Autant le dire tout de suite, je considère « La fenêtre panoramique » comme un chef-d’oeuvre de la littérature américaine.
Nous sommes en 1955 dans la partie Ouest du Connecticut, April et Frank Wheeler vivent dans une banlieue bourgeoise. Ils ont tout juste 30 ans et deux enfants. Le couple est fragile, en difficulté à la moindre contrariété. Le livre s’ouvre sur une représentation de théâtre où April a le rôle principal. La pièce est un échec, April se rêvait actrice et vit cela comme une humiliation. Frank tente de la rassurer mais ne réussit qu’à faire exploser une dispute : « Alors le duel perdit toute mesure. Un appétit de querelle secoua de frissons leurs bras et leurs jambes, tordit de haine leurs deux visages, les précipita à l’assaut de leurs points faibles respectifs, leur découvrit des moyens astucieux pour échapper aux prises, pour feinter, pour riposter à toute vitesse. Et leur mémoire s’en fut aussitôt rechercher dans les années de vie commune les vieilles armes les plus aptes à arracher la croûte des vieilles plaies. La fièvre monta… »
Pourtant le jeune couple était plein d’idéaux lorsque Frank et April se sont rencontrés. Frank était promis à un avenir radieux et riche de possibilités. « On lui prédisait diverses carrières à succès; de l’avis unanime, son travail se situerait quelque part « dans les humanités », sinon plus précisément dans les arts (travail qui en tout cas exigerait une vocation durable et impérieuse) et impliquerait probablement qu’il se retirât sans tarder en Europe (…) » Leur premier enfant remisa les rêves à plus tard. Frank trouva un travail alimentaire, ils achetèrent leur maison route de la Révolution mais en continuant à se penser différents des voisins. Le mode de vie plan-plan et propret de leurs amis Campbell ne pouvait être pour eux. Frank et April étaient au-dessus du mode de vie petit bourgeois qui les empêchait de se réaliser. La dispute à la sortie du théâtre remet tout en cause et April a un éclair de lucidité : « Voilà comment tous les deux nous nous sommes réfugiés dans cette erreur gigantesque (…), dans cette idée que les gens doivent démissionner de la vie réelle et « se ranger » quand ils ont une famille. C’est le grand mensonge sentimental de la banlieue, et je t’ai obligé d’y souscrire tout le temps. » April tente alors désespérément de sauver son couple.
Richard Yates se fait entomologiste du couple Wheeler. Son écriture ciselée détaille les affects de ses personnages jusqu’à la moelle. Les problèmes du couple sont liés à une totale incompréhension des motivations de chacun. April est restreinte dans ses activités par le rôle de la femme dans les années 50 qui consiste à être mère et femme d’intérieur. Elle ne rêve en réalité que d’action, de créativité et reporte sa frustration sur Frank. April veut qu’il se réalise mais ce dernier n’a pas la moindre idée de ce qu’il pourrait faire. Frank se complait dans cette vie bourgeoise, il a de l’affection pour son travail. April lui fait miroiter une autre vie possible et ce changement l’effraie littéralement. « En effet, il essayait de lui dissimuler, sinon de se le dissimuler à lui-même, que le plan l’avait instantanément effrayé. » Cette impossibilité à décrypter les désirs de l’autre mène le couple au drame.
Le film de Sam Mendes, que j’avais présenté précédemment, se révèle être une très fidèle adaptation du roman. Mais Richard Yates va beaucoup plus loin dans la psychologie et la description de chaque personnage. On en apprend beaucoup plus sur les Campbell qui sont plus complexes que le film pouvait le laisser paraître. Le roman développe également l’extraordinaire personnage de John Givings, trop lucide pour accepter les codes de son monde et que l’on met à l’écart.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce roman tant il est riche et tant l’écriture de Richard Yates est un bonheur. Il faut de toute urgence lire cette oeuvre indispensable. Un chef-d’oeuvre, je vous dis, tout simplement un chef-d’oeuvre.
Je l’avais lu lors de la sortie du film (mais pas vu le film!) et c’est un bon auteur, sans compromis…
Il faut que je me penche sur le reste de son oeuvre. J’ai découvert hier que les éditions Pavillons Laffont venait de rééditer un recueil de nouvelles de Yates qui s’intitule « Onze histoires de solitude ». Je vais l’inscire sur ma LAL…un de plus!
Le film m’a tellement déprimée (mais en bien !) que je ne pense pas lire le roman dans l’immédiat. Mais je note un nouvel avis positif !
Il faut vraiment que tu lises « La fenêtre panoramique », c’est un grand livre. Il serait fort dommage que tu passes à côté.
Ce roman a pris place dans la PAL ! Il attend patiemment son tour !
J’espère qu’il va te plaire, sa lecture a été un vrai bonheur pour moi. As-tu vu le film?
Comme j’avais aimé le film et que je ne connais quasiment la littérature américaine, je pense que je vais lire ce roman.
@Maggie : Je te le conseille vivement, c’est un roman magnifique. La collection Pavillons Laffont est vraiment très, très bonne.
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