Orlando de Montse Mazorriaga

La dessinatrice espagnole Montse Mazorriaga a adapté « Orlando » dans une courte bande-dessinée. Ses dessins à l’aquarelle sont élégants, raffinés, d’une grande douceur. Ils m’ont enchantée et ont constitué le point fort de cet ouvrage.

Le texte est celui de Virginia Woolf et l’histoire d’Orlando nous est racontée par bribes, de manière elliptique, peut-être un peu trop. Il faut voir cette BD comme une évocation du formidable roman de Virginia Woolf mais je m’interroge sur l’accessibilité de l’intrigue pour ceux qui n’auraient pas lu le roman.

La dessinatrice rend néanmoins bien compte des thématiques de l’œuvre originale : la question du genre et surtout la position dans la société en fonction de son sexe. Elle souligne qu’à travers les époques, les femmes ne sont pas maîtresses de leur destinée. « La société dicte formellement ce qu’est une femme. » 

Je suis ravie de compter dans ma bibliothèque cette BD aux dessins délicats et poétiques mais je la conseillerais plutôt à des lecteurs connaissant déjà « Orlando ».

Traduction Stéphane Corbinais

Au-dedans de Will McPhail

Nick est un illustrateur free-lance désœuvré qui passe beaucoup de temps dans les cafés. Il y teste la posture du type triste, solitaire. Mais la présence d’une jeune femme pleine d’ironie va mettre à mal son projet. Il la recroisera quelques jours plus tard dans le métro et entamera une relation avec elle. Nick n’est pourtant pas satisfait par sa vie, quelque chose lui semble manquer pour l’apprécier pleinement.

« Au-dedans » est le premier roman graphique de Will McPhail, illustrateur au New Yorker, et il a obtenu le prix BD Fnac/France-Inter. Son héros constate qu’il n’arrive pas à communiquer avec les autres, à avoir une véritable connexion avec eux. Il aimerait avoir des conversations plus profondes au lieu des banalités habituelles. Mais il n’y parvient qu’épisodiquement. Au fil de la bande-dessinée, Nick s’ouvrira aux autres et ce alors qu’il traverse une épreuve douloureuse. La BD de Will McPhail parle également de la solitude des grandes villes, des difficultés à rencontrer l’autre dans cette foule d’individus.

« Au-dedans » oscille entre humour et émotion. L’une des bonnes idées de l’auteur est le choix des noms des bars où se rend Nick et qui transcrivent son état d’esprit : Tous tes potes sont parents, Je ne serai jamais proprio, T’as besoin de nous, etc… Autre excellente idée, alors que les illustrations sont en noir et blanc, certaines pages sont en couleurs et matérialisent les mondes intérieurs de ceux avec qui le héros crée une réelle interaction. Les dialogues sont minimalistes et les dessins très expressifs.

« Au-dedans » est une bande-dessinée qui évoque les difficultés des rapports humains avec beaucoup de sensibilité, d’humour et de poésie.

Traduction Basile Béguerie

Deux filles nues de Luz

Dans une forêt en bordure de Berlin, Otto Mueller, un peintre expressionniste, donne vie à un nouveau tableau : deux filles nues. Sa femme et muse Mashka pose pour lui. Nous sommes en 1919 et le tableau va connaître les soubresauts de l’Histoire. Grandement admiré pour sa beauté et son érotisme, « Deux filles nues » sera acheté par Ismar Littman, un collectionneur juif. Il sera également hué, décrié lors de l’exposition d’art dégénéré organisée à Munich en 1937 par les nazis. Après de multiples vicissitudes, le tableau d’Otto Mueller finira par être restitué à la descendance d’Ismar Littman. 

Luz vient d’obtenir le Fauve d’or au festival d’Angoulême pour sa bande-dessinée et c’est entièrement mérité. Son idée brillante est de nous révéler son intrigue au travers « des yeux » du tableau. Les premières pages sont saisissantes puisque le monde apparaît au fur et à mesure de l’avancée du travail d’Otto Mueller. La BD regorge de trouvailles judicieuses. Lorsque le tableau se trouve dans le bureau d’Ismar Littman, on voit en arrière-plan, par sa fenêtre, la montée progressive du nazisme. Le procédé ne faiblit pas au fil des pages. Un siècle d’Histoire défile devant le tableau et cela est fait avec beaucoup d’intelligence et de finesse. Luz se bat pour la liberté d’expression et nous montre comment celle-ci peut être petit à petit rogner et devenir inexistante. Le rappel est loin d’être inutile en cette période troublée que nous vivons actuellement.

« Deux filles nues » est une bande-dessinée remarquable, pertinente au choix narratif original et parfaitement maitrisé. 

 

Le jardin de minuit de Edith

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Tom doit aller s’installer chez sa tante et son oncle en attendant que son petite frère Peter guérisse de la rougeole. Pas de cousin ou de cousine pour le divertir, Tom doit en plus rester confiner le temps de savoir s’il est également malade. Il tourne en rond dans la maison et la nuit il n’arrive pas à dormir. C’est ainsi qu’il entend la grande horloge de l’entrée sonner treize coups. Tom descend pour voir et découvre, par la porte arrière de la maison, un incroyable jardin. La nuit suivante, le jeune garçon retourne vérifier l’existence du jardin dont aucune trace ne subsiste durant la journée. Une nuit, il rencontre une petite fille du même âge que lui prénommée Hatty mais ses vêtements semblent provenir d’une autre époque.

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Edith, qui a déjà réalisé une très jolie adaptation des « Hauts de Hurlevent », a ici choisi un autre classique de la littérature anglaise : « Tom’s midnight garden » de Philippa Pearce. Je n’ai pas encore eu le plaisir de découvrir le roman mais la bande-dessinée d’Edith m’a beaucoup plu. L’aventure de Tom évoque d’autres classiques de la littérature jeunesse : « Le jardin secret » de F.H. Burnett et « Alice au pays des merveilles » de Lewis Caroll. La magnificence du jardin, qui devient un refuge pour Tom, rappelle le premier tandis que le côté fantastique fait penser au second. Cette histoire entre Tom et Hatty est une merveilleuse évocation de l’enfance, de ses jeux mais aussi du passage à l’âge adulte. Edith met le roman très  joliment en images, avec des dessins plein de tendresse, des couleurs qui marquent bien la différence entre la vie diurne et le vie nocturne de Tom.

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« Le jardin de minuit » est une ravissante bande dessinée où se mêle rêve, souvenir, réalité et qui donne très envie de lire le romand e Philippa Pearce.

The little books of the little Brontës de Sara O’Leary et Briony May Smith

« The little books of the little Brontës », traduit en français sous le titre « Au pays des histoires », retrace l’enfance des quatre enfants Brontë : Charlotte, Branwell, Emily et Anne. J’ai toujours été fascinée par cette fratrie et leur incroyable imaginaire qui est parfaitement mis en avant dans cet album destiné à la jeunesse.

Les enfants Brontë développent très tôt un goût immodéré pour la lecture. La famille vit de façon isolée entre la lande et Haworth ce qui contribue certainement à leur envie de s’évader dans la fiction. La mort de leurs deux sœurs aînées et de leur mère est également un facteur décisif. Ils créent leurs propres livres miniatures avec les moyens du bord, les chutes de papier-peint servent de couverture. Et les enfants s’offraient leurs histoires. Ils créent des royaumes imaginaires (Gondal et Angria) où évoluent des personnages héroïques et flamboyants. Un véritable refuge qu’ils ne quittèrent jamais réellement.

Ce que j’ai trouvé très beau dans cet album, c’est le choix de Sara O’Leary d’imaginer une enfance plutôt heureuse grâce aux livres et au lien fort qui liait les quatre enfants. Le texte, comme les dessins de Briony May Smith, est d’une grande douceur, d’une grande délicatesse et l’on sent beaucoup d’admiration et de tendresse envers les enfants Brontë.

« The little books of the little Brontës » est un très joli album qui rend hommage à la famille Brontë, à la lecture et à la force de l’imaginaire. Un album plein de charme que je suis ravie d’avoir ajouté à mes livres consacrés à la famille Brontë.

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Beautiful useful things, what William Morris made de Beth Kephart et Melodie Stacey

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L’album de Beth Kephart est une splendide évocation de la vie et du travail de William Morris. Le texte est extrêmement poétique et il rend hommage aux multiples talents du créateur : écrivain, peintre, imprimeur, designer de textiles, de papier-peint, meubles, vitraux, etc… L’album souligne également son engagement politique pour la défense des travailleurs, contre le capitalisme et sa production à outrance (je vous en reparle très vite au travers de deux essais publiés aux éditions Rivages).

« Have nothing in your houses that you do not know to be useful or believe to be beautiful ». Tout l’art, toute la vie de William Morris est résumé dans cette phrase. Beth Kephart insiste beaucoup sur l’observation de la beauté et notamment celle de la nature au milieu de laquelle l’artiste a grandi et qu’il se désole de voir disparaître en raison de l’industrialisation. L’album ne rentre pas dans le détail de la biographie de William Morris mais l’on reconnaît au détour des pages Kelmscott Manor, Jane Morris, Edward Burne-Jones, les filles du couple Morris Jenny et May qui sera également une artiste de grand talent qui poursuivra l’œuvre de son père.

L’album, grâce aux dessins de Melodie Stacey, est d’une grande beauté. Il est foisonnant, très richement et délicatement illustré.

Je suis totalement sous le charme de cet album qui, en peu de pages, donne un portrait très juste et très complet de la vie et du travail de William Morris. Un grand merci à Emjy pour cette merveilleuse découverte.

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Brancusi contre États-Unis d’Arnaud Nebbache

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1927, la Brummer Gallery de New York prépare une exposition sur le travail de Constantin Brancusi. Son ami, Marcel Duchamp, va la superviser pendant que le sculpteur sera à Paris. Mais l’une des œuvres est retenue par la douane. « Oiseau dans l’espace » est taxée de 4000$ comme un objet manufacturé. Brancusi, furieux, a décidé d’attaquer les États-Unis. Un procès s’ouvre pour déterminer si la sculpture est une œuvre d’art originale ou un simple objet métallique industriel.

La bande-dessinée d’Arnaud Nebbache s’inspire du véritable procès intenté par Brancusi à l’état américain. Il fait de Marcel Duchamp notre témoin, il assiste à toutes les audiences et dessine ce qui s’y passe. Des marchands d’art, des sculpteurs, des collectionneurs, des journalistes se succèdent à la barre pour donner leur avis sur « Oiseau dans l’espace. » Le propos du procès est passionnant et pose de nombreuses questions : qu’est-ce qui définit une œuvre d’art ? Doit-elle forcément être figurative pour émouvoir ? La question de la reproduction de l’œuvre présente également : est-ce une fonte originale ? L’artiste peut-il la reproduire au-delà de deux répliques ?

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En parallèle du procès, on découvre un Constantin Brancusi miné par ce qui se joue à New York. Il peste contre l’incompréhension des américains. « Est-ce qu’ils vont faire chier Claude Monet, lui ? Est-ce qu’ils vont lui demander si ses cathédrales sont des copies sous prétexte que le sujet est trente fois le même ! » Arnaud Nebbache nous montre le milieu culturel dans lequel évolue le sculpteur : Fernand Léger, Jean Cocteau, Man Ray, Satie, Alexander Calder, etc… Un Paris qui bouillonne d’artistes modernes et originaux. Le graphisme de la bande-dessinée, un peu vintage, les gammes chromatiques réduites m’ont beaucoup plu.

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« Brancusi contre États-Unis » est une BD réussie qui permet de découvrir un moment important dans l’histoire de l’art et la reconnaissance de l’abstraction. Et si vous vous demandez si « Oiseau dans l’espace » est bien une œuvre d’art, je vous invite à découvrir l’exposition consacrée à Brancusi au Centre Pompidou.

Copenhague de Pandolfo et Risbjerg

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Suite à un burn out, Nana Miller quitte Paris pour Copenhague. Elle pense y rester une semaine mais un corps a été retrouvé dans le port. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel corps puisque c’est une sirène qui s’est échouée. Le Danemark est en deuil et le pays est bouclé. L’heure est grave : « Quelque chose de précieux a été perdu, on a touché à un trésor national, à notre cœur, à notre poésie, à notre enfance à tous. » Nana ne peut plus rentrer chez elle où l’attend sa fille de 14 ans. Dans l’hôtel où elle réside, elle fait la connaissance du volubile et sympathique Thyge Thygesen. Il est accompagné d’un splendide caniche rose appelé Nom d’un chien. Pour pouvoir rentrer chez elle, Nana ne voit qu’une solution : résoudre le mystère de la mort de la sirène. Elle entraine dans son aventure Thyge et Nom d’un chien. Au travers des rues de Copenhague, ils vont poursuivre leurs recherches tambour battant croisant un club de propriétaires de caniches, une secte inquiétante, une fanfare dépressive et la reine.

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Quel régal de plonger dans les pages de la bande-dessinée de Pandolfo et Risbjerg ! J’ai eu plaisir à retrouver la capitale danoise que j’avais visitée l’année dernière, même si la sirène a un peu changé de position…je vous laisse la découvrir. L’enquête de Nana et Thyge est décalée, proche du conte et pleine de fantaisie. Le trait est vif, extrêmement dynamique comme le montre une incroyable et spectaculaire course-poursuite dans les jardins de Tivoli. Les personnages virevoltent d’une case à l’autre ! Ils sont d’ailleurs très attachants avec une mention spéciale pour Thyge au français approximatif et aux tenus colorées.

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Réjouissante, loufoque, drôle et tendre « Copenhague » m’a totalement conquise et j’ai passé un excellent moment aux côtés de Nana, Thyge et Nom d’un chien !

Rose à l’île de Michel Rabagliati

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Après le décès de son père et la séparation d’avec sa femme, Paul avait besoin d’un grand bol d’air. Il part donc en vacances avec sa fille, Rose, âgée de 23 ans, sur l’île verte dans l’estuaire du Saint Laurent. Ils y ont loué un petit chalet, loin de tout et niché au cœur de la forêt. Ce sont leurs premières vacances en tête-à-tête et cela va leur permettre de se retrouver mais aussi de se balader à la découverte de l’île.

Après la série des Paul (que je n’ai pas encore terminée), Michel Rabagliati nous offre avec « Rose à l’île » son premier roman illustré. Cette forme libère le dessinateur, lui redonne un nouveau souffle. Le paysage s’étire, s’épanouit dans les pages du livre, loin de la rigueur des cases. Même chose pour le texte qui s’affranchit de la forme courte des bulles. La nature console et répare, tout comme les relations amicales imprévues. Michel Rabagliati illustre avec beaucoup de minutie et de précision la faune et la flore de l’île. On sent sa délectation à dessiner ce qui l’entoure.

En plus des thématiques récurrentes chez l’auteur, comme la solitude ou le vieillissement, il questionne également la création et son inspiration. Il sent que celle-ci s’assèche, que l’autofiction n’est pas la seule voie possible pour s’exprimer. Son séjour sur l’île lui laisse entrevoir d’autres possibilités de création.

La poésie, la douceur des paysages, la simplicité des relations avec les autres, l’humour, tout concourt sur l’île verte à apaiser Paul. Malgré la mélancolie qui transparait par moments, « Rose à l’île » est lumineux et particulièrement savoureux.

Les pizzlys de Jérémie Moreau

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Nathan, un jeune parisien, est chauffeur Uber et il s’épuise au volant pour subvenir aux besoins de sa famille. Il élève seul sa sœur Zoé et son frère Étienne suite au décès soudain de leur mère. Un jour, il prend en charge Annie, une vieille femme qui se rend à l’aéroport pour rejoindre sa terre natale, l’Alaska. Voilà quarante ans qu’elle l’a quittée pour vivre à Paris. Nathan s’endort au volant pendant sa course et provoque un accident. Personne n’est heureusement blessé mais la voiture est inutilisable. Le jeune homme n’avait même pas fini de la payer. Il sombre dans le désespoir et son avenir semble sans issue. Annie lui propose une porte de sortie surprenante : la fratrie va venir avec elle en Alaska le temps que Nathan remette sa vie et ses idées en place. Entre les jeux vidéos et leurs téléphones, Zoé et Étienne ne sont pas emballés par l’idée d’être coupés du monde au fin fond de l’Alaska.

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Jérôme Moreau nous donne à lire avec « Les Pizzlys » une fable écologique où les mythes et légendes sont très présents. Nathan, Zoé et Étienne se reconnectent à la nature, aux animaux notamment par le biais de leurs rêves. Le fantastique habite cette terre ancestrale. Mais l’Alaska n’est pas qu’une terre rêvée, elle est frappée par le changement climatique. Annie ne retrouve pas le village où elle a grandi. Les hommes ont déserté le lieu. La fonte des glaces modifie les paysages, les oiseaux migrateurs partent deux mois en avance, les grizzlys et les ours polaires s’accouplent pour donner des pizzlys.

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Ce qui fait la force et l’originalité de cette bande-dessinée est son travail sur la couleur. Rose, vert, violet dominent l’ensemble, des couleurs d’aurore boréale qui renforcent le côté onirique de l’intrigue. Cela donne des pages plastiquement magnifiques qui captivent le regard.

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« Votre « homme » a marché sur la lune, mais il ne sait plus habiter la terre« , c’est ce que Jérémie Moreau veut nous montrer dans sa bande-dessinée où il aborde le thème de l’écologie, d’un retour à la nature. Son travail graphique, surtout le choix des couleurs, m’a totalement séduite.