« Drôle de temps pour un mariage » est un diamant noir, un petit livre rempli d’amertume et de douleur sourde. Le livre nous narre la journée de mariage de Dolly Thatcham avec Owen Bigham. Le futur mari est diplomate et à la fin de la journée il emmène sa femme en Amérique du Sud où il est en poste. Les amis et la famille de Dolly sont présents mais l’atmosphère est lourde : « La porte vitrée du jardin grinça et s’ouvrit brusquement de l’extérieur. Une violente bourasque s’engouffra dans la pièce. Les rideaux se gonflèrent d’un coup et faillirent se décrocher de leurs tringles. Déchirante et virulente, une longue plainte se fit entendre sous la porte du couloir, et tous les cœurs se serrèrent dans les poitrines, saisis d’un funeste pressentiment. »
L’un des amis de Dolly est à l’image de ce passage, il s’agit de Joseph Patton qui se tient à l’écart. Il est étudiant en anthropologie à Londres et il attend Dolly pour lui parler. Il n’a qu’une idée en tête, celle d’arrêter le mariage de Dolly. Joseph et Dolly ont passé l’été précédent ensemble et il n’a pas pu lui exprimer ses sentiments. Ensuite Dolly est partie et le mariage s’est décidé très rapidement. Il espère que sa chance n’est pas passée.
A l’étage, la mariée se prépare sans enthousiasme. Elle s’habille mécaniquement. « Ces différentes opérations furent exécutées à la manière d’un éléphant de cirque qui aurait procédé à sa toilette au centre de la piste, avec langueur et maladresse, comme si Dolly avait des bras de fer. » Ses amies la découvrent avec une bouteille de rhum à moitié vide ! La mariée est ivre et fond en larmes dans les bras de sa meilleure amie. Dolly repense à son été avec Joseph et se demande ce qu’elle ferait s’il lui demandait de tout abandonner pour lui.
La cérémonie se rapproche et la famille de Dolly ne lui laisse pas le temps de réfléchir. Elle retrouve Joseph dans le hall, mais auront-ils le temps de laisser parler leurs sentiments ?
« Drôle de temps pour un mariage » de Julia Strachey a un goût de gâchis. Deux jeunes personnes se croisent, s’aiment sans jamais se l’avouer pensant que leurs sentiments sont clairement lisibles. Joseph et Dolly ne font que se frôler, laissant le temps les séparer. Joseph, pendant le mariage, tente de se consoler en se disant : « Il vaut mieux avoir aimé et perdu que ne pas avoir aimé du tout. » Mais il n’arrive pas à se convaincre lui-même. L’amertume de Joseph teinte le court roman d’une infinie tristesse malgré la vie quotidienne qui bat son plein autour de lui. Chacun vaque à ses occupations sans se rendre compte du drame qui se joue dans la maison.
Julia Strachey (1901-1979) est la nièce de Lytton Strachey, critique et écrivain faisant partie du groupe de Bloomsbury mené par Vanessa Bell et Virginia Woolf. C’est d’ailleurs cette dernière qui publiera ce roman avec son mari en 1932. « Drôle de temps pour un mariage » a d’ailleurs un côté très woolfien. Julia Strachey décrit de manière très sensible le monde qui entoure les personnages. « Les fougères transparentes qui se dressaient en masse devant la fenêtre ressortissaient avec clarté, silhouettes un peu effrayantes. Elles avaient presque l’air vivantes. On aurait dit qu’elles venaient à l’instant de cambrer leur dos graciles, bombant leurs torses déliés et dentelés en un geste menaçant, s’entortillant avec souplesse les unes autour des autres, dardant leurs minces langues fourchues et onduleuses les unes vers les autres, mues soudain comme par une force irrésistible. » Une même attention est tournée vers chaque personne présente dans la demeure de la famille Thatcham, même les plus insignifiantes. « Jimmy avait une bouille toute ronde, et aussi brune qu’une coquille d’œuf. C’était un garçonnet minuscule. Quant à ses traits, ils étaient tellement petits que c’est à peine si on les voyait, resserrés qu’ils étaient au milieu de son visage, comme les raisins secs dans les petits pains lorsqu’ils se concentrent au cœur du gâteau. » Ce Jimmy est le fils d’un cousin, il n’apparaît que deux fois dans le roman et bien sûr sa présence n’influe en rien sur l’intrigue !
« Drôle de temps pour un mariage » évoque également les nouvelles de Katerine Mansfield qui sont précises dans les descriptions, attentives à chaque personne et teintées de la même mélancolie, du même engourdissement des sentiments.
C’est fou, je viens de finir mon billet sur ce livre, et on pense exactement la même chose !
@Lilly : Je viens de lire ton billet et je suis contente de trouver quelqu’un d’aussi enthousiaste que moi. Je suis totalement tombée sous le charme de ce court roman et j’ai été déçue de voir des avis mitigés. Je me retrouve souvent aussi dans tes billets, nous aimons souvent les mêmes auteurs.
Moi aussi j’ai été surprise par les avis déçus… Sinon, je crois qu’elle a publié deux ou trois autres petites choses, mais non traduites pour l’instant…
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