Anaïs Barbeau-Lavalette n’a pas connu sa grand-mère, Suzanne Meloche. Elle l’a seulement croisée à trois reprises, dont l’une le jour de sa naissance. Après la dernière visite d’Anaïs et sa mère chez Suzanne, cette dernière passe un coup de fil à sa fille : « Le téléphone de ma mère sonne. C’est toi. Tu lui dis de ne plus faire ça. Tu lui dis que tu ne veux plus nous revoir, jamais. » On comprend la détestation de la petite fille envers cette grand-mère si froide, si lointaine. Et pourtant, c’est bien elle qui fait revivre Suzanne Meloche dans les pages d’un livre poignant.
Après la mort de Suzanne, Anaïs et sa mère débarrassent son appartement. Anaïs tombe sur des livres, des poèmes, des lettres et une photo qui l’intrigue. Sur celle-ci figure un bus en feu en Alabama en 1961, à côté du véhicule de jeunes noirs rescapés des flammes et une femme blanche : Suzanne. C’est la découverte de cette photo et des questions qu’elle génère qui pousseront Anaïs Barbeau-Lavalette à enquêter sur la vie de sa grand-mère.
Comme l’indique le titre du livre, Suzanne Meloche aura passer sa vie à fuir ou à s’affranchir selon son point de vue à elle. Elle naquit à Ottawa en 1926 dans une famille pauvre. A l’adolescence, elle cherche à quitter sa famille, elle participe donc à un concours oratoire à Montréal. C’est là qu’elle rencontre Claude Gauvreau, écrivain et dramaturge. Il fait partie d’un groupe d’artistes réunis autour d’un professeur à l’école du meuble de Montréal, Paul-Emile Borduas. Claude invite Suzanne à les rejoindre. Elle n’hésite pas et quitte définitivement ses parents.
Le groupe d’artistes se nomme « Les automatistes ». Marcel Barbeau, peintre, en fait partie. Suzanne et Marcel ne tardent pas à se marier et à fonder une famille. Ils auront deux enfants. C’est la vie de bohème, Suzanne s’essaie à l’écriture automatique. Le groupe publie alors un manifeste : « Le refus global » où les libertés individuelles prennent le pas sur la morale. Les valeurs traditionnelles sont rejetées. Le manifeste coûte cher aux différents artistes qui ne sont plus exposés nulle part.
Pendant que Marcel essaie de trouver de l’argent, Suzanne s’ennuie, dépérit. Elle prend alors une décision terrible, celle d’abandonner ses deux enfants avec l’accord de Marcel. La mère d’Anaïs Barbeau-Lavalette a trois ans. Suzanne mène alors la vie dont elle rêve, se laissant porter par ses envies, allant de Londres à New York. Elle se veut intensément libre et sans attache.
Au travers de courts chapitres, en s’adressant directement à sa grand-mère, Anaïs Barbeau-Lavalette dresse le portrait d’une femme incroyable aussi admirable que détestable. L’auteur ne juge pourtant pas la femme qui a blessé si profondément sa mère. Elle n’excuse pas non plus. Elle dresse un portrait très juste et passionnant de cette artiste avant-gardiste. Le ton direct, sans fards, accroche le lecteur dès les premières pages. Il est impossible de le lâcher ensuite tant la vie de Suzanne Meloche recèle de surprises, de revirement. A travers son livre, l’auteure renoue un lien brisé, tente d’apaiser les douleurs de sa mère.
« La femme qui fuit » est un livre admirable au ton original qui dresse le portrait d’une artiste avide de liberté. L’auteur y questionne avec subtilité et finesse la famille, la maternité, la filiation et l’art. Un livre profondément touchant que je vous conseille vivement de découvrir.
J’ai repéré cette auteure (et ce livre) au Festival America… je suis très tentée à la suite de ton billet !
Malheureusement, Anaïs Barbeau-Lavelette n’a pas pu venir au festival America, j’aurais bien aimé l’écouter.
cela reste dure quand meme pour beaucoup de femmes….du style de suzanne de vivre « normalement »….en tout cas, cela semble etre un bien beau livre…
Oui, c’est vraiment un très beau livre, très touchant.
Tu m’oublies sur ce coup là ? 😀
Tu sais que tu n’es pas obligée tous les livres dont je parle ici ? 😉
Bien sûr que je sais ! mdr Mais j’adore piocher des idées lectures chez les autres, c’est souvent sympa. C’est même horriblement tentant, souvent 🙂
Mais là, ça ne correspond pas à « moi »… 😆
Pas du tout vu ce livre (magnifique couverture !) mais c’est tentant.
Je n’en ai entendu parler que grâce au festival America. J’étais totalement passé à côté.
Pingback: Bilan livresque et cinéma de septembre | Plaisirs à cultiver