Le sang des innocents de S.A. Cosby

le_sang_des_innocents-5310524-264-432

« Violence et chaos, sang et larmes, amour et haine… Autant de pierres sur lesquelles s’était bâti le Sud, autant de fondations sur lesquelles se dressait désormais le comté de Charon. » C’est pourtant là que Titus Crown, après des années au FBI, a été élu shérif devenant ainsi le premier homme noir à occuper ce poste. Un an après son élection, un professeur du lycée, apprécié de tous, est abattu par un ancien élève noir. Malgré les tentatives de Titus pour le raisonner, le jeune homme refuse de déposer son arme et il est tué par les adjoints blancs du shérif. Un fait divers qui va réactiver les haines, les antagonismes à Charon. Titus n’avait pas besoin de ça, d’autant plus que la fusillade révèlera la présence dans le comté d’un tueur pervers particulièrement cruel.

« Le sang des innocents » est un roman palpitant, extrêmement efficace et sombre. Ce que va découvrir Titus est odieux et monstrueux. Un mal profond, violent habite les entrailles de Charon et semble resurgir. S.A. Cosby dresse dans son roman un portrait sans concession du Sud des États-Unis. La nostalgie de la Confédération est toujours très présente avec des groupuscules très actifs. Avoir un shérif noir est un affront pour eux. Charon, petite ville rurale, est gangrénée par la corruption et les opioïdes. De très nombreuses congrégations religieuses, plus ou moins extrémistes, s’affrontent également. Autant dire que le shérif n’a pas le temps de s’ennuyer.

En plus de ce contexte sociétal très précis, l’autre point fort du roman de S.A. Cosby est son personnage principal. Titus est très attachant, très humain et tourmenté par son passé (une affaire au FBI autant que le décès de sa mère). En tant que premier shérif noir, il veut être irréprochable moralement, il cherche la justice pour tous, y compris pour ceux qui le méprisent et il demande la même rigueur à ses adjoints. Un personnage impliqué, tenace, marqué par des traumatismes comme savent nous en offrir les meilleurs romans noirs.

Avec « Le sang des innocents », je découvrais enfin le talentueux S.A. Cosby et après cette lecture, il est évident que je vais lire ses deux autres romans.

Traduction Pierre Szczeciner

Copenhague de Pandolfo et Risbjerg

copenhague

Suite à un burn out, Nana Miller quitte Paris pour Copenhague. Elle pense y rester une semaine mais un corps a été retrouvé dans le port. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel corps puisque c’est une sirène qui s’est échouée. Le Danemark est en deuil et le pays est bouclé. L’heure est grave : « Quelque chose de précieux a été perdu, on a touché à un trésor national, à notre cœur, à notre poésie, à notre enfance à tous. » Nana ne peut plus rentrer chez elle où l’attend sa fille de 14 ans. Dans l’hôtel où elle réside, elle fait la connaissance du volubile et sympathique Thyge Thygesen. Il est accompagné d’un splendide caniche rose appelé Nom d’un chien. Pour pouvoir rentrer chez elle, Nana ne voit qu’une solution : résoudre le mystère de la mort de la sirène. Elle entraine dans son aventure Thyge et Nom d’un chien. Au travers des rues de Copenhague, ils vont poursuivre leurs recherches tambour battant croisant un club de propriétaires de caniches, une secte inquiétante, une fanfare dépressive et la reine.

Copenhague 2

Quel régal de plonger dans les pages de la bande-dessinée de Pandolfo et Risbjerg ! J’ai eu plaisir à retrouver la capitale danoise que j’avais visitée l’année dernière, même si la sirène a un peu changé de position…je vous laisse la découvrir. L’enquête de Nana et Thyge est décalée, proche du conte et pleine de fantaisie. Le trait est vif, extrêmement dynamique comme le montre une incroyable et spectaculaire course-poursuite dans les jardins de Tivoli. Les personnages virevoltent d’une case à l’autre ! Ils sont d’ailleurs très attachants avec une mention spéciale pour Thyge au français approximatif et aux tenus colorées.

copenhague_104-cf937

Réjouissante, loufoque, drôle et tendre « Copenhague » m’a totalement conquise et j’ai passé un excellent moment aux côtés de Nana, Thyge et Nom d’un chien !

Katie de Michael McDowell

Katie

1871, New Egypt, New Jersey, Philomena Drax vit avec sa mère, Mary, dans une grande pauvreté depuis la mort de son père. Sa mère se tue à la tâche pour essayer de subvenir à leurs besoins mais elle s’est considérablement endettée pour garder un toit sur leurs têtes. A un moment critique de leurs vies, Philomena reçoit une lettre de son grand-père qui avait coupé les ponts suite à la mésalliance de Mary. Le courrier est un appel au secours. Richard Parrock, riche propriétaire terrien, est en effet devenu invalide et il est tombé sous la coupe de la famille Slape qui veut l’extorquer. Philo quitte immédiatement New Egypt pour rejoindre son grand-père. Une fois sur place, elle va devoir affronter la terrible et cruelle Katie Slape, douée d’un don de voyance.

Après m’être régalée à lire « Blackwater » et « Les aiguilles d’or », j’étais enchantée de retrouver l’univers de Michael McDowell et j’ai dévoré « Katie ». C’est à nouveau un roman extrêmement divertissant, plein de rebondissements qui vous empêchent de le lâcher. On suit les Slape et Philo à travers les Etats-Unis dans une course-poursuite infernale. Même si la destinée de Philo est assez prévisible (le roman est très victorien en ce qui la concerne), sa lecture n’en est pas moins savoureuse. Et il ne vous aura pas échappé que Michael McDowell a choisi de nommer son roman « Katie » et non « Philomena ». Comme le disait Alfred Hitchcock, un film est réussi lorsque le méchant l’est aussi. Michael McDowell a ici créé un personnage totalement détestable, sanguinaire et d’une violence hallucinante. Encore un personnage féminin inoubliable comme nous en avons déjà rencontrées dans les pages des précédents romans de l’auteur.

« Katie » est un pur régal, un divertissement de grande qualité et totalement addictif !

Traduction Jean Szlamowicz

Bilan livresque et cinéma d’avril

Avril

Le mois d’avril s’achève et il fut bien rempli avec sept livres et trois bandes dessinées. Je vous ai déjà parlé de ma déception concernant « La boule de neige » et de mon ravissement à la lecture de « Rose à l’île ». Même si je n’en ferai pas la chronique, je vous conseille la série des Paul de Michel Rabagliati et le charmant dernier album de Camille Jourdy « Pépin et Olivia ». J’ai eu un grand plaisir à lire « Qui a écrit Trixie ? » de William Caine, un roman satirique très réussi sur la société anglaise, « Janvier noir » le premier volet de la série très sombre d’Alan Parks, « Le sang des innocents » le dernier roman de S.A. Cosby que je souhaitais découvrir depuis longtemps, « Mon fils, mon désastre » sur la relation de Suzanne Valadon et de son fils Maurice Utrillo et « Katie » de Michael McDowell qui nous offre un nouveau roman réjouissant, populaire et sanguinolent ! 

Côté cinéma, voici mes films préférés du mois :

120x160-Averroes-Rosa-Parks-scaled

Deuxième volet de la trilogie de Nicolas Philibert, « Averroès & Rosa Parks » s’intéresse à deux unités de l’hôpital Esquirol dans le Val-de-Marne. Nous assistons aux entretiens entre les patients et leurs psychiatres mais aussi à des séances de groupes où l’on peut discuter ensemble de sujets divers et de ce qui pourrait être amélioré à l’hôpital.  Certains patients nous sont connus puisque nous les avions croisés sur la péniche l’Adamant. Ici, les situations sont plus lourdes, plus violentes. L’Adamant est un lieu où la créativité peut s’exprimer, où l’on participe à des activités ludiques. A l’hôpital, on sent les situations plus désespérées comme cette femme âgée atteinte d’une psychose paranoïaque effrayante. Certains ont été enfermés toute leur vie, ont des moments de lucidité sur leur situation et celle de l’hôpital. Et c’est également cela que montre le film, une psychiatrie qui manque de moyens financiers et humains pour accompagner mieux les malades. Beaucoup aimerait plus de tendresse de la part des soignants qui sont bien entendu débordés. Les psychiatres, comme Nicolas Philibert, montrent de l’empathie, une infinie patience et une écoute infaillible. Le film dure 2h23 et on en redemande ! Admirable d’humanisme et de sens du partage, « Averroès & Rosa Parks » est un documentaire à ne pas rater ! 

Borgao

Surveillante de prison, Mélissa quitte la région parisienne pour la prison de Borgo, près de Bastia. Elle prend la prime insulaire pour repartir à zéro avec son mari Djibril et leurs deux enfants. En prison, Mélissa, surnommée rapidement Ibiza, sait se faire respecter tout en restant humaine et attentive aux besoins des prisonniers. En dehors, la vie quotidienne est difficile. Djibril galère à trouver du travail et il subit le racisme des voisins. Les retrouvailles de Mélissa avec un jeune détenu, Saveriu, vont bizarrement arranger tout. La jeune femme ne se rend pas compte qu’elle vient de mettre les doigts dans un terrible engrenage. 

Le nouveau film de Stéphane Demoustier est un formidable thriller, extrêmement tendu. Petit à petit, Mélissa est prise au piège des tentacules de la pieuvre mafieuse. Insidieusement, elle pénètre dans sa vie alors que la matonne pensait seulement rendre service. Le film est également très bien construit. En parallèle de la vie de Mélissa se déroule une enquête sur un double assassinat à l’aéroport dont on ne prendra la mesure  qu’à la fin. « Borgo » est porté par la talentueuse Hafsia Herzi qui rend son personnage troublant, ambigu, insaisissable au fur et à mesure que l’intrigue avance. 

Et sinon :

  • « La machine à écrire et autres sources de tracas » de Nicolas Philibert : Ce film clôt le triptyque documentaire de Nicolas Philibert sur le pôle psychiatrique de Paris-Centre. Après l’Adamant et l’hôpital Esquirol, nous pénétrons dans les chambres, les appartements des patients. Nicolas Philibert suit des soignants qui ne se contentent pas de soigner les âmes mais qui réparent les appareils électro-ménagers. Patrice a besoin de sa machine à écrire pour taper les poèmes qu’il compose chaque jour. Muriel fait réparer son lecteur CD, sans la musique les voix dans sa tête deviennent envahissantes. Ivan a besoin de faire réparer son imprimante et de comprendre comment fonctionne son lecteur Dvd. Tout en démontant les appareils, les soignants prennent le temps de discuter, de prendre un café  et de combler un peu la solitude des malades. Cas à part : Frédéric, artiste peintre qui ne jette rien et a besoin d’aide pour faire le tri pour pouvoir à nouveau circuler dans son logement ! Nous avions déjà croisé sur l’Adamant certains des malades et c’est un plaisir de les retrouver, de voir où et comment ils vivent. Comme dans les deux autres documentaires, l’humanisme et l’empathie de Nicolas Philibert rendent le film sensible et les malades touchants. Contrairement à « Averroès & Rosa Parks », il se permet d’intervenir, de participer à la convivialité de certaines scènes. 

 

  • « L’homme aux mille visages » de Sonia Kronlund : Sonia Kronlund, productrice de France Culture, avait réalisé en une émission en 2017 sur un mythomane latin-lover. Elle a ensuite enquêté pendant cinq ans sur cet homme qui a vécu plusieurs vies en même temps. Il était ingénieur chez Peugeot, chirurgien thoracique, pilote de ligne et se prénommait Ricardo, Alexander, Daniel. De France en Pologne, il a fait croire au grand amour à plusieurs femmes qui témoignent dans le documentaire. Charmeur, affable, sociable, notre latin lover plait à tout le monde avec une facilité déconcertante. L’argent, parfois les cadeaux, passent d’une femme à l’autre alimentant ainsi ses mensonges. Sonia Kronlund tente de comprendre  ce qui unit, ou non, ces victimes de la passion amoureuse. Y-a-t-il un profil type pour se laisser aveugler ? La réalisatrice retrouve à la fin le mythomane et se procure une petite vengeance que l’on sent jubilatoire chez elle même si elle est teintée d’amertume. 

 

  • « Le jeu de la reine » de Karim Aïnouz : Catherine Parr fut la sixième et dernière femme d’Henri VIII, la seule à lui survivre. Cultivée, ayant des sympathies pour le protestantisme, elle méritait bien que l’on s’intéresse à elle notamment parce qu’elle fut l’une des premières femmes à publier un livre. Elle s’occupa également des enfants qu’Henri VIII eut avec ses femmes précédentes, comme s’ils étaient les siens. Le film de Karim Aïnouz est une reconstitution minutieuse de l’Angleterre du XVIème siècle et des intrigues de la cour qui craignait son roi. Violent, paranoïaque, brutal, dévoré par la gangrène, Henri VIII a de quoi faire peur et Jude Law est ici méconnaissable et extraordinaire. Alicia Vikander interprète avec grâce et dignité Catherine Parr. Le film a choisi de créer un suspens autour de la possible exécution de la reine, c’est un peu artificiel et la fin est assez absurde et décevante. 

 

  • « Le mal n’existe pas » de Ryusuke Hamaguchi : Takumi est veuf, il vit seul avec sa fille au cœur de la nature. Il est homme à tout faire, il aide la communauté en puisant de l’eau pure qui sera utilisée pour la cuisine d’un restaurant, il coupe des bûches. Sa vie semble en parfaite harmonie avec l’environnement qui l’entoure. Un projet de camping de luxe dans la région va bouleverser la vie des villageois et surtout celle de Takumi. J’avais adoré « Drive my car » et j’ai retrouvé dans « Le mal n’existe pas » la contemplation, la parole rare et précieuse, la splendeur plastique des images. La nature, les paysages sont sublimés. Le projet de camping va rompre l’équilibre, les communicants vont abreuver de mots les habitants. Deux mondes, qui s’opposent, vont rentrer en collision et provoquer un drame. Jusqu’aux dix dernières minutes, le film de Ryusuke Hamaguchi est passionnant, intrigant par son jeu avec la musique et sa puissante mélancolie. La fin du film gâche un peu l’ensemble en étant opaque et incompréhensible. 

Rose à l’île de Michel Rabagliati

Rose

Après le décès de son père et la séparation d’avec sa femme, Paul avait besoin d’un grand bol d’air. Il part donc en vacances avec sa fille, Rose, âgée de 23 ans, sur l’île verte dans l’estuaire du Saint Laurent. Ils y ont loué un petit chalet, loin de tout et niché au cœur de la forêt. Ce sont leurs premières vacances en tête-à-tête et cela va leur permettre de se retrouver mais aussi de se balader à la découverte de l’île.

Après la série des Paul (que je n’ai pas encore terminée), Michel Rabagliati nous offre avec « Rose à l’île » son premier roman illustré. Cette forme libère le dessinateur, lui redonne un nouveau souffle. Le paysage s’étire, s’épanouit dans les pages du livre, loin de la rigueur des cases. Même chose pour le texte qui s’affranchit de la forme courte des bulles. La nature console et répare, tout comme les relations amicales imprévues. Michel Rabagliati illustre avec beaucoup de minutie et de précision la faune et la flore de l’île. On sent sa délectation à dessiner ce qui l’entoure.

En plus des thématiques récurrentes chez l’auteur, comme la solitude ou le vieillissement, il questionne également la création et son inspiration. Il sent que celle-ci s’assèche, que l’autofiction n’est pas la seule voie possible pour s’exprimer. Son séjour sur l’île lui laisse entrevoir d’autres possibilités de création.

La poésie, la douceur des paysages, la simplicité des relations avec les autres, l’humour, tout concourt sur l’île verte à apaiser Paul. Malgré la mélancolie qui transparait par moments, « Rose à l’île » est lumineux et particulièrement savoureux.

La boule de neige de Brigid Brophy

9782714404015ORI

En cette nuit du réveillon du nouvel an, une large assemblée se réunit dans le manoir georgien d’Anne et de son mari Tom-Tom. Les invités doivent se présenter déguisés. Anna, une amie de longue date de la maitresse de maison, porte le costume de Donna Anna. Elle semble s’ennuyer au milieu de cette foule joyeuse et alcoolisée. A minuit, un homme, portant bien évidemment le costume de Don Juan, l’embrasse avec fougue. Entre eux, débute alors un jeu de séduction ambigu.

La quatrième de couverture du roman de Brigid Brophy était prometteuse mais j’ai eu beaucoup de mal à achever ma lecture. Plusieurs couples sont observés par l’autrice : Anne et son mari, récemment mariés (Anne a été mariée plusieurs fois), et qui sont encore habités par le désir ; Ruth et Edward sont au début de leur vie d’adultes et ils découvrent les sentiments et les pulsions sexuelles ; Anna et Don Juan flirtent durant le bal mais tous les deux semblent désabusés. Anna est divorcée, elle joue avec l’anonymat, le mystère que lui offrent les masques portés durant la soirée. Le sujet du livre porte sur Eros et Thanatos, sur le désenchantement d’Anna face à ses relations avec les hommes. L’ambiance du bal reflète cet état d’esprit, on sent une certaine décrépitude, une lassitude profonde.

Brigid Brophy évoque aussi les jeux de pouvoir, d’argent et la place des femmes dans cette société du milieu des années 60. Malgré ces thématiques intéressantes et des images fortes (le bal comme une mer agitée par exemple), je suis restée à distance de ce roman, n’arrivant pas totalement à me sentir concernée par les propos (les personnages sont très bavards) d’Anna et de son Don Juan d’un soir.

J’étais enchantée à l’idée de découvrir une autrice anglaise dont je ne connaissais pas le travail. Malheureusement cette comédie de mœurs, inspirée du Don Giovanni de Mozart, ne m’a pas séduite.

Traduction Léo Lack

Hors d’atteinte de Marcia Burnier

Marcia-Burnier_Hors-datteinte_COUV-680x1086

« Mais elle sait que quelques années après son départ, quand il était entré dans sa vie, il avait fini par la convaincre qu’elle avait peur de tout, tout le temps. Peur du froid. Peur d’être seule. Peur de ne pas savoir comment faire pour vivre. Qu’elle était une chose fragile, qu’il fallait protéger, isoler et enfermer, pour éviter qu’elle se blesse. Après cinq ans passés sous l’emprise  de son compagnon, Erin a tout quitté pour se réfugier dans les Pyrénées. Dans une maison isolée, elle pose ses bagages avec sa chienne Tonnerre. Loin de tout, elle va essayer de se reconstruire notamment grâce aux randonnées en pleine nature. Elle a grandi dans les Alpes mais ne pouvait retourner en montagne en raison de sa soit disant fragilité. En raison des brimades, des remontrances, Erin est devenue peu à peu invisible. Elle doit réapprendre à se faire confiance, a effacé la peur.

Après la rage des « Orageuses », j’ai retrouvé une Marcia Burnier plus apaisée dans « Hors d’atteinte ». Comme dans son premier roman, elle traite du thème des violences faites aux femmes. Mais ici point de vengeance mais une reconstruction qui se fait lentement, au rythme de la nature qui entoure Erin. Le roman est une ode à la nature, à sa beauté qui peut émerveiller mais surtout consoler. Le personnage principal du roman retrouve des sensations oubliées et redonne toute sa place à son corps malmené. La compagnie des animaux, Tonnerre et le chat Idéfix, l’aidera également sur le chemin de la guérison. Au fur et à mesure, les flash-backs de sa vie d’avant deviennent de moins en moins présents, preuve qu’Erin se sent mieux.

Comme chez Jean-François Beauchemin, la beauté du monde, de la nature sauvage peut aider à surmonter sa peine. L’héroïne du deuxième roman de Marcia Burnier l’expérimente et nous explorons avec elle les sublimes paysages des Pyrénées. L’autrice nous offre à nouveau un très beau portrait de femme qui fuit pour mieux se retrouver.

Les orageuses de Marcia Burnier

les_orageuses-1408541-264-432

« Ce qu’elles voulaient, c’était des réparations, c’était se sentir moins vides, moins laissées-pour-compte. Elles avaient besoin de faire du bruit, de faire des vagues, que leur douleur retentisse quelque part. » Mia, Nina, Lila, Inès et Lucie ont toutes subi des violences sexuelles. Face à l’inertie et à la lenteur du système judiciaire, elles ont décidé de se faire justice. Elles veulent retrouver leurs agresseurs pour qu’ils prennent la mesure de leurs actes et ainsi reprendre confiance. Des dégâts matériels, pas physiques, mais qui laissent une trace durablement dans l’esprit des hommes qui les ont brutalisées. Il faut que la peur change de camp.

« Les orageuses » est le premier roman de Marcia Burnier et il fut également le premier livre de fiction de la collection Sorcières des éditions Cambourakis. Ce court texte est marquant, c’est un cri de rage et de colère. L’ouverture est un coup de poing puisqu’elle nous plonge dans la tête d’Inès après son agression. C’est vers Mia qu’elle se tourne ensuite. La sororité est très forte dans ce roman. Les jeunes femmes se soutiennent, se réconfortent et surtout elles se comprennent. Leur force, c’est d’être ensemble.

« Les orageuses » est bien évidemment un roman engagé qui sensibilise sur le devenir des victimes. L’empathie que l’on ressent pour les héroïnes nous permet de mieux appréhender leur questionnement sur la justice, sur les réparations (sous quelle forme ? la vengeance rabaisse-t-elle ?), sur la façon de se reconstruire et de continuer à vivre. Leurs propos sont souvent radicaux, à la hauteur de leur souffrance. Le corps a une place essentielle dans le texte, il n’oublie rien des agressions et il est le lieu de toutes les angoisses et peur. Il a autant besoin de réparation que l’esprit. Le récit est âpre mais il permet la réflexion.

« Les orageuses » est un premier roman très réussi, à l’écriture saisissante, emprunte de la rage de ses héroïnes.

Après minuit de Gillian McAllister

9782383991779ORI

Minuit le 30 octobre 2022, Jen Brotherhood attend le retour de son fils Todd, 18 ans. Son mari, Kelly, trouve qu’elle s’inquiète trop et remonte se coucher. Vers 1h, Jen est soulagée de voir apparaître la silhouette de son fils dans la rue. Elle se rend soudainement compte que son fils n’est pas seul, un homme se rapproche de lui. Avec horreur, elle voit Todd poignarder l’inconnu. La police intervient rapidement et emmène Todd, qui assume son acte, au commissariat. Jen ne peut pas croire ce qu’il lui arrive. En tant qu’avocate, elle compte se battre pour son fils et pour comprendre ce qu’il a fait. Lorsqu’elle se réveille le lendemain matin, Todd est dans sa chambre et non au commissariat. Jen découvre alors qu’il est 8h du matin le 28 octobre 2022.

« Après minuit » est un thriller original et ingénieux qui tient ses promesses jusqu’à sa dernière page. On suit Jen dans son retour en arrière qui progresse lentement puis s’accélère en lui faisant sauter des mois entiers. L’héroïne du livre doit, dans le passé, élucider un crime qui n’a pas encore eu lieu. Au fur et à mesure de son retour en arrière, elle va apprendre à mieux connaître ses proches. Se mêle à cela une forte culpabilité, celle d’être une mauvaise mère et celle de n’avoir pas été assez présente. Comme beaucoup de femmes actives, Jen s’interroge sur la place de son travail par rapport à sa vie privée. Peut-elle corriger ses erreurs dans sa boucle temporelle et sont-elles vraiment la cause du meurtre ?

Le roman est particulièrement bien construit, la question des voyages temporelles est parfaitement utilisée (comment faire comprendre que l’on a déjà vécu ces journées, comment se comporter lorsque l’on sait que le lendemain nous plongera dans le passé).

« Après minuit » est un véritable page-turner qui réserve de nombreuses surprises à ses lecteurs et dont l’intensité ne faiblit pas.

Traduction Clément Baude

Tumeur ou tutu de Léna Ghar

Tumeur ou tutu

Tumeur ou tutu (tu meurs ou tu tues) sont les deux options qui s’offrent à la narratrice pour pouvoir continuer à vivre. Depuis l’âge de trois ans, elle cherche à déterminer, à nommer son profond mal-être. Sa famille semble un modèle vue de l’extérieur. Ses parents, qu’elles surnomment Swayze et Novatchok, son demi-frère Grandoux et son petit frère Petit Prince forment en réalité une cellule familiale dysfonctionnelle. La mère est institutrice, elle adore les enfants sauf les siens qu’elle rabroue, humilie et frappe. Le père fait comme si rien ne se passait. Comment grandir, se construire dans un tel environnement ?

Léna Ghar a écrit un premier roman surprenant et singulier. L’histoire de la narratrice se fait par fragments de l’an 3 à l’an 27. Pour s’échapper, la petite fille s’invente un langage bien à elle : les surnoms des membres de sa famille, la praison pour désigner l’endroit où elle vit, les spartiates qui sont les humains qu’elle ne connaît pas, les paladins pour les proches et amis. L’autrice développe beaucoup d’inventivité pour nous plonger dans la psyché de cette enfant maltraitée.

Tout le roman est un monologue intérieur mais cette voix est parasitée par celle de la mère, brutale et odieuse, ou celle des autres membres de la famille, des amis. « Mes paladins ne gaspillent jamais leurs mots, ils ne cèdent pas à la polentase vaseuse à pleurer des spartiates. On est pareils, on n’a pas le bon neurone, on ne comprend que ce qui est irréfutable : les nombres. Je m’endors plus facilement depuis que je sais qu’en maths il n’y a qu’une seule réponse à chaque question. » Voilà une autre forme de langage qu’utilise Léna Ghar pour transcrire la voix de sa narratrice. Elle transforme le monde en équations, en problème à régler mathématiquement pour essayer de la comprendre et tenter de trouver sa place dans l’humanité.

Inventivité du langage, trouvailles formelles , tout est mis en œuvre par Léna Ghar pour nous faire ressentir la profonde blessure, le trauma d’une enfant maltraitée. « Tumeur ou tutu » est un premier roman très original et audacieux sur un sujet difficile.