Un ancien étudiant en philosophie tente au travers de la vie du physicien allemand Werner Heisenberg de comprendre sa propre trajectoire et celle du monde contemporain. Le physicien allemand inventa le principe d’incertitude (« (…) la vitesse et la position d’une particule élémentaire sont liées de telle sorte que toute précision dans la mesure de l’une entraîne une indétermination, proportionnelle et parfaitement quantifiable, dans la mesure de l’autre. ») et obtint le prix Nobel de physique en 1932 à l’âge de 31 ans. Une jeunesse scientifique exaltante, bouillonnante puisque Heisenberg confronta ses théories aux plus grands comme Einstein. Jeunesse dorée qui fut rattrapée par l’Histoire, par la montée inexorable du nazisme. Heisenberg n’a pas su y faire face, n’a pas su prendre la mesure de l’horreur qui se mettait en place sous ses yeux. Qu’est-ce que l’indétermination, les failles d’un génie de la physique nous disent sur notre monde, sur nous-même ? En quoi la chute d’Heisenberg est un reflet de la nôtre ?
Beaucoup d’articles ont souligné la forme de ce roman. Il est vrai que la superbe langue de Jérôme Ferrari hypnotise son lecteur, l’envoûte par ses longues volutes de mots exigeants, sa poésie subtile, ses vérités nettes et douloureuses. Une langue qui est capable de rendre l’ineffable de la beauté comme de l’horreur. Le travail d’écriture de Jérôme Ferrari est absolument remarquable, il demande de la concentration à son lecteur mais la beauté de ce livre vaut que l’on se donne du mal.
Mais la splendeur de la langue ne doit pas faire oublier le fond. Le roman de Jérôme Ferrari est celui d’une chute, d’une faillite, celle de Werner Heisenberg, mais également celle du progrès. Le monde du physicien était celui de l’abstraction, de l’irréalité que le langage ne peut retranscrire que par la métaphore, la poésie. « Ils voulaient comprendre, regarder un instant par-dessus l’épaule de Dieu. La beauté de leur projet leur semblait la plus haute qu’on pût concevoir. Ils étaient arrivés là où le langage a ses limites, ils avaient exploré un domaine si radicalement étrange qu’on ne peut l’évoquer que par métaphores ou dans l’abstraction d’une parole mathématique qui n’est, au fond, elle aussi, qu’une métaphore. Ils devaient sans cesse réinventer ce que signifie « comprendre ». » Heisenberg évolue dans sa jeunesse dans un idéal de beauté, dans le rêve d’une Athènes scientifique mondiale. Une beauté, une naïveté qui lui servirent de refuge mais qui l’ont également aveuglé à l’heure où l’ignominie gagnait l’Europe. Jérôme Ferrari ne juge à aucun moment Werner Heisenberg, l’incertitude de son principe gagne ses propres actions et le génie semble incapable de comprendre le monde réel et le mal qui le ronge. Le 20ème siècle est celui du dévoiement des idéaux de la jeunesse d’Heisenberg, de la science. La bombe atomique les a pulvérisés. La perte de l’innocence est sans doute également ce qui caractérise les 20ème et 21ème siècles, ce qui pourrit notre civilisation, ce qui est le germe de notre soif absolue et aveuglante de progrès.
Comme il est difficile de parler d’un tel livre qui porte en lui tant de thèmes, tant de questions, tant de talent. Comme j’aimerais savoir mieux vous exprimer la beauté de la langue de Jérôme Ferrari. Ce roman est d’une exigence, d’une intelligence et d’une lucidité rares.
Tu en parles superbement, on sent a quel point tu as aimé et même si je ne suis pas une adepte des textes sur cette période, je vais tenter l’aventure !! Merci pour ce partage 🙂
Merci beaucoup, il m’a donné du mal ce billet, je voulais être un peu à la hauteur du talent de Jérôme Ferrari. J’espère que tu aimeras.
Je veux le lire depuis sa sortie et il vient enfin d’arriver à la bibli (comme ça il sera moins emprunté, n’étant plus une nouveauté ^_^) Mais pas sûr que je sache en parler!
Je ne suis pas sûre non plus d’avoir réussi à en parler convenablement !
j’étais un peu perplexe à la lecture de la première citation (la science, les maths et moi, tout ça quoi), mais si jamais je le croise à la bibli je le prendrai, car tu sais être convaincante 🙂
Merci, je te rassure pas besoin de comprendre le principe d’incertitude pour apprécier le roman de Jérôme Ferrari, je ne suis pas capable non plus de te l’expliquer !
On est d’accord, c’est du Ferrari pur jus, bien meilleur que son Goncourt selon moi.
Je n’ai toujours pas lu son prix Goncourt, au moins je sais qu’il ne faut pas que je m’attende au même niveau que celui-ci.
J’ai assez envie de le lire, ne serait-ce que parce que je connais un des petits-fils de Werner Heisenberg.
Et le petit-fils t’a déjà parlé de son grand-père ? C’est effectivement très intéressant de comparer ce que tu en sais avec ce qu’en a fait Ferrari.
Oui, mais surtout de musique 🙂
RHo la la la, il me le faut absolument, mais quelle enthousiasme Tititne ma parole 😉 en plus en pleine rentrée littéraire c’est classe ton billet. Il est archi noté
Des livres de ce niveau, de cette qualité, de cette exigence ne sont malheureusement pas si fréquents et je pense qu’il faut faire sentir la différence avec ce que l’on lit en général. Il faut essayer d’être un tout petit peu à la hauteur de la littérature, la vraie ! Je suis contente de voir que j’ai réussi à vous transmettre mon enthousiasme.
Je m’excuse pour les fautes….
T’inquiète, j’en fais aussi surtout avec nos appareils à écriture automatique !
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