L’établi de Robert Linhart

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« C’est comme une anesthésie progressive : on pourrait se lover dans la torpeur du néant et voir passer les mois -les années peut-être, pourquoi pas ? Avec toujours les mêmes échanges de mots, les gestes habituels, l’attente du casse-croûte du matin, puis l’attente de la cantine, puis l’attente de cinq heures du soir. De compte à rebours en compte à rebours, la journée finit toujours par passer. Quand on a supporté le choc du début, le vrai péril est là. L’engourdissement. Oublier jusqu’aux raisons de sa propre présence ici. Se satisfaire de ce miracle : survivre. » A la fin de l’année 1968, Robert Linhart, normalien, se fait embaucher dans l’usine Citroën de la porte de Choisy. Membre de l’union des jeunesses communistes marxistes-léninistes, il choisit d’être un établi comme beaucoup d’autres militants intellectuels de la gauche prolétarienne. L’usine de la Porte de Choisy fabrique des 2CV. Robert Linhart y découvre la difficulté à accomplir les mêmes gestes que les ouvriers en place, leur habilité et leur efficacité sont redoutables. Il devra essayer plusieurs postes avant d’en trouver un où il est compétent. Le bruit, la cadence abrutissante, les nombreuses strates hiérarchiques, le racisme (un ouvrier non européen ne peut pas être ouvrier spécialisé, il reste manœuvre alors qu’un français est d’office OS2), les produits toxiques utilisés sont parfaitement décrits dans le texte de Robert Linhart.

Le but des établis était éminemment politique puisqu’ils voulaient contribuer à la défense de la classe ouvrière par la résistance et la révolution. Le cœur du livre est d’ailleurs la grève que réussit à mettre en place Robert Linhart. Il y a du romanesque, presque du suspens, dans sa manière de la raconter : seront-ils assez nombreux à débrayer pour arrêter la grande chaîne de production ? Tiendront-ils plusieurs jours ? Quelles seront les représailles de Citroën ? Il n’est pas étonnant que « L’établi » ait été adapté au cinéma tant le récit de Robert Linhart est prenant. Son propos est également toujours d’actualité. Certes le travail à la chaîne a été modifié par la robotisation mais les conditions de travail en France restent médiocres.

« L’établi », écrit en 1978, reste un document important sur le travail ouvrier, Robert Linhart en décrit les mécanismes avec précision. La grève qu’il organise en 1969 pose une question essentielle, celle de la dignité des travailleurs. Un texte profond que je recommande à tous ceux qui s’intéresse au monde du travail.

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