Les Dukay de Lajos Zilahy

Les_Dukay

Istvan Dukay est le chef d’une famille de l’aristocratie hongroise. Sa femme, la comtesse Menti, est autrichienne et descend des Habsbourg. Leurs possessions sont immenses et au début du roman de Lajos Zilahy, la famille revient sur ses terres au château d’Ararat après la chute de la République. Cette immense résidence nous apparaît comme une demeure de rêve, de conte de fées : »En face de l’entrée principale, au milieu d’un bassin bordé de pierres de couleur, un jet d’eau s’élançait, dont les arabesques perlées et diaprées atteignaient la hauteur du deuxième étage. Un paon déroulait sa traîne somptueuse au bord du bassin tandis que des perroquets verts, perchés sur des balançoires de cuivre, entonnaient un choeur rauque et qu’un danois noir et fauve, les oreilles coupées, s’immobilisait, pétrifié à la vue des nouveaux arrivants (…). Devant le château, des massifs de fleurs flamboyaient au soleil de midi, et l’air était rempli de fragrances douces et lourdes. L’ensemble paraissait tellement étonnant, tellement irréel ! Avec ces trois étages, l’immense château, ramassé et massif émergeait fièrement dans l’éclatante lumière, et ses persiennes, d’un rouge pompéien fané, tranchaient sur la monotonie des murs jaune d’ocre. » Nous sommes juste après la première guerre mondiale, les Dukay vivent dans le luxe et leur richesse semble infinie. Lajos Zilahy nous raconte la saga de cette famille, ballottée par les soubresauts de l’histoire, jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale.

Cette aristocratie cosmopolite ne comprend pas que son monde est sur le déclin. Le comte Dukay pensait que la première guerre mondiale ne durerait que quatre ou cinq semaines. Son seul embarras était de ne pouvoir aller dans son appartement parisien pour pavoiser sur les Champs-Elysées avec ses nouveaux costumes. Les choses changent, évoluent sans que Istvan Dukay n’en ait conscience, son monde existait avant lui et doit se poursuivre après. La République hongroise a été un premier avertissement, le premier évènement à ébranler les bases de l’aristocratie. Le peuple commence à prendre conscience des siècles de servage subis pour le bien-être des aristocrates. Le monde de ces derniers se resserre, se rétrécit au fur et à mesure que l’Histoire avance. Lajos Zilahy nous annonce, comme un mauvais augure, l’avenir des Dukay et notamment du château d’Ararat qui sera saccagé pendant la seconde guerre mondiale. Le présent des Dukay est ainsi entâché par leur futur déclin. L’auteur laisse transparaître par moments la terrible décrépitude de cette famille, qui est celle d’une classe sociale mais aussi d’un empire que ne cesseront de regretter des écrivains comme Joseph Roth ou Sandor Marai.

Les enfants d’Istvan Dukay accompagnent les différents moments de l’Histoire. L’aînée des filles, Kristina, se sacrifie tout entière à la monarchie depuis qu’une voyante lui a dit : « Et un jour, vous tiendrez entre vos mains le coeur du roi. » Croyant au départ qu’elle épouserait l’héritier du trône de François-Joseph, elle finit en réalité par le suivre en exil à Madère. Kristina le suit jusqu’à sa mort en tant qu’infirmière. Mais c’est essentiellement à la deuxième fille du comte, Zia, que s’intéresse Lajos Zilahy. Elle représente l’avenir, l’avancée de l’Histoire. Zia est la seule à sentir le crépuscule de l’aristocratie. Sa gouvernante, la vivante et affectueuse Mme Couteaux, lui a expliqué ce qu’était la Révolution française et ses raisons. Zia comprend alors que toute la munificence des Dukay devra un jour se payer. Ouverte et intelligente, Zia rejoint les idées communistes par amour et par conviction. Elle symbolise concrètement la fin de l’Empire austro-hongrois. Le dernier enfant Dukay, Janos, ouvre la fin du roman vers un avenir sombre. N’ayant pas eu la chance d’être élevé par une Mme Couteaux, il devient nazi mais ce nouveau drame de l’Histoire fait sans doute l’objet du deuxième volume de la trilogie de Lajos Zilahy.

« Les Dukay » est le formidable récit d’une chute, d’un déclin annoncé. Lajos Zilahy choisit de nous raconter la fin de l’empire austro-hongrois par la saga de la famille. Ce sont les vies des enfants qui priment sur l’Histoire. Le ton du livre n’est pas mélancolique, comme chez Sandor Marai, tant la fin est inéluctable. Cette aristocratie au panache insensé ne pouvait que plier face au vent de l’Histoire. J’ai quitté néanmoins avec tristesse ces personnages si finement ciselés par Zilahy mais ce n’est que pour mieux les retrouver dans « L’ange de la colère ».

11 réflexions sur “Les Dukay de Lajos Zilahy

  1. Nous en avons parlé ensemble mais comme tu le sais, c’est un immense coup de coeur pour moi aussi, même si je l’ai lu il y a longtemps et ne m’en souviens plus très bien. J’en parlerai sur mon blog quand je récupérerai (enfin) mes caisses !

  2. @Lou : J’attends de lire ton article (d’ailleurs je ne sais pas comment tu fais pour chroniquer un livre après si longtemps ! Chapeau !). Oui c’est vraiment un roman passionnant, foisonnant et émouvant. J’aime déjà beaucoup la littérature austro-hongroise et j’ai encore une fois été enchantée par cette découverte.

  3. ouh là là… je l’ai lu i y a longtemps… mais j’avais adoré, quelle fresque 🙂 quelle famille… ça avait été un grand coup de coeur. Je me souviens en revanche d’avoir moins aimé la suite 🙂

  4. Jamais entendu parler ni du titre, ni de l’auteur… merci de nous faire partager des lectures aussi originales.

  5. @Amanda : C’est vrai que le premier tome est une merveille, c’est une extraordinaire fresque familiale et historique. Pour le moment j’ai lu le 2ème qui m’a beaucoup intéressé mais effectivement il est un cran en dessous. Le souffle épique est moins présent. Je vais bientôt m’atteler au 3ème volume qui se passe avant le premier.

    @Ys : Merci pour le compliment ! J’apprécie énormément la littérature austro-hongroise et cette grande fresque familiale semble en être un incontournable !

  6. Je le vois partout en ce moment, et en particulier chez une bouquiniste à côté de chez moi. Je suis replongée dans Zola en ce moment, mais si je passe devant la bouquinerie, j’irais le récupérer !

  7. @Céline : C’est vraiment un excellent livre, je te le conseille chaudement. C’est une trilogie mais chaque tome peut se suffire à soi-même. Le premier semble être le plus réussi.

    • J’espère que tu aimeras autant que moi. Le premier tome est vraiment excellent et est mon préféré de la trilogie. Les deux autres sont intéressants, j’ai une préférence pour le dernier qui est assez différent.

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