Alice Prentice s’est toujours pensée promise à un destin d’exception. Son talent de sculptrice sera forcément reconnu, elle aura une exposition à New York. En attendant, elle refuse de s’abaisser à de basses tâches pour gagner sa vie. Elle vit des largesses d’amis et de son ancien mari, un honnête homme trop terre à terre pour elle. Accumulant les dettes et les déménagements, elle entraîne son fils Robert dans sa bulle illusoire. Il doit croire au talent de sa mère, être son soutien indéfectible face au regard de plus en plus critique de leur entourage. En grandissant, Robert est de moins en moins dupe : « Les sujets qu’elle abordait étaient sans importance, il savait ce qu’elle cherchait à lui dire. Cette petite femme désespérée et délicate, fatiguée et assoiffée d’approbation, lui demandait de convenir avec elle que sa vie n’était pas un échec total. Se souvenait-il des bons moments ? Se souvenait-il de tous ces gens bien qu’ils avaient connus et de tous les endroits intéressants où ils avaient vécu ? Et, en dépit des erreurs commises, en dépit de la dureté du monde à laquelle elle s’était tant heurtée, se rendait-il compte qu’elle n’avait jamais renoncé à lutter ? Savait-il à quel point elle l’aimait ? Et, malgré tout, ne voyait-il pas quel être remarquable, talentueux et brave il avait pour mère ? » Le poids des illusions d’Alice finit par être trop lourd à porter pour Robert. Lui aussi souhaite un destin d’exception. C’est pour cela qu’il rejoint l’armée en 1944 dès ses 18 ans. Bientôt l’Europe et le champ de bataille où il pourra s’illustrer.
« Un destin d’exception » est un roman très autobiographique à l’image de certaines nouvelles de Richard Yates (« Oh, Joseph, je suis si fatiguée », « Une permission exceptionnelle » ou « Et dire adieu à Sally » qui sont dans le recueil « Menteurs amoureux »). Lui-même fut élevé par sa mère sculptrice après le divorce de ses parents. Instable sentimentalement, son enfance le fut également géographiquement puisque les déménagements se succédèrent. Comme Robert Prentice, Richard Yates fut envoyé au front durant la seconde Guerre Mondiale, en France puis en Allemagne après l’armistice. Il rentra à New York en 1946. Ses expériences nourrissent bien entendu cette fiction et notamment les scènes de combat où règnent pour Robert Prentice la confusion et l’impuissance. Il y apprendra qu’il n’y a pas de héros sur un champ de bataille, seulement des hommes qui font ce qu’ils peuvent pour survivre.
Le cœur du roman est la relation mère-fils, une relation exclusive, étouffante où Robert n’est là que pour croire au rêve de sa mère. Mais la gloire tant espérée n’adviendra pas, le rêve américain n’est pas pour eux. Il les laisse au bord de la route avec leurs vies inaccomplies. Alice est un personnage agaçant tant elle gâche l’enfance de son fils. Mais elle est aussi terriblement attachante dans son aveuglement, sa foi dans son talent la rend vulnérable et pitoyable. Incapable de vivre dans la réalité, Alice se retrouve dans la situation qu’elle abhorrait mais cela ne met jamais en berne son optimisme délirant ! Robert doit apprendre à s’éloigner, à se montrer cruel pour enfin vivre sa propre vie.
Extrêmement bien écrit et bien construit, « Un destin d’exception » est d’une justesse remarquable. Ce roman démontre une nouvelle fois l’immense talent de Richard Yates, l’un des plus grands écrivains américains de sa génération.
Un grand merci à Cécile, Christelle et aux éditions Robert-Laffont.
Arrggghhhh, tu retournes le couteau dans la plaie…. Depuis le temps que je dois découvrir cet auteur qui me fait tant envie…
Mais je suis là pour ça ! Je vais le retourner jusqu’à ce que tout le monde ait lu Richard Yates !!! 😉
Tu sais parler de ton chouchou !
Merci, j’espère que cela vous encouragera à le lire !
Un auteur que je n’ai pas encore lu mais j’ai un de ses livres dans ma PAL, donc ça viendra !
J’espère que cela va venir, il en vaut vraiment la peine !
Je ne le connais pas non plus mais c’est vrai que tu donnes envie de le découvrir, le thème de la relation mère-fils me tente
La relation mère-fils est essentielle ici comme elle l’était dans sa vie personnelle. Une relation fusionnelle et conflictuelle où le fils n’arrive pas à trouver sa place.
Décidément ma PAL ne va jamais en finir 🙂
Je connais bien cette sensation…malheureusement !!!
Pingback: Les lectures du mois de novembre | 22h05 rue des Dames
Ca a l’air très mélancolique comme je les aime…. Mais je vais d’abord lire celui que tu m’as offert ! Je note tout de même ! Je regrette beaucoup de ne pas lire autant que toi de romans américains…
J’attends toujours d’avoir ton avis sur « La fenêtre panoramique » !!!
J’ai adoré tout ce que j’ai de Richard Yates jusqu’alors… Ce n’est pas des plus réjouissant, pourtant !
Moi aussi, j’ai adoré tous les livres publiés en France depuis la sortie de « La fenêtre panoramique ». C’est un très grand auteur, effectivement ces romans sont mélancoliques et désespérés.
Comme beaucoup, j’ai découvert Richard Yates grâce au film Les noces rebelles et depuis j’ai aimé tout ce que j’ai lu de lui. Ton billet confirme qu’il va me falloir celui-ci aussi !
Tu peux y aller les yeux fermés, j’ai adoré lire celui-ci même si « La fenêtre panoramique » reste mon préféré.
Encore un auteur que je n’ai pas encore lu et pourtant, je pense qu’il me plairait.
Je pense aussi que tu pourrais aimer, c’est un grand de la littérature américaine.
Pingback: Un destin d’exception de Richard Yates | Dans le manoir aux livres
Pingback: L’ensemble de toutes les lectures par auteurs | 22h05 rue des Dames