La piscine, en sous-sol, a ses habitués. Ils viennent pour enchaîner les longueurs, pour fuir le quotidien et leurs problèmes, pour lâcher prise. Quelque soit leur milieu social, les nageurs respectent les mêmes règles, les mêmes rituels. Mais un jour, une fissure apparaît au fond du bassin. Elle sera suivie d’autres fissures inexpliquées qui déclencheront la fermeture de la piscine. Le monde harmonieux des nageurs n’existe plus ce qui perturbe énormément l’un d’eux : Alice, atteinte de démence sénile, qui perd encore un peu plus ses repères.
« La ligne de nage » de Julie Otsuka s’ouvre sur le récit du quotidien des nageurs à la première personne du pluriel. Ce « nous » rappelle celui de « Certaines n’avaient jamais vu la mer », le précédent roman de l’autrice que je vous recommande fortement, et crée ainsi un lien entre ces deux textes. Le « nous » incarne une communauté, un groupe dans un univers ritualisé qui va se fissurer. Ce qui se déroule au fond de la piscine est une métaphore de ce qui arrive à l’esprit d’Alice qui plonge petit à petit dans la maladie.
La deuxième partie du roman, qui s’ouvre sur « Diem perdidi » à l’origine une nouvelle, passe à une narration à la troisième personne du singulier. Julie Otsuka s’amuse à modifier son mode narratif. Le nous reviendra pour décrire les conditions de vie dans l’EHPAD qui accueillera Alice, le nous est alors celui de l’entreprise qui impose des règles drastiques à ses clients. L’autrice décrit cet univers glaçant avec beaucoup d’ironie.
Enfin, le texte passe à la deuxième personne du singulier pour décrire la relation d’Alice et de sa fille, faite de culpabilité et de regrets. Julie Otsuka s’est inspirée de l’histoire de sa mère, de ses souvenirs (l’enfance au Japon, l’arrivée aux Etats-Unis, les camps d’internement durant la seconde guerre mondiale, son mari, etc..) pour créer Alice. La relation mère-fille est très touchante et décrite avec beaucoup de pudeur.
Dans « La ligne de nage », Julie Otsuka nous offre une narration très originale, alternant les pronoms personnels et coupant son texte en deux parties très distinctes, ce qui peut surprendre le lecteur. Mais l’ensemble est extrêmement cohérent et m’a totalement séduite.
Traduction Carine Chichereau
J’avais aimé Certaines n’avaient jamais vu la mer, alors pourquoi pas!