Hiver de Fanny Ducassé

Hiver est une petite fille qui vit seule avec son père dans un château glacé recouvert de mascarpone. Sa mère mourut le jour de sa naissance et elle lui laissa un coussin brodé et un coffre fermé à clef. Elle ne pourra l’ouvrir que le jour de ses douze ans. En attendant cette date, Hiver reste dans le château silencieux où son père, profondément triste, se transforme peu à peu en ours polaire.

De Fanny Ducassé, j’avais déjà eu le plaisir de lire « Rosalie et le langage des plantes » et « Un automne avec M. Henri ». « Hiver » est un récit d’apprentissage en forme de conte où une petite fille de douze ans va enfin découvrir le monde extérieur. L’histoire est infiniment poétique et originale : le nom des personnages (la marraine d’Hiver se nomme Rubis), le château recouvert de mascarpone, etc… Les dessins se déclinent en rouge et blanc et sont absolument splendides. Les détails foisonnent, même les encadrements des textes sont fins et délicats.

Le nouvel album de Fanny Ducassé est un enchantement visuel et l’histoire d’Hiver est touchante et pleine de charme.

Un hiver au féminin, nouvelles à lire au coin du feu

Les toutes jeunes éditions Honorine nous propose un recueil de nouvelles sous le signe de l’hiver. S’y trouvent quinze écrivaines d’époques et de pays différents. Certaines sont très connues comme Edith Wharton, Elizabeth von Arnim, Margaret Atwood, Louisa May Alcott, Anaïs Nin, d’autres malheureusement sont oubliées comme Agnès Sapper, Selma Lagerlof ou sont de jeunes autrices comme Francesca Manfredi ou Geneviève Boudreau.

Plusieurs nouvelles portent bien entendu sur les fêtes de Noël, la joie des enfants et le bonheur de partager ces moments avec ceux qui sont plus pauvres. C’est le cas avec les filles du Docteur March ou « Un heureux réveillon » de Katherine Mansfield. J’ai beaucoup apprécié « Noël chez les Osborne » de Lucy Maud Montgomery où des enfants, blasés devant l’arrivée des fêtes, redécouvrent la magie de Noël en organisant une fête pour des enfants démunis de leur voisinage.

Mais les nouvelles du recueil ne sont pas que chaleureuses et réconfortantes. Edith Wharton nous entraîne aux frontières du fantastique avec « Ensorcelée », la plus longue nouvelle du recueil. La solitude et la mélancolie accompagnent les personnages de Francesca Manfredi dans « Ce qu’il reste » et l’héroïne d’Anaïs Nin dans « Les roses rouges ». Colette se remémore les Noëls passés, le temps qui s’écoule si vite dans « Rêverie du nouvel an ».

Parmi ces nouvelles, certaines m’ont séduite par leur ton ironique, leur humour glaçant. C’est le cas de « Matelas de pierre » de Margaret Atwood qui offre à son héroïne l’occasion de se venger en Arctique d’un homme surgi de son passé. Elizabeth von Arnim place son Noël traditionnel bavarois à l’aube de la seconde guerre mondiale jetant ainsi un voile sur les festivités familiales. Avec plus de légèreté, Stella Gibbons nous décrit le Noël solitaire d’une romancière, installée récemment à la campagne, qui ne souhaite aucunement se marier mais l’ironie du sort en décidera autrement.

« Un hiver au féminin » nous offre des nouvelles aux tons très variés, aux voix très affirmées et singulières. De quoi nous accompagner superbement durant l’hiver.

La collision de Paul Gasnier

Le 6 juin 2012, dans le quartier de la Croix Rousse à Lyon, une femme à vélo est percutée par une moto. Le conducteur, Saïd, roulait à 80 km/h en roue arrière et il perdit le contrôle de son véhicule. La cycliste décédera une semaine après l’accident. Cette femme était la mère de Paul Gasnier, aujourd’hui journaliste à Quotidien. Dix ans plus tard, lors de la campagne présidentielle, les propos d’un candidat d’extrême-droite vont l’emmener à interroger les faits douloureux vécus en 2012. « La correspondance entre mon vécu et son fantasme politique n’a pas cessé de me hanter depuis cette campagne présidentielle, où il faut martelé que l’immigration provoquait de la délinquance et qu’il était urgent d’en protéger les Français. Il fallait le reconnaître : l’extrême-droite avait mis le doigt, avec talent, sur cette confusion et cette colère que j’avais intimement vécu. » Pour dépasser cette colère, « pour comprendre à défait de pardonner », Paul Gasnier va enquêter avec rigueur sur le fait divers qui a bouleversé sa vie. Il s’appuie sur les rapports médicaux, de police, le dossier d’instruction, le récit de témoins pour essayer d’appréhender la généalogie de la violence urbaine. A partir de l’histoire de sa mère et de celle de Saïd, il élargit son propos, essaie de saisir ce qui fracture la France aujourd’hui. Paul Gasnier mélange le récit à l’enquête avec sérieux, sans pathos et avec humanisme. La sobriété et le recul, dont il fait preuve, n’empêchent pas l’émotion et l’on sent la douleur profonde, le deuil terrible qui frappa une famille unie et sans histoire.

« La collision » est un texte remarquable d’intelligence, de réflexion et de justesse où la colère ne met pas à mal les convictions de son auteur.

Goodbye Mr Chips ! de James Hilton

« C’est ainsi qu’il vivait chez Mrs Wickett, prenant un plaisir tranquille à lire, à causer et à se souvenir, vieillard à cheveux blancs, n’ayant qu’une légère calvitie, encore assez actif pour son âge, prenant son thé, recevant des visites, occupé à corriger pour la prochaine édition l’annuaire de Brookfield. » Mr Chipping, surnommé Mr Chips, a enseigné à Brookfield les lettres classiques à plusieurs générations de jeunes anglais. A la fin de sa longue carrière, il s’est installé en face de l’école pour continuer à avoir un lien avec le corps enseignant mais également avec les nouveaux élèves qui ont eu vent de son sens de la repartie, de son humour désopilant.  Mr Chips est une légende mais peu connaissent ses blessures profondes et la mélancolie qui l’habite à la fin de sa vie.

« Goodbye Mr Chips ! » est un court texte paru en 1934 et qui rencontra un énorme succès. Il est considéré comme un classique de la littérature anglaise, il a été adapté deux fois au cinéma et il vient d’être publié par les excellentes éditions Sillage. Le roman est plein de charme et très anglais dans son esprit. L’attachement profond de Chips à l’enseignement, à ses élèves est terriblement touchant. Au fur et à mesure de la lecture, il gagne en profondeur et en humanité. On le voit affronter un deuil avec courage, reprendre la direction de l’école au moment de la première guerre mondiale alors qu’il était à la retraite, encaisser la disparition de nombreux anciens élèves au front. A travers ce personnage, James Hilton décrit un monde en pleine mutation, une société qui évolue à marche forcée à cause de la guerre.

« Goodbye Mr Chips ! » est le récit d’une vie humble d’enseignant qui a dédié sa vie à ses élèves. Le texte de James Hilton est sobre, nostalgique et très émouvant.

Traduction Maurice Rémon

Le roi des cendres de S.A. Cosby

Roman Carruthers vit à Atlanta où il a fondé une entreprise de gestion de patrimoine. Il est doué, très doué pour faire fructifier l’argent de ses clients. Il ne revient quasiment jamais à Jefferson Run où vit sa famille. Mais une urgence va l’y rappeler. Son père a été victime d’un grave accident de voiture et il est plongé dans le coma. Roman retrouve sa sœur Neveah, qui aide leur père à tenir le crématorium familial, et son frère Dante, toxicomane. La famille s’est fracturée depuis la disparition mystérieuse de la mère des années auparavant. Roman va rapidement comprendre que l’accident de son père n’en est pas un et que Dante doit 300 000 dollars à un gang de dealers ultra-violents.

J’avais beaucoup aimé le précédent roman de S.A. Cosby « Le sang des innocents ». J’ai retrouvé ici la profonde noirceur de l’auteur et j’ai particulièrement apprécié la description de Jefferson Run. La ville a subi de plein fouet la désindustrialisation et est gangrenée par la pauvreté et surtout la drogue et la violence qu’elle engendre. L’intrigue est ici brutale, le sang coule beaucoup à Jefferson Run. Malgré cela, j’ai peiné à terminer ma lecture. L’intrigue m’a semblé répétitive avec de trop nombreux rebondissements. Le personnage central, Roman, ne m’a pas séduite, peut-être manquait-il de nuance pour pleinement m’intéresser.

Malgré mon peu d’enthousiasme pour « Le roi des cendres », je relirai très certainement S.A. Cosby. D’ailleurs, ses deux premiers romans m’attendent encore.

Traduction Pierre Szczecimer

Providence d’Anita Brookner

Universitaire, Kitty Maule, 29 ans, est spécialiste de la littérature romantique française. Elle vit seule dans un appartement à Chelsea et passe ses weekends chez ses grands-parents maternels à Dulwich. Malgré une vie intellectuelle accomplie, Kitty se sent profondément seule. « Il faisait presque nuit dans la pièce sinistre, entre cet instant et celui où l’on allumerait l’électricité, elle imagina avec effroi son retour chez elle, sa soumission aux routines auxquelles elle mourait d’envie de mettre un terme violent. Ses rituels assidus et précis destinés à circonvenir les longues nuits, à exorciser les démons de ses proches et ses rêves coutumiers commençaient à perdre leur vertu et leur capacité d’apaisement. » La présence erratique de Maurice, son amant, ne fait que renforcer le mal-être de la jeune femme. Ses espoirs sont malheureusement souvent déçus.

« Providence » est le deuxième roman d’Anita Brookner, publié en 1982 et jusqu’à présent c’est celui que j’ai préféré. J’ai été particulièrement touchée par Kitty, jeune femme intelligente, cultivée, lucide mais qui peine à trouver sa place. Comme souvent chez l’autrice, le roman explore la solitude de son héroïne. Elle pressent qu’elle restera seule et ironise sur la condition des femmes modernes. « Elle continuera probablement à vivre ici, encore plus seule. Et elle le sait parfaitement. Elle est trop intelligente pour l’ignorer. C’est ce qu’on appelle une femme libérée, pensa Kitty. Du genre qu’envient les ménagères enchainées. » La sérieuse et élégante Kitty ne voit son épanouissement que dans une relation amoureuse et le mariage. Ses désillusions seront grandes. Anita Brookner décrit avec une grande justesse et une infinie délicatesse les sentiments, les aspirations de son héroïne.

« Providence » souligne une nouvelle fois l’immense talent d’Anita Brookner à décrire l’amertume, le malaise d’une jeune femme en quête d’un bonheur inaccessible.

Traduction Nicole Tisserand

Bilan livresque et cinéma de novembre

Durant le mois de novembre, j’ai lu sept livres qui m’ont permis de découvrir la plume de Benoît Séverac et son commandant de police Cérisol, celle de Paul Gasnier dont j’appréciais déjà le talent de journaliste et celle de James Hilton avec un classique de la littérature anglaise « Goodbye Mr Chips ». J’ai eu le plaisir de retrouver la talentueuse Anita Brookner avec l’excellent « Providence » et de découvrir le recueil de nouvelles de Colin Barrett dont j’ai beaucoup aimé le premier roman. Malheureusement, je n’ai pas été conquise par le dernier roman de S.A. Cosby que j’étais pourtant pressée de lire. Enfin, je suis plongée depuis ce matin dans le recueil de nouvelles hivernales et féminines des formidables et jeunes éditions Honorine.

Côté cinéma, j’ai vu six films dont voici mon préféré :

Une mère, Alice, se débat dans la rue pour que son fils monte dans un tranway. Elle a été convoquée devant le juge aux affaires familiales avec ses deux enfants. Face à elle, son ex-mari qui réclame un droit de visite car sa fille et son fils refusent de le voir depuis deux ans. Lui, met ça sur le compte de la nocivité d’Alice, de ses problèmes de santé qui l’empêcheraient d’être présente pour ses enfants. Elle, est prête à tout pour les protéger d’un père qui s’est révélé toxique.

Le premier film de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys est un véritable coup de poing. L’ouverture, caméra à l’épaule, évoque le réalisme des frères Dardenne. La suite se déroule entièrement au sein du palais de justice, un lieu neutre qui permet de laisser toute la place aux personnages. L’audience en elle-même est une séquence impressionnante où la tension est à son apogée. Face à la caméra, qui ne les laisse pas respirer, deux acteurs exceptionnels : Laurent Capelluto et surtout Myriem Akheddiou, bouleversante, vibrante de colère et d’angoisse. Sa performance est saisissante, tout comme l’est ce long-métrage que je ne suis pas prête d’oublier.

Et sinon :

  • « On falling » de Laura Carreira : A Edimbourg, une jeune immigrée portugaise, trime comme « pickeuse » pour une entreprise de e-commerce. Son travail est extrêmement répétitif et le soir elle rentre dans un appartement qu’elle partage avec d’autres locataires avec qui elle a peu de contact. Le premier long-métrage de Laura Carreira est dans la veine du cinéma réaliste et social de Ken Loach. On pense bien évidemment à « Sorry we missed you » puisque le même type d’entreprise est au cœur des deux films. Un travail déshumanisant, abrutissant et qui ne paie pas suffisamment. Au fur et à mesure, Aurora se révélera au bord du gouffre, le moindre grain de sable peut la faire basculer. Laura Carreira montre avec précision et sensibilité, la précarité et la profonde solitude de cette jeune femme qui tente de garder la tête haute.
  • « Deux procureurs » de Sergei Loznitsa : En 1937, en URSS, la terreur stalinienne envoie les militants les plus zélés du parti communiste en prison et souvent devant le peloton d’exécution. L’un d’eux, Stepniak, réussit à faire sortir un message pour dénoncer le traitement inhumain qu’il subit. Il demande justice. Un jeune procureur, Kornev, va demander à le rencontrer dans sa prison hyper-sécurisée et contrôlée. « Deux procureurs » est une fable cauchemardesque qui fait inévitablement penser à l’univers de Kafka. L’arrivée du procureur à la prison en est le symbole. C’est un véritable parcours du combattant pour arriver jusqu’au prisonnier. Tout est mis en place pour empêcher le procureur d’entendre le témoignage de Stepniak. L’image est souvent fixe, les couleurs sont ternes pour renforcer l’impression de cauchemar. Le personnage du procureur est la seule lumière de cet univers oppressant. Naïf, idéaliste, obstiné, il semble ne pas saisir où il se trouve et ce qui peut le menacer. Le film de Sergei Loznitsa est bien évidemment terrifiant.
  • « La femme la plus riche du monde » de Thierry Klifa : Marianne Farrère est ultra-riche, elle est à la tête de l’entreprise fondée par son père. Lors d’une séance photo, elle fait la connaissance de Pierre-Alain Fantin, le photographe. Un coup de foudre amical qui rend ces deux-là inséparables. La grande bourgeoise et le provocateur grossier, le duo improbable ne plait pas à la famille de Marianne car elle n’hésite pas à donner beaucoup d’argent à son nouvel ami. Thierry Klifa s’est emparé avec délice de l’affaire Bettencourt où François-Marie Banier avait été condamné pour abus de faiblesse. Le milieu de Marianne est croqué avec beaucoup d’ironie et le vernis de la bienséance vole en éclat avec l’arrivée de Fantin qui met les pieds dans le plat sans ménagement. Le casting est particulièrement réussi et contribue au plaisir que l’on prend à regarder le film. Isabelle Huppert joue une Marianne qui semble sortir de sa torpeur pour enfin profiter de la vie. Laurent Lafitte incarne un Fantin aussi détestable (notamment avec les domestiques) que plein de panache. Il semble follement s’amuser. « La femme la plus riche du monde » est une comédie jubilatoire.
  • « Dossier 137 » de Dominik Moll : Nous en sommes en 2018, la France vit au rythme des manifestations des gilets jaunes. La famille Girard, dont plusieurs membres travaillent dans le milieu hospitalier, décide de se rendre à Paris pour défendre les services publics. A la nuit tombée, la famille est séparée. Le plus jeune fils se retrouve seul dans une rue près des Champs Élysées avec un ami. Des policiers surgissent et tirent au flash ball sur les deux garçons qui s’enfuient. L’un d’eux s’effondre, touché à la tête. La mère porte plainte et l’IGPN est saisie. Après « La nuit du 12 », Dominik Moll continue à s’intéresser au milieu policier et comme son film précédent, il le fait avec minutie, rigueur et précision. Nous suivons le quotidien d’une enquêtrice, formidable Léa Drucker, qui tente de comprendre ce qui s’est passé. Le film n’est pas anti-flic mais il souligne l’importance de l’IGPN, même si celle-ci doit plier devant le pouvoir politique. A l’heure où un ministre de l’intérieur refuse de parler de violences policières, « Dossier 137 » est important et son sujet reste malheureusement d’actualité. Moins fort que « La nuit du 12 », peut-être plus froid, le dernier film de Dominic Moll reste passionnant à suivre.
  • « Les aigles de la république » de Tarik Saleh : George Fahmy est « le pharaon de l’écran », une star du cinéma égyptien, séparé de sa femme et vivant avec une actrice beaucoup plus jeune que lui. Il est contraint par le pouvoir à tourner dans un biopic sur le président Abdel Fattah al-Sissi sans quoi son fils risque d’avoir « un accident ». « Les aigles de la république » est le troisième film que Tarik Saleh consacre à l’Égypte, le pays de son père. Le personnage de George est inconséquent, aimant le luxe, séducteur. Il ne comprend que petit à petit qu’il s’est fourré dans un piège en acceptant d’incarner le président. Il tente de profiter de la situation en protégeant des amis et voisins mais il restera un pion pour les dignitaires du régime et les choses ne vont faire que s’aggraver. « Les aigles de la république » est moins réussi que « Le Caire confidentiel » ou « La conspiration » mais les mésaventures de George font froid dans le dos.

La femme du pasteur d’Elizabeth von Arnim

Ingeborg Bullivant est la fille d’un évêque anglais. Son père, égoïste et tyrannique, considère sa fille comme sa secrétaire et estime qu’elle ne se mariera jamais. Elle n’est effectivement pas aussi jolie que sa soeur Judith et elle a développé un caractère docile et effacée. Jusqu’au jour où Ingeborg est envoyée à Londres pour soigner une rage de dent. Le problème est rapidement réglé mais la jeune femme n’a guère envie de retrouver son foyer étouffant. Passant devant une agence de voyage, elle s’inscrit sur un coup de tête pour un séjour à Lucerne. Ingeborg s’offre plusieurs jours de liberté totale loin du monceau de lettres reçues par son père et auquel elle doit répondre. Durant le voyage, elle rencontre le pasteur allemand Her Drummel. Contre toute attente, il s’entiche d’elle et lui demande de l’épouser. L’installation d’Ingeborg dans une petite ville de Prusse se révèlera pour le moins compliqué.

Ecrit en 1914, « La femme du pasteur » décrit la vie d’Ingeborg, jeune femme candide, spontanée, sensible aux beautés de la nature qui l’entoure et nourrissant un certain optimisme quant à la vie qui l’attend. Malheureusement, que ce soit en Angleterre ou en Allemagne, la jeune femme devra plier devant les traditions, le devoir imposés aux femmes. Si la première partie du roman a parfois des airs de comédie (beaucoup de quiproquos et de malentendus dans les dialogues et une incompréhension des us et coutumes à son arrivée en Prusse), la deuxième partie se teinte rapidement de gravité et d’amertume. La place de la femme est très restreinte et contrainte. Le rôle d’Ingeborg est de procréer et de tenir sa maison. Elle sera d’ailleurs une profonde déception pour son mari :  » Elle n’avait encore, pour autant qu’il le sache, volontairement mis ses bras une seule fois autour de son fils (…).  Le bébé aurait pu être une fille pour toute la fierté qu’elle manifestait. Et la plus sainte fonction d’une mère, celle d’allaiter son enfant, au lieu d’être une joie constante, était une difficulté renouvelée et qui apparemment augmentait.  » Elizabeth von Arnim tient des propos très modernes et lucides sur la maternité, l’accouchement et l’allaitement. Ingeborg, jeune femme plein de curiosité intellectuelle, n’a pas son mot à dire et malgré quelques moments lumineux où elle tente de s’émanciper, elle subit sa vie.

Même si le roman souffre de quelques longueurs, « La femme du pasteur » est poignant. Quelque soit le pays où elle réside, son héroïne doit se plier aux convenances et aux besoins des hommes. Encore une fois, il faut souligner la modernité des écrits d’Elizabeth von Arnim concernant la condition des femmes.

Jeunes loups de Colin Barrett

Après avoir découvert Colin Barrett avec son premier roman « Fils prodigues », j’ai eu envie de lire son recueil de nouvelles « Jeunes loups » paru en 2016 en France. Les sept nouvelles se déroulent dans le comté de Mayo dans la petite ville imaginaire de Glanbeigh à l’ouest de l’Irlande. Une bourgade très ordinaire, peu animée qui abrite de jeunes gens déjà fracassés, tuant l’ennui à coups de pintes et de cannabis. Jimmy, 25 ans, passe son weekend à boire pour oublier la fille qu’il l’aime et qui en épouse un autre. Bat, qui a eu le visage dévasté par une petite frappe, évite les sorties et boit seul sur le toit de la maison de sa mère. L’avenir semble totalement bouché si l’on ne quitte pas Glanbeigh. Les filles tombent enceintes trop jeunes et les garçons tombent souvent dans la délinquance et la violence. C’est le cas de Arm, héros de la plus longue nouvelle du recueil (« Le calme des chevaux »), qui est devenu le garde du corps et le cogneur de son ami Dympna, dealer de cannabis.

Colin Barrett excelle dans ses nouvelles à planter un décor lugubre, une atmosphère de désœuvrement, de pauvreté. La mélancolie, les regrets mais également la rage habitent les personnages de ces nouvelles dont les sentiments sont finement observés. L’espoir apparait peu dans leur quotidien. Pourtant dans « Sur la lune », une petite dose de poésie vient illuminer l’ensemble grâce au sms d’un videur à sa passade estivale repartie à l’université de Galway.

Tout le talent de Colin Barrett était déjà bien présent dans ce recueil de nouvelles bouleversantes, saisissantes sur le quotidien sans espoir des jeunes gens du comté de Mayo.

Traduction Bernard Cohen

Le bruit de nos pas perdus de Benoit Séverac

Le groupe du commandant Jean-Pierre Cérisol, de la police judiciaire de Versailles, se retrouve avec deux affaires à élucider. La première va semble-t-il être rapidement classée puisqu’il s’agit du suicide d’une jeune femme, Emily Vaudrey. Pourtant, quelque chose dérange Cérisol qui va creuser les raisons de cet acte avec sa nouvelle recrue le lieutenant Krzyzaniak. La deuxième concerne la découverte d’un cadavre anonyme dans un caveau familial du cimetière versaillais. Le corps a été emballé avec du film plastique. A cela vient s’ajouter pour Cérisol une forte inquiétude pour sa femme, sportive handisport, partie au Japon pour une compétition et qui ne donne aucune nouvelle.

Je n’avais encore jamais lu Benoit Séverac et j’ai été ravie de découvrir ce roman noir à la facture classique et maitrisée. L’auteur entremêle plusieurs histoires, plusieurs enquêtes qui montrent bien le travail d’une brigade criminelle. L’envers du décor du commissariat, sa vie quotidienne et ses temps morts sont également importants pour Benoit Séverac (le commissariat de Versailles est dans un bâtiment historique mais l’intérieur est tout en placoplâtre). Le terrain, la manière d’enquêter sont très réalistes et l’actualité est bien présente avec les périls des immigrés  traversant la Méditerranée, les réformes de la police, l’esclavage moderne, etc…

Ce qui m’a également séduite, c’est l’attention portée aux personnages. Ils sont tous très bien décrits, très incarnés et on sent toute la tendresse de l’auteur à leur égard. La famille est beaucoup questionnée durant le roman ce qui touche inévitablement notre groupe d’enquêteurs.

« Le bruit de nos pas perdus » est un roman policier efficace, aux personnages attachants qui me donne envie de découvrir « Tuer le fils », la première enquête de Cérisol.