Margaret Hale s’apprête à rejoindre sa ville natale de Helstone dans le Sud de l’Angleterre après avoir passé plusieurs années à Londres chez sa tante. Le bonheur de retrouver sa paisible région n’est que de courte durée. Son père, pasteur, décide de renoncer à l’Eglise et du coup de quitter Helstone pour une ville du Nord : Milton. Mr Hale pense trouver facilement du travail dans le Nord en pleine expansion industrielle. Le choc du déracinement, le changement radical d’environnement vont beaucoup perturber Margaret. C’est un monde nouveau qui s’offre à elle, le monde industriel du patron de filature John Thornton qui est bien loin de la douceur de la campagne de Helstone.
L’exceptionnel roman de Elizabeth Gaskell se fonde sur une opposition entre Nord et Sud qui se retrouve à différents niveaux. Helstone représente le Sud de l’Angleterre caractérisé par une campagne verdoyante, par son agriculture et son calme serein. Margaret y est pleinement heureuse : « Et lorsqu’elle traversait une lande, le dos exposé à la douce violence du vent d’ouest, elle paraissait comme poussée vers l’avant, aussi légère et libre que la feuille d’automne portée par la brise. » Milton est la quintessence du Nord en plein développement industriel où s’entassent les usines, les immeubles d’habitation. La famille Hale découvre avec douleur leur nouvelle ville : « Plusieurs kilomètres avant d’arriver à destination, ils voyaient déjà à l’horizon, en direction de la ville, un épais nuage gris plombé qui paraissait encore plus sombre par opposition au pâle gris-bleu du ciel d’hiver (…) »
Ces deux mondes s’incarnent dans les deux personnages centraux : Margaret Hale et John Thornton. Elle est snob, méprisante envers les gens du Nord mais sa philanthropie l’emmène vers les autres. Il est un self-made man, travailleur, volontaire, ne s’intéressant que peu à ses ouvriers mais il est conscient de ses lacunes et il cherche à se cultiver grâce au père de Margaret. Leurs deux milieux sociaux s’opposent totalement. Margaret est issue de la gentry, elle a un savoir-vivre distingué mais sa famille est pauvre. A contrario, John est très riche mais il s’est construit à la force de son travail et il vient des milieux pauvres. Margaret dénigre cette nouvelle classe sociale émergente des commerçants. John ne peut que détester cette jeune femme : « Jamais je n’ai vu fille aussi orgueilleuse et désagréable. A tel point que ses manières méprisantes font oublier à quel point elle est belle. »
L’immense talent de Elizabeth Gaskell est de rapprocher ses deux personnages avec une grande subtilité. Chacun va avancer vers l’autre à la suite de différents évènements. Les drames, les deuils vont rendre Margaret plus humble. John devra s’ouvrir aux autres à cause de son amour pour Margaret. Pour les deux, une rencontre est décisive, celle de Nicholas Higgins. Celui-ci est ouvrier dans une filature et c’est aussi un syndicaliste convaincu. Car « Nord et Sud » est également un formidable livre sur la condition des ouvriers au XIXème siècle. Higgins explique longuement ses conditions de vie et de travail à Margaret. Mais le propos n’est pas consensuel, les syndicats sont présentés dans leur complexité : ils soutiennent mais ils peuvent exclure voire même bannir. De même, les idées de John Thornton sont largement exposées ce qui permet de confronter les points de vue. La force d’Elizabeth Gaskell est sa connaissance du milieu ouvrier et sa volonté de laisser la parole à chaque classe sociale. La parole, l’explication mènent chez elle à une meilleure compréhension des uns et des autres.
Ce qui m’a beaucoup séduit aussi chez Elizabeth Gaskell est son extraordinaire finesse psychologique. Chaque personnage est très approfondi, exploré dans ses zones de lumière comme dans ses zones d’ombre. L’histoire n’est pas manichéenne, elle est pleine de nuances et cela rend les personnages très touchants. C’est très visible chez Thornton qui est ferme, tranchant dans son usine mais que l’on découvre timide, emprunté face à Margaret. Cette volonté d’humanisation des personnages est servie par une écriture très fluide, élégante. Je ne résiste pas à une dernière citation pleine de beauté : « Mais lorsqu’arriva la nuit, que toute la maison fut plongée dans le silence, Margaret resta assise à contempler la beauté du ciel de Londres à cette heure tardive, par ce soir d’été et le léger reflet rose que projetaient les lumières terrestres sur les nuages moelleux qui semblaient sortir de l’obscurité chaude cernant l’horizon et flottaient tranquillement au clair de lune. «
« Nord et Sud » est un roman foisonnant, passionnant, au propos humaniste. J’ai trouvé ce livre admirable, c’est vraiment un énorme coup de coeur. Si vous avez apprécié la compassion de Dickens envers les ouvriers dans « Temps difficiles », si vous avez frémi à l’histoire d’amour d’Elizabeth Bennet et Mr Darcy, précipitez-vous sur « Nord et Sud », ce livre est fait pour vous !
Ahhh ce livre est fait pour moi alors 😉
Déjà lu, et je confirme! Et la dame en a écrit d’autres, je dis ça je dis rien…
Ce livre et moi, on a un problème : ça fait des mois que je me promets d’au moins le commencer, et toujours pas… je l’ai même en anglais (mais je crois que je le tenterai en français, à cause des différents patois qui auraient raison de mon piètre niveau).
Merci encore à Cécile de me l’avoir offert ! J’ai comme l’impression que cette lecture va etre une merveille en lisant ton billet ! J’ai hâte, mais je veux choisir mon moment, pour éviter une déconvenue comme avec Zweig ce week-end !
Une romancière que je veux découvrir à tout prix !
J’adorerais lire ce livre, j’ai vraiment beaucoup aimé la mini-série de la BBC.
Nous avons tout à fait le même ressenti sur ce roman. J’aime beaucoup la finesse des analyses psychologiques de Gaskell aussi, pas seulement de ses personnages principaux mais également des personnages secondaires, comme les parents de Margaret ou Mrs Thornton.
Il faut absolument que je lise ce classique, je n’en entends que du bien!!
@Kikine : Oui absolument !!! Il faut te jeter dessus immédiatement !!!! C’est un ordre !!!!
@Keisha : Je me souviens que tu avais aimé, ce qui ne m’étonne pas ! J’ai déjà lu « La sorcière de Salem » que j’ai bien aimé mais qui n’a pas la puissance de « Nord et Sud ». J’ai dans ma PAL « Cranford » et j’attends, grâce à Babelio, « Femmes et filles ». Je veux tout lire de Gaskell !!!
@Ys : Il faut profiter de vacances pour le commencer, une fois débuté ça coule tout seul. Je ne connais pas ton niveau en anglais mais effectivement Cryssilda m’a dit que les patois n’était pas facile à comprendre.
@Pickwick : J’espère que tu seras aussi enchantée que je l’ai été. C’est un bonheur ce roman ! J’ai profité d’une semaine de vacances pour bien en profiter et le dévorer d’un seul trait.
@Maggie :Toi, tu es obligée de le lire ! Maintenant que tu fais partie du club des amoureuses de la littérature victorienne, tu ne peux pas te priver d’un tel chef-d’oeuvre !
@Maribel : Tu as effectivement toutes les chances d’aimer ce livre si tu as apprécié l’adaptation BBC. Je l’ai regardée après ma lecture et à part une ou deux scènes, elle est très fidèle au livre et les deux acteurs sont très bons.
@Isil : Super, je suis intronisée par la grande prêtresse de « Nord et Sud »!! :-)J’ai relu ton article, qui est excellent, et nous avons effectivement le même point de vue. Tu as raison, Elizabeth Gaskell ne néglige personne, chacun est analysé, cela fait partie de sa grande humanité je pense.
@Fleur : Et pour cause, c’est un chef-d’oeuvre ! C’est vraiment un livre magnifique, l’histoire est belle, les personnages sont riches et finement étudiés et l’aspect social est bien rendu. Je te conseille donc chaudement la lecture de cette oeuvre !
Hum… C’est vrai que c’est un très bon livre, même si à la relecture j’avais été déçue.
J’aimerais découvrir cette romancière. Je l’avais sélectionnée pour Babelio mais je ne l’ai pas eu !
@Lilly : C’est dommage, qu’est-ce qui t’avait déplu en le relisant ?
@Manu : Euh….désolée c’est moi qui doit recevoir « Femmes et filles » grâce à Babelio ! J’espère que tu te lanceras vite dans la lecture de Gaskell, elle en vaut vraiment la peine.
C’est un roman que j’avais déjà noté et ton avis me conforte dans cette idée. Il a tout pour me plaire.
@Ellcrys : Je ne peux que t’encourager à te lancer dans la lecture du roman de Elizabeth Gaskell, un bonheur de lecture assuré !
Je suis tentée par Elizabeth Gaskell mais je pense que je ne commencerai pas par « Nord et Sud »… Plutôt tentée par « Cranford ».
@La Plume et la Page : L’essentiel c’est que tu te lances à la découverte de Elizabeth Gaskell ! J’ai acheté depuis « Cranford » que je n’ai pas encore lu mais je viens de recevoir « Femmes et Filles » grâce à Babelio et je vais me plonger dedans avec délice ! Je veux lire tous les ouvrages de cet auteur tant « Nod et Sud » m’a séduite.