Espagne, années 30, la jeune Toya vit dans le delta de l’Ebre où ses parents s’épuisent à travailler pour la Marquise et sa famille. Le père travaille dans les rizières avec de nombreux paysans, corvéables et punissables à merci. La mère est cuisinière, son sort pourrait paraitre plus enviable si le fils de la Marquise ne la considérait pas comme sa chose. Mais la colère gronde et elle gagne de plus en plus de régions espagnoles. Toya entend des conversations, suit les paysans qui se réunissent la nuit autour d’Horacio, l’instituteur. La lutte anarchiste est en marche pour libérer les paysans du joug de leurs maîtres. Le combat sera sanglant, la vie de Toya en sera à jamais bouleversée.
Le troisième roman de Laurine Roux m’a totalement transportée grâce à son ampleur, son souffle romanesque. Encore une fois, son remarquable talent de conteuse se met au service de personnages attachants et incarnés. C’est tout particulièrement le cas avec les femmes du roman. Toya traverse un moment charnière de sa vie et de l’Histoire de son pays, elle sera à jamais habitée par les fantômes de ceux partis trop tôt. Et il y a également sa mère, Pilar, extraordinaire cuisinière dont l’infinie tendresse sera mise à mal par la brutalité des hommes. La révolution sociale comme la montée en puissance de Franco viennent fracasser la destinée des personnages du roman pour lesquels on tremble durant la lecture.
La nature reste au cœur du travail de Laurine Roux. La terre est bien évidemment essentielle pour les paysans qui la cultivent. Elle ne leur appartient pas et elle sera à l’origine de leur combat. Le delta est toujours présent, il accompagne, il entoure les protagonistes. Les descriptions précises et délicates de l’autrice donnent de l’épaisseur aux paysages qui ne sont pas un simple décor. « Luz se met en route au plus fort de la chaleur. Le ventre des nuages pendouille à crever. Elle passe devant des baraques aux volets cloués, des pergolas tordues par la végétation ; la poussière danse derrière la roue de son vélo. Petit à petit, les contours de la colline se précisent, on dirait que les plantes l’appellent – rejetons de broussailles, gourmands d’agrumes. » Entre la nature et la cuisine de Pilar, Laurine Roux nous entraine dans un univers de sensations, d’odeurs, de lumière.
Avec une plume fluide et vibrante, Laurine Roux nous conte la destinée de Toya, de sa jeunesse à sa vieillesse aux bords des rizières du delta de l’Ebre. L’intime et le politique s’entrecroisent pour nous offrir un roman fort et terriblement émouvant.