J’avais découvert Colm Toibin avec sa biographie romancée de Henry James « Le maître ». J’étais donc ravie de retrouver l’auteur irlandais dans le même exercice. « Le magicien », surnom donné à Thomas Mann par ses enfants, est une fresque familiale couvrant la vie de l’auteur de « La montagne magique » de 1891 à Lübeck à 1950 à Los Angeles. Colm Toibin passe assez rapidement sur l’enfance et la jeunesse de Thomas Mann, de nombreux drames émaillent sa vie, et il se concentre sur la période de la seconde guerre mondiale. Ce choix m’a semblé pertinent et c’est ce qui m’intéressait le plus dans la vie de l’écrivain allemand. Durant la première guerre mondiale, Thomas Mann était un nationaliste, un va-t-en-guerre. Même s’il n’a jamais soutenu le parti national-socialiste, il a mis du temps à le dénoncer publiquement. Et c’est cette hésitation qui m’intéressait chez lui, notamment au regard des positions très fortes de ses deux aînés Erika et Klaus.
Colm Toibin n’édulcore pas son portrait de Thomas Mann. Il nous livre un portrait lucide, celui d’un homme qui ne fut ni un héros ni un antihéros mais avant tout un écrivain. En attendant 1930 pour dénoncer le régime nazi, il retarde le moment où ses livres seront interdits à la vente. Lui, qui est supposé incarner la quintessence de l’âme allemande, n’a pas su voir ce qui arrivait à son pays. « Rien ne l’avait préparé à devoir fuir son propre pays. Il n’avait pas su déchiffrer les signes avant-coureurs. Il avait échoué à comprendre l’Allemagne, ce lieu-là même qui était censé être gravé dans son âme. » Thomas Mann est d’ailleurs montré comme un homme en retrait, absent au monde et aux siens. Son rapport à ses enfants est extrêmement conflictuel. La littérature passe toujours avant eux. Colm Toibin ne cache pas non plus le penchant de Thomas Mann pour les jeunes hommes mais également son besoin de respectabilité. C’est pourquoi il épouse Katia dont la famille est bourgeoise et cultivée. Cette biographie la montre comme le personnage central de la famille et Colm Toibin souligne sa vive intelligence.
En plus du portrait de la famille Mann, Colm Toibin explique à plusieurs reprises la genèse, le point de départ des principaux romans de l’écrivain allemand. On voit à quel point il observe ce qui l’entoure, il réutilise ce qu’il vit, ce qu’il ressent pour nourrir ses œuvres de fiction, ce qui lui sera reproché par ses enfants.
« Le magicien » est le résultat d’impressionnantes recherches de la part de Colm Toibin. Malgré quelques longueurs, le portrait de Thomas Mann et de sa famille est captivant et fascinant.
Traduction Anna Gibson