Eve a quitté Jenny du jour au lendemain sans aucune explication. L’évaporée, comme la surnomme Jenny, a laissé toutes ses affaires dans la maison de sa compagne. Cette dernière ne cesse de se questionner sur leur relation et ne perd pas espoir de revoir venir celle qu’elle a aimé éperdument. Pendant ce temps, Eve doit essayer de guérir de blessures qui ont ressurgi de son passé.
« Depuis que j’ai lu l’incipit de ce livre, je sais qu’il est possible de vivre une même histoire en deux narrations totalement différentes. Et que l’expérience de chaque être en ce monde est une solitude vraiment irrémédiable. » « L’évaporée » est écrit à quatre mains et nous propose d’explorer alternativement les deux faces de cette rupture. Fanny Chiarello a écrit les chapitres concernant Jenny, tandis que Wendy Delorme, dont j’ai adoré le roman précédent, a rédigé ceux qui concernent Eve. Deux points de vue, deux écritures qui donnent vie, corps et chair à deux femmes qui se sont aimées puis séparées. Cette construction en parallèle nous permet de comparer et de comprendre les points de vue, les ressentis des deux femmes.
Et ces deux femmes sont fort différentes. Jenny est écrivaine, elle s’est retirée à la campagne, est revenue à la terre. « Elle me console de mes illusions perdues, me réconcilie avec mon espèce et, un jour, elle me fera un linceul moelleux et chaud, généreux. » Jenny est en quête d’absolu, l’amour chez elle ne souffre aucune compromission. Eve est journaliste, parisienne, elle a été mariée et est mère de deux enfants. Elle est plus distante et semble ne plus rien attendre de l’amour. Les deux autrices nous offrent une analyse fine de celle qui reste et de celle qui part, l’une et l’autre déjouent nos attentes quant aux rôles qui leur sont assignés au départ.
Dans les propos des deux femmes se dessine également un questionnement sur la création et notamment sur la manière dont les écrivains se nourrissent de ce qui les entoure pour créer. L’écrivain doit-il se fixer des limites pour éviter de faire souffrir ses proches ? Les mots peuvent en effet devenir des armes tranchantes…
« L’évaporée » est un texte formidablement écrit. Les deux voix, toutes en poésie et en sensibilité, se marient merveilleusement bien. Un dispositif littéraire original qui fonctionne grâce à deux autrices inspirées.