© Julien Ribot
C’est ici que tout a commencé. Il y a un an tout juste. Il était tôt ce jour-là, comme aujourd’hui. J’avais passé la nuit à errer dans les rues. J’étais passablement déprimé et épuisé. J’avais donc besoin d’un café bien noir pour me remettre les idées en place.
Ce diner près de Washington Square Park était le seul à être déjà ouvert. Il était totalement vide, seul le propriétaire des lieux trônait derrière le bar. Il essuyait placidement des verres. Un coup d’œil à ma mine défaite lui avait suffi à comprendre ce qu’il me fallait. Il s’approcha pour me servir mon café, sans mot, seulement un hochement de tête pour me saluer. Je n’avais effectivement pas la force de me lancer dans une quelconque discussion.
Mais je ne suis pas resté longtemps seul à scruter mon bouquet d’oeillets pour évacuer mes idées noires. Les premiers à arriver furent deux éboueurs. Des habitués apparemment puisque le patron leur apporta instantanément deux cafés et deux donuts. Ils le saluèrent » ‘Jour Sam », le remercièrent et discutèrent un peu de la météo, du match de basket de la vieille. En ressortant, ils tinrent la porte à un vieil homme très élégant. Ils le saluèrent également par son nom, un autre habitué des lieux. Il s’installa à une table près de moi, posa son chapeau à côté de lui et déplia son journal. Sam lui apporta un thé et du lait. Puis ce fut le tour d’un groupe de jeunes femmes qui prirent des cafés à emporter avant de rejoindre les espaces confinés qui leur servaient de bureaux. Chacune eut un petit mot pour Sam, l’une donnant des nouvelles de sa mère, l’autre de ses enfants.
Toute la matinée se déroula ainsi et je fus captivé par ce défilé quasi-incessant d’habitués. Une impression de chaleur m’envahit peu à peu l’estomac à la vue de cette assemblée hétéroclite. Ma solitude me semblait balayée par cette ribambelle de visages et par la figure centrale de Sam. Le vieux gentleman, à l’allure si plaisamment désuète, siégeait toujours à mes côtés. Je l’interrogeais donc sur ce lieu. Il m’expliqua que Sam avait repris le lieu à la mort de sa femme cinq ans auparavant, qu’il n’avait pas d’enfant et qu’il passait toutes ses journées ici. Sam connaissait tous ses clients, il était capable de raconter l’histoire, les tracas, les joies de chacun. Son chagrin s’était mué en empathie. Il avait réussi à créer un îlot de convivialité au milieu d’une ville qui en manquait singulièrement.
Et soudainement, l’idée m’est apparue évidente, lumineuse. Il était là le sujet du roman que j’essayais d’écrire depuis des mois ! J’étais venu a New York pour trouver l’inspiration dans son bouillonnement et celle-ci m’avait fui en emportant mes économies. Mais ce sont les vies de ces gens, de Sam que je devais raconter, ce café devait devenir mon univers de papier.
Et pendant une année, je suis venu chaque matin ici, devenant à mon tour un membre de la communauté de Sam. Aujourd’hui, j’arrive les mains vides. Pas de stylos, pas de feuilles, juste l’envie de boire un bon café. Aujourd’hui, j’ai envoyé mon manuscrit aux éditeurs.
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ah! écrire un roman, installé(e) à la table d’un bistrot, le rêve 🙂
Oui, c’est amusant comme ce lieu semblé appeler à l’écriture. Peut-être que la vie bouillonnante qui y passe nous inspire et nous donne en un seul lieu un condensé de l’humanité.
Des pages vides qui se remplissent de vies, très joli texte !
Merci beaucoup Albertine, les couleurs lumineuses de cette photo m’ont donné envie d’y mettre plein de vie !
J’adore ton texte!
Merci beaucoup Sev !
Un très beau texte, qui redonne la pêche et qui, en plus, est bien écrit.
J’ai tiqué sur un temps de verbe à un moment : « Un coup d’œil à ma mine défaite lui avait suffi à comprendre ce qu’il me fallait ». J’aurais peut-être vu un « lui suffit » au passé simple (action courte) et peut-être remplacé le « à » par un « pour » ? Je ne sais pas, j’ai un doute, mais j’ai buté en cours de lecture et c’est dommage.
Mais c’est vraiment un détail, le texte est globalement très chouette. J’aime beaucoup l’idée d’une littérature inspirée des choses simples et de la vie de tous les jours. 🙂
Merci pour ton commentaire, c’est vrai que le passé simple aurait peut-être mieux convenu à la phrase. En revanche, je garderais le à car le pour me fait buter à la lecture !!
Oui, à relire, c’est bizarre, « pour »… *les conseils en carton* De toute façon, c’est toi l’auteur, donc c’est toi qui décide. 😀 Et ce n’est pas un détail comme ça qui va poser problème dans un texte aussi bon.
Je propose « un coup d’oeil sur ma mine défaite » :p
Mais non pas des conseils en carton, merci à toi de m’avoir lu avec autant d’attention !
C’est fou comme la vie s’articule parfois autour de lieu tout simple ou les solitudes viennent se réchauffer les unes contre les autres.
Les cafés se prêtent bien je trouve à ces regroupements de personnes qui viennent d’horizons différents.
Joli texte ! La chaleur humaine, l’empathie, la gentillesse, les échanges … il n’y a rien de mieux pour avancer dans la vie 🙂
Merci beaucoup, c’est un lieu idéal que je décris, un lieu où j’aimerais pouvoir me rendre !
Bien vu ! Je me suis juste demandée pourquoi il était déprimé en arrivant dans ce café …
Le manque d’inspiration, le manque d’argent en sont les raisons.
Un très joli texte! J’aime beaucoup l’ambiance que tu décris!
Merci beaucoup, j’ai trouvé l’endroit sur la photo particulièrement chaleureux et accueillant.
Et le tien de manuscrit, il arrive quand ? :p
Jamais !!! 😉
Oh j’adore, oui, c’est bien ça l’inspiration, elle est partout, il suffit de se pencher pour trouver un sujet de roman … On termine ton histoire le sourire aux lèvres.
Oui, chaque détail du quotidien peut devenir matière à fiction et c’est un peu ce que nous montre tes ateliers d’écriture !