception amoureuse.

Alors que « Rêves » est un film automnal, « Amour » se déroule en été, on déambule dans les rues d’Oslo, baignées d’une lumière douce et chaleureuse. On suit deux personnages : Marianne, une oncologue, et Tor, un infirmier qui travaille à ses côtés. Tous deux se croisent sur un ferry et débute alors un dialogue qui va explorer leurs vies sentimentales. Tor est homosexuel, sa sexualité est très libre et il rencontre des partenaires sur le ferry grâce à une appli. Marianne ne cherche pas d’attaches sérieuses alors que ses amis veulent absolument la caser avec un géologue divorcé. Il se dégage du film beaucoup de bienveillance (Tor est un infirmier d’une incroyable douceur), d’écoute et d’attention à l’autre.

« Désir » nous entraîne sur les toits de la capitale norvégienne aux côtés de deux ramoneurs. L’un d’eux raconte à l’autre un rêve récurrent et étrange où David Bowie le voit comme une femme. L’autre lui raconte ensuite sa première expérience homosexuelle avec un client. Voulant être honnête, il le raconte également à sa femme qui ne s’avèrera pas aussi compréhensive qu’il l’espérait. C’est sans doute le volet le plus surprenant, le plus désarçonnant et celui que j’ai le moins apprécié. Les personnages sont à nouveau très bavards, décrivant leurs fantasmes en ne les assumant pas réellement. Il flotte dans le film une indécision qui, à mon sens, le rend moins séduisant que les deux autres. Mais comme dans « Rêve » et « Amour », la qualité du casting est remarquable.

Et sinon :

  • « Rapaces » de Peter Dourountzis : Samuel travaille depuis des années pour le magazine Détective. Sa fille, Ava, est en stage à ses côtés et il prend plaisir à lui montrer les ficelles du métier. Pour réussir un bon papier, il faut aller là où la police ne va pas et n’avoir pas froid aux yeux. Le meurtre sauvage et brutal d’une jeune femme dans le nord de la France va tout de suite intéresser Samuel qui embarque sa fille dans cette enquête. « Rapaces » est un formidable thriller qui nous offre des scènes hautement anxiogènes et tendues. C’est le cas d’un dîner dans un petit restaurant entre Samuel et Ava qui nous fait retenir notre souffle. Le film aborde une thématique très actuelle : la violence de groupes masculinistes. Cela fait froid dans le dos. Autre point point fort du film, le choix des acteurs principaux : Sami Bouajila et Mallory Wanecque qui sont absolument parfaites. Efficace, glaçant, « Rapaces » est un thriller haletant et maîtrisé.
  • « Sorry, baby » d’Eva Victor : brillante doctorante en littérature dans une université du MAssachusets, Agnès accueille sa meilleure amie Lydie chez elle. Cette dernière est partie vivre à New York à la fin de ses études, elle y a rencontré l’amour et est aujourd’hui enceinte. les deux amies se réjouissent de passer du temps ensemble tant elles étaient inséparables à l’université. Lydie fut le seul soutin d’Agnès lorsque celle-ci fut violer par son directeur de thèse qui encensait son travail. Eva Victor a écrit, réalisé et est l’interprète principale de son premier long métrage. Elle y aborde un sujet difficile avec une pudeur et une délicatesse remarquables. Agnès a beaucoup de mal à nommer ce qui lui est arrivé et le film reflète cela en évitant tout pathos. Le corps de l’héroïne est meurtri, les évènements planent toujours autour d’elle. Mais l’intrigue se tourne plutôt vers la consolation, la reconstruction lente du personnage. Lydie permet le partage, d’éloigner la solitude profonde d’Agnès comme peuvent également le faire un chaton trouver dans la rue ou vendeur de sandwiches qui l’aide à faire passer une crise d’angoisse. Un sympathique et farfelu voisin aidera également Agnès à se réapproprie son corps et ses émotions. « Sorry, baby » est un film d’une grande sensibilité et d’une grande justesse, il est touchant comme l’est Agnès et finalement réconfortant.
  • « I love Peru » de Hugo David et Raphaël Quenard : Hugo filme depuis toujours le parcours de son ami Raphaël qui rêve de devenir acteur. Lui-même aimerait être metteur en scène. Auditions ratées, petits rôles et figuration, Raphaël galère pas mal et se met ans des situations embarrassantes auprès de stars comme Marina Foïs, Michel Hazavicius, Pascal Zady, etc… Vaniteux, pingre mais également tenace, Raphaël finit par percer et par atteindre la renommée. Il délaisse alors son ami fidèle jusqu’à un coup de fil matinal : « Tu veux aller au Pérou ? ». Le film d’Hugo David et Raphaël Quenard est totalement inclassable. Tous deux jouent sur l’ambiguïté de ce qu’ils montrent, est-on dans un documentaire ou une fiction ? Toute la première partie est plus vraie que nature (véritables images de la cérémonie des césars) avant de basculer dans l’absurde à la manière de Quentin Dupieux. Raphaël se prend pour un condor ! « I love Peru » est un ovni à l’image de son personnage principal, sarcastique mais surtout mélancolique.
  • « L’accident de piano » de Quentin Dupieux : Magalie est une star du web grâce à des vidéos où elle s’inflige toutes sortes de violences physiques. Elle a découvert l’émission « Jackass » enfant et elle reproduit le principe. Magalie est en fait totalement insensible à la douleur, ce qui permet d’aller toujours plus loin. Lors d’un tournage, un terrible accident l’oblige à se retirer à la montagne avec son assistant Patrick. Le casting du dernier film de Quentin Dupieux est encore une fois de haut niveau. Adèle Exarchopoulos est hallucinante d’arrogance et de bêtise (en plus des bagues aux dents, des cheveux coupés n’importe comment et des vêtements informes). Elle est bien entourée avec un Jérôme Commandeur lâche et servile, une Sandrine Kiberlain fourbe et manipulatrice et un Karim Leklou complètement idiot. Le vide abyssal des vidéos de Magaloche, son narcissisme, son besoin de surexposition sont dénoncés par l’absurde comme toujours chez Dupieux. Moins drôle que ses derniers films, le réalisateur choisit la noirceur du thriller pour critiquer les travers de son époque.

Bilan livresque et cinéma de juin

Juin s’est terminé, le mois anglais également et j’ai achevé mes lectures pour celui-ci avec le surprenant « Woolf » d’Adèle Cassigneul, la très belle évocation d’Orlando dessiné par Montse Mazorriaga, « Une volière en été » où Margaret Drabble dresse une portrait nuancé de la condition féminine dans les années 60 et le nouveau roman de Deborah Levy qui suit le parcours d’une femme en quête d’identité. J’ai ensuite découvert la très talentueuse Mercè Rodoreda avec son « Jardin sur la mer » et le très amusant Karel Capek avec son « Année du jardinier ». J’ai terminé le mois de juin avec deux auteurs irlandais dont j’ai adoré les romans : « Fils prodigue » de Colin Barrett et « Juno et Legs » de Karl Geary. 

Côté cinéma, j’ai vu sept films durant le mois de juin dont voici mes préférés :

Enzo, 16 ans, apprend la maçonnerie mais il n’est pas très doué. Son patron demande à rencontrer ses parents pour leur parler de son manque d’implication. A sa grande surprise, il découvre que le jeune garçon habite dans une villa somptueuse de la Ciotat. Il perd ses moyens devant les parents et promet de garder Enzo en le mettant sous la tutelle de Vlad, un ouvrier ukrainien.

L’histoire de « Enzo » est éminemment touchante puisqu’il s’agit du dernier film de Laurent Cantet, décédé en 2024, écrit avec son ami Robin Campillo qui a décidé de le réaliser. On retrouve dans ce film tout l’intérêt de Laurent Cantet pour le monde du travail et les classes sociales. Ce qui est passionnant ici, c’est le renversement du concept de transfuge de classe. Les parents sont ingénieure et professeur d’université, le frère ainé va intégrer Henri IV. Enzo est traité avec bienveillance, entouré par la tendresse de parents aimants et compréhensifs. Mais il a honte de son milieu social, ne s’y sent pas à sa place. Mais il peine aussi à s’insérer dans le milieu ouvrier. Robin Campillo ne s’est pas contenté de réaliser le film de Laurent Cantet, il y a également mis sa patte puisqu’il y est question de désir, de sensualité. Eloy Pohu, dont c’est le premier rôle, incarne Enzo avec beaucoup de talent et de sensibilité. « Enzo » est un récit inattendu sur un adolescent qui cherche sa place dans la société tout en rejetant les codes et attendus de sa classe.

 

Chaque mois, les deux frères Jae se retrouvent pour un dîner en famille dans un luxueux restaurant. L’aîné est un avocat sans scrupules qui a épousé en seconde noce une femme beaucoup plus jeune. Son frère cadet est un chirurgien pédiatrique de renom. Sa femme et lui ont accueilli leur mère sénile et ingrate dans la chambre d’ami de leur appartement. Il n’apprécie guère les valeurs capitalistes et le cynisme de son frère aîné. Leur relation va se compliquer lorsque leurs enfants vont être mêler à un crime particulièrement odieux. 

 » A normal family » est l’adaptation du « Dîner » d’Herman Koch et sa noirceur n’a rien à envier au « Parasite » de Bong Joon-Ho. Le portrait de la société coréenne est très amer. La barbarie, la violence ne sont jamais loin sous le vernis policé de la haute société où évoluent les personnages. Les valeurs et la morale sont plus faciles à défendre lorsque l’on est pas directement concernés. Le film s’ouvre sur une scène d’agressivité, d’une brutalité saisissante avec un carambolage en pleine rue et il s’achèvera sur une scène encore plus glaçante. Les quatre acteurs, qui interprètent les deux couples, sont formidables. Un thriller parfaitement mené et angoissant. 

Amélie est un drôle de bébé. Silencieuse et immobile, elle est qualifiée de légume par le pédiatre. Mais un jour de tremblement de terre (sa famille vit au Japon), ce bébé si calme se met à hurler sans relâche, vexée que personne ne comprenne son babillage. Entre leurs trois enfants, les parents se trouvent vite dépassés et ils font appel à deux personnes qui vont changer la vie d’Amélie : sa grand-mère qui lui fait découvrir le plaisir du chocolat blanc et Nishio-san, une employée de maison qui s’occupera avec tendresse de cette petite fille singulière. 

L’adaptation du roman d’Amélie Nothomb est un ravissement qui mélange le cinéma d’animation français et japonais. Le film est une splendeur à l’esthétique colorée et foisonnante. Amélie grandit dans  un Japon qui l’émerveille par ses traditions, ses rites et la beauté de sa végétation. On pense parfois à l’univers de Miyazaki. Ce qui ressort surtout du film, c’est le plaisir de la découverte, la luminosité des paysages, l’infinie bienveillance de Nishio-san, l’incroyable vivacité de cette petite fille. Même si Amélie connaîtra des moments difficiles et douloureux (son père, consul, devra un jour retourner en Belgique), elle apprendra à les surmonter et à les sublimer (notamment par la littérature). « Amélie et la métaphysique des tubes » a une grâce, une poésie et je ne peux que saluer le formidable travail de Liane-Cho Han et Maïlys Vallade. Un vrai régal !

Et sinon :

  • « Peacock » de Bernhard Wenger : Matthias est acteur et il  travaille pour My companion, les clients peuvent le louer  pour jouer un petit ami cultivé, un fils aimant ou pour s’entrainer à s’engueuler avec un mari. Il est très doué et reçoit régulièrement les meilleurs commentaires sur le site internet de sa boite. Il est tellement impliqué dans ses rôles qu’il finit par s’oublier. C’est ce que lui reproche sa copine qui ne le trouve plus « vrai ». Elle le quitte et Matthias commence à se remettre en question. Bernhard Wenger signe ici une comédie très grinçante. Dans le monde de Matthias tout est téléguidé : la lumière dans sa superbe maison, la musique, son téléphone, ses propres émotions. Son chien n’est lui-même pas « réel » puisqu’il est loué ! Matthias est comme une page blanche, disponible uniquement pour ses missions professionnelles. Et lorsqu’il part en vrille, personne ne semble le croire. C’est réjouissant de voir ce personnage s’enfoncer de plus en plus dans l’absurdité de sa situation. 
  • « Indomptables » de Thomas Ngijol : Yaoundé, le corps d’un officier de police est retrouvé, il a été assassiné. Le commissaire Billong va mener l’enquête malgré le cruel manque de moyens. L’homme est bourru, défend une certaine droiture mais est capable de brutaliser ses suspects. Le commissaire a également bien du mal à se faire respecter par ses propres enfants qui le trouvent autoritaire. Dans son nouveau film, Thomas Ngijol change de ton et nous propose une histoire plus sombre. Le personnage principal est complexe, nuancé et il est formidablement incarné par Thomas Ngijol. Il tente de donner une image de la société camerounaise prise entre modernité et traditions. L’intrigue policière est noyée dans la peinture sociale et son intérêt se dilue quelque peu. 
  • « The Phoenician Scheme » de Wes Anderson : Anatole « ZsaZsa » Korda échappe une nouvelle fois à une mort certaine. Ce très riche homme d’affaires a des procédés très controversés. Pour sauver l’un de ses fastueux projets, il doit courir à travers l’Europe pour trouver des financements. Pour l’accompagner, il fera sortir sa fille du couvent où elle s’apprêtait à prononcer ses vœux. Celle-ci accepte en espérant éclaircir la mort de sa mère. Le casting du dernier Wes Anderson est étincelant : Benicio del Toro, Mia Threapleton, Tom Hanks, Riz Ahmed, Mathieu Amalric, Benedict Cumberbatch, Scarlett Johansson, les caméos se multiplient au fil des voyages de Zsa Zsa. J’ai mis beaucoup de temps à rentrer dans le film qui est extrêmement bavard et finalement assez répétitif. Si le film reste plaisant à regarder, c’est grâce aux performances des acteurs et à l’univers vintage et pop du réalisateur. 
  • « Chime » de Kiyoshi Kurosawa : Dans un cours de cuisine, un élève se suicide devant tout le monde en sa tranchant la gorge. L’angoisse gagne le professeur, atteint son quotidien. La violence semble le contaminer. Kiyoshi Kurosawa réalise un moyen métrage étrange où le mal reste inexpliqué. L’ambiance est très inquiétante mais l’intrigue est trop décousue pour convaincre. 

Bilan livresque et cinéma de mai

Huit livres m’ont accompagnée durant le mois de mai et un certain nombre d’entre eux sentent bon le retour du mois anglais organisé chaque année avec ma chère Lou :

-« Trompeuse gentillesse » où Angelica Garnett revient sur son enfance au milieu du groupe de Bloomsbury créé autour de sa mère Vanessa Bell et de sa tante Virginia Woolf ;

-« En caravane » où Elizabeth Von Arnim n’a jamais été aussi drôle et ironique ;

-« Une bonne tasse de thé et autres textes » de George Orwell composé de onze articles célébrant les saveurs de la vie et la liberté des peuples.

J’ai également eu le plaisir de découvrir le premier roman de Sébastien Dulude qui parle si bien de l’enfance, le travail du dessinateur Will McPhail sur la difficulté de communiquer avec autrui, celui d’Aude Picault dans son « Moi, je » une autofiction pleine d’humour et celui de Cathie Barreau avec cette poignante et sensuelle « Lettre de Natalia Gontcharova à Alexandre Pouchkine ». J’ai également retrouvé une autrice que j’affectionne tout particulièrement : Maria Messina avec « Les pauses » de la vie », une nouvelle fois publiée aux éditions Cambourakis.

Le mois de mai a également été l’occasion de voir sept films dont voici mes deux préférés :

Hiver 1985 à New Ross en Irlande, Bill Furlong est le propriétaire du dépôt de bois et de charbon. Il travaille dur et continue à faire lui-même les livraisons. Il s’occupe d’ailleurs de celles du couvent. C’est là qu’il assiste à une scène déchirante, une adolescente est confiée de force par ses parents aux religieuses. Cela le renvoie à sa propre histoire puisque sa mère l’a eu très jeune mais a été prise en charge par la riche propriétaire terrienne chez qui elle travaillait. Que serait devenu Bill si sa mère avait été placée chez les religieuses ?

En 2002, Peter Mullan avait réalisé « The Magdalene sisters » sur la maltraitance, l’exploitation des filles-mères dans les couvents de la Madeleine. Le film de Tim Mielants reprend ce thème en adaptant le formidable roman de Claire Keegan « Ce genre de petites choses ». Peter Mullan avait réalisé un film choc montrant les violences subies par les jeunes filles. Ici, le propos est suggéré puisqu’il est montré par les yeux de Bill et non ceux des jeunes filles enfermées. Ce point de vue était l’atout majeur du roman et il l’est encore ici d’autant plus que Bill est interprété à l’écran par le formidable Cillian Murphy, poignant et tout en retenue. L’acteur incarne parfaitement le dilemme qui habite Bill : son empathie profonde pour les jeunes filles du couvent rentre en conflit avec ses responsabilités envers sa famille car les religieuses ont beaucoup de pouvoir à New Ross. La mère supérieure est d’ailleurs incarnée par Emily Watson, terrifiante et menaçante.

Le roman de Claire Keegan était bouleversant et remarquable. Le film de Tim Mielants l’est tout autant avec un impeccable Cillian Murphy.

Alertée par l’état de santé de son père, Cécile rentre dans le Loir et Cher en laissant son compagnon finaliser l’ouverture de son restaurant gastronomique. Elle fut lauréate de Top chef et voit ses rêves se concrétiser. Son amour de la cuisine, elle le doit à son père qui tient depuis toujours un relais routier avec sa femme et refuse d’arrêter son activité. Le retour n’est pas simple pour celle qui a si bien réussi, son père lui reproche certains propos méprisants tenus l’émission (il a tout noté dans un carnet). Cécile s’angoisse également pour l’ouverture de son restaurant car elle cherche toujours son plat signature, celui qui fera la différence et assoira sa réputation. Au milieu de ces questionnements, réapparait Raphaël, un ami d’enfance. Ils se sont quittés des années auparavant sur un amour inabouti. Leurs retrouvailles ne les laissent pas indifférents.

Certains films ont un charme irrésistible, presque magique. Le court-métrage d’Amélie Bonnin, également nommé « Partir un jour » et où les rôles étaient inversés, était déjà très réussi et très émouvant. La réalisatrice reprend son idée de départ en la développant. L’histoire d’amour des deux héros, restée en suspens, est toujours le cœur du film.  Mais s’ajoutent d’autres thématiques : le rapport entre enfant et parents vieillissant, le choix d’avoir ou non des enfants. Cette comédie allie avec brio les moments joyeux, insouciants à une tonalité douce-amer et nostalgique. Amélie Bonnin a choisi de réunir à nouveau Juliette Armanet et Bastien Bouillon, un duo qui fonctionne à merveille, qui pétille à chaque scène. Elle a également rappeler François Rollin, dans le rôle du père bougon et pudique,  et elle a offert à la formidable Dominique Blanc celui de son épouse. Les parties chantées rehaussent les sentiments, les situations.

L’alchimie entre les acteurs, l’équilibre entre l’insouciance des souvenirs d’enfance et les questionnements adultes, la fantaisie des passages chantés, tout concoure à faire de « Partir un jour » un film marquant, infiniment séduisant et touché par la grâce.

Et sinon :

  • « Jeunes mères » de Jean-Pierre et Luc Dardenne : Le dernier film des frères Dardenne nous permet de suivre quatre jeunes filles qui viennent d’accoucher et sont accueillies dans une structure nommée « Maison maternelle » où on les aide à s’occuper de leurs bébés mais aussi à devenir responsables. Elles sont entourées par des puéricultrices, des psychologues qui accompagnent leur choix : garder l’enfant ou le placer. Contrairement à leurs films précédents, « Jeunes mères » ne se concentre pas que sur un seul personnage mais est fait de fragments nous permettant de faire connaissance avec chacune. Le talent des Dardenne est là dans leur capacité à dessiner un portrait de chacune, d’expliciter la situation de chacune (misère sociale et affective) rapidement. L’éclatement de la narration apporte de la vivacité mais on perd un peu de la tension, de l’intensité de leurs meilleurs films. Mais ces quatre jeunes filles sont infiniment touchantes et malgré les nombreuses embûches, les réalisateurs leur offrent une vraie lueur d’espoir.

 

  • « Marco, l’énigme d’une vie » de Altor Arregi et Jon Garano : Enric Marco chercher à obtenir un certificat officiel de sa présence au camp de Flossenbürg. Il dit ne pas se souvenir de son matricule, ni du faux nom qu’il aurait donné aux nazis. Grâce à son charisme, il se fait reconnaître comme survivant des camps dans son pays, l’Espagne, qui avait occulté cette période de l’Histoire durant la dictature. Eric devient même président de l’Amicale de Mauthausen, il raconte son histoire dans les écoles, à la télévision. Pourtant en 2005, un historien prouve qu’Eric Marco n’est jamais allé à Flossenbürg, il a même fait partie des volontaires pour aller travailler en Allemagne. L’histoire d’Eric Marco est hallucinante et fascinante. Son besoin d’être dans la lumière a alimenté sa mythomanie pendant des années. Son charisme naturel a fait le reste. Ce qui est incroyable, c’est qu’après 2005 Enric n’a pas cessé de passer à la télévision, de donner des interviews pour raconter sa vie et continuer à se faire passer pour une victime. Une scène invraisemblable m’a marquée : Enric Marco intervient dans un festival littéraire où est invité Javier Cerca qui a écrit sur lui et il se permet de traiter l’écrivain de menteur ! Un personnage hors-norme qui semble effectivement tout droit sorti d’un roman.

 

  • « Les musiciens » de Gregory Magne : Un stradivarius, disparu puis retrouvé, est mis en vente. Voilà de quoi réjouir Astrid qui le cherchait afin d’accomplir le rêve de son défunt père : organiser un concert unique avec quatre stradivarius sur une partition inédite. Après les instruments, la jeune femme doit réunir les interprètes de ce quatuor. C’est là que les choses se corsent et les egos des musiciens provoquent des étincelles. Astrid décide alors de faire appel au compositeur de la partition pour l’aider. « Les musiciens » est un film au charme délicat comme le quatuor de Grégoire Hetzel qui est répété par les musiciens. Le but d’un quatuor à cordes est de réussir à s’harmoniser, à s’écouter pour former un tout et non une somme de personnalités. Gregory Magne montre parfaitement ce travail compliqué pour ses musiciens solistes. Il nous offre de très beaux moments de musique, d’improvisations qui lient peu à peu les artistes. Les quatre interprètes sont de véritablesmusiciens ce qui apporte un vrai supplément d’âme au film. Frédéric Pierrot, qui incarne le compositeur, est comme toujours parfait.

 

  • « Les règles de l’art » de Dominique Baumard : Dans la nuit du 20 mai 2010, cinq tableaux se volatilisent du musée d’Art moderne de Paris : un Picasso, un Matisse, un Modigliani, un Léger et un Braque. Le système d’alarme défaillant a profité à un habile voleur. Il va les fourguer à son receleur habituel, roi de la tchatche et des petites arnaques. Ce dernier ira chercher l’aide d’un expert de Drouot spécialisé… en horlogerie ! Dominique Baumard nous offre une très sympathique comédie autour de ce véritable casse. Les trois voleurs sont des pieds nickelés, dépassés totalement par l’ampleur de leur butin. La reconstitution des faits passe par la fantaisie et l’humour. Et l’atout majeur du film est son casting : Steve Tientcheu en monte-en-l’air talentueux, Sofiane Zermani en embobineur charismatique et Melvil Poupaud en candide inconscient. Ce qui est également très beau, c’est que ces trois-là vont succomber à la beauté des tableaux volés et en être fascinée.

 

  • « Les indomptés » de Daniel Minahau : A son retour de la guerre de Corée, Lee décide de s’installer en Californie avec sa femme Muriel. Une maison neuve, un nouveau quartier, le couple prend un nouveau départ. Cet équilibre se modifie avec le retour de Julius, le frère de Lee, qui gagne sa vie en jouant. Sa venue, puis son départ, vont mettre à jour l’insatisfaction de Muriel. Le film montre une génération perdue qui cherche désespérément à s’évader pour Muriel et Julius ou à retrouver une forme de normalité pour Lee. Muriel et Julius se ressemblent, ils cachent leurs véritables désirs mais cela ne pourra pas durer. Daisy Edgar-Jones, Jacob Elordi et Will Poulter composent le casting glamour et flamboyant de ce film.

Bilan livresque et cinéma de mars

Voici mon bilan de lecture du mois de mars :

-« Trois ans sur un banc » qui m’a permis de retrouver Jean-François Beauchemin dont j’apprécie énormément le travail ;

-« Sunset song » de Lewis Grassic Gibbon qui végétait dans ma pal depuis longtemps et qui est un classique de la littérature écossaise ;

-« Le mur invisible » de Marlen Haushofer qui prenait également la poussière depuis longtemps et que j’ai eu le plaisir de découvrir enfin ;

-« Dans la maison de mon père » où Joseph O’Connor nous entraine dans un thriller historique palpitant ;

-« Coucous Bouzon » d’Anouk Ricard ou une vision totalement barrée (et très drôle) du monde du travail ;

-« Irina Nikolaevna » de Paola Capriolo qui nous entraîne à San Remo à la fin du 19ème siècle avec délicatesse et élégance ;

-« Le grand tout » qui montre à nouveau le grand talent de conteur d’Olivier Mak-Bouchard ;

-« Minuit passé de Gaëlle Geniller aux dessins splendides et qui nous plonge dans un conte fantastique ;

-« La disparue du cinéma » de Guillaume Tion, les éditions 10/18 complètent leur collection de True crime aux USA avec des titres consacrés aux faits divers français. 

 

Du côté du cinéma, j’ai pu voir sept films dont voici mes préférés du mois :

En ce mois de mai 1968, rue de Grenelle se cache une drôle de famille. Père-Grand y a son cabinet médical. Mère-Grand y travaille sur ses essais basés sur des entretiens réalisés uniquement dans son Ami 6. Grand-Oncle y tient des discours sur la linguistique incompréhensibles pour les autres et Petit Oncle s’y exprime par la peinture. Tout en haut de l’appartement est installée l’arrière-grand-mère, dite l’Arrière-Pays, qui revit son passé ukrainien au son des grands compositeurs russes. Un petit garçon, fils du troisième rejeton de Mère-Grand et Père-Grand, est le témoin de cette étonnante vie de famille qui s’épanouit à l’abri du tumulte du monde dans son cocon.

Je n’ai pas lu le livre de Christophe Boltanski,  dont est tiré ce film, et je le regrette tant sa famille fantasque est attachante. Rien n’est ordinaire chez eux (les sardines à la chantilly est un de leur plat préféré notamment au petit-déjeuner !), ils réinventent sans cesse le quotidien et mettent l’imagination au cœur de leurs vies. La famille est incroyablement unie, presque inséparable, chaque membre semble ne pas pouvoir s’éloigner très longtemps de la rue de Grenelle. Ce lien si fort vient certainement de l’histoire des Boltanski, de la fameuse cache où Père-Grand a trouvé refuge durant la seconde guerre mondiale, pour échapper aux nazis. La légèreté, l’humour se teinte de mélancolie et de douleur. Mais la famille vit au présent, hors de question de s’appesantir sur le passé. La mise en scène de Lionel Baier rend hommage à cette famille grâce à sa fantaisie et son inventivité. Les acteurs sont également formidables : Dominique Reymond, Michel Blanc dans son dernier rôle, William Lebghill, Liliane Rovère, Aurélien Gabrielli et le jeune Ethan Chimienti. « La cache » est une merveilleuse bulle dédiée à l’imaginaire et à une famille anticonformiste.

David retrouve son cousin Benji pour un voyage en Pologne sur les traces de leur grand-mère récemment disparue. Ils rejoignent un groupe d’autres touristes qui vont visiter Varsovie, Lublin, le camp de concentration de Majdanek.

Jesse Eisenberg a trouvé l’idée de son film grâce à une petite annonce incongrue « Visite Holocauste, déjeuner compris ». Son film oscille sans cesse entre le rire et les larmes, un peu comme ce que peut provoquer la fameuse petite annonce. Il réussit à doser parfaitement les deux, évitant les écueils et le pathos trop appuyé. Les deux cousins forment un duo improbable. Benji, interprété par le formidable Kieran Culkin déjà bluffant dans « Succession », est aussi insupportable qu’il est charmant et attendrissant. Le double sens du titre symbolise bien ces deux facettes de sa personnalité. David, interprété par Jesse Eisenberg, est à l’opposé : discret, coincé, asocial mais ayant une vie plus équilibrée que celle de son cousin. Par petites touches, le réalisateur interroge notre manière de nous souvenir, la façon dont nous commémorons les évènements de la seconde guerre mondiale. Benji trouve indécent de voyager en 1ère classe pour se rendre à Majdanek mais il prend des poses burlesques devant le monument célébrant l’insurrection de Varsovie.

De la nuance, de la profondeur, de la tendresse et de l’humour sont les ingrédients de cet excellent film.

Juste avant les JO de Pékin en 2008, Lang rentre chez lui aux portes du désert de Gobi après avoir été incarcéré pour meurtre. Sa ville est désertique, laissée à l’abandon et envahie par des chiens sauvages. Lang, taiseux et harcelé par l’oncle de celui qu’il aurait tué, va trouver du travail dans une entreprise qui attrape les chiens. Mais il n’est pas très motivé et finit par adopter le plus sauvage d’entre eux : un lévrier noir qui aurait la rage.

Guan Hu nous propose un western aux allures de fin du monde. La région, les décors (comme ce parc d’attraction-zoo abandonné) sont formidablement bien exploités et ils donnent une tonalite singulière au film. Face au clinquant des JO, on constate ici la misère social, économique et l’abandon totale de cette ville par les autorités. Certaines scènes impriment durablement la rétine comme celle qui ouvre le film et nous montre une horde de chiens cavalant dans le désert. Ce qui fait également la beauté de ce film est la force de la relation qui unit Lang et son chien. Le trentenaire solitaire est particulièrement impassible et ne semble toucher que par cet animal qui le comprend sans mot. 

« Black dog » est un film surprenant, peut-être un peu long mais superbement mis en scène.

Et sinon :

  • « The insider » de Steven Soderbergh : Rien ne va plus dans les services secrets de sa majesté, une taupe s’y trouve. George Woodhouse, du National Cyber Security Centre, est chargé de l’identifier. Dans sa liste de cinq suspects potentiels figure sa femme Kathryn. Cette histoire de taupe et de possible fuite de données est évidemment un MacGuffin et l’intrigue est d’ailleurs bien inutilement compliquée. Ce qui intéresse Soderbergh, c’est le couple formé par George et Kathryn. Les dialogues sont ciselés, ironiques et savoureux. Le réalisateur a réuni un casting de haute volée : Cate Blanchett, Michael Fassbender, Tom Burke, Pierce Brosnan. L’ensemble est léché, un peu trop sans doute, et surtout beaucoup moins amusant que « Ocean’s eleven ».
  • « Black box diaries » de Shiori Ito : Jeune journaliste stagiaire à l’agence Reuters, Shiori Ito a l’opportunité d’avoir un entretien avec Noriyuki Yamaguchi, en charge du bureau de la chaine TBS à Washington. Cette rencontre va très mal se terminer puisqu’il va droguer la jeune femme au restaurant et la ramener à son hôtel pour la violer. Au Japon, les victimes de violences sexuelles n’ont pas le droit à la parole mais Shiori Ito organise une conférence de presse pour dénoncer les actes qu’elle a subis. C’est d’autant plus courageux que Yamaguchi est un proche du premier ministre japonais. Après un livre, la journaliste réalise ce documentaire pour montrer son combat, ses doutes, les difficultés qu’elle a du surmonter durant huit ans. Elle a subi de nombreuses pressions, a été menacée et insultée. Son abnégation, sa ténacité, sa capacité à prendre du recul forcent l’admiration.
  • « Mickey 17 » de Bong Joon-ho : En 2054, Mickey Barns est criblé de dettes et est menacé par un usurier. Pour lui échapper, il décide de participer à la colonisation d’une planète, Niflheim. Le seul poste qu’on lui offre est celui de consommable, autrement dit il va être utilisé dans des expériences de laboratoire. Il meurt à chaque fois et une nouvelle version de lui est ensuite imprimée en 3D. L’idée de départ de Bong Joon-ho est excellente, la farce fonctionne parfaitement et offre des scènes burlesques (le corps de Mickey tombe de l’imprimante comme une feuille de papier). La description de cette humanité du futur est pessimiste mais le grotesque l’emporte. Robert Pattinson est parfait dans le rôle de Mickey, grand naïf un peu benêt. Mais le film s’étire en longueur et le réalisateur semble éprouver des difficultés à trouver une fin à sa dystopie.
  • « Lire Lolita à Téhéran » d’Eran Riklis : Le film d’Eran Riklis est l’adaptation du livre éponyme d’Azar Nafisi qui racontait son retour en Iran après la révolution. Elle va enseigner la littérature anglo-saxonne à l’université. Rapidement, elle déchante et voit les romans, qu’elle a choisis pour son cours, être interdits par le pouvoir en place. Elle décide alors d’inviter certaines étudiantes chez elle pour les étudier. Le film est très classique dans sa forme mais il vaut pour son casting d’actrices avec à sa tête une Golshifteh Farahani intense et profondément émouvante. 

Bilan livresque et cinéma de février

Durant le mois de février, j’ai pu lire sept livres :

-« D’autres étoiles, un conte de Noël » d’Ingvild H. Rishoi qui arrive un peu tard après Noël mais que j’ai beaucoup apprécié quand même ;

-« La loi de la tartine beurrée » de J.M. Erre où je retrouve avec plaisir l’humour caustique d’un de mes auteurs préférés ;

-« Francoeur, à nous la vie d’artiste » de Marie-Audre Murail et Constance Robert-Murail, une formidable fresque familiale qui nous plonge dans le Paris de 1848 ;

-« La marque de naissance » de Nathaniel Hawthorne, une nouvelle qui parle de gaslighting avant l’heure. Et je tiens à souligner le magnifique travail éditorial des éditions Tendance Négative ;

-« Love » d’Elizabeth Von Arnim qui est l’un des meilleurs romans de l’autrice et qui aborde le thème très moderne de la différence d’âge dans le couple ;

-« Ida ou le délire » de Hélène Bessette pour lequel j’ai eu un gros coup de cœur et qui dresse le portrait d’Ida, une femme de ménage, qui vient de mourir à travers le regard de ses employeurs ;

-« Chiens des Ozarks » d’Eli Cranor qui est le premier roman de l’auteur et nous entraine dans le Deep South où le trafic de drogue gangrène l’Arkansas.

Côté cinéma, je vais vous parler des neufs films vus ce mois-ci dont voici mes deux préférés  :

Dans le Maine et Loire, deux amis fusionnels pratiquent le motocross. Jojo pilote sa moto tandis que Willy s’occupe de la mécanique. Le premier a de grandes chances de remporter le championnat et il est poussé par son père autoritaire et son entraineur. Les deux jeunes garçons, en terminale, profitent de la vie, s’enivrent de la vitesse et de leurs exploits motorisés. Pourtant, leurs destins vont s’assombrir après la révélation d’un secret bien gardé jusque là.

Antoine Chevrollier avait auparavant réalisé la formidable série « Oussekine » avec Sayyid El Alani dans le rôle titre que l’on retrouve ici dans celui de Willy. Contrairement à ce que laissent penser les premières images, ce n’est pas le solaire et intrépide Jojo qui sera le personnage principal du film mais bien Willy. Il est essentiellement observateur de l’action, il est mécanicien et il n’est donc pas celui qui concoure. Il sera également spectateur du drame qui va se dérouler devant ses yeux sans qu’il puisse intervenir ou l’empêcher. « La pampa » sera le film de son apprentissage, de son envol aussi. Sayyid El Alani est encore une fois épatant, d’un naturel confondant. Les autres personnages sont intéressants, leur psychologie est complexe, ils ne sont jamais manichéens. C’est le cas notamment du père de Jojo et de son entraineur (Damien Bonnard toujours excellent et Artus Solaro qui nous surprend dans ce rôle) qui ne sont pas accablés par le réalisateur malgré leur toxicité. « La pampa » est un film profondément touchant servi par un formidable casting (je n’ai pas encore cité Amaury Foucher dans le rôle de Jojo) et qui arrive à surprendre son spectateur.

1971, la famille Paiva semble heureuse, unie. Rubens, le père, est ingénieur et ex-député travailliste. La maison est grande ouverte aux amis, sur la plage où s’échappent sans cesse les cinq enfants. Un joyeux tourbillon qui est soudainement obscurci par le passage d’un hélicoptère militaire au-dessus de la plage ou d’un camion rempli de soldats. La dictature militaire garde la population brésilienne sous sa coupe. Rubens va d’ailleurs être arrêté et sa famille ne le reverra jamais. Sa femme Eunice va se battre pendant vingt cinq ans pour que l’Etat reconnaisse la mort de son mari.

« Je suis toujours là » n’éblouit pas par sa mise en scène très classique, mais par la justesse de l’histoire racontée et celle de ses personnages. Walter Salles a connu la famille Paiva et il a fait partie des personnes invitées dans leur maison à Rio en face de l’océan. Le film est d’ailleurs tiré du livre de Marcello, le fils d’Eunice et Rubens. La proximité avec les personnages est donc bien réelle, profonde et Walter Salles nous fait pénétrer directement dans leur intimité. L’empathie est immédiate et elle ne faiblit à aucun moment. « Je suis toujours là » est un portrait de famille mais surtout celui d’une femme admirable : Eunice Paiva. Son courage (elle fut également incarcérée brièvement), son abnégation, sa détermination forcent l’admiration. A 48 ans, elle est devenue avocate et s’est battue pour les droits des peuples autochtones. Avant que la famille ne quitte Rio, des journalistes viennent faire un reportage et des photos où ils souhaitent montrer l’ampleur du chagrin des Paiva. Mais Eunice demande à ses enfants de sourire comme un pied de nez à la dictature. A l’écran, Fernanda Torres incarne Eunice Paiva avec force et élégance. Un film infiniment touchant qui s’achève avec des photographies d’archive.

Et sinon :
  • « Mon gâteau préféré » de Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha : Mahin, une veuve qui vit à Téhéran et se sent très seule : ses enfants ont quitté le pays et elle ne voit ses amies qu’une fois par an. Un jour, elle se fait audacieuse et intrépide, elle invite un homme, croisé dans un restaurant de retraités, à venir chez elle. Faramaz, un chauffeur de taxi, accepte de la suivre. La soirée de Mahin et Faramaz est faite de tendresse, d’humour et de beaucoup de nostalgie. Les deux septuagénaires évoquent l’époque révolue où elle pouvait porter des robes décolletées, où il pouvait faire du vin dans sa cour avec ses amis. Durant la soirée, ils dansent, boivent, profitent des plaisirs simples qu’offre la vie. Tous deux sont infiniment touchants et leur bonheur fugace réchauffe le cœur. Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha ont été assignés à résidence, en attendant leur procès, pour ce film qui célèbre l’amour, la liberté et montre la régression de l’Iran du point de vue des mœurs.
  • « L’attachement » de Carine Tardieu : Alors que sa femme vient de perdre les eaux, Alex laisse son beau-fils Elliot à leur voisine Sandra. Cette dernière est libraire, célibataire par choix et ne sachant pas se débrouiller avec les enfants. Pourtant, entre elle et ce petit garçon très éveillé, un lien immédiat se crée. Lorsque Alex revient de la clinique, il est le père d’une petite Lucille mais il est également veuf. « L’attachement » est un entrelac de liens amicaux, amoureux qui se construisent sur le deuil et le chagrin. La tendresse y a une place essentielle sans jamais tomber dans la mièvrerie. Les acteurs sont pour beaucoup dans la réussite de ce film : Valeria Bruni-Tedeschi et Pio Marmai en symbiose totale, mais également la fantasque Vimala Pons, l’incongru Raphaël Quenard, la sensible Catherine Mouchet et l’incroyablement naturel César Botti qui incarne Elliot.
  • « Un parfait inconnu » de James Mangold : James Mangold, dont j’avais beaucoup « Walk the line » sur Johnny Cash, s’attaque à une figure mythique du folk et du rock : Bob Dylan. Il se concentre sur ses débuts de janvier 1961 à juillet 1965. De son ascension fulgurante à son passage à la guitare électrique qui fit scandale. Le biopic est classique mais sonne juste. Timothée Chalamet est parfait, très à l’aise dans les vêtements de Dylan et interprétant lui-même les chansons. Perpétuellement en train de créer, d’absorber son époque, Bob Dylan n’est pas non plus montré comme un saint. Il peut être fuyant, peu aimable notamment avec Sylvie Russo (Elle Fanning) ou Joan Baez (Maonica Barbaro) mais son génie de compositeur est indiscutable.
  • « 5 septembre » de Tim Fehlbaum : Munich, 1972, la chaîne ANC diffuse en direct les Jeux Olympiques. Le 5 septembre, l’organisation palestinienne Septembre noir prend en otage une partie de la délégation israélienne. La chaine américaine se transforme alors en chaine d’information en continu. Tim Fehlbaum choisit de nous montrer les évènements uniquement du côté des journalistes qui doivent improviser face à ce drame imprévu. Ce qui est très intéressant, ce sont les questions éthiques que se posent les journalistes au fur et à mesure : diffusion d’images pouvant compromettre le travail des policiers, course au scoop, concurrence entre les chaines pour montrer les images en premier, annonce prématurée à la fin de la prise d’otages. Des interrogations qui sont toujours d’actualité. Le film est tendu et remarquablement interprété.
  • « La pie voleuse » de Robert Guédiguian : Maria est aide ménagère chez des personnes âgées ou handicapées. Elle est très dévouée, patiente et chaleureuse. Mais Maria et son mari ont de grosses difficultés financières. Pour se soulager un peu et surtout pour payer les cours particuliers de piano de son petit-fils, Maria vole un billet par-ci, par-là et falsifie des chèques jusqu’à ce que le fils d’un de ses clients ne s’en rende compte. Retour à l’Estaque avec la merveilleuse Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darrousin, Robinson Stévenin, Grégoire Leprince-Ringuet et tous les autres ! La troupe de Guédiguian est au complet pour notre plus grand plaisir et le réalisateur fustige toujours la dureté sociale. Mais la bonté et l’humanisme peuvent encore exister et l’optimisme du réalisateur rayonne sur cette « Pie voleuse ». Même si l’histoire d’amour de la deuxième partie est un peu soudaine et improbable, je me plais toujours dans l’univers du réalisateur.
  • « Hola Frida » d’André Kadi et Karine Vézina : Ce dessin-animé raconte l’enfance de Frida Kahlo : sa famille aimante, son envie de devenir médecin, la polio qui atrophia sa jambe droite, sa résilience face à la maladie et au handicap. L’ambiance est malgré tout joyeuse et pétillante, les couleurs vives comme celles de la Casa Azul. André Kadi et Karine Vézina rendent un bel hommage à la peintre, à la naissance de sa créativité et à son univers si singulier inspiré des origines du Mexique et de sa propre expérience. Le dessin est plein de charme et Frida adulte a la voix d’Olivia Ruiz (qui chante également une chanson originale).
  • « Paddington au Pérou » de Dougal Wilson : Paddington part au Pérou pour rendre visite à sa chère tante Lucy. Mais arrivé là-bas, il découvre qu’elle a disparu de la maison de retraite pour ours où elle vivait. Il part donc à sa recherche aidé par la famille Brown. C’est toujours un plaisir de retrouver le célèbre ours en duffle coat (en vo la voix de Ben Whishaw est un régal) dont la maladresse est légendaire. Il est particulièrement bien entouré dans ce troisième volet avec Olivia Coleman en bonne sœur déjantée et Antonio Banderas en chasseur d’or obsessionnel. Hugh Bonneville est toujours de la partie et je regrette que Sally Hawkins ne fasse plus partie du casting. Rythmé, sympathique, plein de tendresse et d’humour, « Paddington au Pérou » séduira sans peine les amoureux de cet ours facétieux.

Bilan livresque et cinéma de janvier

Voilà un début d’année qui commence très bien avec 13 livres, espérons que ça continue :

-« Terres promises » de Bénédicte Dupré La Tour, un extraordinaire premier roman qui nous emmène au Far-West où le rêve américain est en réalité un cauchemar, notamment pour les femmes ;

-« A la ligne », Julien Martinière adapte le livre de Joseph Ponthus avec beaucoup de talent et tout en noir et blanc ;

-« Björn, six histoires d’ours » de Delphine Perret, ce petit livre jeunesse est tellement délicat et tendre que j’ai enchainé avec « Björn et le vaste monde » et « Björn, une vie bien remplie » ;

-« Bristol », j’ai toujours beaucoup de plaisir à retrouver la plume et l’humour caustique de Jean Echenoz ;

-« Hiver à Sokcho », j’ai enfin découvert le premier roman de Elisa Shua Dusapin qui nous transporte en Corée du Sud à la rencontre de deux solitudes ;

-« Les jours de la peur » de Loriano Macchiavelli, j’ai découvert grâce à Vleel cette formidable série de romans policiers se déroulant à Bologne dans les années 70 ;

-« Truman Capote, retour à Garden City » de Nadar et Xavier Betaucourt et « Le fantôme de Truman Capote » de Leila Guerriero, je suis fascinée depuis longtemps par « De sang froid » et par son écriture. Cette bande-dessinée et ce texte m’y ont replongé.

-« Rappel à la vie » de David Park nous permet de faire connaissance et de suivre plusieurs personnages qui ont connu des difficultés et qui décident de se reprendre en main par la course, un roman optimiste et lumineux ;

-« Autodafé, comment les livres ont gâché ma vie » de Thomas E. Florin, les livres peuvent être tellement  envahissants que l’on souhaite les brûler, c’est ce que vit le malheureux narrateur de ce court roman ;

-« Le chant de la rivière », le talent de Wendy Delorme pour parler d’amour et de désir, de la nature également, est encore une fois au rendez-vous. 

Côté cinéma, l’année a également bien commencé avec huit films dont voici mes préférés :

La rencontre entre Almut et Tobias est des plus insolites. La jeune femme renverse le jeune homme avec sa voiture. Elle l’accompagne à l’hôpital et l’invite à venir dans son restaurant pour se faire pardonner. De là naît une histoire d’amour qui ne sera pas un long fleuve tranquille et qui sera frappée par la maladie. 

Le film de John Crowley pourrait aisément tomber dans le mélo sirupeux mais ce n’est jamais le cas. Il réalise ici un film d’une rare délicatesse et d’une grande sensibilité. Deux choses contribuent à cela. La chronologie de l’histoire d’Almut et Tobias est bousculée, les différents moments de leur vie à deux sont mélangés nous permettant de les découvrir par bribes, par vagues de souvenirs. Cette manière de présenter l’intrigue permet de casser le côté larmoyant, de tisser un lien progressivement avec les personnages. Ce qui rend également le film précieux, c’est l’incroyable alchimie entre ses deux acteurs : Florence Pugh, rayonnante et tenace, Andrew Garfield, sensible et subtile. Ils incarnent Almut et Tobias avec un naturel déconcertant, impossible de ne pas s’attacher à ce couple plutôt fantasque et surprenant. 

Grace Pudel raconte son histoire à Sylvia, l’un des ses escargots, animal qu’elle aime tellement que son bonnet porte des antennes. Elle a connu des moments de bonheur dans son enfance aux côtés de son jumeau Gilbert. Leur père, français, devient alcoolique après la mort de sa femme. Lorsqu’il décède à son tour, les enfants sont séparés et envoyés dans des familles d’accueil. Grace va chez un couple d’échangistes, positifs mais trop exubérants pour la timide et effacée jeune fille. Son frère tombe très mal avec une famille d’intégristes religieux maltraitants. Leur seul espoir dans la vie est de se retrouver un jour.

Quelle merveille que ce film en stop motion ! L’esthétique des décors, aux couleurs sourdes, est à l’image de la tristesse profonde, la mélancolie de Grace. Adam Elliot s’intéresse à des personnages que la vie n’a pas épargné, qui passent inaperçus. Pourtant, il y a également de la poésie et de l’imagination dans la vie de Grace. Elle connait beaucoup de déceptions, se cache de la réalité dans sa coquille mais continue à lutter pour accéder à son indépendance. « Mémoires d’escargot » est bouleversant, cocasse (Pinky, la vieille copine de Grace, est génialement extravagante), singulier, un petit bijou d’animation qui s’adresse pour une fois aux adultes.

Et sinon :

  • « Jane Austen a gâché ma vie » de Laura Piani : Agathe travaille à la librairie Shakespeare & co avec son meilleur ami Félix. Elle vit avec sa sœur et son neveu. Notre héroïne, rêveuse et maladroite, voudrait devenir écrivaine mais elle doute trop de ses talents pour y parvenir. Même chose pour ses histoires d’amour, Agathe passe consciencieusement à côté de sa vie comme Anne Eliot, son personnage préféré de Jane Austen. Mais elle est trè bien entourée et grâce à Félix, elle est et, grâce à Félix, elle est conviée à une résidence d’écrivains en Angleterre à la Jane Austen Residency. Dans une jolie demeure campagnarde, Agathe croise la route d’un descendant bourru de son autrice favorite. « Jane Austen a gâché ma vie » est une délicieuse comédie romantique. Outre son intrigue qui fait parfois penser à Bridget Jones, notre Agathe passe de 0 choix amoureux à un choix cornélien, les personnages sont plein de charme. Agathe est extrêmement touchante, émouvante, elle est incarnée par la formidable Camille Rutherford, fragile et inadaptée à son époque. Le descendant de Jane Austen Charlie Anson, est également à classer dans la catégorie des héros tourmentés, perdant élégant et bourré d’ironie. On peut rajouter à cette sympathique galerie de personnages, un Félix gouailleur, pétillant et séducteur qui prend les traits de Pablo Pauly. Les dialogues sont bien écrits, le badinage exquis, une comédie romantique réjouissante. 

 

  • « Hiver à Sokcho » de Koya Kamura : A Sokcho, petite ville balnéaire de Corée du Sud, vit Soo-ha et sa mère. La première travaille dans une pension, tandis que la deuxième vend du poisson sur le marché. La mère espère marier prochainement sa fille. Alors que la jeune femme se cherche, se questionne sur ses origines. Son père était français mais il est parti avant sa naissance et sa mère refuse de lui en parler. Quand un dessinateur de bande-dessinée venu de Normandie, Yan Kerrand, vient s’installer dans la pension où elle travaille, Soo-ha est tout de suite fascinée. Le film de Koya Kamura est tiré du roman éponyme d’Elisa Shua-Dusapin et il retranscrit parfaitement l’ambiance de celui-ci. Les personnages évoluent dans une ville endormie, engourdie par l’hiver. Soo-ha et Yan Kerrand le semblent également. Deux solitudes se croisent et nouent une relation ténue, pudique et qui se révèlera libératrice pour les deux protagonistes. Roschdy Zem incarne ce dessinateur mystérieux, taiseux, charismatique qui cherche l’inspiration. Bella Kim est Soo-ha, une jeune femme aussi lumineuse que mélancolique. Le roman d’Elisa Shua-Dusapin m’avait beaucoup plu et son adaptation également. La belle idée du réalisateur a été de rajouter des séquences animées donnant vie au travail de Yan.

 

  • « Bird » d’Andrea Arnold : A 12 ans, Bailey vit dans un squat avec son frère et son père dans une petite ville du Kent. Malgré le chaos ambiant, il y a de l’amour entre ces trois-là. Mais le père a eu ses enfants très jeune et ils se rapproche plus du pote que de l’adulte responsable. Bailey doit aussi prendre soin de ses demi-frère et sœurs qui vivent avec leur mère et son nouveau compagnon violent. Bailey se balade beaucoup en ville et à la campagne, elle y rencontre un drôle d’énergumène qui se fait appeler Bird et qui recherche sa famille. J’aime beaucoup le cinéma d’Andrea Arnold qui avait réalisé une étonnante et merveilleuse adaptation des « Hauts de Hurlevent ». « Bird » fait penser à « Fish tank » qui suivait les pas d’une adolescente en colère. On retrouve ici aussi le côté social cher au cinéma anglais. Le film déborde d’énergie et de mouvements (de musique aussi avec une excellente bande-son). Ce qui fait la différence avec « Fish tank » est une poésie, une étrangeté incarnées par Bird (incarné par Christian Petzold). « Bird » fait également penser au « Règne animal » de Thomas Cailley pour son côté un brin fantastique. Au fil du temps, Andrea Arnold développe une filmographie singulière qui continue à me séduire.

 

  • « Jouer avec le feu » du Delphine et Muriel Coulin : Pierre élève seul ses deux fils depuis la mort de sa femme. Il est mécanicien à la SCNF et travaille souvent de nuit. Louis, son fils cadet, est brillant, après sa prépa il vise la Sorbonne. Félix, dit Fus, végète à l’IUT où il suit une formation de métallurgiste. Son grand-père l’était aussi mais la Moselle a bien changé. La désindustrialisation a durement frappé la région et Félix voit son avenir bouché. Ce sentiment de déclassement social va le pousser dans les bras d’un groupuscule d’extrême droite. « Jouer avec le feu » est l’adaptation de « Ce qu’il faut de nuit » (dommage de ne pas avoir conservé ce titre) de Laurent Petitmangin. Les réalisatrices se concentrent sur la cellule familiale, sur ces trois hommes liés, soudés et qui vont pourtant s’éloigner. Elles montrent bien la fascination de la violence, de la force virile chez Félix et sa profonde désillusion. Il est incarné par un toujours impressionnant Benjamin Voisin. Face à lui l’incompréhension, l’impuissance du père sont portées par un Vincent Lindon, sensible et émouvant. Stefan Crepon incarne Louis et donne beaucoup de profondeur à ce personnage que l’on aimerait voir plus. Le film souffre de quelques longueurs mais ses acteurs sont exceptionnels.

 

  • « La chambre d’à côté » de Pedro Almodovar : Elles ne s’étaient pas vues depuis des années mais quand Ingrid apprend que Martha est à l’hôpital, elle s’y précipite. Les deux amies renouent leur lien rapidement et ne se quittent plus. Martha est atteinte d’un cancer incurable et elle demande à son amie de partager ses derniers jours dans une somptueuse villa isolée à la campagne. Elle emporte une pilule létale. Si, au matin, la porte de sa chambre est ouverte, c’est qu’elle est toujours en vie. Pedro Almodovar traite de manière frontale un sujet de société qui fait beaucoup débat, notamment en France, celui de choisir de mourir dignement. Le personnage de Martha a tout prévu, tout anticipé (jusqu’aux les poursuites judiciaires pour Ingrid), il n’y a aucun mélo, aucune larme lorsqu’elle l’explique à son amie. C’est une manière de dépassionner le sujet, le choix est mûri et réfléchi. Le film doit beaucoup à ses deux interprètes : Tilda Swinton et Julianne Moore qui apportent profondeur et délicatesse à leurs personnages. L’esthétique du film est très léchée, presque trop lisse pour Almodovar, son côté fantasque m’a un peu manqué dans ce film finalement très intellectuel.
  • « Un ours dans le Jura » de Franck Dubosc : Michel et Cathy sont vendeurs de sapin dans un petit village du Jura. Lors d’un trajet pour rentrer chez lui, Michel évite un ours et dérape sur la route verglacée. L’accident provoque la mort de deux personnes. N’ayant plus les moyens de payer l’assurance de sa voiture, il veut se débarrasser des corps et demande à sa femme de l’aider. Dans la voiture des défunts, ils découvrent un sac rempli de billets, de quoi combler leurs dettes. Franck Dubosc plonge ses personnages dans une intrigue policière bien noire qui évoque le « Fargo » des frères Coen et « Un plan simple » de Scott Smith. Son film est drôle, enlevé, amoral (même le prêtre sera tenté par l’argent !). Franck Dubosc inscrit parfaitement bien ses personnages dans ce cadre naturel enneigé et grandiose. Il a su également parfaitement s’entourer avec Laure Calamy en Cathy débrouillarde, Benoit Poelvoorde en gendarme papa poule, Emmanuelle Devos en tenancière de boite échangiste, Joséphine de Meaux en gendarme pleine d’empathie. « Un ours dans le Jura » est un film très plaisant, divertissant, plein de rebondissements dingues et farfelus.