Un gentleman à la mer de Herbert Clyde Lewis

Henry Preston Standish, un homme d’affaires et père de famille, a un jour ressenti une forte lassitude. Pour y remédier, il embarque sur un petit bateau de croisière l’Arabella. Entre Honolulu et le canal du Panama, il se balade tôt le matin sur le pont, glisse et passe par-dessus bord. Personne ne le voit, ni ne l’entend.

Le résumé du court roman de Herbert Clyde Lewis est d’une étonnante simplicité et il captive notamment grâce à sa construction. Le récit alterne entre les pensées de notre anti-héros plongé dans l’océan Pacifique et la vie qui continue sans lui sur l’Arabella. Le récit se développe, avec une terrible ironie, entre les espoirs de Standish et l’insouciance des passagers du bateau qui ne se rendent pas compte de son absence. Tout concourt à le faire oublier comme si un destin implacable s’était abattu sur cet homme sans histoire et un peu fade. Standish a à cœur sa respectabilité, son statut de gentleman même plongé dans l’eau en regardant son bateau s’éloigner. Il reste digne et c’est le plus important à ses yeux. Sa résignation se veut également élégante : « Puis il se dit que si le destin voulait qu’il se noie, il se noierait, un point c’est tout. Ce n’était pas plus compliqué que ça et ce n’était pas la peine d’en faire un drame, de battre sa coulpe ou de se perdre en protestations inutiles. » Un homme discret jusque dans la mort. Sa mésaventure peut se voir comme la métaphore de la solitude existentielle propre à la condition humaine et de la futilité à chercher un sens à sa vie.

« Un gentleman à la mer » n’a pas rencontré le succès qu’il aurait mérité tant sa construction est maitrisée et son humour est grinçant. Je me félicite qu’il soit à nouveau possible de découvrir cette cruelle fable existentielle.

Traduction Fanny Quément

Nous serons tempête de Jesmyn Ward

Annis a grandi sur la propriété du maître qui a violé sa mère et dont elle est la fille illégitime. Alors qu’elle est encore enfant, sa mère est vendue à un autre propriétaire. Bientôt, ça sera le tour d’Annis et de son amie Safi. Un groupe d’esclaves va ainsi entamer une longue et difficile marche vers les plantations de la Nouvelle-Orléans. Pour ne pas sombrer, la jeune fille repense à sa mère, son courage, ses leçons pour se battre avec un bâton ou pour apprendre à reconnaître les plantes. Elle se souvient également des récits de sa mère concernant sa grand-mère Aza, guerrière du roi du Dahomey. Annis évoque son esprit qui sait faire éclater les orages.

« Nous serons tempête » est un roman qui était très attendu puisque Jesmyn Ward, double lauréate du National Book Award, n’avait pas publié depuis six ans. Son nouveau roman m’a rappelé certaines thématiques traitées dans son superbe « Chant des revenants ». Dans les deux textes, l’autrice mélange le fantastique, les fantômes et le réalisme. « Nous serons tempête » nous conte l’histoire de plusieurs générations de femmes enlevées, exploitées, brutalisées mais qui puisent leur force dans leurs racines, dans leur histoire. Comme dans son roman précédent, Jesmyn Ward souligne également la persistance de la violence faite aux noirs dans les états du sud des États-Unis, une douleur qui se perpétue de mère en fille.

L’originalité du roman tient à la présence des esprits qui interagissent avec Annis, la guident et la soutiennent. Ils peuvent avoir pris l’apparence de sa grand-mère ou être des émanations de la terre. Ce dialogue cosmique se fait dans une langue exigeante. J’ai mis un peu de temps à rentrer dans le roman avant de me laisser emporter par le souffle et le lyrisme de Jesmyn Ward.

L’attente pour retrouver Jesmyn Ward fut longue mais elle en valait la peine. Elle signe ici un roman puissant, à l’écriture envoûtante.

Traduction Charles Recoursé

Divorcée d’Ursula Parrott

« C’est une chose étrange que d’être quittée par son mari à vingt quatre ans. Ce n’est pas exactement la vie que j’avais imaginée. » Pourtant le couple formé par Patricia et Peter semblait avoir tout pour conquérir le New York des années 20. Travaillant tous les deux, participant à de nombreuses fêtes arrosées, s’accordant une certaine liberté à l’intérieur de leur mariage, ils semblaient incarnés la modernité des années folles. Mais les mœurs ne s’affranchissent pas de la morale de la même façon lorsque l’on est un homme ou une femme… Après avoir enduré les infidélités de Peter, Patricia se laisse tenter par le charme d’un autre homme et l’avoue à son mari. Après quatre ans de vie commune, leur mariage prend l’eau jusqu’au divorce qui déstabilise totalement Patricia.

Les éditions Honorine ont eu l’excellente idée de publier dans une nouvelle traduction le roman d’Ursula Parrott. Il fut publié en 1929, il remporta un énorme succès et il fut d’ailleurs adapté au cinéma par Robert Z. Leonard en 1930 (il est globalement fidèle au roman à l’exception de la fin et Norma Shearer est une parfaite incarnation de Patricia). 

« Divorcée » évoque immanquablement l’univers de F. Scott Fitzgerald : l’élégance des années folles, le champagne et les cocktails qui coulent à flot, les bars clandestins de la Prohibition, la mauvaise absinthe, les crêpes Suzette de chez Dante’s, tout ce qui faisait l’attrait et l’atmosphère du jazz age à New York. Une insouciance, une légèreté qui s’accompagnent toujours de désabusement et d’amertume. Patricia a beaucoup de mal à se faire à son statut de femme divorcée. Elle se rendra rapidement compte que les femmes, qui se comportent avec frivolité et collectionnent les aventures, ne sont pas regardées de la même façon que les hommes. Même si l’entre-deux-guerres semble une période de libération des mœurs, les femmes se retrouvent dans une position ambigüe et inconfortable. Certaines ne sont pas enthousiasmées par l’émancipation des ex-femmes : « Qu’elles sont libres ? Tu parles ! Libres de payer toutes seules leur loyer, leurs vêtements, libres d’obéir à huit hommes au bureau plutôt qu’à un seul à la maison, oui ! » Ursula Parrott peint finement ce moment dans l’histoire des femmes en retraçant la quête d’indépendance et d’affirmation de soi de Patricia, personnage hautement touchant, complexe et digne.

La lecture de « Divorcée » fut une très belle découverte, le ton lucide et désenchanté à la fois, les dialogues plein d’esprit m’ont totalement enchantée. 

Traduction Sarah Tardy

Chien des Ozarks d’Eli Cranor

Taggard, Arkansas, Jeremiah Fitzjurls, un vétéran du Vietnam, s’occupe de la casse automobile. Il vit là avec sa petite-fille Jo dans un univers barricadé, sécurisé pour éviter toute agression. La région a subi de plein fouet la désindustrialisation, le chômage et les ravages des trafics de drogue. Jo compte quitter la région, s’éloigner du lourd passé de ses parents en allant à l’université. Avant cela, elle se rend au dernier match de football de l’année et au bal de sa promo. Son grand-père a bien du mal à la laisser partir et cette fois son inquiétude est légitime puisque Jo ne rentrera pas à la casse ce soir-là.

Eli Cranor, nouveau représentant du Deep South, nous offre dans son deuxième roman une intrigue haletante entre vengeance, fusillades et évasion sur fond de nature sauvage. L’arrière-plan est très social, la misère est profonde dans cette région très rurale et sauvage. Même le KKK ne fait plus recette et ses membres sont parfois prêts à passer des deals avec les mexicains. La violence quant à elle est toujours présente et peut éclater à tout moment. Au cœur du roman, Jeremiah est un personnage très réussi, complexe, travaillé par ses souvenirs de sniper au Vietnam et par les erreurs commises par son fils.

« Les chiens des Ozarks » est un excellent roman noir, tendu, désespéré, âpre comme les paysages qui encerclent Taggard.

Traduction Emmanuelle Heurtebize

Un plan simple de Scott Smith

Hank Mitchell est comptable dans une petite ville reculée de l’Ohio. Il mène une vie paisible, plutôt aisée avec sa femme enceinte. Il aura toujours tout fait pour que sa famille ne manque de rien, pour ne pas connaître le sort de ses parents qui durent vendre leur ferme après une faillite. Ils décédèrent dans un accident de voiture. Depuis, chaque année pour l’anniversaire de leur père, Hank et son frère Jacob, qui ne sont pas très proches, se rendent au cimetière. Ce 31 décembre 1987 ne se déroule pas comme les précédents. Jacob vient chercher son frère avec son pick-up à bord duquel se trouvent son chien et son ami Lou. Pour éviter un renard, le pick-up dérape sur la route verglacée, s’immobilise. Le chien en profite pour s’échapper et pour prendre en chasse le renard. C’est en cherchant le chien que les trois hommes vont découvrir la carcasse d’un petit avion accidenté au milieu de la forêt. Le pilote est bien évidemment mort mais dans le cockpit, Hank découvre un sac contenant quatre millions de dollars. Les trois comparses décident de les garder mais ne commenceront à les dépenser que dans six mois. Une idée qui semble sensée et raisonnable mais qui se révèlera lourde de conséquences.

« Un plan simple » est un formidable roman noir, haletant et à l’ironie glaçante. C’est le récit d’un engrenage infernal, sanglant dans lequel se trouve piégé un homme ordinaire. Hank pensait avoir tout ce dont il rêvait dans la vie mais l’argent change tout : « En nous ouvrant les portes du rêve, l’argent nous avait amenés à mépriser notre existence présente. Mon boulot au magasin, notre maison pré-fabriquée, l’agglomération qui nous entourait, tout cela faisait déjà partie du passé dans notre esprit. Étriquée, grise, invivable, telle était notre situation avant que nous ne devenions millionnaires. » Et pour que cette vie nouvelle advienne, Hank va aller très, très loin dans l’horreur. Plus notre héros s’embourbe dans ses crimes, ses mensonges et plus il est fataliste comme si la violence était sa seule option pour s’en sortir. Hank aurait du se rappeler que l’argent ne fait pas le bonheur.

Si vous aimez l’ambiance de « Fargo » (le film et la série), « Un plan simple » est un roman qui va forcément vous plaire. Sa mécanique implacable, efficace, est aussi terrible pour ses héros qu’elle est réjouissante pour ses lecteurs.

Traduction Eric Chédaille

Lune froide sur Babylon de Michael McDowell

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Floride, 1980, la famille Larkin est installée dans la petite bourgade de Babylon. Leur ferme et champs de myrtilles se situent de l’autre côté du pont qui enjambe le Styx. Ce cours d’eau, affluent de la Perdido, a, en 1965, emporté les corps de Jim et Jo-Ann Larkin. Leurs enfants Margaret et Jerry furent dès lors élevés par leur grand-mère Evelyn. Les finances de la famille vont mal et la récolte des myrtilles suffit à peine à la faire vivre. Mais leur situation va encore s’aggraver. Un soir, où la pluie et l’orage menacent d’éclater, Margaret disparait. Son corps sera retrouvé quelques jours plus tard dans le Styx. Elle a été brutalement assassinée.

Si vous êtes amateurs, comme moi, de l’œuvre de Michael McDowell, vous ne serez pas dépaysés à votre arrivée à Babylon. L’ouverture du roman évoque celle du premier tome de « Blackwater » avec deux personnages dans une barque sur des eaux troubles et boueuses. C’est bien d’ailleurs l’esprit de « Blackwater » et de la Perdido qui plane sur « Lune froide sur Babylon ». On y retrouve le même mélange de thriller et de surnaturel, les meurtres sont violents et sanglants. Personne chez Michael McDowell n’est épargné et personne n’échappera à la lune étrangement éclatante et aveuglante. Dans cette Amérique rurale du Sud des Etats-Unis, tous les habitants se connaissent depuis des générations et la cupidité n’est pas le moindre des défauts de ceux qui ont le pouvoir et l’argent. Mais les morts ne dorment pas en paix dans le lit du Styx.

« Lune froide sur Babylon » est une lecture addictive, un conte gothique et pulp comme Michael McDowell en avait le secret.

Traduction Gérard Coisne et Hélène Charrier

Yellow face de Rebecca F. Kuang

Yellowface

June Hayward et Athena Liu se sont connues à Yale et sont toutes deux écrivaines. Mais elles ne rencontrent pas le même succès. Athena est devenue la nouvelle étoile montante de la littérature américaine dès son premier roman alors de June a connu un échec avec le sien. Les deux jeunes femmes continuent néanmoins à se fréquenter. Alors qu’elles passent une fin de soirée chez Athena, celle-ci s’étouffe avec un morceau de pancake. June essaie de l’aider, appelle les secours mais son amie décède devant ses yeux. Choquée par l’évènement, Elle n’en oublie pas pour autant de s’emparer du manuscrit qui traine sur le bureau. Il s’agit du prochain roman d’Athena, et si June se l’appropriait ?

Dans « Yellowface », Rebecca F. Kuang évoque avec férocité le monde de l’édition américaine, en décortique les rouages et en souligne la cruauté pour ceux qui ne rencontrent pas le succès. L’autrice aborde également le thème de l’appropriation culturelle (le dernier roman d’Athena parle des travailleurs chinois pendant la 1ère guerre mondiale et June est blanche), le rôle des réseaux sociaux et des haters qui peuvent ruiner une réputation en quelques posts.

« Yellowface » ne s’est pas révélé aussi accrocheur que je l’espérais et je lui ai trouvé quelques longueurs. Ce qui est néanmoins très intéressant est le personnage de June qui est la narratrice de l’intrigue et n’est bien entendu pas fiable du tout.  Elle justifie ses actes durant tout le roman, arrivant à nous faire compatir à ses malheurs. Sans remords, June traverse les évènements avec une incroyable arrogance et est un personnage totalement détestable !

Rebecca F. Kuang parle dans son roman de thématiques très actuelles concernant le monde éditorial au travers d’un thriller plutôt malin bien qu’un peu long.

Traduction Michel Pagel

Absolution d’Alice McDermott

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1963, Patricia arrive à Saïgon où son mari vient d’être nommé. Anciennement institutrice à Harlem, elle découvre la vie privilégiée des expatriés et les mondanités auxquelles elle se doit de participer. C’est lors d’une garden-party qu’elle fait la connaissance de l’énergique Charlene, épouse accomplie et mère de trois enfants. Rapidement, cette dernière embarque Tricia dans l’un de ses projets caritatifs : faire coudre des ào dài pour poupées Barbie et les vendre aux femmes de la communauté américaine de Saïgon. L’argent récolté servira aux œuvres bienfaisance de Charlene qui distribue des cadeaux dans les hôpitaux aux enfants brûlés par le napalm ou dans les léproseries. Tricia se laisse emporter par le tourbillon d’activités de Charlene, s’en s’interroger sur ce qui sourd dans le pays ou sur la moralité de son amie. Soixante ans plus tard, elle peut avoir le recul nécessaire pour mieux comprendre ce qu’elle a vécu.

Dans « Absolution », Alice McDermott revient sur un moment important de l’Histoire américaine, juste avant le chaos, juste avant l’assassinat du président catholique et pro-américain sud-vietnamien Ngô Dinh Diêm, juste avant celui de JF Kennedy. Ce point de bascule, l’autrice choisit de le montrer du point de vue des femmes, des épouses des diplomates, des salariés de l’administration américaine, des militaires. Celles qui sont invisibilisées par l’Histoire, qui estiment n’avoir joué aucun rôle important. Alice McDermott inverse les rôles, les maris et leur fonction sont quasiment invisibles dans son roman. La place de la femme est alors réduite à la sphère domestique : être une bonne épouse, être très présentable dans les soirées, être une mère. Que faire quand on ne peut remplir l’un de ces rôles ?

Ce qui est intéressant dans la narration d' »Absolution », c’est qu’elle est faite soixante ans plus tard au travers des lettres que Tricia adresse à Rainey, la fille de Charlene. Elle a donc une compréhension différente des évènements sans pour autant chercher le pardon. Elle veut seulement recontextualiser leurs actions, faire comprendre sa naïveté de l’époque. D’ailleurs Alice McDermott ne juge à aucun moment ses personnages, elle analyse très finement leurs psychologies, leur culpabilité face aux évènements.

Alice McDermott est une écrivaine discrète de la littérature américaine qui mériterait d’être plus dans la lumière tant son écriture délicate et précise réussit à rendre les ambivalences, les zones grises de ses personnages.

Traduction Cécile Arnaud

Un métier dangereux de Jane Smiley

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1851, Monterey, Californie, Eliza travaille dans la maison close de Mme Parks depuis la mort de son mari. Il a été tué dans un bar et la jeune femme n’a versé aucune larme pour cet homme brutal et violent. Loin de son Michigan natal, Eliza n’avait guère de possibilité pour subvenir à ses besoins. Mrs Parks est d’ailleurs très attentionnée envers ses filles et les protège le plus possible des clients malsains. Eliza passe son temps libre avec son amie Jean, prostituée également mais pour les femmes. Ensemble, elles lisent les aventures du chevalier Dupin imaginées par Edgar Allan Poe. Lorsque des prostituées, d’autres maisons closes, disparaissent et sont ensuite retrouvées mortes, Eliza constate que leur sort n’intéresse pas les autorités. Elle décide donc de mener sa propre enquête et se met à soupçonner tous ses clients.

Avec « Un métier dangereux », Jane Smiley nous offre un roman extrêmement divertissant et très plaisant à lire. Elle croise avec aisance le western et l’enquête policière dans une Amérique d’avant la guerre de Sécession. L’arrière-plan sociétal et historique est parfaitement rendu, nous sommes bien dans le Far-West de la ruée vers l’or qui en laissa plus d’un sur le carreau (c’est le cas du mari d’Eliza). Le roman interroge également la place et l’indépendance des femmes au travers du destin d’Eliza qui n’avait pas choisi son mari et qui va acquérir au fil des pages une certaine indépendance.

Le plaisir, qu’a eu Jane Smiley à écrire ce roman, se ressent dans chacune des pages qui se dévorent avec gourmandise.

Traduction Carine Chichereau

Les deux visages du monde de David Joy

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Après des années à Atlanta, Toya Gardner décide de passer l’été chez sa grand-mère Vess Jones dans la petite ville de Sylva en Caroline du nord. Devenue artiste, Toya souhaite interroger les racines de sa famille et elle ne tarde pas à vouloir dénoncer l’histoire esclavagiste du comté de Jackson. Cela n’est bien entendu pas du goût d’une partie de la population qui honore toujours le passé sudiste de leurs ancêtres. Parallèlement aux actions menées par la jeune femme, Ernie Allison, adjoint au sheriff, interpelle un homme qui se balade avec un costume du Ku Klux Klan dans sa voiture et un carnet de noms de dignitaires de la région qui en seraient membres. L’insistance d’Ernie à vouloir creuser l’enquête ne plaît pas beaucoup à sa hiérarchie. Quelques semaines plus tard, deux terribles crimes vont venir assombrir le quotidien en apparence paisible des habitants de Sylva.

Dans son cinquième roman, David Joy continue à explorer son territoire, la Caroline du nord, où il est né et où il vit toujours. L’intrigue est ici parfaitement maîtrisée, haletante et elle ne cesse de nous surprendre. « Les deux visages du monde » est également une radiographie sociale de ce territoire. Toute la première partie m’a fait penser au dernier roman de S.A. Cosby, « Le sang des innocents », où la célébration du passé sudiste, symbolisé par une statue, était au cœur de l’intrigue. David Joy traite cette thématique de manière différente, sous l’angle de deux réalités qui coexistent sans se comprendre. Le titre original l’exprime d’ailleurs parfaitement : « Those we thought we knew ». Le shérif Coggins se rend compte lors des évènements que ses amis noirs, Vess Jones et son mari aujourd’hui décédé, n’ont pas du tout le même ressenti sur les années écoulées. Le shérif pensait le racisme éradiqué et voyait comme du folklore les manifestations autour du passé sudiste de Sylva. L’été, où Toya revient chez elle, va servir de révélateur pour beaucoup d’habitants de la profonde fracture qui existe toujours entre les communautés.

David Joy s’appuie, pour construire son intrigue, sur de très beaux et très forts personnages féminins comme celui de Toya, jeune femme déterminée et engagée, mais également celui de sa grand-mère Vess dont l’abnégation et le courage ne peuvent qu’émouvoir le lecteur. L’inspectrice Leah Green est également très intéressant car son enquête remettra profondément en cause sa carrière et ses convictions.

« Les deux visages du monde » est un excellent roman noir, éminemment social, parfaitement maîtrisé et qui ne cesse de surprendre son lecteur. Du très grand David Joy.

Traduction Jean-Yves Cotté