Titus d'Enfer de Mervyn Peake

Au pied de la montagne, au bord de la rivière, se dresse le château de Gormenghast, immense et labyrinthique, majestueux et en partie en ruine. C’est le domaine des comtes d’Enfer. Aujourd’hui est un grand jour : Titus est né, soixante-dix-septième comte d’Enfer. Gormenghast a un héritier, « l’héritier de milliers d’hectares de pierres croulantes et de vieux ciment, l’héritier de la tour des Silex et des douves stagnantes, des monts déchiquetés et du fleuve glauque […] ». L’héritier également d’une loi et de rites absurdes, dont l’origine remonte à des temps immémoriaux et la signification s’est perdue, mais qui n’en rythment pas moins la vie des habitants du château.

Dans les dédales sombres se croisent quantité de personnages : Lord Tombal, le mélancolique comte ; sa femme, Lady Gertrude, rousse, énorme, toujours entourée d’une nuée d’oiseaux ou d’un tapis de chats blancs ; Fuschia, leur fille, sombre et rêveuse, avide d’affection ; Craclosse, l’arachnéen serviteur, dévoué à son maître et à la tradition de Gormenghast ; le jovial docteur Salprune, qui doute et le cache sous ses airs mielleux ;  Grisamer, le vieux docteur de la loi des comtes d’Enfer ; et aussi Lenflure, Nannie Glu, Brigantin, Irma Salprune, les jumelles Cora et Clarice… Sans oublier Finelame, personnage clé, hautes épaules et front bombé, jeune marmiton évadé des sombres cuisines du château et qui aspire à une destinée plus haute.

Se nouent entre eux des intrigues, des colères et des tendresses, des haines et des attirances, des suspicions et des alliances, qui font du château un théâtre des passions humaines. La quête de l’amour, la jalousie, la recherche de l’identité, la soif du pouvoir, le crime animent leur cœur et inspirent leurs actes culminant dans des scènes d’anthologie grandioses.

L’humour et un sens certain de la dérision enrichissent un récit qui sinon tournerait à la tragédie pure. La nature humaine a aussi ses côtés comiques. Conte, roman gothique, fantasmagorie, « Titus d’Enfer » est tout cela à la fois, et surtout autre chose : un univers singulier. Gormenghast est de pur imaginaire, il existe dans un temps et un lieu indéterminés, mais ce qui se trame dans le château est de tout temps et de tout lieu : des humains, trop humains, se débattant pour s’affirmer et exister. C’est pourquoi les personnages et l’histoire nous fascinent tant.

C’est aussi grâce à la qualité de l’écriture, flot lyrique et sensuel, dense et précis, déversant dans la tête du lecteur une litanie d’images. Le style flamboyant du dessinateur anglais Mervyn Peake (1911-1968), concepteur de livres pour enfants, caricaturiste et illustrateur, ayant laissé quatre ou cinq livres, en particulier La Trilogie de Gormenghast, dont Titus d’Enfer est le premier épisode. Elle comprend également Gormenghast et Titus errant. Une œuvre épique et poétique, ayant inspiré nombre de commentaires et d’études tant elle est riche d’interprétations. En France ses livres sont plus ou moins tombés dans l’oubli pendant vingt-cinq ans. Erreur (faute ?) réparée grâce aux éditions Phébus (encore elles), qui nous permettent découvrir un écrivain unique. Et un livre inoubliable.

10 réflexions sur “Titus d'Enfer de Mervyn Peake

  1. Il s’agit effectivement du premier tome d’une série en comportant trois, le 3ème étant le moins réussi. Cela étant dit, l’univers de Gormenghast est fascinant et totalement original.

  2. Je suis en train de le lire, mais comme j’ai décidé de lire les livres de mon challenge ABC en priorité, je le lis plus lentement. Mais je pense que j’aurais le même avis que toi d’ici peu ;o)

  3. Bonjour. Quelle beau billet! Je suis tout à fait d’accord. Cette œuvre est flamboyante, fantasmagorique et magnifique. Et je suis d’accord également pour le dernier tome. Mais l’ensemble mérite d’être découvert.

  4. Cgrâce au challenge coup de c?ur de Theoma, j’ai choisi de lire ce titre et je m’en réjouis! Maintenant je dois continuer avec les deux autres volumes ! Merci pour cette suggestion!

  5. @Aliénor et Isil : je m’aperçois seulement maintenant que je n’ai pas répondu à vos commentaires. Honte à moi. Je répare cette négligence : « Titus d’Enfer » et « Gormenghast » font vraiment partie de mon Panthéon littéraire personnel, et j’ai l’impression que c’est le cas d’un grand nombre d’aficionados.

    @mango : comme tu as aimé « Titus d’Enfer », tu aimeras à coup sûr « Gormenghast ». « Titus errant » est très différent, généralement moins apprécié, c’est mon cas. Sinon, tu es décidément très distraite : l’adresse de ton billet est en fait celle de cette page.

  6. Pingback: Le château de Edward Carey | Plaisirs à cultiver

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