Retour à Killybegs de Sorj Chalandon

« Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L’IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes que je n’ai même jamais rencontrés. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j’en suis venu à trahir. Des livres seront peut-être écrits sur moi, et j’enrage. N’écoutez rien de ce qu’ils prétendront. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m’avoir connu. Personne n’a jamais été dans mon ventre, personne. Si je parle aujourd’hui c’est parce que je suis le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu’après moi j’espère le silence. » En 2006, alors que sa collaboration avec les services secrets anglais a été révélée, Tyrone Meehan décide de s’expliquer. Il est revenu dans son village natal de Killybegs pour attendre la mort. Il sait qu’il va être exécuté, pas par l’IRA qui a déposé les armes, mais par d’autres, ennemis ou amis.

Sa vie commence dans le petit village de Killybegs au milieu d’une famille nombreuse et d’un père brutal. Un père que Tyrone admire néanmoins pour son amour immodéré de son pays et son courage à le défendre. L’Irlande est toute la vie de Patraig Meehan et il en sera de même pour son fils Tyrone. Ce dernier rejoint l’IRA dès l’âge de 16 ans. Il est de tous les combats, il est mis en prison à de nombreuses reprises sans charge ni procès. Il y est torturé, il y rencontre des frères d’armes comme Bobby Sands. Tyrone Meehan a dédié sa vie à l’Irlande et pourtant un jour il accepte de donner des renseignements au MI5. Pourquoi ?

En 2008, Sorj Chalandon avait écrit « Mon traître » où un luthier français tombait amoureux de l’Irlande, adoptait son combat et rencontrait Tyrone Meehan. « Mon traître » racontait la stupéfaction du français face à la découverte de la trahison de son ami. L’histoire était inspirée de faits réels. Sorj Chalandon a couvert les conflits irlandais en tant de journaliste. Il s’y fait un ami, un frère, Denis Donaldson, qui s’avéra être un traître.

Dans « Retour à Killybegs », Sorj Chalandon poursuit le deuil de son ami et de sa relation avec lui. Il veut faire entendre la voix du traître pour tenter de comprendre. Un homme ne naît ni traître, ni héros, les circonstances l’amènent à choisir son camp. Là c’est la lassitude qui fait baisser les bras de Tyrone Meehan. Sorj Chalandon nous rappelle la violence, la dureté des combats menés : les tortures en prison, les grèves de la faim et de l’hygiène, la présence de l’armée britannique dans les rues, la misère. Tyrone Meehan porte le poids de toute cette souffrance depuis l’enfance et il finit par céder face au chantage des agents de sa majesté. Ce qui est frappant c’est la perversité du gouvernement britannique. Alors que le processus de paix est enclenché, il donne le nom des traîtres pour que la méfiance s’insinue dans le Sinn Féin. Il fallait casser la dynamique de ce parti qui était en passe de devenir le 1er en Irlande. Totalement écœurant comme le reste de leur politique menée avant le cessez-le-feu.

« Retour à Killybegs » est un roman très émouvant sans être dans le pathos. On veut comprendre Tyrone Meehan, on aimerait lui pardonner, on aimerait qu’il ne soit pas tombé dans le piège des britanniques. Sorj Chalandon rend un hommage vibrant et plein d’humanité à son ami, à son combat et à la complexité de l’âme humaine.

9 réflexions sur “Retour à Killybegs de Sorj Chalandon

  1. Je vais commencer par lire « Mon traitre ». J’ai beaucoup aimé le roman que j’ai lu de l’auteur alors je sens que je vais me laisser tenter!

  2. Ce livre est un de mes coups de coeur 2011. J’avais adoré « Mon traitre » mais j’ai encore plus adoré celui-ci. Je suis d’ailleurs un peu déçue qu’il n’ait pas eu le Grand Prix des Lectrices de ELLE car il était en lice.

  3. @Karine:) : Oui il faut commencer par « Mon traître » que j’ai également beaucoup aimé. Celui-ci est encore meilleur, je l’ai trouvé encore plus émouvant.

    @Céline : J’avais lu « Mon traître » avant la rencontre au Centre Culturel Irlandais. Suite à cela, je me suis précipitée sur « Retour à Killybegs » tant j’ai apprécié d’écouté Sorj Chalandon. Et j’ai préféré le second. Tu as lu le premier ?

    @Maeve : Je suis entièrement d’accord avec toi. Les deux livres de Sorj Chalandon sont excellents mais le second est encore plus fort, plus émouvant. Il méritait effectivement le prix des lectrices de Elle, heureusement qu’il a reçu le prix de l’Académie Française. Cela aurait été injuste qu’il ne reçoive aucun prix littéraire.

  4. Je n’ai jamais lu cet auteur mais son nom me semblait à consonnance indienne, d’où mon étonnement à le rencontrer dans le mois irlandais ! Et ton commentaire me donne très envie de découvrir ce livre …

  5. Comme Mrs Figg, je pensais que c’était un auteur d’ailleurs, genre Scandinavie 🙂 Quelle surprise ! Je n’ai jamais rien lu sur ce genre de sujet. Faudrait peut-être que je m’y mette…

  6. @Mrs Figg :Eh oui Sorj Chalandon est bel et bien français ! Il a été longtemps journaliste à Libération et a reçu le prix Albert Londres. Je ne connais pas l’origine de son nom. Son livre est vraiment magnifique, très beau et émouvant. Il vaut vraiment le détour.

    @Mélodie : Son nom est effectivement trompeur mais il est bien français ! Si tu t’intéresses un peu à l’Irlande, je te conseille vivement la lecture des deux livres de Chalandon. Il nous montre les choses de l’intérieur et c’est passionnant.

  7. J’ai lu ce livre avec plaisir, mais ce n’est pas pour moi le coup de coeur de beaucoup… Mais ça reste très intéressant, l’auteur sait de quoi il parle…

  8. @Cryssilda : Je l’ai trouvé plus émouvant que « Mon traître », peut-être aussi parce que j’ai rencontré Sorj Chalandon. La rencontre a donné un supplément d’âme au livre.

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