Je n’aurais pas dû venir ici. Pourtant, j’en ai rêvé pendant des mois de ce voyage, des mois à compulser les guides, regarder des photos pour m’en mettre plein les yeux, pour développer l’envie irrésistible d’y être et pour accélérer le temps. J’y suis et pourtant je ne ressens rien. Comment ne suis-je pas saisie par la luxuriance de la végétation cambodgienne qui recouvre et dévore ces pierres plusieurs fois millénaires ? La capitale khmère, presque à l’abandon, érodée par le temps, la mousson, la végétation, s’étale majestueusement devant moi et je ne la vois pas.
Le safran étincelant de la tunique de ce jeune moine attire mon regard et me ramène quelques instants au présent. J’observe ses gestes, les mouvements d’un rituel incompréhensible à mes yeux d’occidentale. J’envie la sérénité que dégage son regard. Est-ce du détachement ? Réussit-il vraiment à être maître de ses émotions ?
Je vagabonde dans les allées d’Angkor, caresse des yeux les bas-reliefs de divinités bouddhistes, je prends quelques photos des temples pyramidaux dont la magnificence des reflets dans l’eau n’arrive pas à m’émerveiller.
Je n’arrive pas à être là. La douleur a anesthésié ma curiosité, a terni le monde autour de moi. C’était une mauvaise idée de venir malgré tout, de penser que l’éloignement apporterait l’oubli. Je ne vois que son absence. Le vide partout et en moi, le froid qui m’irradie.
Notre voyage de noces s’est transformé en voyage de deuil… celui de notre amour, de notre vie à deux. Lui compte bien se marier, l’année prochaine peut-être, quand le temps aura effacé ses premières fiançailles. Comme si un jour il sera moins cruel pour moi de les voir ensemble : mon fiancé et mon témoin, ma meilleure amie. Non, vraiment, ça n’était pas une bonne idée de venir ici.
La beauté du monde, parfois, nous indiffère. Tu exprimes très bien cette douleur qui anesthésie nos sens.
Merci Albertine, la beauté ne peut pas toujours soigner nos maux.
Aïe ! Pas de chance ! J’ai pensé à mon deuxième voyage en lisant les premières lignes de ton texte. Je n’y avais pas retrouvé le frisson de la découverte et j’en étais mortifiée. Mais mon amoureux était avec moi et le 3e voyage a effacé ce mauvais ressenti 😉
Trois voyages au Vietnam ! Tu dois beaucoup aimé ce pays !
Parfois trop d’anticipation tue aussi le plaisir de la découverte…
Parfois, nos sentiments font barrage à ce qui nous entoure et nous passons à côté de la beauté du monde.
Belle évocation !
J’avais eu la même déception à Delphes, j’avais vu trop de photos avant mon départ, on m’avait trop dit que c’était extraordinaire. Rien, pas d’émotion.
C’est ton texte qui fait resurgir ce souvenir de mon propre voyage de noces, il y a 30 ans !
Au moins, tu n’étais pas seule à ton voyage de noces comme mon personnage ! 😉
Ah mince ! Beaucoup de tristesse, mais de beauté aussi dans ton texte, très nostalgique et doux.
Merci Antigone, j’espère avoir retranscris un peu de la beauté de la photo de Sabine.
Oh là là … un texte à deux facettes : la richesse et l’abondance de la vie extérieure face à la disparition de la vie intime …
Et la beauté infinie de ce site qui n’arrive pas à soigner, à faire oublier.
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Oh quelle tristesse … C’est difficile de s’ouvrir et de profiter de ce que le monde nous offre quand notre coeur est en morceau … Très joli texte 🙂
Oui, la douleur profonde empêche de voir, de regarder même si mon personnage espérait probablement être guérie par tant de beauté.
Oh quelle tristesse!
j’espère qu’il n’y a pas un gramme de vécu, là-dedans!
Non, je te rassure, je ne suis jamais partie en voyage de noces !!!