Anne et Claire Berest ont écrit leur dernier roman autour d’un manque, d’une absence : celle de Gabriële Buffet Picabia, leur arrière-grand-mère dont leur mère ne leur a jamais parlé. Elles ne savent rien non plus sur leur grand-père maternel à part le fait qu’il se soit suicidé à 27 ans. C’est ce silence qu’elle comble avec leur livre même si celui-ci est une sorte de trahison envers leur mère. Il est également un bel hommage à une figure singulière et indépendante.
Gabriële Picabia était une brillante étudiante en composition musicale. Elle fit ses études à Paris puis à Berlin. Elle est déjà proche des avant-gardes. Sa rencontre avec Francis Picabia va changer sa vie. Elle l’épouse en 1909 et devient sa muse. Gabriële va accompagner, inspirer les créations de son mari. Leur mariage est plus intellectuel que sensuel. Elle s’efface au profit de son mari et c’est ce qui la rend si intrigante. Elle se voyait artiste, compositrice, elle ne produit plus rien après sa rencontre avec Picabia. C’est que l’art ne souffre pas la médiocrité pour Gabriële, ses ambitions sont sans doute trop élevées. Le couple traverse ensemble le cubisme, le dadaisme. Leurs compagnons de route se nomment Marcel Duchamp, qui fut l’amant de Gabriële, Guillaume Apollinaire, qui sera un ami indéfectible. Le duo se fait souvent trio au gré des amitiés et des fantaisies de Picabia. Ce dernier ne supporte pas l’immobilisme, il est instable, très probablement bipolaire. Et Gabriële fait avec les hauts et les bas de son mari, le protège, le défend. Ce sont surtout les enfants du couple qui vont pâtir de cette vie de bohème ; la relation du couple Picabia est libre et fantasque mais elle exclut totalement les enfants.
Anne et Claire Berest rendent parfaitement l’incroyable bouillonnement artistique du début du XXème siècle. Les avant-gardes sont aussi bien picturales que musicales (on croise Stravinski, Debussy, etc…). Les artistes rivalisent d’imagination et d’innovation. On voit la figure tutélaire de Picasso, ogre qui fait de l’ombre à son compatriote Picabia. Le livre montre également l’évolution de Marcel Duchamp, de la peinture figurative au ready-made. Une euphorie créatrice à laquelle Gabriële Buffet-Picabia aura apporter discrètement une touche décisive.
« Gabriële » est le portrait d’une femme d’exception, muse des avant-gardes du début du XXème siècle. Même si le livre n’est pas sans défaut (les apartés des deux sœurs ne sont pas toujours opportuns), il a la qualité de mettre en lumière cette femme moderne et captivante.
Très beau billet! Oui je comprends pour les apartes mais ce rapport intime et familial m a plu. Et cela soit être difficile de prendre du recul par rapport à une telle aieule…
Oui, je comprends aussi pourquoi elles ont souhaité ajouter ces apartés mais je trouve qu’elles n’apportent pas grand chose aux lecteurs.
Tu as été beaucoup géné par les apartés dans ta lecture?
Non, juste un peu, elles n’ont pas perturbé ma lecture générale du livre.
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