Fort Detroit n’est plus que ruines, maisons abandonnées ou brûlées. La faillite a eu raison d’elle et de nombreux habitants ont choisi de la quitter. Gloria, elle, est venue s’y installer ; elle vit dans la maison jaune, celle où sa fille Judith a été assassinée, celle que ses petites filles Cassandra et Mathilda ont déserté. Gloria est venue pour les retrouver, pour comprendre ce qui s’est passé et peut-être réussir à faire son deuil.
« L’avenir » de Catherine Leroux est une brillante uchronie. L’autrice québécoise imagine un double de Detroit . Mais cette ville imaginaire reste très proche socialement de la réalité : la faillite, la désertion des habitants, l’abandon de pans entiers de la ville, la violence qui accroit la pauvreté et une nature qui peu à peu reprend ses droits. « Constamment surveillées, restaurées, rajeunies, les autres villes entretiennent la fable de l’immuabilité : les constructions humaines sont éternelles. A Fort Detroit, ce mythe n’existe plus. L’impermanence des objets, leur fragilité face aux éléments crève les yeux. La chaussée disparait par morceaux, les trottoirs se désagrègent. Les troncs dénudés qui soutiennent les fils électriques se couvrent d’une vie nouvelle qui grimpe et se greffe au bois poreux. Les maisons sont éventrées, écartelées par le feu et l’abandon. La nature revient les posséder ; elles se laissent dévorer. » La ville est au cœur du roman, elle en est quasiment le personnage principal. Ce lieu décrépit, déserté, mangé par les flammes et les plantes, dessine et décide des destins des personnages.
Pour aller avec cette ville imaginaire, Catherine Leroux invente une langue. Fort Detroit est restée une ville francophone et ses habitants y parlent un mélange de québécois, de français et d’américain. Cela est très sensible dans les dialogues notamment des enfants et leur emploi des temps de conjugaison. Je tiens à préciser que cela ne pose aucun problème de compréhension et que la lecture reste parfaitement fluide.
Au cœur de cette ville et de cette langue, se nichent des personnages extraordinaires qui réinventent leur quotidien. Il y a la communauté des adultes : Gloria, tétanisée par le drame croise la route de la dynamique Eunice et du calme et posé Salomon. Ces derniers vont obliger Gloria à réagir, à se remettre en mouvement. Et puis, il y a la communauté des enfants perdus, abandonnés qui ont trouvé refuge dans un parc et reviennent à la vie sauvage. Les deux communautés s’affrontent, se défient mais tentent également de s’apprivoiser. Tous ont des parcours douloureux qui nous les rendent infiniment touchants.
« L’avenir » est un roman d’une grande richesse de part son travail sur la langue et les thèmes abordés. Sombre en ce qui concerne le constat social et écologique du monde, Catherine Leroux nous offre malgré tout une vision lumineuse de l’avenir grâce à l’entraide, la solidarité qui lient ses personnages.