Harvey de Emma Cline

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Harvey s’est réfugiée dans la luxueuse villa d’un ami dans le Connecticut. Il est là en attendant le verdict de son procès qui tombera le lendemain. Mais Harvey en est persuadé, il sera forcément acquitté. Il ne comprend pas l’acharnement contre lui. « Car il n’était qu’un homme, un homme seul avec des chaussettes rouges et un T-shirt trop fin, une molaire gauche douloureuse, un dos fragile sur le point de s’effondrer, tout le cartilage avait été gratté, si bien que sa colonne vertébrale était un jeu de casse-briques. » Harvey s’apitoie beaucoup sur lui-même, se gave de bonbons et d’antalgiques. Et il anticipe la suite, lorsqu’il sera libre et débarrassé du bracelet électronique vissé à sa cheville. Harvey a un grand projet, il veut adapter « White noise » de Don DeLillo qu’il pense avoir reconnu dans la maison voisine. Voilà un projet de taille pour relancer sa carrière !

Emma Cline avait fait une entrée très remarquée en littérature avec son formidable « The girls » en 2016. Cette jeune femme n’a pas froid aux yeux puisqu’elle se place ici dans la tête de Harvey Weinstein. Son texte est une novella qui a été publiée l’année dernière dans le magazine New Yorker. Le nom de famille d’Harvey n’est jamais cité car il reste un personnage de fiction. Emma Cline explique ne pas avoir fait de recherches particulières sur sa biographie, elle ne sait, par exemple, pas s’il a réellement des filles adultes.

Comme dans « The girls », l’auteure s’intéresse à l’emprise de certains individus sur les autres, au mécanisme de domination. On le voit bien ici à l’œuvre, Harvey est un personnage qui exerce son pouvoir sur tous ceux qui l’entourent avec mépris et brutalité. Il pensait jusque là que son argent, sa réussite le protégeaient et lui permettaient tout. Emma Cline nous le montre à un moment charnière, juste avant le basculement du verdict. Harvey peut encore se percevoir comme une victime, il peut s’illusionner sur son avenir et il nous paraît alors bien pathétique. Des failles dans ce résonnement percent de temps en temps le voile qu’il jette sur ce qui l’attend. Mais le projet « White noise » lui permet de rapidement de se voiler à nouveau la face. Emma Cline réussit à explorer la psyché perverse d’Harvey avec beaucoup de finesse et d’intelligence.

Dans « Harvey », Emma Cline dresse le portrait d’un personnage aussi glaçant que ridicule et elle montre à nouveau sa grande maîtrise de la narration et de la complexité de la nature humaine.

Traduction Jean Esch

2 réflexions sur “Harvey de Emma Cline

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