Rien où poser sa tête de Françoise Frenkel

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« Rien où poser sa tête » fut écrit en 1943-44 en Suisse et publié en 1945. Tombé dans l’oubli, le livre a été redécouvert en 2010 dans un vide-grenier d’Emmaüs. Incroyable destin pour le seul et unique livre de son auteur Françoise Frenkel, juive polonaise qui avait ouvert une librairie française à Berlin.

Le livre que nous avons dans les mains est quasiment le journal du périple à travers l’Europe de Françoise Frenkel pour échapper à la terreur nazie. Elle décrit son quotidien, ses tracas administratifs, ses frayeurs, ses coups de chance aussi.

Françoise Frenkel quitte Berlin en 1939 pour Paris, sa ville de cœur. Mais elle ne peut y rester bien longtemps et elle tente de gagner le sud en passant par Vichy, Annecy, Avignon et Nice où elle séjourna plus longuement comme de nombreux réfugiés étrangers. « Des solitaires de tous pays, détachés du reste de leurs familles, stationnaient devant le casino, les devantures de magasins, au hasard des rues et des places. Ils s’installaient sur les bancs et les chaises en location, remplissaient l’intérieur et les terrasses des cafés du matin au soir. Des juifs, de tous les pays occupés, tournaient dépaysés, sans but et sans espoir, dans une inquiétude et une agitation toujours grandissantes. » Ce qu’elle montre parfaitement c’est la montée progressive de l’horreur. Cela commence par le recensement des étrangers, la mention de la judéité sur la carte d’identité, les rafles. Ce qui frappe également c’est la grande solitude de celle qui fuit. Cette traque incessante, épuisante oblige Françoise Frenkel à confier sa vie à de parfaits inconnus. Se met en place à l’époque un odieux commerce autour de la cache des juifs. Elle ne sait donc jamais dans les mains de qui elle est.

Fort heureusement, Françoise Frenkel fit de nombreuses très belles rencontres et notamment un couple de coiffeurs à Nice, les Marius, au courage et à l’amitié sans commune mesure. « Rien où poser sa tête » semble d’ailleurs être un hommage à l’humanisme de toutes les personnes que l’auteur a croisées. Ressort de ce témoignage un grand sentiment de fraternité, de générosité malgré les coups durs et l’angoisse.

Françoise Frenkel fait preuve d’une infinie dignité dans son récit. L’écriture est neutre, factuelle. Jamais l’auteur ne tombe dans le pathos, la plainte, qui pourtant était légitime. On ne ressent aucune colère, aucun ressentiment envers ceux qui ont profité de sa situation.

Malgré la redécouverte de « Rien où poser sa tête », Françoise Frenkel garde des mystères. Après la guerre, nous n’avons que la mention de son décès ce qui en fait un personnage hautement modianesque. On imagine parfaitement Patrick Modiano, qui signe la préface du livre, chercher la trace de Françoise Frenkel à travers le passé, les souvenirs. Autre zone d’ombre, le récit n’évoque jamais le mari de Françoise Frenkel avec qui elle avait ouvert sa librairie française. Peut-être son souvenir était-il trop douloureux puisqu’il fut déporté à Auschwitz où il décéda en 1942.

« Rien où poser sa tête » est un témoignage poignant où l’on peut voir à l’œuvre le pire mais également le meilleur de la nature humaine.

 

17 réflexions sur “Rien où poser sa tête de Françoise Frenkel

  1. J’ai recommencé à lire des romans sur la déportation des Juifs et aussi le témoignage de Marceline Loridan-Ivens, alors peut-être liraije bien celui-ci s’il croise ma route… Mais point trop n’en faut, pour ne pas saturer.

  2. Je l’avais repéré chez Galéa mais je n’ai pas encore eu le temps de le lire – les quelques billets que j’ai pu lire sur ce document évoquent également ces ellipses que tu mentionnes, notamment le silence entourant le mari…

    • J’avais lu également le billet élogieux de Galéa. Françoise Frenkel garde un côté mystérieux en raison des ellipses et cela renforce son côté modianesque !

  3. J’ai beaucoup apprécié cette lecture également. Un témoignage précieux et un personnage énigmatique. Je me demande comment elle a vécu à Nice toutes ces années …

    • Je me suis dit qu’elle avait vécu à côté du couple Marius et qu’ils ne s’étaient jamais quittés ! Je me demande quand même ce qu’elle a choisi comme métier après la guerre. J’espère que l’on en apprendra plus sur elle plus tard.

  4. Je l’ai mis dans ma liste d’envies. J’ai connu dans ma classe une jeune fille qui s’appelait Jacqueline Frenkel. Le titre à cause de ce hasard m’a attiré en le voyant passer sous mes yeux 🙂

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